LA NATIONALITÉ DE POSEïDON

Transcription

LA NATIONALITÉ DE POSEïDON
vagues du monde entier
La nationalité
de Poseïdon
Le vallon était tapissé de terrasses où paissaient
des moutons (leurs clochettes tintaient comme un
lointain mariage). À quand remontait le chemin
vers cette source haut perchée dans les montagnes
de Naxos ? « Zeus », dit mon guide en désignant
une anfractuosité de rocaille, « serait né là ».
Dont acte : Zeus, natif des Cyclades – mais ce
n’est pas le cas de tous les dieux. On a récemment
découvert que Poseïdon/Neptune était… Catalan !
Photos © media.barcelonaworldrace.org
Q
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uelle surprise ! On m’aurait
dit qu’il fut Basque, Indien
ou Chinois, voire Arabe,
cela ne m’aurait pas particulièrement étonné. On m’aurait dit
qu’il fut Haïtien, Chilien, NéoZélandais ou Japonais, je l’aurais
cru parce qu’après tout, Poseïdon
n’est pas seulement le dieu de la
mer, mais aussi celui des tremblements de terre. … Mais Catalan !
Peut-être Poseïdon, après tout,
connaît-il mieux que moi l’étendue des navigations catalanes. De
toute façon, sa nationalité ne peut
faire de doute. Qui d’autre que
Poseïdon, ou son cousin romain
Neptune pouvait, d’un coup de
trident magique, transformer une
course déjà réussie, la Barcelona
Race (voir Y. Sud nº 912), en un
suspense comme l’on n’en avait
plus vu depuis longtemps, très
longtemps ? Il se passe toujours
quelque chose, la preuve : j’ai dû
interrompre l’écriture de cette
chronique pour lire l’annonce du
démâtage d’un des concurrents.
Le suspense commence deux jours
avant le départ, avec l’appendicite
d’Alex Thompson. Partira, partira
pas ? Il se fait remplacer au dernier
moment, puis déclare finalement
forfait parce que son nouveau-né
est atteint d’une maladie grave.
À ce moment, devant, les deux
bateaux les plus récents se passent et se repassent en tête, jusqu’à ce que Desjoyeaux-Gabart
(Foncia) cassent ; mais voilà que
Dick-Peyron (Virbac-Paprec III) cassent aussi, et ceux qui s’étaient
croisés tant de fois dans l’Atlantique se croisent… dans les rues de
Recife. Le Cam-Garcia (Président)
ont démâté avant le Cap Vert
et abandonnent. La main passe
à Pella-Ribes (Estrella Dam) suivis
de Martinez-Fernandez (Mapfre).
C’est la première fois qu’une grande course en équipage réduit est
menée par des Espagnols, et ça
ne fait pas de tort à la popularité
de l’épreuve. Cependant, ces deux
équipages se retrouvent englués
du côté de St-Hélène, et les deux
anciens leaders, dûment réparés,
profitent de conditions favorables pour reprendre la tête. Ils
abordent les Quarantièmes dans
un mouchoir : moins de trente
milles les séparent quand Foncia
casse son mât (et de deux). Virbac
Paprec III (Dick-Peyron) traverse
l’Indien en tête, c’est surtout la
queue du peloton qui se fait bastonner. En fait, tout le monde
souffre ; tellement qu’ils sont plusieurs à faire escale à Wellington
(NZ). Dilemme : si l’on s’arrête,
on doit attendre 48 h pour repartir… pendant que les autres continuent. Dick-Peyron ont 550 milles
d’avance sur Martinez-Fernandez
(Mapfre), s’arrêtent… et le vent
se met en grève. Les poursuivants
peinent en mer de Tasmanie, et
les leaders repartent avec encore
120 milles d’avance sur Mapfre. À
Wellington, les arrêts au stand se
succèdent, bouleversant le classement : la course est relancée. L’un
des derniers du classement démâte
au large de la Nouvelle-Zélande
(et de trois), toute la flotte se fait
bastonner, Virbac et Mapfre passent le Horn avec quatre heures de
distance, Michèle Paret (Mirabaud)
est hors quart pour cause d’anémie et son compagnon Dominique
Wavre navigue en solo. Groupe
Bel, de Pavant-Audigane, sent des
• Mapfre dans le peloton de tête
• Le duo Dick/Peyron passe le Horn
choses se passer du côté de sa
quille, rentre à Ushuaïa et, devant
l’ampleur des dégâts, abandonne.
Dick-Peyron choisissent une option
qui permet à leurs suiveurs de
reprendre une centaine de milles
pour en reperdre immédiatement
trois cents (bingo !) et pendant
qu’ils se bagarrent du côté de StHélène, le troisième, Renault ZE,
tente de passer en longeant les
côtes argentines, Michèle Paret va
mieux, juste à temps pour aider
à rentrer les morceaux quand
• Démâtage sur Mirabaud
Mirabaud démâte (et de quatre)…
On en est là, et il y a encore tout
l’Atlantique à remonter, plus un
bout de Méditerranée ! Ça change
un peu des courses menées de bout
en bout par un seul bateau, comme
la dernière Route du Rhum… Il
fallait vraiment que Poseïdon soit
Catalan pour que la Barcelona
Race se révèle si animée !
Quoique… J’ai une autre hypothèse. Dans cette autre hypothèse, Mr Poséïdon serait bien Grec,
et son descendant, Mr Neptune
serait bien Romain, et les dieux
n’auraient pas grand-chose à voir
dans cette affaire. La clé du succès de la Barcelona Race serait
humaine, et tiendrait à quelques
lignes du règlement. D’une part,
les escales sont permises ; d’autre
part, sur le chemin du retour chaque arrêt doit durer au moins 48 h.
Ça n’a l’air de rien, pourtant ce
détail est fondamental. Sans lui,
Virbac-Paprec III, qui s’est arrêté
deux fois, ne serait pas en tête
aujourd’hui, Foncia n’aurait pas
pu continuer, il n’y aurait pas eu
la remise à plat du classement à
r ace
wor l d
bar celona
mi-parcours… On me dira que le
principe du Vendée-Globe – pas
d’aide extérieure – est plus pur,
plus absolu, plus valeureux, et
c’est bien vrai, allez ! L’ennui, c’est
que même avec les arrêts autorisés dans la Barcelona Race, on a
quand même une casse matérielle
importante. Quatre démâtages,
soit 29% (et la course n’est pas
finie) ; aucun de ces démâtages
ne résulte d’un chavirement ou
d’un knock-down ; tous semblent
résulter de la fatigue du matériau
– de ces composites miraculeux
qu’un spécialiste me décrivait, il y
a un quart de siècle, comme « sans
fatigue mesurable ». Les optimistes en ont déduit que, puisqu’il n’y
avait pas de fatigue mesurable, la
résistance à la fatigue était infinie,
ce qui a quand même entraîné une
cascade de ruptures de coques, de
bras et de mâts sans précédent
dans l’histoire du yachting.
P
endant ce temps-là, Coville
s’attaquait avec Sodebo au
record de tour du monde
en solitaire sans escale de Francis
Joyon. C’était ambitieux, parce
• S odebo photographié au Horn par Boris
Hermann depuis Neutrogena
que Joyon avait bénéficié d’une
météo exceptionnelle durant les
trois premiers quarts du parcours.
Coville n’a pas eu ce plaisir, a limité
les dégâts en prenant des risques,
a réussi à se maintenir à un millier
de milles derrière Joyon, avant
de le rattraper dans la remontée
de l’Atlantique. À l’heure qu’il
>>>
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La nationalité
de Poseïdon
En direct de Neutrogena
parcourir : ses chances d’établir un
nouveau record sont grandes. Vous
connaîtrez le résultat lorsque paraîtra cette édition de Yachting Sud.
Quoi qu’il en soit, la performance
de Coville aura été remarquable.
Son impact médiatique ne l’est pas
moins. Vers le Cap Horn, Sodebo
affichait encore 1100 milles de
retard sur le tenant du titre, ce qui
lui aurait, il y a vingt ans, garanti la
discrétion la plus opaque. Or, son
site internet avait alors été visité
par 276.000 personnes, à raison de
10.268 visiteurs/jour – soit la moitié
des visiteurs quotidiens de la Tour
ba rcelona
world
r ace
il n’a plus que 80 milles de
>>> est,
retard avec encore 5000 milles à
18
Eiffel.
Plus significatif encore, un jeu de
navigation virtuelle a été organisé,
où les joueurs retrouvent sur leur
ordinateur les choix du navigateur
– et ils étaient 47650 joueurs à passer chaque jour une moyenne de 26
minutes et 46 secondes à jouer les
Thomas Coville en chambre. À la
fin du record, et quelle qu’en soit
l’issue, l’aventure aura fourni au
sponsor quelques trente millions
de minutes d’attention/personnes
comptabilisables, exclusives, sans
concurrence. Inestimable. Pourquoi
encore faire des courses, où il faut
disputer aux autres concurrents
l’attention du public, alors qu’une
tentative de record emblématique
avec un skipper charismatique, un
bon bateau et un bon soutien
média garantissent désormais une
couverture à coup sûr ? Déjà, les
sponsors s’intéressent de plus en
plus à l’organisation de courses,
parce que financer un participant
semble trop aléatoire. Voilà maintenant que les records payent plus
que la course… Il y a du changement dans l’air.
• Daniel Charles
sauf que maintenant, on navigue
avec un seul vérin de quille et donc
un redressement limite ; un étai de
solent gréé en fortune et un ballast
arrière en vrac. On devrait remplacer notre polaire « Veolia 26 » par
une polaire « Veolia moitié quille,
solent affaibli et ballast limite ».
O
n est presque arrivés,
moins de 5000 milles d’ici
à Barcelone. On est à 25 S
33 Ouest, 600 milles au large de
Ilhabela (Sao Paulo) où j’ai fait
escale pendant mon dernier tour
du monde. J’ai envoyé un salut par
mail aux amis là-bas.
Le prochain rapprochement avec la
terre – après Beauchene Island près
des Falklands, il y a quelques jours
– sera le passage des îles Martin
Vaz, à 300 milles au nord d’ici.
C’est trop tôt pour faire un bilan
de la course, même si on a l’impression de n’avoir qu’un dernier
effort à effectuer, un petit dernier
sprint pour rentrer à la maison. On
peut quand même déjà tirer des
conclusions de cette course :
Le fait de naviguer en double sur ce
type de bateau dans un tel marathon océanique ne change pas l’aspect de casse mécanique important.
La Barcelona World Race, comme le
Vendée Globe, est aussi une compétition de bricolage et d’improvisation. Nous nous sommes pris la
tête toute la saison sur nos performances, les polaires, l’utilisation de
telle voile à tels angles de vent, etc ;
La fiabilité du bateau en termes
de conception, de construction et
de préparation devient un facteur primordial. On le savait avant.
Mais je suis étonné quand même
de voir le nombre de problèmes
sur presque tous les bateaux. Le
leader a dû faire double escale. Le
second s’arrête à l’abri du Horn, et
tous les bateaux suivants ont des
problèmes, presque la moitié de la
flotte abandonne.
On a heureusement, malgré nos
petits problèmes, un bateau bien
préparé et bien fiable en général
grâce à l’équipe de Roland Jourdain
(le propriétaire) qui le connaît très
bien. Nous nous sentons prêts
pour la finale, confiants. On a la
« niaque » pour continuer à 100%
de notre potentiel. Oui, bien sûr,
aussi parce qu’on a hâte de finir,
de rejoindre des autres humains à
terre, de ne plus avoir faim et de
faire un bon résultat. Il nous reste
encore de la nourriture pour 13
jours plus 7 jours de réserve qu’on
a pu économiser tout au long de la
course. Ça devrait le faire…
• Boris Hermann
o/y Neutrogena,
5e à 1.000 milles du leader le 20 mars
Classement du 24 mars à 15 heures (TU+1) :
1 VIRBAC-PAPREC 3 à «X» milles de l’arrivée (mode furtif)
2 MAPFRE à 2179 milles de l’arrivée
3 RENAULT Z.E à 3067 milles
4 ESTRELLA DAMM Sailing Team à 3143 milles
5 NEUTROGENA à 3184 milles
6 GAES CENTROS AUDITIVOS à 3720 milles
7 HUGO BOSS à 5737 milles
8 FORUM MARITIM CATALA à 5928 milles
9 WE ARE WATER à 7641 milles
10 CENTRAL LECHERA ASTURIANA à 11550 milles
Abandons : FONCIA – PRESIDENT – GROUPE BEL – MIRABAUD