Les méthodes de désinfection de l`Antiquité à la fin du xviiie

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Les méthodes de désinfection de l`Antiquité à la fin du xviiie
Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 1995,14 (1), 21-30
Les méthodes de désinfection de l'Antiquité
à la fin du xviii siècle
e
J. BLANCOU *
Résumé : L'auteur décrit et analyse les méthodes de désinfection qui furent
utilisées jusqu'à la fin du x v i i i e siècle, c'est-à-dire avant la démonstration
scientifique du rôle des micro-organismes pathogènes. Ces méthodes sont
regroupées en trois catégories : chimiques (par les dérivés du soufre, du
mercure, du cuivre ainsi que par les alcalis ou les acides), physiques (élévation
thermique, fumigation, filtration, etc.), et biologiques (enfouissement). L'auteur
en conclut que, malgré leur empirisme, ces méthodes ont rendu de grands
services aux responsables de la lutte contre les maladies animales puisqu'elles
ont pu, dans certains cas, venir à bout de maladies dont la cause était pourtant
encore inconnue.
MOTS-CLÉS : Désinfection - Histoire vétérinaire - Maladies animales.
INTRODUCTION
Le but de cet article est de décrire et d'analyser les m é t h o d e s de désinfection qui
furent utilisées par l'homme antérieurement à la démonstration scientifique du rôle des
micro-organismes pathogènes, au x i x siècle.
e
Pour simplifier, nous nous limiterons aux désinfectants tels que les a définis Block (2) :
« U n désinfectant est un agent qui élimine les sources de l'infection. C'est généralement
un p r o d u i t chimique, mais cela p e u t ê t r e un agent physique. Il d é t r u i t les microorganismes pathogènes ou nuisibles, mais pas nécessairement les spores bactériennes. Il
s'applique à des objets inanimés. »
P a r m i les objets inanimés nous inclurons, p o u r les c o m m o d i t é s de l'exposé, les
cadavres d'animaux atteints de maladies contagieuses qui ont longtemps été identifiés
comme principale (voire unique) source de matières virulentes.
P o u r des raisons p r a t i q u e s également, nous classerons les désinfectants en trois
grandes catégories : désinfectants chimiques, physiques et biologiques. E n effet si cette
dernière catégorie n'est pas expressément visée dans la définition de Block (2), il faut
considérer qu'elle a été très i m p o r t a n t e dans les temps anciens. Notons qu'elle peut
aussi mettre en jeu des mécanismes chimiques (tels que l'acidification du milieu) ou
physiques (tels que l'élévation t h e r m i q u e ) , ce qui a m è n e à la r a p p r o c h e r des deux
catégories précédentes.
* Directeur général, Office international des épizooties, 12 rue de Prony, 75017 Paris, France.
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DÉSINFECTION PAR DES AGENTS CHIMIQUES
La désinfection par des agents chimiques a été assurée par de multiples procédés
d o n t il est parfois difficile de distinguer le principe actif. Nous r a p p o r t e r o n s
successivement les procédés utilisant les dérivés du soufre ou du mercure, les alcalis, les
acides, puis les autres produits lorsqu'ils sont suffisamment bien caractérisés.
Bien que les causes des maladies humaines ou animales n'aient été véritablement
connues q u ' a u xixe siècle, c'est bien l'action malfaisante d'« animalcules » ou de
ferments vivants qui fut suspectée d'être à leur origine depuis l'Antiquité. Marcus
Terentius Varro ( 1 siècle av. J.-C.) écrivait déjà (8) : « Il y a peut-être, dans les endroits
marécageux, de petits animaux que les yeux ne peuvent voir et qui occasionnent de
graves maladies en pénétrant dans le corps par la bouche ou par le nez. » Dès lors, un
bon désinfectant devait avoir une action corrosive, suffocante ou toxique visible sur les
êtres vivants.
e r
Les dérivés du soufre
La plus ancienne référence à une désinfection des locaux par un produit chimique
semble être celle décrite 800 ans av. J.-C. dans le livre x n de l'Odyssée dont le héros,
après avoir tué ses rivaux, demande que l'on brûle du soufre dans la maison où ceux-ci
avaient séjourné (2).
L'effet purificateur des vapeurs de bioxyde de soufre (2) ainsi dégagées a été mis à
profit à de multiples reprises par la suite. En Inde, Suçruta prescrivait dans son ouvrage,
le Suçruta-tantra, rédigé au ive siècle de notre ère, de faire brûler du soufre dans les
salles où allaient se pratiquer des opérations chirurgicales (5).
En Europe, lors des épidémies de peste humaine qui sévissaient au Moyen Age, le
soufre fut également recommandé pour désinfecter les locaux et les objets contaminés (2).
E n 1745, lors de l'épidémie de peste bovine, les objets (et p e r s o n n e s ) souillés
subissaient une fumigation soufrée (1).
Cette utilisation du soufre découle probablement de l'observation, par les différents
peuples, de l'action létale de ce produit p o u r les petits animaux ou les plantes, de
l'odeur suffocante de ses vapeurs et, surtout, de la facilité avec laquelle on pouvait
obtenir ces vapeurs par simple combustion.
Les dérivés du mercure
Les composés mercuriels ont été, comme ceux du soufre, les plus a n c i e n n e m e n t
utilisés comme désinfectants et comme peinture ou revêtement protecteur en Chine, en
Inde, en Egypte et en E u r o p e (2, 8). Leur utilisation en médecine fut reprise par les
Arabes qui la transmirent aux Européens, comme le mentionne Mathaeus Platerius en
1140 (2). Ces composés furent utilisés par la suite, n o t a m m e n t pour lutter conte la
syphilis en Italie en 1429 (2). E n 1705, H o m b e r g traitait le bois au sublimé corrosif
( H g C l ) pour éviter sa pourriture (2). Ce sont les travaux de Koch qui démontreront
définitivement l'efficacité du sublimé corrosif sur les micro-organismes cultivés in vitro.
Plus t a r d les dérives mercuriels organiques ( m e r t h i o l a t e , m e r c u r o c h r o m e ) seront
largement utilisés en médecines humaine et vétérinaire.
2
Ici encore, c'est l'observation directe de l'effet corrosif des dérivés mercuriels qui a
dû les faire choisir comme désinfectants.
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Les dérivés du cuivre
Les marins avaient r e m a r q u é , depuis des temps très anciens, que les algues et les
champignons ne poussaient pas sur le fond des bateaux revêtus de cuivre. C'est peut-être
cette observation qui a conduit les vignerons français à protéger leurs vignes de l'attaque
du mildew (Plasmapora vitícola) avec une « bouillie bordelaise » (Bordeaux
mixture)
contenant du sulfate de cuivre (2). Ce même sulfate de cuivre sera recommandé en 1767
par Boissieu et Bodenare pour protéger le bois de la pourriture (2).
Les alcalis
Sous ce terme général (dérivé en 1509, du mot arabe al-quâli, qui signifie soude) sont
r e g r o u p é s tous les produits basiques ayant u n e action n e u t r a l i s a n t e sur les microorganismes, notamment les virus. Les plus anciennement utilisés de ces produits sont
certainement les dérivés de la chaux.
C'est l'effet détergent très visible de la soude sur les matières organiques et la facilité
de vérifier sa b o n n e application par les traces blanches que laisse le traitement à la
chaux qui ont dû faire choisir ces deux produits comme désinfectants depuis des temps
aussi anciens.
Durant les épidémies de peste bovine qui sévissaient au début du xviiie siècle, tous
les responsables des pays atteints r e c o m m a n d a i e n t des m e s u r e s énergiques de
désinfection des locaux. Ces mesures étaient souvent inspirées des travaux originaux de
Giovanni Lancisi, le médecin et camérier secret des papes Innocent xii et Clément xi.
Concernant la désinfection des locaux et matériels contaminés, Lancisi conseillait, en
1715, le lavage à la chaux sodée concentrée des fontaines, récipients et abreuvoirs où les
bovins buvaient h a b i t u e l l e m e n t : Fontes, vasa, ac labra, quo affecti boves potum ire
confuerant, acri lixivio ex calcepotissimumparato
abstergenda sunt (6).
En 1730 une ordonnance de l'empereur Charles vi stipulait que les écuries où avaient
vécu des chevaux atteints de morve devaient être recrépies à la chaux vive (16). Ces
dispositions seront reprises dans de n o m b r e u x textes publiés en E u r o p e . E n 1745 le
décret d'Oldenbourg prescrivait le nettoyage à la soude caustique des récipients ayant
servi à alimenter les animaux atteints de peste bovine et le traitement à l'eau de chaux
des bois et des murs des étables (1). D e même, les objets ayant été en contact avec des
chiens enragés étaient nettoyés à l'eau s a v o n n e u s e non diluée « versée en g r a n d e
quantité sur les traces de bave de l'animal enragé » (4).
En 1794, Erasmus Darwin recommande, au cas où la peste bovine serait introduite
en Angleterre, que « dans un rayon de cinq miles autour des foyers confirmés tous les
bovins soient i m m é d i a t e m e n t sacrifiés et livrés à la c o n s o m m a t i o n dans la région
déclarée infectée ; et que leurs peaux soient plongées dans la chaux vive en présence
d'inspecteurs qualifiés » (18).
Les acides
C'est le fait que les acides forts attaquent les objets les plus durs (pierre, métal, etc.)
et que les acides organiques (vinaigre) protègent fruits et légumes de la putréfaction qui
a dû inciter les embaumeurs, et les médecins de l'homme et des animaux, à les proposer
comme désinfectants.
Les Egyptiens utilisaient déjà (3 000 ans av. J.-C.) le vin de palme et le vinaigre pour
rincer les cavités abdominales des corps (humains ou animaux) qu'ils embaumaient (5).
A u p r e m i e r siècle de n o t r e ère, Celse r e c o m m a n d e le vinaigre p o u r désinfecter les
plaies a b d o m i n a l e s (2). Meyer, qui a écrit un livre sur les différentes m é t h o d e s de
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désinfection du courrier, indique qu'il a retrouvé une lettre datée de 1485 qui semble
avoir été désinfectée au vinaigre (2). D a n s son livre A natural history publié en 1625,
Bacon recommande la désinfection de l'eau de boisson avec de petites quantités d'acide
sulfurique (oil of vitriol) pour éviter qu'elle ne se putréfie (2).
En 1676, Van L e e u w e n h o e k a p p o r t e la p r e m i è r e d é m o n s t r a t i o n scientifique de
l'action des acides qu'il vérifie sur les « animalcules » qu'il a découverts grâce au
microscope dont il est l'inventeur. En recouvrant les bactéries recueillies à la surface de
ses dents avec du vinaigre de vin, Van L e e u w e n h o e k c o n s t a t e q u e ces bactéries
« mobiles comme de petites anguilles » cessent de bouger (2). Plus tard (1693), l'Anglais
King utilise une méthode similaire pour vérifier l'action neutralisante d'autres acides
(acide sulfurique) ou de produits tels que le tartrate de sodium, le vin, l'encre, le sang, le
sel, etc. Mais avec ce dernier produit il constate que le fait de r e h y d r a t e r les
« animalcules » neutralisés, les ramène à la vie (2).
En 1715 Lancisi recommandait le vinaigre (ou l'eau vinaigrée) pour désinfecter les
objets (voire les animaux ou les personnes) qui avaient été en contact avec des bovins
atteints de peste bovine (6). En 1752, toujours pour lutter contre la peste bovine, Layard
(7) r e c o m m a n d e d'associer le vinaigre à un nettoyage au savon et à l'eau de chaux :
After the distemper is over, stables, cribs, mangers, racks, are all to be washed, first with
hot soap-suds, and afterwards with vinegar and water. The walls of plaster, or clay, are to
be first scraped; then a fresh coat of plaster or clay laid on, and, when dry, the walls are to
be washed with lime-water. (« A la fin de l'épidémie, les étables, les mangeoires, les
auges, les râteliers, tout doit être lavé, d'abord avec de la lessive chaude, puis avec du
vinaigre et de l'eau. Il faut d'abord gratter les murs de plâtre ou d'argile et ensuite
appliquer une couche de plâtre ou d'argile ; puis, une fois que les murs sont secs, il
convient de les laver avec de l'eau de chaux. ») Cette m é t h o d e sera reprise en 1805,
toujours pour lutter contre la peste bovine, par Huzard : pour purifier l'air des étables il
recommande de jeter du vinaigre fort sur des pierres ou des briques chauffées (16). En
Prusse, les règlements du siècle dernier imposaient que tous les objets en contact avec
un chien enragé (sa gamelle, son abreuvoir, sa niche, sa litière, ses attaches) soient
désinfectés avec de l'acide nitrique ou de l'eau savonneuse non diluée (4).
Les autres produits chimiques ou biochimiques
D ' a u t r e s produits très variés, mais parfois impurs ou mal définis, ont été utilisés
comme désinfectants. Parmi ces derniers on peut citer les « sels » (voir plus haut). Les
e m b a u m e u r s de l'ancienne Egypte laissaient t r e m p e r d u r a n t 70 jours les corps à
embaumer dans un mélange de carbonate de soude, de chlorure de sodium et de sulfate
de sodium (5). Ils utilisaient également la résine et le goudron (5).
DÉSINFECTION PAR DES AGENTS PHYSIQUES
La désinfection par différentes méthodes physiques a été pratiquée depuis des temps
très lointains et de façon empirique.
Ce n'est q u ' a u cours de l ' A n t i q u i t é gréco-romaine que ses conditions ont été
précisées et beaucoup plus tard que ses mécanismes ont été identifiés. On peut classer
les m é t h o d e s physiques en q u a t r e groupes : élévation t h e r m i q u e , fumigation,
dessiccation et filtration.
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Désinfection par élévation de la température
Ce fut sans doute l'une des premières idées de l'homme, dès qu'il fut maître du feu,
que de purifier par ce feu les locaux, objets, cadavres, etc., qu'il soupçonnait d'être à
l'origine des m a u x d o n t lui ou ses animaux p o u v a i e n t être atteints. Les
recommandations à ce sujet sont donc très nombreuses dans la littérature ancienne.
L'eau
Les soldats d ' A l e x a n d r e le G r a n d devaient déjà suivre les conseils du célèbre
Aristote : faire bouillir leur eau de boisson. E n Perse, Avicenne (980-1046), dans le
livre iii de son Canon, indique que l'eau peut être rendue potable par évaporation et
distillation, ou à défaut par ébullition (14). La sagesse de ces recommandations, reprises
au cours des âges, fut scientifiquement prouvée en 1776 par Spalanzani qui démontra
que la « génération s p o n t a n é e » des micro-organismes était impossible après que le
liquide où ils vivaient ait été porté à ébullition durant une heure (2). Joblot avait déjà
d é m o n t r é en 1718, qu'il était possible de stériliser une infusion de foin en la faisant
bouillir 15 minutes puis en scellant le récipient qui la contenait (2).
Les objets et les vêtements
La Bible précisait déjà que les soldats hébreux de retour du combat étaient requis de
flamber tout leur équipement et les vêtements capables de supporter ce traitement, et de
plonger les autres dans l'eau bouillante (2). A u Moyen Age les vêtements des personnes
pestiférées étaient brûlés pour éviter l'extension de l'épidémie de peste noire (3).
E n 1716 un r è g l e m e n t du roi de Prusse F r é d é r i c le G r a n d prévoyait q u e les
vêtements des personnes ayant soigné des animaux atteints de peste bovine devaient
être aérés et « exposés à la flamme ». Les contrevenants à ces mesures s'exposaient à de
lourdes peines : m a r q u e au feu, condamnation aux travaux forcés à perpétuité voire
pendaison après flagellation (1).
E n 1730 l ' o r d o n n a n c e de l ' E m p e r e u r Charles vi prévoit q u e les m a n g e o i r e s et
râteliers ayant servi à des chevaux atteints de m o r v e soient brûlés (16). E n 1745 le
décret d'Oldenbourg visant les mesures propres a éradiquer la peste bovine exige que
les pailles contaminées soient également brûlées (1). En 1782 Lavoisier préconise la
décontamination par ébullition des vêtements de personnes atteintes de tuberculose (3).
E n 1784 un a r r ê t du Conseil du Roi de F r a n c e oblige les p r o p r i é t a i r e s d ' a n i m a u x
atteints de maladies contagieuses à brûler ou échauder tous les harnais, les voitures et
en général tout objet ayant été en contact avec ces animaux (12). En 1797 Viborg
r e c o m m a n d e de chauffer à 64-65 °C les objets ayant été en contact avec le « poison
contagieux » responsable de la morve des équidés (10).
Les
cadavres
L'incinération des cadavres d'hommes ou d'animaux atteints de maladies a depuis
longtemps été considérée comme la meilleure méthode pour éviter la contagion.
Curieusement l'efficacité de l'incinération n'était pas nécessairement considérée
comme supérieure à celle du simple enfouissement. Ainsi Leclainche et Smith (8,13)
rappellent-ils le texte suivant écrit en vers par Tusser, en 1573, dans un ouvrage très
original intitulé Five hundred points of good husbandry :
Whatever thing dieth, go burie or burne,
For tainting or ground or a worser it turne
Such pestilent smell of a currently thing
To cattle and people greate peril may bring.
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« Quoi que soit ce qui meurt, va l'enterrer ou le brûler
Car cela contaminera ou le sol ou pire encore,
L'odeur si pestilentielle émanant d'une telle charogne
Risque d'apporter grand péril aux bêtes et aux gens. »
Ce texte recommande bien d'enterrer ou de brûler tous les cadavres.
En 1713 Bates préconisait la crémation des cadavres de bovins morts de peste bovine
en Angleterre puis la désinfection des locaux et l'instauration d'un vide sanitaire de
trois mois (1).
Cet avis n'est pas celui de Mead (en cas de peste humaine) ni celui de Layard (en cas
de peste bovine) car « les particules infectieuses peuvent être dispersées par le vent »,
comme cela fut le cas lors de l'épidémie de peste humaine (black death : la mort noire) à
Venise (7).
Désinfection par fumigation
La fumigation est un procédé utilisé depuis des temps très reculés pour « purifier
l'air », peut-être parce qu'on avait observé que la fumée chassait les insectes, toujours
suspectés de causer des maladies humaines ou animales. E n l'an 429 av. J . - C , cette
méthode fut recommandée par Hippocrate pour lutter contre une épidémie frappant
bêtes et gens d'Athènes. Elle consistait à faire brûler des bois et des herbes odorantes
dans les rues de la ville, ce qui aurait contribué à arrêter l'épidémie (5). Cette technique,
qui avait l'avantage de purifier l'air et pouvait aussi désinfecter les objets, vêtements,
etc., fut recommandée au ve siècle par Végèce pour lutter contre le morbus alienatus (8)
et au même siècle par Hiéroclès contre les malleus (13), puis en 1711 par Ramazzini, en
1715 par Lancisi et en 1721 par les Prussiens contre la peste bovine (1). En 1745, lors de
l'épidémie de peste bovine à Montpellier, la Faculté de m é d e c i n e r e c o m m a n d e la
fumigation des étables par du bois de genévrier et des vapeurs de vinaigre (12). En 1752,
lors de l'épidémie de peste bovine (contagious distemper) qui sévit en A n g l e t e r r e ,
Layard (7) recommande la fumigation des étables par un mélange de poudre à canon,
de tabac et de diverses plantes aromatiques : Wet gunpowder, pitch, tar, brim-stone,
tobacco, frankincense, juniper and bay-berries [...] should be burnt, and the smoke
confined in these stables, more than once. (« Il faut faire brûler de la p o u d r e à canon
humide, de la poix, du goudron, du soufre, du tabac, de l'encens, des baies de genièvre et
de laurier [...], et laisser la fumée e n f e r m é e dans ces étables, et cela à plusieurs
reprises. ») La fumigation des chenils contaminés par les chiens enragés a été également
recommandée en France, puis en Angleterre par Jenner, à la fin du xviiie siècle (18).
Chabert, en 1774, la recommande aussi pour lutter contre le charbon bactéridien (18).
E n 1805, H u z a r d , luttant toujours contre la m ê m e maladie, r e c o m m a n d a i t de faire
brûler alternativement « une bonne pincée » d'un mélange composé de poudre à canon,
de sel commun, et de baies de genièvre et du bois de laurier concassés (17).
Désinfection par dessiccation
Cette m é t h o d e associait souvent l'action de la chaleur et des r a y o n n e m e n t s
ultraviolets lorsqu'elle était p r a t i q u é e par exposition au soleil. Elle avait été
recommandée sept siècles avant J.-C. dans la troisième partie de l'Avesta Vandidad, le
Code de la doctrine de Z a r a t h o u s t r a , pour purifier les terres où avaient reposé des
cadavres (14). Elle était employée dans l'Egypte ancienne pour parfaire l'embaumement
des corps, après un bain de sels (5). Elle résultait peut-être de l'observation des cadavres
naturellement momifiés par la dessiccation dans le désert.
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Désinfection par filtration
L'histoire de la filtration r e m o n t e à des temps très reculés, puisque les Egyptiens
l'utilisaient déjà pour clarifier le jus de raisin à travers une toile (2). Peut-être était-ce
de ce procédé que s'inspirait la légende médiévale selon laquelle la Licorne aurait eu le
pouvoir de r e n d r e p o t a b l e une eau polluée rien q u ' e n y t r e m p a n t son unicorne (5).
E n Perse, Sayyid Ismail Jorjani (1042-1135) observe q u ' u n e eau filtrée (ou bouillie)
met plus longtemps à se corrompre (15,16). Cette m é t h o d e fut aussi r e c o m m a n d é e
en 1757, dans la marine britannique, pour purifier l'eau en la filtrant dans du sable ou
du charbon (2).
Mais son emploi pour r é d u i r e la charge d'agents p a t h o g è n e s ne fut étudié
expérimentalement que plus tard, n o t a m m e n t par Magendie (1783-1855). Cet auteur,
qui inoculait au chien, par voie intraveineuse, des extraits de poisson putréfiés, avait
observé que le pouvoir p a t h o g è n e de cette inoculation était fortement réduit après
passage de l'extrait sur papier filtre (18). Ces essais furent repris et affinés plus tard pour
étudier en particulier le pouvoir p a t h o g è n e des bacilles du charbon bactéridien, par
Tiegel, Klebs, Eberth, Chauveau, etc., et c'est Davaine qui démontra définitivement, en
1863, que la filtration sur porcelaine arrête cette bactérie (18).
DÉSINFECTION PAR DES AGENTS BIOLOGIQUES
C o n t r a i r e m e n t aux deux cas précédents, les principes d'action de la désinfection
biologique restent assez flous. Il est en effet rare de pouvoir affirmer qu'une méthode
de désinfection agit selon un processus p u r e m e n t biologique, sans m e t t r e
simultanément en jeu une neutralisation chimique et physique.
Enfouissement
C'est c e r t a i n e m e n t l'enfouissement qui constitue l'une des m é t h o d e s les plus
courantes de « désinfection », des cadavres en particulier, par un processus biologique
extrêmement complexe : dégradation enzymatique mais aussi variation de la teneur en
oxygène, de la pression, du pH, de la température, etc.
Cette m é t h o d e est sans d o u t e la plus a n c i e n n e m e n t utilisée par l ' h o m m e et elle
constitue p r e s q u e un réflexe animal : se débarrasser des matières m a l o d o r a n t e s ou
putrescibles en les enterrant. C'est ainsi que, selon le Deutéronome, les soldats hébreux
devaient être munis d'une pelle afin d'enterrer leurs déjections pour éviter de répandre
une épidémie (3). Cette méthode paraissait plus efficace aux Romains que l'incinération,
si l'on en juge par un texte de Virgile concernant l'épizootie des Noriques, survenue
quelques siècles avant notre ère. Dans ce texte le poète parle des « cadavres d'animaux
décomposés par une affreuse pourriture ». Il précise (Géorgiques, Livre iii) que ces
cadavres devaient être enfouis dans des fossés, nam neque erat coriis usus nec viscera
quisquam aut undis abolere posest aut vincere flamma (« car leurs p e a u x n ' é t a i e n t
d'aucun usage, et leurs viscères ne peuvent être ni purifiés par les ondes ni vaincus par la
flamme ») (8).
A u commencement du ve siècle, Végèce ordonne aussi d'enterrer profondément les
chevaux qui succombent aux maladies contagieuses, n o t a m m e n t à l ' é p o q u e de
l'invasion des cavaliers Huns (4). E n l'an 751, Boniface donne des instructions écrites
p o u r q u e les animaux enragés soient e n t e r r é s p r o f o n d é m e n t : animalia quae a
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fnrentibus, id est rabidis, lupis et canibus fuerint lacerati, infoveam proicienda sunt (« les
animaux qui seraient roulés par des loups et des chiens en délire, c'est-à-dire en rage,
doivent être jetés dans un fossé ») (4).
En 1502 les autorités de Nördlinger étaient responsables de l'enfouissement des
cadavres d'animaux morts de rage et s'il s'agissait d'un cadavre de chien, le fossoyeur
était r é m u n é r é de huit pfennigs (4). E n 1523 Fitzherbert r e c o m m a n d e d'enlever les
cadavres d'animaux morts de « murain » (fièvre charbonneuse) sauf la peau, qui est
envoyée en tannerie, et la tête qui est plantée au bout d'une pique pour signaler au
voisinage que la maladie est dans les lieux (13). E n 1715, lors de l'épidémie de peste
bovine, Lancisi recommandait de recueillir le lait des vaches malades et de l'enfouir
dans une tranchée : emunctum ex uberibus lac injiciatur in defoffam humum (« le lait
trait des mamelles doit être jeté dans un fossé ») (6).
D e très nombreux textes officiels ultérieurs reposeront sur les mêmes principes, mais
amélioreront cette technique d'enfouissement. Ainsi, en juin 1771, un arrêté du Conseil
du roi de France (12) précise que « les bêtes abattues ou mortes de maladie épizootique
ne peuvent être ni laissées dans les bois, ni jetées dans les rivières, ni exposées à la
voirie, ni même enterrées dans les écuries, cours, jardins, et ailleurs que hors l'enceinte
des villes, bourgs et villages. Elles doivent être coupées par quartiers ; puis elles sont
p o r t é e s , et n o n traînées, j u s q u ' à des fosses qui doivent avoir huit à dix pieds
[2,4-3,0 mètres] de profondeur et se trouver au moins à cent toises [près de 200 mètres]
de toute habitation. Les animaux sont enfouis (chairs et ossements) dans ces fosses, qui
doivent être recouvertes exactement jusqu'au niveau du terrain. Les propriétaires ou
fermiers doivent fournir les charrettes, chevaux, harnais, civières ou traîneaux, même
les m a n o u v r i e r s d o n t il serait besoin, à peine de 50 livres d ' a m e n d e . » Cet a r r ê t é
s'inspirait peut-être de l'ordonnance du Conseil royal de Londres (17 octobre 1747) qui
précisait que les cadavres d'animaux atteints de peste bovine ne devaient être enterrés
que trois heures après la mort pour éviter que les effluvia ne soient emportées par le vent.
Layard (7), en 1752, déconseille pour les mêmes raisons le découpage de ces cadavres et
le tailladage de leurs peaux avant enfouissement :I must publickly disapprove of cutting
and slashing the hides, to render them unfit for use, and likewise still more of dismembring
the carcasses to bury them with greater ease. Such incision, and taking off the limbs, only
serve to give vent to all that putrid air observed puffing up the skin in the last stage of the
illness. (« Je dois publiquement réprouver l'habitude qui consiste à couper et taillader
les peaux afin de les rendre inutilisables, ainsi que celle qui consiste à démembrer les
carcasses pour les e n t e r r e r plus facilement. Ce genre d'incision, ainsi que le fait
d'arracher les côtes, ne servent qu'à faire exhaler l'air putride qui gonfle la peau lors de
la phase finale de la maladie. »)
Autres méthodes
Parmi les autres méthodes biologiques on peut citer des procédés tels que :
- celui de la mise en jachère des terres sur lesquelles étaient morts un chien ou un
homme (jachère d'un an) ou des sols où avaient été enterrés des cadavres (jachère de
c i n q u a n t e ans) : ces r e c o m m a n d a t i o n s étaient celles d ' A h u r a M a z d a dans l'Avesta
Vandidad, chapitre 6 (14).
- celui proposé en 581 par Grégoire de Tours pour lutter contre la peste bovine ; il
recommandait de conduire des troupeaux de bovins dans les rues afin que leur haleine
puisse neutraliser l'action du virus, le même résultat pouvant être obtenu par l'odeur
des chèvres (11) ;
29
- celui préconisé par Agostino Gallo (1499-1570) pour désinfecter la provende des
bovins en cas de péripneumonie contagieuse bovine, consistant à laver cette provende
avec de l'eau dans laquelle avaient bouilli des plantes aromatiques (18).
CONCLUSION
Cette r e v u e des anciennes m é t h o d e s de désinfection chimique, physique et
biologique est loin d'être exhaustive. Son seul objectif est de rappeler que depuis des
temps très reculés, l'homme avait observé qu'il pouvait maîtriser le développement de
certains processus biologiques (fermentation, putréfaction, infection, etc.) grâce à des
mesures spécifiques. Si certaines p e u v e n t a u j o u r d ' h u i p r ê t e r à sourire, la g r a n d e
majorité de ces mesures étaient parfaitement efficaces. Alliées à des mesures d'abattage
ou d'isolement des animaux malades, ce sont ces méthodes de désinfection des objets,
des locaux ou des cadavres qui ont contribué à l'arrêt des certaines grandes épidémies.
Il est remarquable que de tels procédés, appliqués dans l'ignorance totale des causes
réelles de ces épizooties, et en l'absence de vaccins ou de m é t h o d e s t h é r a p e u t i q u e s
spécifiques, aient pu avoir un tel succès. Ce succès, dû en grande partie à la rigueur
impitoyable avec laquelle ils é t a i e n t r é g l e m e n t é s et appliqués dans certains pays,
démontre tous les atouts d'une prophylaxie sanitaire bien conduite.
* *
LOS MÉTODOS DE DESINFECCIÓN DESDE LA ANTIGÜEDAD HASTA FINALES
DEL SIGLO XVIII. - J. Blancou.
Resumen: El autor describe y analiza los métodos de desinfección usados desde
la Antigüedad hasta el siglo xviii, es decir, hasta la demostración científica del
papel de los microorganismos patógenos. Estos métodos pueden agruparse
según tres categorías: químicos (derivados del azufre, del mercurio o del cobre
así como álcalis o ácidos), físicos (elevación de la temperatura, fumigación,
filtración, etc.) y biológicos (enterramiento). La conclusión es que, a pesar de su
empirismo, estos métodos han sido de gran ayuda para las autoridades
responsables de la lucha contra las enfermedades animales, habiéndose llegado,
en algunos casos, a vencer enfermedades cuya causa, sin embargo, se desconocía.
P A L A B R A S CLAVE: Desinfección - Enfermedades de los animales Historia veterinaria.
*
* *
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