Abstract

Transcription

Abstract
Résumé du projet pour demande CREX
Impact des connaissances sur le locuteur dans la compréhension du langage non-littéral
Maud Champagne-Lavau & Madelyne Klein
L’objectif général de cette étude est de comprendre quand et comment des informations
linguistiques et extralinguistiques (e.g. connaissances sur le locuteur) sont intégrées dans la
compréhension du langage non-littéral et plus particulièrement d’énoncés ironiques.
Dans la communication quotidienne, le sens d’un énoncé ne dépend pas seulement du sens
de chacun des mots qui le composent, mais aussi des intentions du locuteur qui les énonce, le
sens de la phrase pouvant différer du sens du locuteur (Grice, 1957, 1969). Ainsi, le sens du
locuteur dépend de différents types d’informations linguistiques et extralinguistiques, et ceci
est particulièrement visible dans le cas du langage non-littéral. Le langage non-littéral
comprend notamment les demandes indirectes (dire la porte est ouverte pour signifier fermez
la porte), l’ironie et toute autre construction linguistique pour laquelle on dit quelque chose en
voulant signifier quelque chose de plus, ou de différent. La compréhension de ces énoncés
nécessite que l’auditeur intègre des informations linguistiques, des informations contextuelles
(e.g. le contexte physique actuel, des informations liées aux précédents échanges
conversationnels, des informations sur l’interlocuteur) et des connaissances encyclopédiques
sur le monde. Ces caractéristiques font du langage non-littéral un objet d’étude
particulièrement adapté pour comprendre comment différents types d’informations
linguistiques et extralinguistiques sont pris en compte par les interlocuteurs et concourent à la
construction et à la compréhension du sens dans la communication, l’ironie impliquant plus
particulièrement un large ensemble d’informations linguistiques et extralinguistiques.
Il a été montré que différents facteurs tels que le degré d’incongruité entre le contexte
situationnel et l’énoncé ironique, l’intonation de la voix, le statut social, ou encore les
relations sociales entre les interlocuteurs influencent la compréhension de l’intention ironique
chez les individus sains (Utsumi, 2000 ; Pexman et Olineck, 2002; Bryant et Fox-Tree, 2002;
Ivanko et Pexman, 2003 ; Champagne-Lavau et al., 2012 ; Lovenbruck et al., 2013).
Autrement dit, ces facteurs contextuels sont des indices qui semblent faciliter ces inférences,
favorisant l’interprétation d’un énoncé comme ironique. Ainsi, par exemple, on interprètera
mieux un énoncé comme ironique si quelqu’un dit d’un plat qu’il est très bon dans un
contexte où il est brûlé (très incongru) versus dans un contexte où il est juste fade (faiblement
incongru). Il existe par ailleurs des stéréotypes sociaux selon lesquels des locuteurs occupant
certaines professions seraient perçus comme plus susceptibles de faire de l’ironie que
d’autres. Ainsi, un comédien serait plus susceptible de faire de l’ironie qu’un prêtre par
exemple (Pexman & Olineck, 2002, en anglais; Champagne-Lavau et al., 2015 ; Zalla et al.,
2014, en français).
Les données issues d’études réalisées chez des patients atteints de schizophrénie1 (SZ)
suggèrent en outre que les différents types d’informations extralinguistiques ne sont pas tous
intégrés de la même façon dans la compréhension du langage non-littéral. En effet, alors que
des individus SZ ont des difficultés à intégrer les informations portant sur l’incongruité entre
énoncé et contexte situationnel, les conduisant à une mauvaise interprétation des énoncés
ironiques, les informations portant sur les stéréotypes liés à la profession du locuteur semblent
les aider à comprendre correctement les énoncés ironiques (Champagne-Lavau et al. 2012 ;
Champagne-Lavau & Charest, 2015).
1
La schizophrénie comporte des troubles des aspects pragmatiques du langage, notamment de la compréhension
des énoncés ironiques (e.g. Kosmidis et al., 2008; Kerns et al., 2009) et des demandes indirectes (Corcoran,
1995; Champagne-Lavau & Stip, 2010)
1
A ce jour, 5 études ont utilisé l’électroencéphalographie (EEG) pour analyser le décours
temporel de l’intégration des différentes informations conduisant à l’interprétation ironique
(Cornejo et al., 2007 ; Regel et al., 2010; 2011; Spotorno et al., 2013; Filik et al., 2014).
Globalement, ces études ont mis en évidence un composant positif tardif (late positive
component, LPC) ou P600, dans les régions fronto-centrale et pariétale, dont l’amplitude
maximum se situe environ 600 ms après le mot cible, permettant de décider si un énoncé est
littéral ou ironique (e.g. Pierre arrive 2H en retard à son entretien avec Marc. Marc dit
"Pierre est un employé ponctuel"). L'amplitude de cette composante est plus importante à la
lecture ou à l’écoute d’énoncés ironiques, que pour leurs équivalents littéraux. Bien que le
mécanisme cognitif à l’origine de ce composant soit encore débattu, il semble qu’il soit lié à
l’intégration des éléments linguistiques et extralinguistiques (Lattner & Friederici, 2003), à la
mise à jour des représentations mentales et des attentes (Coulson & al., 1998), et/ou à la
révision de l’analyse linguistique (Kuperberg & al., 2003). Regel et al. (2011) ont relevé un
composant précoce, type P200, plus ample lorsque le style de communication du locuteur
(ironique versus non ironique) est congruent avec le sens de l’énoncé (respectivement
ironique versus littéral).
L’objectif de cette étude est d’explorer quand et comment des informations linguistiques
et extralinguistiques concernant des connaissances sur le locuteur (i.e. le métier qu’il occupe)
sont intégrées lors de la compréhension d’énoncés ironiques. Pour répondre à cet objectif,
l’EEG est utilisée. En accord avec la littérature un composant positif tardif/P600 de plus
grande amplitude est attendu pour les énoncés interprétés comme ironiques en comparaison à
ceux interprétés comme littéraux en fonction du contexte précédant l’énoncé cible. Une
modulation de cette positivité liée à l’ironie, en fonction du métier du locuteur, suggèrerait
que des informations extralinguistiques portant sur le locuteur affectent les étapes de
traitement tardives dans la compréhension de l’ironie (Regel et al., 2010).
En plus de l’analyse classique des potentiels évoqués (PEs), il s’agit aussi d’étudier l’activité
oscillatoire neuronale par une analyse en Temps-Fréquence (ATF) afin de distinguer des
traitements potentiels non visibles dans l’analyse des PEs et de mieux caractériser les
processus d’intégration mis en jeu dans la compréhension de l’ironie (Bastiaansen et al.,
2012) (cf. Justification de cette analyse ci-dessous). L’analyse en Temps-Fréquence permet
d’étudier la synchronisation et la désynchronisation de populations neuronales liées au
couplage et au découplage d’ensembles de neurones fonctionnellement liés (Bastiaansen et
al., 2012). Il est supposé qu’en réponse à l’arrivée d’un événement, l’activité des ensembles
de neurones fonctionnellement liés se synchronise dans une bande de fréquence donnée. Ceci
conduit à des changements fréquence-spécifique (par exemple, augmentation ou diminution
de la puissance) de l'activité neuronale oscillatoire mesurables à la surface du scalp.
Matériel et Méthode
Dix-sept participants ont réalisé une tâche de compréhension d’ironie. Le matériel est
composé de 180 histoires impliquant 2 types de contexte (induisant l’interprétation ironique
versus induisant l’interprétation littérale de l’énoncé cible) et 3 types de métier (métiers dit
sarcastique, métier dit « métier non sarcastique », pas de métier : prénom). Les histoires sont
composées d’un contexte et d’un énoncé cible. Chaque contexte est composé de deux
phrases : la première introduit les personnages, et la seconde est manipulée de façon à induire
une interprétation ironique ou littérale de l’énoncé cible. Ainsi, il existe une version ironique
et une version littérale de chaque histoire, se terminant strictement par le même énoncé. Les
énoncés sont introduits par la profession du locuteur (sauf dans une condition contrôle, où les
deux personnages ont été introduits par leur prénom). La moitié des professions a auparavant
été jugée comme pratiquant régulièrement l’ironie, et l’autre moitié, comme étant peu encline
2
à pratiquer l’ironie (cf. tableau pour exemples). Le matériel a été construit et validé en suivant
la méthode de Pexman & Olineck (2002) et Champagne-Lavau & Charest (2015).
La tâche des participants est de lire chaque histoire présentée dans un ordre aléatoire sur
un écran d’ordinateur et de répondre à une question portant sur le contexte.
Type de métier
Métier
sarcastique
Condition
de contexte
ironique
Métier non
sarcastique
Prénom – pas
de métier
Métier
sarcastique
Condition
de contexte
littéral
Métier non
sarcastique
Prénom – pas
de métier
Contexte
Un prêtre doit se rendre à un endroit qu’il
ne connaît pas et demande à sa voisine Léa
de le lui indiquer.
Léa lui répond sèchement qu’elle n’a pas
de temps à perdre et qu’il n’a qu’à aller
voir sur internet.
Un comédien est invité à assister au
spectacle de danse de son amie Mélanie.
Elle tombe plusieurs fois durant sa
mauvaise performance.
Olivier dirige le travail de mémoire de
Michelle.
Il corrige son travail avec détachement et
lui donne une note élevée.
Un prêtre doit se rendre à un endroit qu’il
ne connaît pas et demande à sa voisine Léa
de le lui indiquer.
Léa lui explique en détail la direction à
prendre et lui propose même de
l’accompagner.
Un comédien est invité à assister au
spectacle de danse de son amie Mélanie.
Mélanie fait une performance qui éblouit
tous les spectateurs.
Olivier dirige le travail de mémoire de
Michelle.
Il corrige son travail et lui donne une page
complète de commentaires.
Enoncé cible
Le prêtre dit :
“Léa est une voisine serviable”.
Le comédien dit:
“Mélanie est une danseuse gracieuse”.
Michelle dit:
“Olivier est un directeur exigeant”.
Le prêtre dit :
“Léa est une voisine serviable”.
Le comédien dit:
“Mélanie est une danseuse gracieuse”.
Michelle dit:
“Olivier est un directeur exigeant”.
Résultats préliminaires concernant l’analyse des potentiels évoqués (cf. figures cidessous).
L’analyse des PEs est en cours. Les résultats préliminaires portant sur le mot cible
montrent une amplitude plus importante du composant P600 (fenêtre 500-800ms) pour les
énoncés ironiques par rapport aux énoncés littéraux. En revanche, les analyses du composant
P200 (fenêtre 150-250ms) ne montrent pas de différence entre les deux catégories d’énoncé.
Ces résultats confirment ceux des études précédentes (Spotorno et al., 2013 ; Regel et al.,
2010; 2011).
Concernant les informations sur le locuteur, l’analyse visant à comparer les conditions de
métiers (Sarcastique, Non sarcastique, Prénom) montre une amplitude plus importante du
composant P200 pour la condition prénom que pour la condition non sarcastique. Les résultats
des analyses du composant P600 montrent une interaction condition de métier x ROI dont la
décomposition ne montre pas d’effet de la condition métier.
Une analyse en Temps-Fréquence devrait permettre d’affiner ces résultats. L’activité
oscillatoire sera explorée notamment dans la fenêtre temporelle de la P600 afin d’explorer si
des patrons de synchronisation et de désynchronisation diffèrent entre les conditions ironique
et littérale et entre les différentes conditions de métier du locuteur (métiers dits sarcastiques
versus métiers dits non sarcastiques). Les bandes de fréquence d’intérêt dans le cadre de la
présente étude sont les bandes theta (4–7 Hz), alpha (8–12 Hz), et gamma bas (<50 Hz).
3
Concernant la compréhension du langage,
langage, les études en EEG ayant fait des analyses en
Temps-Fréquence
Fréquence ont surtout porté sur le traitement sémantique et le traitement syntaxique
(cf. Bastiaansen et al., 2012 pour une revue). Seules deux études en pragmatique, portant plus
précisément sur la compréhension de l’ironie, ont réalisé ce type d’analyse (Spotorno et al.,
2013 ; Regel et al., 2014). Ainsi Spotorno et al 2013 ont rapporté une synchronisation dans la
bande gamma, dans la fenêtre 280-400ms
280 400ms pour la condition ironique en comparaison avec la
condition littérale, suggérant qu’une activité d’intégration des différentes informations
pourrait débuter bien plus tôt que ne l’indiquent les PEs.
PE Les auteurs suggèrent par ailleurs
que cette synchronisation pourrait révéler l’engagement de processus relevant de la cognition
sociale (e.g. attribution d’une intention au locuteur). Ils ont aussi rapporté une synchronisation
dans la bande thêta ainsi qu’une
u’une désynchronisation dans la bande alpha dans la fenêtre 500500
700ms suggérant une récupération des informations en mémoire et une plus grande allocation
des ressources cognitives pour la compréhension des énoncés ironiques en comparaison avec
les énoncés littéraux. Regel et al. (2014) ont par ailleurs rapporté des patrons d’activité
oscillatoire différents dans la bande de fréquence thêta, dans la fenêtre temporelle de la P600
(500-900ms)
900ms) pour le traitement syntaxique et le traitement pragmatique, supportant
support
l’idée
d’une implication de réseaux de neurones différents dans l’émergence d’une P600 reliée à la
syntaxe et d’une P600 reliée à l’ironie.
4
Références
Bastiaansen M, Mazaheri A, Jensen O (2012) Beyond ERP’s: oscillatory neuronal dynamics. In: Luck SJ,
Kappenman ES, editors. The Oxford handbook of event-related potential components. New York, NY: Oxford
University Press. 31–50.
Bryant, G. A., & Fox Tree, J. E. (2002). Recognizing verbal irony in spontaneous speech. Metaphor and Symbol,
17, 99–117.
Champagne-Lavau, M., & Stip, E. (2010). Pragmatic and executive dysfunction in schizophrenia. Journal of
Neurolinguistics, 23(3), 285-296. doi: 10.1016/j.jneuroling.2009.08.009
Champagne-Lavau, M., Charest, A., Anselmo, K., Rodriguez, J. P., & Blouin, G. (2012). Theory of mind and
context processing in schizophrenia: The role of cognitive flexibility. Psychiatry Research, 200(2-3), 184-192.
doi: 10.1016/j.psychres.2012.06.011.
Champagne-Lavau, M. & Charest, A. (2015). Theory of mind and context processing in schizophrenia: the role
of social knowledge. Frontiers in Psychiatry, 6:98.doi: 10.3389/fpsyt.2015.00098
Corcoran, R., Mercer, G., & Frith, C. D. (1995). Schizophrenia, symptomatology and social inference:
investigating “theory of mind” in people with schizophrenia. Schizophrenia research, 17(1), 5-13.
Cornejo, C., Simonetti, F., Aldunate, N., Ibanez, A., Lopez, V., & Melloni, L. (2007). Electrophysiological
evidence of different interpretative strategies in irony comprehension. Journal of Psycholinguistic Research, 36,
411-430. doi: 10.1007/s10936-007-9052-0
Grice, H. P. (1957). Meaning. The Philosophical Review, 377–388.
Grice, H. P. (1969). Utterer's meaning and intention. The philosophical Review, 147-177.
Filik, R., Leuthold, H., Wallington, K., & Page, J. (2014). Testing Theories of Irony Processing Using EyeTracking and ERPs. Journal of Experimental Psychology-Learning Memory and Cognition, 40(3), 811-828. doi:
10.1037/a0035658
Ivanko, S. L., & Pexman, P. M. (2003). Context incongruity and irony processing. Discourse Processes, 35,
241–279.
Ivanko, S. L., Pexman, P. M., & Olineck, K. M. (2004). How sarcastic are you ? Individual Differences and
Verbal Irony. Journal of Language and Social Psychology, 23 (3), 244‑271.
Kern, R. S., M. F. Green, A. P. Fiske, K. S. Kee, J. Lee, M. J. Sergi, W. P. Horan, K. L. Subotnik, C. A. Sugar,
and K. H. Nuechterlein (2009). Theory of Mind Deficits for Processing Counterfactual Information in Persons
with Chronic Schizophrenia. Psychological Medicine, 39, 645–54. doi:10.1017/s0033291708003966.
Kosmidis, M. H., E. Aretouli, V. P. Bozikas, M. Giannakou, and P. Ioannidis. (2008). Studying Social Cognition
in Patients with Schizophrenia and Patients with Frontotemporal Dementia: Theory of Mind and the Perception
of Sarcasm. Behavioural Neurology, 19, 65–69.
Lœvenbruck, H., Jannet, M. A. B., D'Imperio, M., Spini, M., & Champagne-Lavau, M. (2013). Prosodic cues of
sarcastic speech in French: slower, higher, wider. In Proceedings of INTERSPEECH 2013, 14th Annual
Conference of the International Speech Communication Association (pp. 3537-3541).
Pexman, P. M., & Olineck, K. M. (2002). Understanding irony. How do stereotypes cue speaker intent? Journal
of Language and Social Psychology, 21(3), 245-274.
Regel, S., Coulson, S., & Gunter, T. C. (2010). The communicative style of a speaker can affect language
comprehension? ERP evidence from the comprehension of irony. Brain Research, 1311, 121-135. doi:
10.1016/j.brainres.2009.10.077
Regel, S., Gunter, T. C., & Friederici, A. D. (2011). Isn't it ironic? An electrophysiological exploration of
figurative language processing. Journal of Cognitive Neuroscience, 23(2), 277-293.
Regel, S., Meyer, L., & Gunter, T. C. (2014). Distinguishing Neurocognitive Processes Reflected by P600
Effects: Evidence from ERPs and Neural Oscillations. PloS One, 9(5). doi: 10.1371/journal.pone.0096840
Spotorno, N., Cheylus, A., Van Der Henst, J.-B., & Noveck, I. A. (2013). What's behind a P600? Integration
Operations during Irony Processing. PloS One, 8(6), e66839.
Utsumi, A. (2000). Verbal irony as implicit display of ironic environment: Distinguishing ironic utterances from
nonirony. Journal of Pragmatics, (32), 1777–1806.
Zalla, T., Ansellem, F., Ervas, F., Leboyer, M., Champagne-Lavau, M. (2014). Individuals with Autism
Spectrum Disorders Do Not Use Social Stereotypes in Irony. PloS one 9 (4), e95568.
5