Dialogue ACDI - Forum Afrique-Canada

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Dialogue ACDI - Forum Afrique-Canada
Dialogue ACDI - Forum Afrique-Canada
Le 4 octobre 2007
Notes de présentation des messages-clés du symposium
« La société civile et l’efficacité de l’aide »
Caroline Boudreau
Inter Pares et présidente du Forum Afrique-Canada
Merci de prendre le temps d’être avec nous aujourd’hui, que ce soit d’avoir traverser la
rivière des Outaouais ou l’océan. Nous remercions entre autres les participants africains
qui ont accepté de rester une journée de plus après le symposium annuel de trois jours du
FAC, un des trois groupes de travail du Conseil canadien pour la coopération
internationale (CCCI). Le thème choisi « la société civile et l’efficacité de l’aide » n’est
pas un sujet nouveau puisque les membres du Forum Afrique-Canada (FAC), une
quarantaine d’organisations de la société civile canadienne avec des liens très forts sur le
continent africain, ont porté attention à cette question au cours de la dernière année. Il
nous est apparu important d’approfondir ce que cela impliquait pour nous et, compte tenu
des ouvertures à l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et à
l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) par la création
du comité consultatif, de contribuer à ces discussions. Nous avions donc de bonnes
raisons de nous engager un peu plus dans ce processus, avec cependant certaines
hésitations.
Nous avons donc eu trois jours de discussions intenses qui ont été organisées autour
d’une dizaine d’études de cas développées par des membres du Forum Afrique-Canada.
Au cours des derniers mois, dix organisations canadiennes, en collaboration avec leurs
collègues africains, ont utilisé certaines de leurs expériences de collaboration et de
coopération internationale pour analyser le type de pratiques que nous mettons en place
en tant qu’organisations non-gouvernementales (ONG) et en tant qu’organisations de la
société civile (OSC), en essayant d’analyser les répercussions que nous constatons
maintenant et que nous entrevoyions pour le futur, dans un système d’aide où l’efficacité
devient de plus en plus un thème prédominant et suscite certaines inquiétudes. Les trois
jours et demi de discussions sur le thème de la société civile et de l’efficacité de l’aide
ont regroupé une quarantaine de membres canadiens du FAC, une douzaine de leurs
collègues africains provenant de plus de 10 pays différents et ont créé plus d’une
quarantaine d’heures de débats. Maintenant je vais dégager certains aspects plus
qualitatifs de nos réflexions, qui sont encore très fraîches.
Lors du symposium, nous voulions mieux comprendre les conséquences de la Déclaration
de Paris (DP) sur les rôles et les responsabilités des OSC, principalement à l’égard de nos
propres pratiques. Il nous est vite apparu évident que pour ce faire nous devions aussi
regarder les finalités du développement et des transformations sociales auxquelles nous
aspirons tous et toutes. C’est un des messages clés du symposium : les questions de
l’efficacité de l’aide, auxquelles nous cloisonne la Déclaration de Paris, ne peuvent être
1
abordées en faisant abstraction du contexte politique plus large dans lequel se situe le
régime de l’aide. Pour les OSC ayant pris part aux discussions du FAC, il nous semble
donc important de rappeler que notre analyse collective n’appréhende pas séparément la
question de l’efficacité de l’aide et celle du contexte plus large.
Il nous apparaît que la DP et les principes qui la sous-tendent ne sont pas adéquats dans la
mesure où la DP et ses principes d’efficacité visent surtout la mécanique de l’aide et
laissent de côté la raison d’être, les finalités visées par l’aide. Certains disent que la DP
s’applique aux relations entre pays donateurs et gouvernements bénéficiaires, mais il
nous apparaît que la DP amène un menu de réformes qui ont des conséquences
considérables sur le travail, le rôle et les responsabilités de la société civile au Nord
comme au Sud. Ne pas prêter attention à ces implications et conséquences risque d’être
contre-productif pour améliorer l’efficacité de l’aide.
Pour différents acteurs de la société civile, il est clair que nous avons nous-même une
implication profonde dans le régime de l’aide mais nous essayons aussi de voir notre rôle
au-delà de ce régime. C’est pourquoi certaines des réflexions et des propositions que
nous avons débattues au symposium portent sur le rôle que nous jouons, devrions ou ne
devrions pas jouer, et sur nos propres pratiques, tout en reconnaissant que ces pratiques
sont largement influencées par un contexte politique plus large, marqué par une approche
néolibérale qui érode la souveraineté des États et tend à marginaliser le pouvoir
démocratique des citoyens.
Quelques mots sur les études de cas qui nous ont permis de nous pencher sur certaines
pratiques exemplaires et ont aussi mis en lumière certains défis. Ainsi, les discussions
entre participants canadiens et africains ont permis d’aborder la question difficile des
relations de pouvoir entre ONG du Nord et du Sud, à savoir au nom de qui certaines
ONG parlent-elles, quels sont les espaces politiques où nous sommes actifs dans nos
propres pays mais également dans les pays où nous travaillons?
Les études de cas ont documenté certaines pratiques innovatrices et de nouvelles
manières de faire des ONG qui démontrent une grande flexibilité et une capacité de
s’adapter à des contextes qui changent, ce qui, en soi, constitue une des forces des ONG.
Voici un aperçu de quelques-unes des études de cas 1 .
Le Groupe canadien de réflexion sur la sécurité alimentaire a mené un projet de recherche
collaborative pour documenter la situation des politiques de l’ACDI en matière
d’agriculture dans trois pays africains, le Ghana, l’Éthiopie et le Mozambique, en 2006.
Cette recherche faite dans le sud a été utilisée pour amorcer un dialogue avec l’ACDI sur
la place de l’agriculture et le besoin de ramener la priorité de l’agriculture et a donc
permis d’appuyer le travail politique des ONG au Canada.
1
Pour plus de détails voir la compilation des études de cas http://www.ccic.ca/f/docs/003_acf_200710_case_studies.pdf
2
CANGO, un regroupement d’ONG canadiennes avec une présence sur le terrain en
Éthiopie a été créé pour coordonner et renforcer leurs actions.
Le CECI a fourni un appui à des groupes de femmes qui a abouti à la mise en place d’une
plate-forme régionale pour la promotion des droits et citoyenneté des femmes dans trois
pays d’Afrique de l’Ouest.
L’UPA-DI, à partir d’une expérience de paiements anticipés aux agriculteurs au Québec
transposée au Mali sous une forme adaptée au contexte spécifique de ce pays a réussi à
développer des mécanismes qui autrement n’auraient pas pu être mis de l’avant. Ces
façons de faire amènent leurs propres défis mais démontrent aussi l’importance d’oser et
d’innover, ce qui n’aurait pu être possible sans l’appui des mécanismes d’aide nonsollicité.
Oxfam Canada et différents groupes communautaires en Éthiopie ont développé une
approche méthodologique différente, Asset Based Community Development (ABCD), qui
met l’accent sur les richesses et les ressources qui se trouvent au sein même de la
communauté pour l’assister dans son propre développement plutôt que de prendre pour
acquis que l’aide doit venir de l’extérieur. Cette approche fondée sur une citoyenneté
active (citizen agency) démontre que les ressources sont sur le terrain, qu’il suffit de les
cultiver et de les valoriser. En ce sens, elle se démarque de la Déclaration de Paris qui
prend comme point de départ que l’aide doit venir de l’extérieur.
La DP semble mettre en place un système qui cherche à éviter le risque à tout prix alors
que les études de cas font ressortir que c’est souvent en prenant certains risques qu’on
arrive à lancer des initiatives créatrices et beaucoup plus novatrices. En voulant
constamment chercher à savoir pourquoi, vers quoi on va, mais en le définissant de façon
rigide et contraignante, on court un autre risque : celui de ne pas atteindre l’efficacité de
l’aide parce qu’on ne se sera pas donner les outils pour aller dans des terrains inexplorés.
Deux autres études de cas traitaient des approches sectorielles au Mozambique, une en
matière de santé, l’autre en matière d’éducation. Ce qui se dégageait du lien entre
l’organisation canadienne CODE, son homologue au Mozambique, Progresso, et le
ministère de l’éducation pour mettre en œuvre l’approche sectorielle dans ce domaine
était relativement positif. Ils ont réussi à mettre de l’avant un programme bilingue en
portugais et en langues locales dans certaines provinces du Mozambique. L’ouverture du
ministère de l ‘éducation, mais aussi le partenariat établi depuis plus de 17 ans entre
CODE et Progresso ont été des facteurs déterminants de la réussite de ce programme.
Cependant, en dépit du résultat positif, l’implication directe avec le ministère de
l’éducation a créé certaines contraintes pour l’organisation mozambicaine qui ne pouvait
plus jouer certains rôles. Inversement, en matière de politique de santé, les OSC ont fait
face à de nombreuses difficultés pour approcher le ministère de la santé. C’est-à-dire que
la mise en œuvre d’une politique générale dans un même pays peut connaître des résultats
très différents selon les personnes qui sont impliquées. Ceci nous amène à réaliser
l’importance de renforcer nos pratiques exemplaires en tant qu’ONG, en développant des
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d’entente basées sur des valeurs communes et une compréhension partagée, donc de
savoir de part et d’autre vers quoi nous voulons vraiment aller.
La plupart des études de cas font état d’initiatives qui ont bénéficiées de mécanismes
alternatifs de financement mettant l’accent sur des approches « responsives » ou nonsollicitées.
La question de la reddition des comptes est aussi très présente dans la Déclaration de
Paris. Pour les ONG, elle se manifeste beaucoup à travers les cadres logiques, la gestion
axée sur les résultats, les vérifications et certaines procédures bureaucratiques qu’on
qualifie souvent de lourdeur. Pour nous, cela crée plutôt une fausse impression
d’imputabilité qui empêche les gens de la société civile d’avoir une vision à plus long
terme : les ONG sont prises au quotidien dans ces mécanismes de reddition de compte au
détriment du développement d’initiatives plus créatives ce qui, ultimement, nuit à la
qualité du travail que nous voulons ou pourrions accomplir. L’image de la « patate
chaude » vient à l’esprit quand on voit comment le fardeau de la reddition de compte est
passé de l’ACDI vers les OSC et puis vers les partenaires du Sud.
Le manque de participation démocratique dans certaines instances, que l’on pense à
l’OCDE, à la Banque mondiale et bien d’autres endroits, pose problème. On dénote non
seulement l’absence de la société civile dans ces instances, mais aussi bien souvent
l’absence de discussions sur les sujets traités dans nos propres processus parlementaires.
Cette préoccupation s’applique aussi à l’ACDI qui, comme agence publique, fait partie
d’un système qui doit est redevable envers ses citoyens. Par contre, nous tenons à
reconnaître l’ouverture de l’ACDI et son leadership exercé au sein du Comité d’aide au
développement de l’OCDE pour élargir le débat sur les implications de la DP pour les
OSC ainsi que les rôles joués par ces dernières en matière de développement. Il nous
semble que c’est dans l’intérêt des pays donateurs de s’assurer que des espaces de débats
existent.
La question devient donc : comment développer d’autres mécanismes pouvant assurer la
reddition de comptes tout en rapportant les résultats atteints? Comment développer un
cadre alternatif nous permettant de rendre compte de nos accomplissements, et qui
répondrait aussi à nos préoccupations communes de démontrer l’efficacité de notre rôle et
de notre travail. Encore faut-il rappeler que pour nous, la valeur de l’efficacité ne se situe
pas dans ce concept en soi, mais plutôt dans l’atteinte de ce qui est visé par le
développement, soient les transformations sociales.
En ce qui concerne la question d’imputabilité, pas tant l’imputabilité entre OSC du Nord
et du Sud et vis-à-vis leur propre base, mais celle relative aux donateurs qui concentrent
de plus en plus leurs ressources dans les appuis budgétaires et s’attendent à ce que les
ONG du Sud jouent un rôle de chiens de garde pour surveiller l’argent ainsi investi.
Cependant, elles ont très peu accès à l’information sur les montants alloués et comment
ils sont transférés. En fait, bien souvent, les donateurs possèdent plus d’information que
les groupes citoyens dans les pays du sud. Comment donc assurer plus de transparence et
un meilleur partage des informations pour permettre aux organisations dans le Sud de
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jouer le rôle qu’on attend d’elles? Une meilleure reconnaissance du rôle qu’on pense
qu’elles doivent jouer passe par le développement d’espaces politiques pour avoir accès à
ces informations et débattre des allocations mais également pour qu’elles aient les
ressources pour jouer ce rôle. Une opportunité qui a été mentionnée pour encourager plus
de transparence et accroître la reddition de compte des gouvernements a trait à
l’utilisation qu’on peut faire des médias dans différents contextes.
Pour nous, il est donc important d’avoir une meilleure participation citoyenne, mais elle
ne se veut pas seulement symbolique ou évaluée de façon quantitative: il faut s’attarder à
la qualité de l’engagement citoyen. Et jusque dans une certaine mesure, il en va de la
responsabilité des donateurs qui débloquent ces fonds de s’assurer une participation qui
va au-delà du symbolisme et est pleine de sens. Il semble que le problème de l’accès à
l’information sur l’allocation de l’aide publique au développement ne se pose pas
seulement pour les OSC du Sud mais aussi dans le Nord. Ainsi, il est de plus en plus
difficile d’obtenir de l’ACDI de l’information au sujet de l’allocation des fonds.
La question à savoir si les pays du Sud rendent compte davantage à leurs donateurs plutôt
qu’à leurs citoyens demeure toujours pertinente. Ceci marginalise des notions comme la
démocratie et une participation de qualité qui, pour la société civile, devraient être au
cœur, d’approches qui se veulent efficaces parce qu’elles visent des effets à long terme
axés sur le développement et les transformations sociales. Comment pouvons-nous
espérer qu’au lendemain de la rencontre de haut-niveau à Accra en septembre 2008, les
parties engagées dans la Déclaration de Paris porteront attention à divers enjeux, qui vont
bien au-delà de l’efficacité de l’aide?
Merci!
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