Une construction dont la démolition a été ordonnée par une

Transcription

Une construction dont la démolition a été ordonnée par une
Permis de construire
Une construction dont la démolition a été
ordonnée par une décision de justice peut-elle
faire l’objet d’un permis de régularisation ?
Régime d’utilisation n Permis de régularisation
n Démolition ordonnée par une décision
de justice n’étant pas devenue définitive n
Incidence sur la légalité du permis n Absence,
en principe n Exception n Fraude.
CE (1/6 SSR) 3 juin 2013, Commune de Lamastre, req.
n° 342673 – Mme Naudan-Carastro, Rapp. – Mme Vialettes, Rapp. public – SCP Gaschignard, SCP Célice, Blancpain, Soltner, Av.
Décision qui sera mentionnée dans les tables du Recueil
Lebon.
Résumé
➥➥Même dans l’hypothèse d’une demande de
permis de construire visant à régulariser l’édification antérieurement opérée d’une construction dont la démolition a été ordonnée par une
décision de justice n’étant pas devenue définitive, le permis de construire n’a d’autre objet
que d’autoriser la construction des immeubles
conformes aux plans et indications fournis par
le pétitionnaire. Ce n’est que dans le cas d’éléments établissant l’existence d’une fraude au
regard du contenu de la demande que l’autorité
peut se fonder sur la réalité de la construction
pour refuser le permis.
Conclusions
Maud Vialettes, rapporteur public
Sur le territoire de la commune de Lamastre (Ardèche),
qui compte un peu moins de 2 500 habitants, se trouve
un terrain supportant un ancien corps de ferme qui est la
propriété de la SCI Tracoulon constituée entre quatre ressortissants hollandais. Depuis les années 1980, il y était
exploité un petit camping. À compter de 1999, M. Den
Dulk, architecte de profession, qui est l’un des associés,
a entrepris, sans permis, des travaux sur ce bâtiment aux
fins d’y aménager plusieurs gîtes. Par un jugement du
25 mai 2005 frappé d’appel, le tribunal correctionnel de
Privas l’a condamné pour ces faits, en application de l’article L. 480-4 du code de l’urbanisme (ci-après CU), à une
peine d’amende de 1 500 € et a assorti cette condamnation, comme le permet l’article L. 480-5 du même code,
de l’injonction, sous astreinte, de démolir la construction
illégalement entreprise, ce qui, dans le dernier état de la
jurisprudence de la Cour de cassation, n’est pas constitutif d’une sanction pénale, mais d’une « mesure à caractère réel destinée à faire cesser une situation illicite » 1
1
Cf. pour le dernier arrêt publié sur ce point, Cass. crim. 6 novembre
2012, n° 12-82449 : à publier au Bull.
Bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 4/2013 Le 3 juin 2005 suivant, le maire de Lamastre a refusé
de délivrer à M. Den Dulk le permis de régularisation que
celui-ci sollicitait pour « la création de deux logements
saisonniers en sus de trois logements existants », en vue
d’un usage strictement personnel. Le maire a, en effet,
considéré que le projet consistait, en réalité, à aménager « six gîtes locatifs saisonniers dans les bâtiments
existants » et qu’ainsi requalifié, il devait être refusé pour
deux motifs : tout d’abord, en raison de considérations de
salubrité publique, en application de l’article R. 111-2 du
CU, le système d’assainissement autonome prévu étant
insuffisant pour un tel usage, et d’autre part, en raison
de ce qu’il méconnaissait l’article ND1 du règlement du
plan d’occupation des sols, lequel autorisait l’aménagement et l’extension mesurée des constructions à vocation
d’habitation et non celui des constructions destinées à
servir de gîtes. Le tribunal administratif de Lyon a annulé
cette décision, ainsi que le refus implicite de faire droit au
recours gracieux dont il avait été saisi, en retenant que
ces deux motifs n’étaient pas fondés. Saisie par la commune, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté son
appel, tout en retenant, à la différence du tribunal, qu’il
n’était pas établi que le projet de M. Den Dulk avait une
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Permis de construire
finalité autre que celle qu’il avait déclarée dans son dossier de demande.
Vous êtes régulièrement saisis d’un pourvoi en cassation présenté pour la commune.
Finalité du projet
L’un des moyens les plus délicats est tiré de ce que la
cour aurait commis une erreur de droit en jugeant que le
maire devait, pour apprécier la finalité du projet du pétitionnaire, s’en tenir aux pièces du dossier de demande du
permis de régularisation, en faisant abstraction des « circonstances » dans lesquelles ce pétitionnaire présentait
sa demande. Le pourvoi vous invite à faire évoluer votre
jurisprudence, dans le sens d’un plus grand réalisme, en
admettant que l’administration, dans des circonstances
telles que celles de l’espèce, prenne en compte, pour
apprécier la réalité du projet, des éléments tangibles
extérieurs au seul dossier de demande, tels que la réalité
de la construction d’ores et déjà édifiée et de son usage.
Le principe est, en effet, en vertu d’une jurisprudence
constante, que l’autorisation d’urbanisme est accordée ou refusée pour le seul projet joint au dossier de la
demande 2. Il en découle que les conditions dans lesquelles sont ensuite exécutés les travaux sont sans incidence sur la légalité d’une autorisation, sauf à ce qu’il
apparaisse durant les travaux que le permis a été obtenu
au prix de manœuvres de nature à induire l’administration
en erreur 3. Ce sont ces règles que reprennent et reformulent vos décisions du 13 novembre 1992, Commune
de Nogent-sur-Marne 4 et du 13 juillet 2012, Mme Egret 5,
en vertu desquelles, selon la formulation résultant de
la décision Mme Egret, « un permis de construire n’a
d’autre objet que d’autoriser la construction d’immeubles
conformes aux plans et indications fournis par le pétitionnaire » et, que par suite, « la circonstance que ces
plans et indications pourraient ne pas être respectés ou
que ces constructions risqueraient d’être ultérieurement
transformées et affectées à un usage non conforme aux
documents et règles générales d’urbanisme n’est pas,
par elle-même, sauf le cas d’éléments établissant l’existence d’une fraude à la date de la délivrance du permis,
de nature à affecter la légalité de celui-ci ». L’idée est en
effet, comme le fait apparaître la décision Mme Egret,
que seul le juge pénal peut être saisi, en application
des articles L. 480-1 et suivant du code de l’urbanisme,
lorsque les termes de l’autorisation ne sont pas respectés.
CE 18 mars 1970, Rodde : Rec., p. 208.
Cf. CE 17 mars 1976, Todeschini : Rec. p. 157.
4
Req. n° 110878 : aux Tables.
5
Req. n° 344710 : aux Tables, concl. Xavier de Lesquen.
2
3
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Prise en compte
de l’existant
Mais quid de la prise en compte de ces travaux et de
cet usage lorsqu’ils peuvent nécessairement être appréciés au moment de l’instruction de la demande de permis,
parce qu’il s’agit d’une demande de permis de régularisation 6 ? La jurisprudence résultant de la décision de
Section du 18 mars 1983, Siefert 7, peut donner l’impression qu’elle l’exclut absolument.
En effet, conformément aux conclusions du président
Labetoulle, publiées à l’AJDA 1983 8, il y a été jugé
que les permis de régularisation, qui ne régularisent
pas une construction « pour le passé » mais seulement
« pour l’avenir », doivent eux aussi être délivrés au vu
des seuls éléments du dossier de demande, sans prise
en compte de la réalité de la construction d’ores et déjà
édifiée. C’est ainsi que dans l’affaire qui était soumise à
la Section il a été jugé que la circonstance que le garage
édifié avant la délivrance du permis empiète sur la propriété voisine était sans influence sur la légalité du permis attaqué, qui n’avait pas pour portée d’autoriser un
tel empiétement.
Mais il ressort des motifs de cette même décision,
de même, d’ailleurs, que des conclusions du commissaire du gouvernement, qu’avant d’en arriver à une telle
conclusion, il avait été préalablement vérifié s’il ressortait des pièces du dossier que les plans produits à
l’appui de la demande du permis de construire comportaient des indications sciemment erronées sur les limites
de la parcelle utilisée pour le garage ou sur l’implantation de celui-ci, autrement dit si la demande était frauduleuse.
Nous pensons ainsi que la jurisprudence Mme Agret,
y compris dans la réserve qu’elle fait pour la fraude,
doit être regardée comme valant également pour une
demande de permis de régularisation. Simplement,
pour un permis de régularisation, la fraude pouvant plus
aisément être décelée ab initio, elle constituera, en pratique, un motif qui ne permettra bien souvent pas tant
de retirer le permis accordé sur cette base, que de s’y
opposer.
Or, pour apprécier une telle fraude, rien ne fait obstacle
à la prise en compte d’éléments extérieurs au dossier
de demande stricto sensu, dès lors qu’ils sont établis et
contemporains de la demande. C’est au demeurant ce
que vous avez admis dans une décision inédite du 17 juin
6
Cf. pour la possibilité de tels permis, CE S. 12 octobre 1956,
Syndicat départemental de la boulangerie de l’Eure : Rec. p. 369,
concl. Lasry, AJDA 1956 p. 486 et depuis la loi du 13 juillet 2006,
l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme, ici non applicable.
7
Rec. p. 130.
8
P. 437.
bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme
– 4/2013
Permis de construire
1994, M. et Mme Gleyroux 9,10, où un pétitionnaire avait,
par un tour de « passe-passe », tenté d’obtenir la régularisation d’une construction d’ores et déjà édifiée, en minorant sa surface, de façon à afficher le respect du plafond
de surface qui lui était applicable.
Démolition
En revanche, nous ne sommes pas encline à vous
proposer d’aller plus loin et de juger que même hors la
question de la fraude, l’administration peut instruire une
demande de permis de construire de régularisation à
la lumière du contexte dans lequel elle est déposée et,
notamment, de la réalité de la construction d’ores et déjà
édifiée, ce qui reviendrait à revenir sur la jurisprudence
Siefert.
Certes, dans une hypothèse très particulière, vous
avez pu l’admettre. Par votre décision du 8 juillet 1996,
Piccinini 11,12, vous avez jugé que lorsque le permis de
régularisation est sollicité après intervention d’une décision juridictionnelle définitive du juge pénal ordonnant la
démolition de la construction édifiée illégalement, l’administration peut prendre en compte toutes circonstances
extérieures au dossier et notamment la nature et la gravité de l’infraction relevée par le juge pénal, pour apprécier l’opportunité de délivrer, ou non, le permis sollicité.
Mais, ainsi qu’il ressort des conclusions du commissaire
du gouvernement, vous avez voulu, par cette solution,
éviter deux écueils : faire obstacle à toute régularisation, en jugeant que l’administration a, dans une telle
Req. n° 135489, concl. G. Bachelier.
Dans cette affaire, le pétitionnaire qui avait construit sans autorisation une annexe à son habitation et était sous le coup d’une
action en démolition engagée devant le juge judiciaire s’est vu refuser un premier permis de régularisation au motif que la surface de
cette annexe était supérieure au plafond autorisé, puis a présenté,
quelques jours plus tard, une nouvelle demande de régularisation
de cette annexe, en indiquant qu’elle était en réalité d’une surface
inférieure audit plafond. L’administration ayant, au vu de ces nouveaux plans, octroyé l’autorisation sollicitée, vous l’avez annulée,
refusant de couvrir ce « tour de passe-passe » selon les mots du
commissaire du gouvernement constitutif d’une manœuvre. Vous
avez en effet jugé que le maire ne pouvait, compte tenu de ces
circonstances, « tenir pour exactes les indications contenues dans
ladite déclaration de travaux » et que par suite sa décision d’autorisation, qui avait pris « pour argent comptant » les surfaces alléguées,
était illégale. Autrement dit, l’administration qui ne pouvait ignorer
que les déclarations du pétitionnaire étaient erronées, avait commis
une erreur de fait à l’origine d’une erreur de droit en prenant pour
« argent comptant » les déclarations du pétitionnaire et en en déduisant que le plafond réglementaire de surface étant respecté, l’autorisation sollicitée devait lui être délivrée. Vous avez donc retenu que
lorsque la fraude est tellement manifeste qu’elle ne peut échapper à
l’administration, elle doit redresser la demande dont elle est saisie,
sauf à entacher sa propre décision d’illégalité.
11
Req. n° 123437 : au Recueil, concl. M. Sanson.
12
Cf. aussi CE 26 février 2001, Mme Dorwling-Carter, req. n° 211318 :
inédit, concl. P. Fombeur.
hypothèse, compétence liée, pour refuser le permis de
régularisation ; dénier toute autorité à la décision pénale
définitive en retenant que l’administration statue sur une
telle demande en faisant abstraction de celle-ci. D’où
cette solution intermédiaire et pragmatique, consistant à
reconnaître à l’administration un pouvoir d’appréciation
pour refuser de délivrer le permis, quand bien même il
serait conforme aux règles d’urbanisme, par symétrie
avec le pouvoir d’appréciation dont elle dispose, de par
la loi (cf. l’article L. 480-9), pour faire, ou non, exécuter
d’office la démolition ordonnée par une décision juridictionnelle exécutoire, et en l’autorisant pour le plein exercice de ce pouvoir d’appréciation, à prendre en compte
toute circonstance utile.
On voit ainsi qu’une telle jurisprudence n’a pas vocation à s’étendre à d’autres cas de figure et en tout cas pas
à celui où la décision du juge pénal n’est pas, comme en
l’espèce, en tout cas au moment où le maire de Lamastre
s’est prononcé, définitive, ni d’ailleurs susceptible d’exécution, l’appel étant suspensif et où l’administration doit
examiner les demandes de permis de régularisation sans
disposer d’une marge d’appréciation différente du droit
commun.
Partant, nous pensons qu’il convient d’en rester à la
fraude. Or, c’est ce qu’a jugé la cour, qui a repris le considérant de principe de la décision Commune de Nogentsur-Marne et en a fait application. Au terme de ces longs
développements, nous vous invitons à écarter le moyen
présenté. Bien que nous concluions à ce que ce moyen
soit écarté, il nous est apparu utile, si ce n’est nécessaire,
de vous entretenir de son bien-fondé, avant de vous proposer d’accueillir le moyen suivant, car le cadre d’analyse
de cet autre moyen dépend du raisonnement fait pour
écarter le premier.
9
10
Bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 4/2013 Fraude
Le moyen qui nous semble fondé est en effet tiré de
ce que cela serait au prix d’une dénaturation des pièces
du dossier que la cour, à la différence d’ailleurs des premiers juges, a estimé qu’au cas d’espèce, l’objet de la
demande, qui se présentait formellement comme concernant des logements destinés à l’habitation personnelle et
non à la location vide ou meublée, était bien celui-là et
non l’édification de gîtes et que partant, la fraude n’était
pas caractérisée (une telle question relevant, en effet, de
l’appréciation souveraine des juges du fond 13).
Nous pensons qu’une telle appréciation est manifestement erronée. En effet, il ressort tout d’abord du compte
13
Cf. CE 15 octobre 1999, Époux Chatin, req. n° 180298 : aux
Tables ; CE 30 décembre 2002, SCI d’HLM de Lille, req. n° 232584 :
aux Tables.
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Permis de construire
rendu d’une visite sur les lieux effectuée par la sous-préfète de Tournon-sur-Rhône le 27 août 2004 que l’habitation
était utilisée pour cinq gîtes destinés à la location et qu’un
sixième avait été aménagé, le tout représentant une capacité d’accueil de quarante-trois personnes. Par ailleurs,
un procès-verbal de gendarmerie d’audition de M. Den
Dulk (en date du 27 avril 2004) fait apparaître que les gîtes
de Tracoulon représentaient « [son] gagne-pain » et qu’il
entendait, partant, poursuivre leur exploitation. C’est effectivement ce qui ressort d’une impression, en date de 2005,
des pages d’un site internet néerlandais qui faisait état des
différents tarifs des gîtes de Tracoulon pour l’année 2005 et
des disponibilités restantes pour l’année 2006. Si M. Den
Dulk soutient qu’il avait demandé au gestionnaire de ce site
de faire disparaître le référencement de ses gîtes, il ne l’établit pas. Dans ces circonstances, la dénaturation invoquée,
qui en quelque sorte est double, nous semble caractérisée
et de nature à entraîner, sans qu’il soit besoin d’examiner
les autres moyens, l’annulation de l’arrêt déféré.
Règlement de l’affaire
Dans les circonstances de l’espèce, nous vous invitons
alors à régler l’affaire au fond.
Il résulte de ce que nous venons de dire que c’est à bon
droit que le maire a estimé que la demande dont il était
saisi portait sur un projet d’aménagement de gîtes et non
sur un projet d’aménagement d’habitation destiné à un
strict usage personnel.
Nous pensons par ailleurs que c’est à tort que le tribunal administratif a considéré qu’un tel projet n’était pas
interdit par l’article ND1 du plan d’occupation des sols de
la commune. L’article ND1 prévoit que dans cette zone
naturelle à protéger, les occupations et utilisations du
sol admises sont « l’aménagement et l’extension mesurée des constructions à vocation d’habitation existantes à
condition que le toit et le gros œuvre soit en état […] ». La
question que pose la présente affaire est celle de savoir
si des gîtes sont des « constructions à vocation d’habitation ». Aucun texte ne définit ce que sont des gîtes, même
s’ils ne sont pas absents de quelques réglementations,
dans le domaine de l’agriculture, du tourisme ou encore
de la fiscalité. Mais, en tout état de cause, l’indépendance
des législations fait obstacle à ce que pour le droit de
l’urbanisme, les gîtes soient appréhendés en mettant en
œuvre les critères posés par ces textes 14.
14
Cf. précisément à propos d’un gîte rural, CE 14 février 2007,
Ministre des Transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer c/
M. Paillardin, req. n° 282398 : aux Tables ; BJDU 2007 p. 173, concl.
E Prada-Bordenave et obs. J.-C. B. ; Construction et urbanisme
2007, p. 48, note Godfrin ; RDI 2007, p. 359, obs. Solers-Couteaux ;
Revue de droit rural 2007, p. 44, note Billet.
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Gîte
Faut-il alors les classer dans les constructions destinées à l’habitation ou dans celles destinées à l’hébergement hôtelier, selon la classification résultant de l’article
R. 123-9 du CU ? Tout est, à notre sens, affaire d’espèce,
pour deux raisons, et on rencontre, d’ailleurs, les deux
hypothèses, dans vos décisions 15. D’abord, il existe différents types de gîtes qui, selon la nature des services
offerts, se rapprochent plus de la location meublée ou de
la prestation para-hôtelière 16. Ensuite, quand bien même
il est possible de se demander si la liste des destinations
des constructions fixées par l’article R. 123-9 est exhaustive, eu égard au caractère impératif de la rédaction de
cette disposition et aux conséquences qui résultent de
cette classification pour la détermination du champ d’application du permis de construire ou de la déclaration de
travaux, il est fréquent que les documents d’urbanisme
la précisent et l’affinent en créant des sous-catégories au
sein des neuf catégories qu’elle liste.
Tel est précisément le cas d’espèce. En effet, si l’ancienne rédaction de l’article ND1 prévoyait que les
occupations et utilisations du sol admises étaient « l’aménagement avec ou sans changement de destination, la
restauration et l’extension mesurée des bâtiments existants, avec leurs annexes attenantes ou immédiates, […]
les chambres d’hôtes, auberges rurales, gîtes ruraux,
gîtes d’étape et gîtes équestres », la nouvelle a supprimé,
comme il a été vu, la mention des gîtes, ce qui laisse
penser que les auteurs du nouveau plan d’occupation
des sols n’ont plus entendu autoriser l’aménagement
des bâtiments à cette fin dans cette zone. Partant, c’est
à notre sens de manière erronée que le tribunal administratif a retenu que c’est à tort que le maire s’était fondé
sur la méconnaissance de cette disposition pour refuser
le permis.
En revanche, le deuxième motif de refus, en l’état des
pièces du dossier, nous paraît entaché d’une erreur d’appréciation, au regard des dispositions de l’article R. 111-2
du CU, tant les études produites par le pétitionnaire que
l’avis favorable des services de l’État ne permettent pas
de penser qu’eu égard au système d’assainissement
autonome prévu, le projet serait de nature à porter atteinte
à la salubrité publique.
15
Cf. la décision CE 14 février 2007, Ministre des Transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer c/ M. Paillardin, req. n° 282398,
où vous avez qualifié un gîte d’établissement hôtelier et la décision
du 9 mai 2005, Commune de Villard-Reculas c/ M. Richard, req.
n° 257191, où vous avez examiné la légalité de la construction d’un
gîte au regard des dispositions du document d’urbanisme relatives
aux constructions à usage d’hébergement.
16
Cf. sur les critères que vous mettez en œuvre pour identifier un
équipement hôtelier en droit de l’urbanisme, CE 29 juillet 1983, Sarrazin, req. n° 37477 : aux Tables ; CE 9 mars 1990, SCI Le Littoral,
req. n° 83457 : aux Tables ; CE 5 juillet 1993, SCI Paese di Mare, req.
n° 123955 : inédit.
bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme
– 4/2013
Permis de construire
Mais le premier motif suffisant à notre sens à justifier le
refus de permis, il y a lieu, par la voie de l’effet dévolutif
de l’appel, d’examiner les autres moyens présentés par la
SCI Tracoulon et M. Den Dulk.
Légalité externe
Sur le plan de la légalité externe, deux séries de moyens
sont invoquées.
Il est d’abord soutenu que le maire était incompétent
pour prendre l’arrêté attaqué, dès lors qu’il était animé
d’une rancune envers M. Den Dulk et qu’il était, partant,
« intéressé » au sens de l’article L. 421-2-5 du code de
l’urbanisme alors applicable et que, par suite, le conseil
municipal de la commune ou l’organe délibérant de l’établissement public aurait dû désigner un autre de ses
membres pour se prononcer sur le permis de construire.
Les circonstances alléguées, à les supposer établies, ne
permettant pas de regarder le maire comme « intéressé
à la délivrance du permis de construire, soit en son nom
personnel, soit comme mandataire » au sens de cette disposition, le moyen ne pourra qu’être écarté.
Il est ensuite soutenu, dans le mémoire d’appel, et de
manière recevable, au vu du moyen que nous venons
de précédemment analyser et qui relève de la même
cause juridique, que l’arrêté attaqué aurait été pris en
méconnaissance des dispositions de l’article 4 de la loi
du 4 avril 2000 dite « DCRA » en raison de l’absence de
mention du prénom et du nom du signataire de l’arrêté,
seuls figurant sa signature et sa qualité de maire. Dans
les circonstances de l’espèce, il ne semble aller de soi
que M. Den Dulk, en litige depuis plusieurs années avec
la mairie de cette petite commune, n’avait pas de doute
quant à l’identité du signataire de cette décision. Il disposait, d’ailleurs, comme le montre le dossier, d’autres
documents antérieurs signés par le maire et portant la
même signature ainsi que, quant à eux, son identité.
Partant, nous vous invitons à réitérer le précédent, certes
non fiché, mais parfaitement transposable, de votre décision de sous-sections réunies M. Cadenel et Commune
de Seillons-Source-d’Argens du 30 décembre 2010 17,
par lequel vous avez jugé que si l’arrêté attaqué ne comportait pas l’indication du prénom et du nom du signataire, il ressortait des pièces du dossier qu’au vu des
circonstances, le maire pouvait être identifié comme étant
l’autorité signature de l’arrêté attaqué et que dès lors, la
méconnaissance des dispositions de l’article 4 de la loi
du 12 avril 2000 n’avait pas, dans les circonstances de
l’espèce, revêtu un caractère substantiel pouvant justifier
l’annulation de la décision attaquée.
17
Req. nos 329000 et 329930.
Bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 4/2013 Légalité interne
Sur le plan de la légalité interne, il est d’abord excipé de
l’illégalité du plan d’occupation des sols. Une telle exception d’illégalité est opérante 18. Les parties débattent en
revanche de sa recevabilité en ce qui concerne la contestation de la légalité externe de ce document, par le prisme
d’un moyen contestant les modalités de publicité de l’enquête publique. L’article L. 600-1 prévoit une exception à la
règle de « non-invocabilité » des vices de forme et de procédure à l’encontre d’un document d’urbanisme contesté
par la voie de l’exception, passé un délai de six mois, en ce
qui concerne « la méconnaissance substantielle ou la violation des règles de l’enquête publique […] » sur les documents d’urbanisme. Or, vous avez jugé, dans la même
formation, par une décision fichée sur un autre point, que
l’insuffisance de l’affichage de l’avis d’ouverture d’enquête
publique n’entre pas dans le champ d’une « méconnaissance substantielle ou de la violation des règles de l’enquête
publique » 19, faute, semble-t-il d’être un « vice substantiel »
au sens de ces dispositions. Vous pourriez transposer
cette position (qui n’est pas celle retenue par certaines
juridictions du fond 20) au moyen aujourd’hui invoqué. La
difficulté, que n’éclairent pas les conclusions, est qu’en
l’état de votre jurisprudence, l’insuffisance de l’affichage
peut, selon les cas, être ou non, un vice substantiel 21 et
qu’il en va de même de l’insuffisance de la publicité, même
si celle-ci constitue en principe une garantie. Une autre difficulté est que la jurisprudence Danthony 22 a mis à bas
la notion de vice substantiel. Compte tenu de ces questions, qui nous semblent rester ouvertes, malgré la décision
Vacher, nous vous proposons d’examiner au fond le moyen
ici invoqué, car il peut, en tout état de cause, être écarté. En
effet, contrairement à ce qu’indiquent les requérants, il n’y
a pas eu seulement un affichage en mairie mais aussi des
avis d’enquêtes publiques publiés dans deux organes de
presse, dont ils se sont bornés à contester l’existence, non
la régularité.
Les moyens de légalité interne ne sont pas convaincants. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en
classant les parcelles 544, 546, 545 et 542, qui sont comprises dans un ensemble boisé, en zone ND (ce qui était
déjà le cas auparavant), le document d’urbanisme serait
entaché d’erreur manifeste d’appréciation ou traduirait un
détournement de procédure.
Cf. CE 30 décembre 2009, Commune de Le Cannet-des-Maures,
req. n° 319942 : aux Tables.
19
CE 30 décembre 2011, Vacher, req. n° 324310 : aux Tables.
20
Cf. un arrêt antérieur de la cour administrative d’appel de Nantes
22 avril 2003, Commune de Guidel, req. n° 01NT01127 : DAUH 2004
n° 294 p. 452.
21
CE 18 décembre 1996, SA Omya et autre, req. nos 156270 et
156543 : au Recueil ; CE 19 février 1997, Commune d’Echirolles,
req. n° 169260 : aux Tables.
22
CE Ass. 23 décembre 2011, Danthony et autres, req. n° 335033 :
Rec., p. 649.
18
295
Permis de construire
Par ailleurs, l’arrêté attaqué n’étant pas motivé par la
méconnaissance de l’article ND4, celui-ci n’étant cité qu’à
titre surabondant, la critique de son illégalité est inopérante.
Il résulte de tout cela que l’exception d’illégalité pourra
être rejetée.
Reste le moyen de légalité interne tiré de ce que l’arrêté
lui-même aurait été pris au prix d’un détournement de
pouvoir. Rien ne permettant de l’établir, vous écarterez ce
dernier moyen.
Au total, la commune de Lamastre est donc fondée à
soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a
annulé l’arrêté et la décision attaqués.
S’agissant des conclusions accessoires, vous ferez
droit à celles présentées pour la commune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative à hauteur
de 3 000 € et rejetterez celles présentées au même titre
par les autres parties.
Par ces motifs, nous concluons :
-- à l’annulation de l’arrêt ;
-- à l’annulation des articles 1, 2 et 5 du jugement, la
commune n’ayant pas formé appel à l’encontre des
articles 3 et 4 qui soit lui donnaient raison, soit rejetaient ses propres conclusions tendant à l’application
de l’article L. 741-2 du code de justice administrative ;
-- au rejet de ce qui restait à juger de la demande de
M. Den Dulk et de la SCI Tracoulon et de leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code
de justice administrative ;
-- à ce qu’il soit fait mis à la charge de la SCI Tracoulon
et de M. Den Dulk respectivement 1 500 € aux conclusions présentées pour la commune au titre des mêmes
dispositions. n
Décision
Vu la requête sommaire, le mémoire complémentaire et le
nouveau mémoire, enregistrés les 23 août 2010, 24 novembre
2010 et 31 janvier 2011 au secrétariat du contentieux du
Conseil d’État présentés pour la commune de Lamastre,
représentée par son maire ; la commune de Lamastre
demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler l’arrêt n° 08LY00643 du 22 juin 2010 par lequel
la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté sa requête
tendant à l’annulation du jugement n° 0507681 du 24 janvier
2008 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de
Lyon, à la demande de la SCI Tracoulon et de M. Den Dulk,
a, d’une part, annulé l’arrêté du 3 juin 2005 par lequel son
maire a refusé de délivrer un permis de construire à cette
société ainsi que la décision implicite par laquelle il a rejeté le
recours gracieux de ces derniers, d’autre part, enjoint à son
maire de se prononcer à nouveau sur la demande de permis
de construire ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la SCI Tracoulon et de M. Den
Dulk la somme de 6 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code
de justice administrative ; […]
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux
juges du fond que M. Den Dulk a entrepris sans permis de
construire divers travaux, destinés à l’aménagement de cinq
gîtes dans deux bâtiments existants à usage d’habitation,
situés au lieu-dit Tracoulon sur le territoire de la commune
de Lamastre (Ardèche), accroissant leur surface et modifiant
leurs façades par le percement de nouvelles ouvertures ; que,
par un jugement du 25 mai 2005, le tribunal correctionnel de
Privas a condamné M. Den Dulk à la démolition de l’ensemble
des travaux réalisés irrégulièrement ; que, saisi par la SCI
Tracoulon, ayant pour gérant M. Den Dulk, d’une demande de
permis de construire de régularisation en vu de créer « deux
logements saisonniers en sus de trois logements existants »,
aux fins d’occupation personnelle, de changer l’affectation de
certains locaux, de créer des surfaces nouvelles et de modifier
296
les façades, le maire de la commune de Lamastre a estimé
que cette demande visait à l’aménagement de gîtes locatifs
saisonniers et l’a rejetée par arrêté du 3 juin 2005, alors que le
jugement du 25 mai 2005 du tribunal correctionnel de Privas
n’était pas devenu définitif, au motif que le règlement du plan
d’occupation des sols n’autorisait pas une telle destination
et que le système d’assainissement prévu était de nature à
porter atteinte à la salubrité publique ; que la commune de
Lamastre se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour
administrative d’appel de Lyon du 22 juin 2010 confirmant le
jugement du 24 janvier 2008 par lequel le tribunal administratif
de Lyon a annulé cet arrêté et la décision implicite rejetant le
recours gracieux de la société et de son gérant ;
2. Considérant qu’un permis de construire n’a d’autre objet
que d’autoriser la construction d’immeubles conformes aux
plans et indications fournis par le pétitionnaire ; que la circonstance que ces plans et indications pourraient ne pas être
respectés ou que ces immeubles risqueraient d’être ultérieurement transformés ou affectés à un usage non conforme aux
documents et aux règles générales d’urbanisme n’est pas,
par elle-même, sauf le cas d’éléments établissant l’existence
d’une fraude à la date de la délivrance du permis, de nature à
affecter la légalité de celui-ci ;
3. Considérant toutefois qu’il ressort des pièces du dossier
soumis aux juges du fond qu’une visite sur les lieux menée
par la sous-préfète de Tournon-sur-Rhône, le 27 août 2004,
avait permis de constater que les cinq logements construits
sans autorisation dans les deux bâtiments en cause étaient
utilisés comme des gîtes destinés à la location et qu’un
sixième gîte avait été aménagé, portant la capacité d’accueil
à 43 personnes ; qu’à la date du dépôt de sa demande de
permis de construire par la SCI Tracoulon, le site Internet de
cette dernière proposait ces gîtes à la location et des réservations avaient déjà été enregistrées pour l’été 2006 ; que si
cette société soutenait qu’elle avait demandé à la société qui
hébergeait ce site de le supprimer, elle n’apportait aucun élé-
bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme
– 4/2013
Permis de construire
ment à l’appui de ses allégations ; que, par suite, en estimant
que la demande de permis de régularisation, portant sur la
création de deux logements saisonniers et le réaménagement
de trois logements existants en vue d’une occupation personnelle, n’était pas entachée de fraude, la cour administrative
d’appel de Lyon a dénaturé les pièces du dossier ; que, par
voie de conséquence et sans qu’il soit besoin d’examiner les
autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;
4. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de
l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
5. Considérant que, pour annuler les décisions litigieuses,
le tribunal administratif de Lyon a estimé, d’une part, que si le
projet devait être regardé comme tendant à la réalisation de
plusieurs gîtes, ceux-ci avaient la nature de constructions à
usage d’habitation autorisées par le règlement du plan d’occupation des sols et, d’autre part, que le projet ne présentait
pas de risque pour la salubrité publique ; qu’il a ainsi jugé
qu’aucun des deux motifs invoqués par le maire de la commune de Lamastre n’était de nature à justifier légalement le
refus du permis de construire sollicité ;
6. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de ce qui précède que le maire de la commune de Lamastre a pu légalement, pour se prononcer sur la demande de permis de
construire qui lui était soumise, retenir que le projet ne consistait pas en une création de deux logements saisonniers et un
réaménagement de trois logements existants, en vue d’une
occupation personnelle, comme le mentionnait le dossier de
demande, mais en la réalisation de gîtes destinés à la location ;
7. Considérant qu’en vertu de l’article ND 1 du règlement
du plan d’occupation des sols de la commune de Lamastre,
modifié en 2001 pour supprimer la mention des chambres
d’hôtes, auberges rurales, gîtes ruraux, gîtes d’étape et gîtes
équestres, sont autorisés en zone ND : « […] l’aménagement
et l’extension mesurée des constructions à vocation d’habitation existantes […] » ; que des gîtes destinés à la location
ne peuvent être regardés comme des habitations pour l’application de ces dispositions ; que, par suite, c’est à tort que le
tribunal administratif de Lyon a jugé que les aménagements et
extensions pour lesquels la SCI Tracoulon sollicitait un permis
de construire devaient être regardés comme des constructions à usage d’habitation et qu’en conséquence, le maire
de la commune de Lamastre n’avait pu légalement rejeter sa
demande au motif qu’ils ne relevaient pas des dispositions de
l’article ND 1 du règlement du plan d’occupation des sols ;
8. Considérant, en second lieu, qu’aux termes des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, dans sa
rédaction applicable à la date des décisions litigieuses : « Le
permis de construire peut être refusé ou n’être accordé que
sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les
constructions, par leur situation ou leurs dimensions, sont de
nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique. Il
en est de même si les constructions projetées, par leur implantation à proximité d’autres installations, leurs caractéristiques
ou leur situation, sont de nature à porter atteinte à la salubrité
ou à la sécurité publique. » ;
9. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’une
étude réalisée par un premier bureau d’études en mars 2001,
confirmée par un rapport d’un second bureau d’études en
Bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 4/2013 juin 2002, a conclu, sous réserve du respect de certaines
prescriptions, à la faisabilité d’un dispositif d’assainissement
autonome pour cinq habitations regroupées sur le terrain
d’assiette du projet ; que l’ingénieur d’études sanitaires de la
direction départementale des affaires sanitaires et sociales a
émis le 6 avril 2005 un avis favorable sur le projet ; que si la
commune de Lamastre fait valoir que le dispositif épurateur
prévu par ce projet est situé à l’ouest des constructions, et
non dans la partie est du terrain d’assiette du projet, comme
le recommandait le second bureau d’études, il ne résulte
pas de ce seul choix que l’assainissement autonome retenu
présenterait des risques pour la salubrité publique ; que si
la commune soutient également que le dossier qui lui a été
soumis ne précise pas le mode d’évacuation des eaux usées
du snack-bar présent sur le site, ce dernier, qui ne se situe
pas dans l’un des deux bâtiments concernés par le projet,
n’avait pas à être pris en compte pour l’attribution du permis
de construire litigieux ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le système d’assainissement autonome qu’inclut le
projet ne permettrait pas d’assurer un assainissement satisfaisant des constructions ; que, par suite, c’est à tort que le
maire de la commune de Lamastre a estimé que le projet
méconnaissait les dispositions de l’article R. 111-2 du code
de l’urbanisme ;
10. Considérant toutefois qu’il résulte de l’instruction que le
maire aurait pris les mêmes décisions s’il s’était fondé uniquement sur le premier motif de rejet de la demande de permis de
construire, tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article ND 1 du règlement du plan d’occupation des sols ; que,
par suite, c’est à tort que le tribunal administratif s’est fondé
sur l’illégalité des motifs du refus de permis de construire pour
annuler les décisions du maire de la commune de Lamastre ;
11. Mais considérant qu’il appartient au Conseil d’État saisi
de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. Den Dulk et la SCI
Tracoulon devant le tribunal administratif et la cour administrative d’appel ;
Sur les moyens de légalité externe :
12. Considérant, en premier lieu, que si les dispositions de
l’article L. 421-2-5 du code de l’urbanisme, alors applicable,
prévoyaient que le conseil municipal de la commune désigne
un autre de ses membres pour délivrer le permis de construire
lorsque le maire est intéressé à sa délivrance, le maire de la
commune de Lamastre ne pouvait être regardé comme intéressé, au sens de ces dispositions, à la délivrance du permis
de construire sollicité ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il aurait méconnu l’obligation de neutralité qui s’imposait à lui ; que, par suite, M. Den Dulk et la SCI Tracoulon ne
sont pas fondés à soutenir que le maire ne pouvait statuer
lui-même sur leur demande sans entacher d’illégalité le refus
qui leur a été opposé ;
13. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes du
second alinéa de l’article 4 de la loi du 12 avril 2000 relative
aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : « Toute décision prise par l’une des autorités administratives mentionnées à l’article 1er comporte, outre la signature
de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom,
du nom et de la qualité de celui-ci. » ;
297
Permis de construire
14. Considérant que, si l’arrêté du 3 juin 2005 ne comporte
pas, en méconnaissance de ces dispositions, l’indication du
prénom et du nom de son signataire, il ressort des pièces du
dossier, notamment de la circonstance que le requérant avait
été destinataire de plusieurs autres arrêtés du maire comportant ces indications, que le maire de la commune pouvait
être identifié comme étant également l’autorité signataire de
l’arrêté du 3 juin 2005 ; que, dès lors, la méconnaissance des
dispositions de l’article 4 de la loi du 12 avril 2000 n’a pas,
dans les circonstances de l’espèce, revêtu un caractère substantiel justifiant l’annulation de la décision attaquée ;
Sur l’exception d’illégalité du plan d’occupation des sols
révisé le 29 novembre 2001 :
15. Considérant que l’article R. 123-11 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la procédure de mise
à l’enquête publique de la révision du plan d’occupation
des sols de la commune, prévoit que le plan d’occupation
des sols rendu public est soumis par le maire à enquête
publique, qu’un arrêté du maire précise notamment l’objet de
l’enquête, sa date d’ouverture et sa durée, le nom du commissaire enquêteur, ainsi que les jours et heures, et les lieux
où le public pourra prendre connaissance du dossier et formuler ses observations et que : « Un avis portant ces indications à la connaissance du public est, par les soins du maire,
publié en caractères apparents dans deux journaux diffusés
dans le département, quinze jours au moins avant le début
de l’enquête et rappelé de même dans les huit premiers jours
de celle-ci. Il est publié par voie d’affiches et éventuellement
par tous autres procédés dans la ou les communes membres
concernées. […] » ;
16. Considérant que s’il appartient au maire de procéder
à la publicité de l’ouverture de l’enquête publique dans les
conditions fixées par les dispositions précitées, la méconnaissance de ces dispositions n’est de nature à vicier la procédure
et donc à entraîner l’illégalité de la révision du plan d’occupation des sols approuvée à l’issue de l’enquête publique que si
elle a pu avoir pour effet de nuire à l’information de l’ensemble
des personnes intéressées ou si elle a été de nature à exercer
une influence sur les résultats de l’enquête et, par suite, sur la
décision de l’autorité administrative ;
17. Considérant que si la SCI Tracoulon et M. Den Dulk
font valoir que l’avis d’ouverture de l’enquête publique n’a été
affiché qu’en mairie, du 6 août au 5 octobre 2011, il ressort
des pièces du dossier que cet avis a par ailleurs fait l’objet
d’une publication dans deux journaux, « Le Dauphiné libéré »
et « L’Echo-le Valentinois », diffusés dans tout le département ;
que, dans ces conditions, l’absence d’affichage multiple de
cet avis n’a pas, dans les circonstances de l’espèce, et eu
égard notamment à la taille de la commune de Lamastre,
entaché d’irrégularité la procédure de révision de son plan
d’occupation des sols ;
18. Considérant, en deuxième lieu, qu’il appartient aux
auteurs d’un plan d’occupation des sols de déterminer le parti
d’aménagement à retenir pour le territoire concerné par le
plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d’avenir, et de fixer en conséquence le zonage et les
possibilités de construction ; qu’il ressort des pièces du dossier que les parcelles 542, 544, 545 et 546 sont comprises
dans un ensemble boisé plus vaste, de sorte que leur classe-
298
ment, depuis 1983, en zone ND vise à préserver le paysage
et le milieu naturel ; qu’en maintenant le classement de ces
parcelles en zone ND, le conseil municipal n’a pas commis
d’erreur manifeste d’appréciation ;
19. Considérant, en troisième lieu, que si la SCI Tracoulon
et M. Den Dulk soutiennent que les auteurs du plan d’occupation des sols ont entaché ce dernier d’un détournement
de pouvoir en supprimant à son article ND 1 la référence
aux chambres d’hôtes, auberges rurales, gîtes ruraux, gîtes
d’étape et gîtes équestres, le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ; que le moyen tiré de ce que la nouvelle
rédaction de cet article méconnaîtrait le principe d’impartialité
n’est pas assorti des précisions suffisantes pour permettre
d’en apprécier le bien-fondé ;
20. Considérant, en quatrième lieu, que la décision litigieuse
ne se fonde pas sur les dispositions de l’article ND 4 du plan
d’occupation des sols de la commune, selon lesquelles : « Le
système d’assainissement autonome adapté des eaux usées
provenant des établissements autres que des maisons individuelles d’habitation devra faire l’objet d’une étude particulière
aux frais du pétitionnaire. » ; que, par suite, la SCI Tracoulon
et M. Den Dulk ne peuvent utilement exciper de leur illégalité ;
Sur l’autre moyen de légalité interne :
21. Considérant que le détournement de pouvoir allégué à
l’encontre du refus de permis de construire n’est pas établi ;
22. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la
SCI Tracoulon et M. Den Dulk ne sont pas fondés à demander
l’annulation de l’arrêté du 3 juin 2005 par lequel le maire de
la commune de Lamastre a refusé de délivrer un permis de
construire à la SCI Tracoulon ni de la décision implicite par
laquelle il a rejeté leur recours gracieux ; que leurs conclusions à fin d’injonction ne peuvent, par suite, qu’être rejetées ;
23. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il
y a lieu de mettre à la charge de la SCI Tracoulon et M. Den
Dulk le versement à la commune de Lamastre d’une somme
de 3 000 € chacun, au titre des différentes instances, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
que ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit
mise à ce titre à la charge de la commune de Lamastre ;
DÉCIDE :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon
du 22 juin 2010 est annulé.
Article 2 : Les articles 1er, 2 et 5 du jugement du tribunal
administratif de Lyon du 24 janvier 2008 sont annulés.
Article 3 : Les conclusions de la demande présentée par
la SCI Tracoulon et M. Den Dulk devant le tribunal administratif de Lyon tendant à ce que soient annulés l’arrêté du 3 juin
2005 et la décision implicite du maire de Lamastre rejetant
le recours gracieux dirigé contre cet arrêté et à ce qu’il soit
enjoint au maire de se prononcer à nouveau sur la demande
de permis de construire sollicitée ainsi que leurs conclusions
tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative sont rejetées.
Article 4 : La SCI Tracoulon et M. Den Dulk verseront chacun une somme de 3 000 € à la commune de Lamastre au
titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
[…] n
bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme
– 4/2013
Permis de construire
Observations
La décision commentée combine deux lignes de
jurisprudence, l’une sur la prise en compte du
risque de détournement de l’objet du permis de
construire et l’autre sur la régularisation d’une
construction existante.
La jurisprudence est bien fixée sur la première
question. Elle repose sur l’idée que le permis
de construire n’a d’autre objet que d’autoriser la
construction d’immeubles conformes aux plans
et indications fournis par le pétitionnaire. Comme
l’a expressément relevé une récente décision du
13 juillet 2012, Mme Egret 23, la méconnaissance de
l’autorisation relève des dispositions répressives
de l’article L. 480-4 du code de l’urbanisme. Seule
la fraude établie à la date de la délivrance du
permis peut être prise en compte par l’autorité
administrative pour refuser le permis demandé.
La seconde ligne de jurisprudence procède
également du même principe : la délivrance du
permis pour une construction existante ne vaut pas
régularisation automatique de cette dernière. Tout
d’abord, le permis n’a pas de caractère rétroactif :
demeure donc l’infraction ayant consisté à
entreprendre la construction sans permis. Par
ailleurs, l’autorisation administrative n’a pas
pour portée de régulariser des constructions
qui en méconnaissent les prescriptions : c’est
la jurisprudence Mme Siefert 24, rendue dans
une situation où la construction existante était
soupçonnée d’empiéter de quelques centimètres
sur la propriété voisine. Il est alors nettement
affirmé que le permis délivré n’a pas pour portée
d’autoriser un tel empiétement. À l’infraction
résultant de l’absence de permis se substitue donc,
le cas échéant, celle tirée de la méconnaissance
de l’autorisation, les deux relevant du juge pénal.
C’est la notion de fraude qui permet à la décision
commentée d’associer ces deux jurisprudences
en respectant leurs logiques propres : en théorie,
l’autorité administrative n’a pas à s’intéresser à
la réalité de la construction dont l’autorisation
23
24
lui est demandée. Pour schématiser, l’autorité
administrative s’intéresse à la potentialité d’une
construction, à ce qui peut légalement être
construit, la réalité de la construction (ce qui
est réellement construit) relevant de l’autorité
judiciaire. En pratique, l’autorité administrative ne
peut complètement ignorer l’existant lorsque le
permis est demandé dans le but de le régulariser
car, comme le relève le rapporteur public, « la
fraude pouvant plus aisément être décelée ab
initio, elle constituera, en pratique, un motif qui
permettra bien souvent pas tant de retirer le permis
accordé sur cette base, que de s’y opposer ».
Mais la prise en compte de l’existant doit
rester confinée à cette limite : la fraude ne peut
résulter que d’une disparité manifeste avec les
déclarations du pétitionnaire. Ce principe vaut
alors même que l’existant est sous le coup d’une
mesure de destruction prise par le juge pénal,
mais non définitive.
Il faut cependant relever que la notion de
fraude devant l’autorité administrative est d’une
appréciation délicate, surtout lorsqu’elle résulte
non pas des caractéristiques physiques du
bâtiment construit, et de la question de savoir s’il
est conforme aux plans et indications fournis par
le pétitionnaire, mais de l’usage du bâtiment : il
est en effet plus difficile d’établir d’emblée que
le bâtiment sera détourné de son usage autorisé.
Par ailleurs, refuser le permis pour fraude
condamne le bâtiment dans son existence même,
en présupposant que son constructeur ne pourra
pas en faire un usage conforme à l’autorisation.
Cela correspond donc à une forme de double
peine : non seulement il ne pourra lui attribuer
l’usage – non conforme – qu’il envisageait mais
il devra également détruire la construction mal
intentionnée. Il faut donc, comme c’était le cas
en l’espèce, que l’intention frauduleuse soit
manifeste. n
X. D. L.
Req. n° 344710 : aux Tables ; BJDU 5/2012, p. 370.
CE S. du 18 mars 1983, req. n° 35255, concl. Pdt Labetoulle.
Bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 4/2013 299