De grandes valeurs Il fait froid ce soir sur la place
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De grandes valeurs Il fait froid ce soir sur la place
De grandes valeurs Il fait froid ce soir sur la place rouge. Je me souviens de ce qu’on nous a dit quand on est entrés à la fac : « ce qu’on va vous apprendre à la faculté de droit ce sont de grandes valeurs ». Il n’y avait pas un bruit dans la salle. Tous les yeux étaient rivés sur l’orateur. « Vous allez travailler. Comme l’a dit Churchill autrefois, on ne peut vous promettre que du sang, de la sueur et des larmes ! » avait-il dit alors en riant et en emportant la salle avec lui dans ce rire nerveux des nouveaux étudiants angoissés. « Soyons sérieux. Ici, vous apprendrez le travail mais aussi le respect, que vous devriez déjà avoir appris depuis vos années collège mais certains prenant plus de temps que d’autres, on vous fait une piqûre de rappel ! » Ça a fait sourire l’assemblée. L’orateur a poursuivi : « Mais ces notions fondamentales, vous les apprendrez partout dans l’enseignement supérieur. Ce que la faculté de droit a de particulier, ce que nous avons vocation à vous transmettre, ce sont les valeurs pour ou contre lesquelles on se bat spécifiquement ici. Je veux parler de la justice et de l’injustice, de la tolérance et de l’intolérable, de l’égalité et des inégalités, qu’elles soient liées à la religion, au sexe, à l’orientation sexuelle, à la couleur 1 de la peau. Je ne veux pas parler de la morale mais de la perception que chacun en a. Vous venez tous de divers horizons, vous arrivez ici avec un filtre, celui de votre éducation, de votre culture, de là où vous avez grandi, et j’aimerais que vous ôtiez, tous, ce filtre en arrivant ici chaque jour. C’est en le retirant que vous allez vous ouvrir à d’autres façons de penser, que vous porterez un avis critique sur le monde qui vous entoure. C’est aussi une manière de se mettre à la place des autres. » Ça m’avait semblé bizarre cette histoire de filtre. Pourquoi est-ce que je pense à ça maintenant ? Ma première journée à la fac. J’ai du sang qui coule sur ma main. Ça me revient. Je suis assise sur les marches de la place rouge, derrière ma fac. J’essaie de me rappeler de ce que j’ai appris ici. J’ai appris que les inégalités, ça craint, qu’on n’est peut-être pas tous les mêmes mais qu’on reste égaux en droit, que si on est libre c’est dans la limite où on n’écrase pas la liberté de l’autre. J’ai appris que le fait d’être une fille fait qu’un jour tu auras les mêmes droits qu’un mec mais que ça prend du temps sans vraiment qu’on sache pourquoi. J’ai super froid. C’est le vent qui me glace la sueur. Ce soir après une fête chez mes copines, je marchais en rentrant chez moi. Un gars m’a abordée, j’avais pas de cigarette à lui filer, puis finalement il n’en voulait plus, il voulait parler mais moi je voulais rentrer. Il a dit que j’étais jolie, j’ai dit « merci bonne soirée ». Quand j’ai avancé, j’ai entendu « putain salope je te dis que t’es jolie et tu te casses ? ». Il a attrapé mes cheveux, m’a fait tomber en arrière. Quand j’ai voulu me relever, il a dit « je suis un homme moi, ça t’apprendra le respect putain » et il m’a frappée au visage. Je me suis redressée, j’ai couru, je ne 2 sentais plus mes jambes, je ne voyais que des larmes floues devant moi. Quand je me suis arrêtée de courir, j’étais devant la fac. Je me suis assise là et j’ai repensé à ce discours. J’ai fini de sécher mes larmes, j’ai mis un mouchoir sur mon nez et je me suis remise à marcher en me disant qu’on ne m’avait pas menti lors de mon premier jour en me promettant du sang, de la sueur et des larmes. 3