Le cauchemar des filles, comment en parler à maman ?

Transcription

Le cauchemar des filles, comment en parler à maman ?
Zwobada Rosel J © 2007
Le cauchemar des filles, comment en parler à maman ?
Extrait du dialogue de la séance : il se met sur le divan avec une expression telle (traits
froncés, air très contrarié, bouche pincée…) que je me sens désorientée. Il ne veut pas du jeu
installé sur l’ordinateur ni de nos activités de séances précédentes comme de regarder des
livres. Il vient de fêter son anniversaire.
Comment le faire s’exprimer ? « Qu’est-c’ qui t’arrive ? – J’suis fatigué. – ah Qu’est-c’que tu as fait ? – Un
cauchemar. » Une longue négociation s’engage… où il s’agit de lui laisser l’initiative sans l’influencer
malgré ses difficultés d’expression. Je lui demande alors de venir s’asseoir comme d’habitude.
Cadre et support pour un récit
O – Alors qu’est-c’ que c’est qu’ce cauchemar ? (silence). C’était un cauchemar qu’on peut dessiner ou qu’on
peut juste…euh.. On prend des marionnettes et on fait les le cauchemar ou comment tu veux qu’on en parle.
Parce qu’il faut bien qu’on en parle de c’cauch’mar. T’as raconté à maman ?
A Non
1
La thématisation de l’affect : du figement aux unités constitutives
O Alors, c’était quoi cette grande inquiétude
A Le cauchemar des filles
O Des filles ! Tu veux me dicter et moi j’écris ?
A Non des filles. Le cauchemar. Le cauchemar / des filles
O Ah ! Un cauchemar où i y avait des filles
A Oui filles ya un cauchemar
O Et alors tu peux… tu veux qu’on l’dessine ?
A Non pas du tout.
O Non, on n’dessine pas l’cauchemar alors juste on en parle ou juste j’écris ?
On peut dire le cauchemar des filles ?
A (marmonne)
O Voilà donc j’écris « le cauchemar des filles »…
Etayage pour que le rêve puisse prendre forme
Est-ce qu’il était organisé comme une histoire ou c’était juste des choses qui venaient des images qui venaient
comme ça (geste à l’appui) ?
A Des choses comme des images
O Comme des images. Alors tu m’dis toutes les images qui te viennent.
A ce cauchemar/ parc’que/ les filles/ é/ è réveillent/ pâque je crains de [vjO?] et elles/ je, je veux pas
O Alors je redis c’que j’ai compris parc’que c’est déjà difficile de, même pour toi, de savoir c’qu’ya dans ton
cauchemar pour m’le dire (le passage qui suit, je répète ce qu’il dit en l’écrivant)
A Moi (geste vers lui) i zènent à dormir
Si elles réveillent moi i empèchent moi de dormir
O (je répète puis) et alors comment ça s’fait ça ?
A Et après moi, et après, je fais amoureux (fluide)
O (je répète) et après je fais, oui,
C’est normal ça tu sais
A et moi j’ai tombé dans mon [Kru ?]
O Et y a eu une trace dans ton lit après ?2
1
Ce corpus a été repris dans la partie Dialogue de la thèse du point de vue de l’étayage et de la forme de
l’expression orale de cet adolescent. En le comparant à une production écrite spontanée je montrerai en quoi la
construction des énoncés peut apporter des indices sur la compréhension de ce qui se passe au niveau psychique
qui restera toujours la boite noire de la photographie que constituent des énoncés, instantanés de toute analyse.
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A é une trace [… ?]
O Mais tu sais qu’c’est normal ça… Tu sais qu’ça arrive à tout l’monde Artus ?
Comment le déculpabiliser ?
A Non c’est pas moi
O Oui c’est pas défendu ça
A Non c’est les filles
O Oui ! c’est normal, écoute-moi bien, que un grand garçon, bientôt un jeune homme, de ton âge, pense à des
filles quand il dort et qu’il ait une/ érection/ ça s’appelle, et donc qu’il y ait quelque chose qui se passe et qui
laisse une trace dans le lit/
A Ouais
O C’est normal ça
A Ouais
O Et puis ta maman elle t’en a parlé d’toutes façons
A Ouais – hein ! – Ouais
O Et c’est tout à fait normal parce que, à ton âge, tu t’intéresses aux filles, dans ton corps. Ca s’appelle la
sexualité tu sais.
Lui laisser ses mots pour dire « le désir »
A e dit (s)essuel, ya e mot (s)essuel
O Sexuel
A e mot essuel
O Le mot essuel c’est quoi ce mot “essuel”
A i dit qui baise
O Ah le mot sexuel, c’est baiser ! - Ouais - Ah voilà ! Alors tu rêves que tu baises avec une fille.
A Oui (se frotte un œil) une fille que je connaisse.
O Ah ! C’est épatant que tu aies des rêves comme ça. Ca veut pas dire qu’on le fait. Ca montre que… Tu sais
c’que ça montre le rêve ? ça montre qu’on a envie au fond de soi. Tu comprends ça ?
La question des enjeux : être « humain »
A Non ! (voix très agravée) je comprends plus. Je comprends pas ça.
O – T’as pas envie de…, quand tu seras plus grand, avoir une femme avec qui tu f’rais l’amour. Baiser, ça
c’est le terme sexuel et puis ya faire l’amour parce que euh (tousse) ce sont les animaux qui baisent
A Non pas é zanimaux (veut dire qu’il n’est pas un animal)
O Les hommes i font l’amour
A Non c’est pas que animaux
O T’es pas un animal
(se penche) moi/ pas animal/ moi/suis/ humain (se décale un peu en se touchant le nez)
(Sonnerie)
O T’es un humain. Bon Alors réfléchis pour essayer de pouvoir m’en parler encore parce qu’il faut que j’aille
ouvrir. Je m’absente et, quand je reviens, il enchaîne)
Négociation sur la façon de poursuivre
A Laisse tomber
O Comment on pourrait faire Ah je sais. Tu vas faire un gribouillis3
A Non pas un gribouillis
O C’est un jeu
A Non pas un jeu ça
O Tu veux pas faire le gribouillis ? – Non – Tu prends un crayon puis tu fais des gribouillis comme ça !
Artus. – Non
C’est comme/ quand on rêve, c’est des choses qui se passent… qui sont… c’est normal
A Oui je sais [ ? ] et je fais un dessin.
2
En parlant avec sa mère, elle m’avait dit l’avoir informé sur ce problème des pollutions nocturnes.
Je propose parfois à certains enfants de se laisser aller à faire un gribouillis et leur donne des feuilles au fur et à
mesure jusqu’à une sorte de retour au calme et à la communication verbale. C’est exceptionnel et un ou deux
suffisent à l’enfant… Artus le refusera, il veut « contrôler » dans son mode d’expression habituel, le dessin.
3
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Ce dialogue montre la part de l’étayage de mes interventions dans la mise en place
de « concepts » avec le plus grand respect de ses croyances. Elles lui viennent de ses
discussions familiales, de l’école, du catéchisme, mais aussi de tout ce travail préalable que
j’ai cru bon de préciser : nous avons ainsi construit de façon interactionnelle les bases
d’un système idéologique qui autorise certaines de mes interventions cf. « animal/humain ».
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