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008-011 LMois Dhondt-4p 7/11/06 10:51 Page 8 LA REVUE NOUVELLE IRLANDE Le cercle vicieux du processus de paix L'Accord de Belfast intervenu en avril 1998 ouvrait la voie à une solution négociée de la guerre civile très meurtrière qui, depuis trente ans, oppose les catholiques et les protestants. Les catholiques républicains et nationalistes (représentés essentiellement par le Sinn Féin - I.R.A. et le Social Democratic and Labour Party - S.D.L.P.) prônent le rattachement de l'Irlande du Nord à la République d'Irlande du Sud. Pour leur part, les partis protestants unionistes et loyalistes (l'Ulster Unionist Party - U.U.P. et le Democratic Unionist Party - D.U.P.) sont favorables au maintien de l'Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni. La situation est d'autant plus complexe que chaque camp se divise entre fondamentalistes, d'une part, qui campent sur des positions dures accusant les négociateurs du Belfast Agreement d'avoir renié leurs principes et, d'autre part, réalistes pour qui une solution pacifique passe nécessairement par des compromis. Les révélations récentes sur l'histoire des négociations de paix montrent qu'en réalité chaque camp a toujours gardé deux fers au feu, négociant en coulisses tout en pratiquant l'escalade terroriste. L’existence de « ruses politiques » a accru la méfiance de la population envers le monde politique et miné le soutien au processus de paix. L'Accord de Belfast instaurait, entre autres, un gouvernement partagé entre les deux communautés qui, depuis sa mise sur pied, a connu une série de crises. Dernière en date, la quatrième suspension des institutions semiautonomes par Londres le 14 octobre dernier. PAR PAUL DIXON se déroulent en coulisses. Et il est devenu de plus en plus difficile pour l’opinion de décider si ce qu’elle voit est illusion ou réalité. Cela a pour effet d’accroitre le cynisme du public et d’affaiblir son soutien au processus de paix. La suspicion concernant le processus de paix va croissant : sa véritable histoire ne serait pas la pantomime familière du conflit qui est jouée sur la scène principale du théâtre politique, mais relèverait plutôt d’un scénario et d’une chorégraphie qui 8 008-011 LMois Dhondt-4p 7/11/06 10:51 Page 9 LA REVUE NOUVELLE IRLANDE Les fondamentalistes affirment que les mensonges et la manipulation ne sont jamais justifiés en politique. Pourtant, ce sont bien les fondamentalistes, républicains et loyalistes, qui ont fait avancer le processus de paix dans ces jeux de miroirs et derrière ces écrans de fumée. Ian Paisley et le D.U.P. ont attaqué David Trimble (président du U.U.P.1) en le décrivant comme un vendeur de voitures d’occasion dont ni les promesses ni les garanties ne sont fiables. Ils affirment qu’il s’est « compromis avec le terrorisme » et qu’il a trompé les unionistes. COMMENT FAIRE LA PAIX SANS PERDRE LA FACE ? De la même manière, les républicains dissidents critiquent le leadership du Sinn Fein - I.R.A pour la manière dont il a menti au mouvement républicain et l’a manipulé durant le « processus de paix ». Ils pointent du doigt le renversement des positions traditionnelles républicaines au retour de Stormont (siège du gouvernement), l’acceptation de l’accord et de la mise hors d’usage des armes. Les dissidents attendent de l’I.R.A. qu’elle se saborde et appelle le leadership à être honnête par rapport à sa défaite. L’ouvrage d’Ed Moloney, Secret History of the I.R.A., suggère que le gouvernement britannique et certaines figures importantes du mouvement républicain ont esquissé quelques pas de danse vers le processus de paix dès le milieu des années quatre-vingt, alors que le conflit était dans une impasse. La lutte de l’I.R.A. pour obliger l’armée britannique à se retirer du Nord devenait en effet futile si elle débouchait sur le chaos et la guerre civile avec l’unionisme. Le problème pour Gerry Adams, président du Sinn Féin, était qu’il avait besoin de présenter un mouvement républicain uni dans le processus de paix, ce qui lui permettait aussi d’éviter les divisions qui auraient pu déboucher sur une guerre civile fratricide. La question clé du processus de paix nord-irlandais est : comment faire pour persuader les nationalistes et les unionistes de trouver un accord qui ne correspondra pas à leurs attentes antérieures. La violence des « troubles » et la rhétorique de la guerre de propagande ont polarisé l’opinion en Irlande du Nord. Les républicains s’attendaient à ce que leur jour vienne, cependant que les unionistes « diabolisaient » leurs ennemis républicains et parfois nationalistes. Les réalistes argumentent que la politique est un sale business et qu’il est parfois nécessaire de faire le mal (mentir et manipuler) afin de faire le bien (atteindre un accord). La « chorégraphie » qu’est devenue le processus de paix nord-irlandais est ainsi, selon eux, inévitable, et relève d’un usage légitime des compétences politiques. 1 Le gouvernement britannique avait les preuves qu’une fraction du Sinn Féin commençait à chercher un moyen de sortir de la violence. Afin d’augmenter la capacité du leader- Democratic Unionist Party (D.U.P.) et Ulster Unionist Party (U.U.P.), deux partis protestants. Pour une présentation des partis politiques, voir « Les partis politiques et les groupes paramilitaires », de David D’Hondt, La Revue nouvelle, dossier « Irlande, au-delà du conflit », n° 5, mai 2002. 9 008-011 LMois Dhondt-4p 7/11/06 10:51 Page 10 LA REVUE NOUVELLE IRLANDE des années quatre-vingt. « En coulisses », ces ennemis ont commencé à coopérer afin de maintenir le conflit à un niveau d’intensité raisonnable. Patrick Mayhew, secrétaire d’État britannique à l’Irlande du Nord, confia un jour, en privé, que les Britanniques devaient aider Adams à rallier les plus « durs » du mouvement républicain à sa cause. Car, en cas d’échec, il aurait bien pu être remplacé « par quelqu’un de bien plus dur ». ship du Sinn Féin à amener un mouvement républicain uni vers une stratégie non armée, les Britanniques devaient lui offrir un moyen « honorable » de sortir du conflit. Pour le leadership du Sinn Féin, il était important de présenter sa participation à un processus politique à partir d’une position de force plutôt que de faiblesse. Le leadership du Sinn Féin avait besoin d’un scénario qui démontrerait aux activistes et sympathisants républicains que le front pan-nationaliste et le combat non armé étaient des moyens plus efficaces que la lutte armée dans la recherche d’une unité irlandaise. David Trimble a dû, lui aussi, faire face à de sérieux problèmes en tentant de persuader les unionistes de soutenir l’Accord de Belfast (Belfast Agreement). Les négociations vers l’accord avaient, en effet, inévitablement entrainé un changement des positions de l’U.U.P., le rendant ainsi vulnérable aux attaques des fondamentalistes l’accusant de trahison. Mais le leadership du Sinn Féin pouvait difficilement imposer cette nouvelle stratégie à l’ensemble du mouvement sans apparaitre comme en train de « vendre » le républicanisme traditionnel, et cela explique les contradictions et les glissements qui sont apparus dans la rhétorique républicaine. Des appels formels à la modération étaient accompagnés d’une escalade de la violence de l’I.R.A. et d’une réaffirmation de positions fondamentalistes. Le D.U.P., quant à lui, se définit luimême comme le parti des « honnêtes hommes d’Ulster », un parti au franc-parler et qui a des principes. Mais, derrière cette rhétorique fondamentaliste, on retrouve le même réalisme calculateur. Les leaders du D.U.P. condamnent le terrorisme mais ils ont été associés à des paramilitaires loyalistes ; ils refusent de s’assoir à la table du gouvernement avec le Sinn Féin mais occupent leurs postes ministériels. Ce parti donne maintenant à entendre qu’il pourra peut-être « faire des affaires » avec le Sinn Féin, s’ils émergent tous deux des élections comme principaux partis de leur bloc communautaire. Mais l’arriéré de rhétorique fondamentaliste du parti fera qu’il sera très difficile, même pour Ian Paisley, de « vendre » à ses rangs un tel accord avec le Sinn Féin. Selon John Major, ancien Premier ministre britannique : « Le leadership de l’I.R.A. avait sa propre logique, perverse. Pour eux, une offre de paix devait être accompagnée de violence afin de montrer à leurs militants qu’ils n’étaient pas en train de se rendre. » SUR SCÈNE ET DANS LES COULISSES « Sur le devant de la scène », le leadership républicain et le gouvernement britannique ont combattu la guerre de propagande, tout en intensifiant la vraie guerre à la fin 10 008-011 LMois Dhondt-4p 7/11/06 10:51 Page 11 LA REVUE NOUVELLE IRLANDE cord de Belfast, a-t-il déclaré, porte « sur l’égalité et la justice, pour la paix ». Le temps des négociations timides et des « gestes symboliques » est révolu : « Il est temps de conclure en posant des actes. » Plus de « chorégraphie », donc : « Le moment critique, c’est le moment critique. Il n’y a plus de voies parallèles. Nous sommes finalement arrivés au carrefour. » CONFLIT ET COMPROMIS S’il n’y avait pas de conflits, il n’y aurait pas besoin de politique. Mais un conflit (pas nécessairement violent) est endémique et le rôle vital de la politique et des hommes politiques est de gérer les compromis, les errances et les nécessaires ambigüités, pour que des gens qui ont bien souvent des opinions tranchées puissent vivre ensemble, en paix. Mais, ici, une partie des ruses politiques utilisées dans la gestion concrète du processus de paix a été dévoilée, ce qui a entrainé un cynisme grandissant et une méfiance croissante envers la politique et les hommes politiques. Ce qui est dangereux pour la démocratie et engendre des difficultés dans le développement même du processus de paix. L’heure est venue de dire la vérité. Paul Dixon Paul Dixon est l’auteur de Northern Ireland : The Politics of War and Peace, Palgrave, 2001. Cet article est extrait de « Political Skills or Lying and Manipulation ? The Choreography of the Northern Ireland Peace Process », Political Studies, vol. 50, no 4, septembre 2002. Lire également « L’I.R.A., victoire, défaite ou match nul ? », La Revue nouvelle, op. cit. Dans l’un de ses discours, Tony Blair semble reconnaitre ce point. L’ac- Traduit de l’anglais par David D’Hondt. 11