Patent Troll, un nouveau métier
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Patent Troll, un nouveau métier
DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq Patent Troll, un nouveau métier « Mais à travers eux s'avança à larges enjambées, avec des rugissements de bêtes, une grande compagnie de trolls des montagnes de Gorgoroth. Plus grands et plus larges que les Hommes, ils n'étaient vêtus que d'un réseau très ajusté d'écailles cornées, ou peut-être était-ce leur hideux cuir, mais ils portaient d'énormes boucliers ronds et noirs, et ils brandissaient de lourds marteaux dans leurs mains noueuses »1 Le système de brevet est présenté comme un instrument d’incitation à la recherchedéveloppement. En effet, celui qui a investi dans la recherche se voit ainsi garantir, par l’octroi du brevet, un droit d’interdire2 autrui d’utiliser son invention. 5 Le brevet serait ainsi une récompense à l’innovation. Il confère à son titulaire le droit d’interdire à autrui d’utiliser l’invention décrite dans les revendications. Ce monopole, bien que limité dans le temps, va permettre au titulaire du brevet d’une part d’échapper à la concurrence et de rentrer dans ses frais, et d’autre part de tirer un juste profit de son investissement. C’est donc dans un double objectif que le système de 10 brevet a été créé. Le droit et la notion de brevet ont évolué. Aujourd’hui, les brevets ont une valeur intrinsèque en plus du simple droit d’interdire et d’exclure des concurrents. Ils sont devenus un véritable outil marketing et peuvent avoir la même influence sur la marge nette d’une entreprise que des biens tangibles. Ainsi, les droits de propriété 15 intellectuelle ont trouvé leur place dans l’actif immatériel des entreprises. Dans de nombreux cas, les droits de propriété industrielle sont même devenus les principales 1 Tolkien, Le Seigneur des Anneaux, livre V 1-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq sources de revenus de l’entreprise. La grandissante spéculation sur les biens incorporels fait couler beaucoup d’encre et pourrait indiquer que le système a besoin de changement3. 20 En effet, les brevets se révèlent également être des armes puissantes que l’on peut utiliser dans un programme de stratégie offensive. C’est ainsi que l’on voit depuis quelques années émerger des entités appelées Patent Trolls4 et capables de s’attaquer aux plus grandes multinationales. C’est notamment depuis la célèbre affaire opposant la société Research In Motion (RIM) – connue pour son BlackBerry – à la société 25 NTP que les acteurs économiques ont réalisé le pouvoir des patent trolls. Les exemples sont désormais nombreux et les entreprises craignent les patent trolls. Cependant, si aujourd’hui plus personne ne peut nier leur existence, personne n’est vraiment capable de les identifier clairement. Aussi, notre étude commencera par l’identification de ces entités menaçantes. Nous verrons ainsi que la qualification de 30 patent troll porte à discussion (section I). Enfin, nous verrons que le débat a pris une ampleur inattendue que nous tenterons de modérer (section II). Section I. L’identification difficile des patent trolls dans un système de brevet abusé 35 Nous nous attacherons dans une première partie à poser le débat en tentant d’identifier les patent trolls (A). Puis, dans une seconde partie, nous étudierons le contexte favorable dans lequel vivent les patent trolls (B). 2 Certains parlent de monopôle d’exploitation The patent system is ’absolutly failling’ said Dan Ravicher, executive director of the Public Patent Foundation, a non profit patent-reform group in New York City. ‘There is a point where you can benefit patentees and it actually harms the public… We are past that point’. 4 Patent : brevet en anglais 3 2-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq A. Les définitions du Patent Trolling 1. Origine du terme a) Etymologie Le mot « troll » [trõl] est issu de la mythologie nordique. Il qualifie un monstre 40 humanoïde vivant dans les montagnes. Il se cachait dans des caves et enlevait les enfants5. Le troll avait aussi la réputation de se cacher sous les ponts, et d’attendre que des gens le traversent, pour les détrousser. Cette créature a survécu jusqu’à nos jours puisqu’on la retrouve encore aujourd’hui dans la littérature. Du Seigneur des anneaux de Tolkien à Harry Potter de JK Rowling, 45 le troll est encore « à la mode ». Sa laideur, sa bêtise et sa méchanceté en ont même fait le symbole des perturbateurs de forums sur Internet, lieux où le troll désigne l'individu qui lance un débat stérile et houleux, ou qui pose des messages provocants, insultants et souvent répétitifs dans le but de susciter la colère des autres internautes6. Mais récemment on y associa un nouveau comportement en matière de brevet. b) Une expression nouvelle La définition de Peter Detkin 50 En 1999, Peter Detkin, alors cadre chez Intel, utilisa cette expression pour qualifier l’entreprise TechSearch qui assignait Intel en contrefaçon de brevet. Ainsi donc germa le terme patent troll. « Someone who takes a single patent or a small group of patents and is looking for essentially a nuisance-value settlement”. 55 Ainsi, pour Peter Detkin, un patent troll est une personne qui, à partir d’un seul brevet ou d’un petit groupe de brevets, va chercher à tirer un revenu tout en nuisant fortement à quelqu’un. 5 6 E.D. Hirsch, Jr. Et Al., The New Dictionary of Cultural Literacy (2002) Voir Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Troll (consulté le 30 septembre 2006) 3-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq On notera qu’aujourd’hui, Peter Detkin a quitté Intel pour rejoindre Intellectual Ventures, une entreprise spécialisée dans les acquisitions de brevets et souvent 60 qualifiée d’être elle même un patent troll7. 2. Recherche d’une définition correcte a) Une définition victime de son succès Qu’il l’ait voulue ou pas, l’expression est devenue une référence en l’espèce. Mais elle serait utilisée à tort et à travers au point que l’on ne sache plus exactement ce qu’est un patent troll. Peter Detkin reconnaît lui même que le succès de cette expression l’a détournée de sa première définition. 65 Ce terme serait désormais utilisé à chaque fois qu’un brevet est opposé. Ainsi, la tendance consiste à qualifier de patent troll toute personne recherchant à valoriser ses brevets. Pour ces raisons, certains militent pour l’abandon de cette expression, à tout le moins pour un sérieux recadrage sur ce qui est, ou pas, mauvais pour la société 8. Ce 70 recadrage est sous doute nécessaire car les définitions fleurissent de toutes parts sans qu’aucune ne semble englober totalement l’activité de patent trolling. b) Tentative de définition commune L’encyclopédie en ligne Wikipédia donne la définition suivante : serait patent troll toute entreprise qui tente de licencier et de protéger ses brevets sans pour autant 75 effectuer de recherche ou de fabriquer des produits. C’est en effet ce qu’il ressort le plus souvent des diverses définitions que l’on peut trouver sur le sujet. Malgré tout, si cette définition semble être relativement convaincante, les activités de trolling sont bien plus complexes et selon les cas, il conviendra ou pas d’en parler. 7 James Nurton, They‟re out there somewhere, Managing Intellectual Property, June 2006, http://www.managingip.com/default.asp?page=1100&subtype=notloggedon&Status=8 8 John LaPlante, The case for abandoning the Term “Patent Troll”, Robins Kaplan Miller & Ciresi LLP, Intellectual Property Litigation, Vol. 17, number 2, Winter 2006, http://www.rkmc.com/The_Case_for_Abandoning_the_Term_Patent_Troll.htm (consulté le 30 août 2006) 4-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq c) Plusieurs sortes de patent trolls Il y aurait plusieurs types de patent trolls. En effet, certains vont distinguer selon 80 que l’on est en face d’un individu, d’une entreprise créée à cet effet, ou encore d’une entreprise classique. Dans le premier des cas, l’inventeur va attendre que l’industrie se développe autour de son invention pour ensuite assigner en contrefaçon sans avoir lui-même essayé de la développer. Pour clarifier notre discussion nous appellerons cet individu patent 85 troll inventeur. Dans le second cas, l’entreprise a pour seul but d’acheter des brevets et d’attendre que d’autres entreprises se développent autour, pour ensuite les leurs opposer dans le cadre d’une action en justice. Nous appellerons celui là patent troll brut. Dans le dernier cas, il s’agit d’une entreprise classique qui achète des brevets pour 90 ensuite développer un programme de licences agressif. Nous appellerons ce dernier patent trolls entreprise (voir par exemple Kodak dans une affaire l’opposant à Sun). Nicholas Varchaver, dans le magazine Fortune, faisait une autre distinction entre ceux qui « spéculent » sur les brevets et ceux qui les « regroupent »9. On aurait ainsi, 95 d’une part des personnes qui font une véritable spéculation sur un titre en choisissant le meilleur moment pour assigner et « extorquer » un maximum de royalties. On les appellera patent trolls spéculateurs. D’un autre coté, on aurait des sociétés qui vendraient leurs brevets à des trolls pour qu’ils agissent en contrefaçon à leur place. Ces derniers trolls seraient des « écrans » pour les sociétés cessionnaires. Appelons- 100 les patent trolls masques. d) Fonctionnement des patent trolls La composition d’un patent troll dépendrait de la définition que l’on en retient. Si le patent troll est un patent troll entreprise, sa composition ne sera pas révélatrice de quelconque activité de trolling. En revanche, dans les autres cas, elle serait assez 5-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq 105 représentative. Ainsi, le troll ne comprendra typiquement que quelques personnes et fera appel à des avocats avec lesquels il aura signé des conventions d’honoraires reposant sur un pourcentage de résultat, contrairement aux pratiques des grandes entreprises, où les avocats sont souvent sollicités pour une longue durée et où l’on revient donc à une rémunération horaire classique.10 110 En outre, le patent troll brut n’a en général peu ou pas de client ce qui lui permet de se consacrer entièrement à son activité de trolling, sans aucune pression ni crainte de perdre des emplois par la fermeture d’une activité basée sur une technologie protégée. De même, contrairement à une entreprise classique, il serait plus « facile » de négocier avec un patent troll dans le sens où la question est souvent simple : « vous 115 prenez une licence ou je vous poursuis en justice ? » En effet, ce dernier n’a pas d’autre intérêt à protéger et il a souvent moins d’inquiétude et moins d’objectifs que la plupart des autres entreprises. En réalité, il n’a qu’un seul intérêt : générer des revenus. Finalement, si l’existence des patent trolls semble être connue de tous, 120 naturellement personne n’admet en être. Aussi, sans définition officielle et sans test pour déterminer qui est patent troll et qui ne l’est pas, une psychose s’est peu à peu installée dans l’industrie où chacun a sa propre définition de patent trolling et où tout le monde est susceptible d’être patent troll. B. Le contexte : un système de brevet abusé 125 Avant toute chose, il faut savoir que le problème des patent trolls est surtout un problème existant sur le territoire américain. Nous relevons deux abus majeurs du système de brevet laissant une brèche significative par laquelle les patent trolls s’infiltrent. En effet, la défense d’un brevet devant une Cour américaine est à 9 Nicholas Varchaver, Who‟s afraid of Nathan Myhrvold?, Fortume, June 26, 2006 Danielle Williams and Steven Gardner, Basic framework for effective responses to Patent Trolls, The NCBA’s Intellectual Property Law Section, volume 17, number 3, April 2006, www.ncbar.org (consulté le 30 août 2006) 10 6-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq l’avantage du patent troll (1). En outre, ce contexte favorable serait renforcé par les 130 problèmes liés à qualité des brevets enregistrés par l’office américain (2). 1. La décourageante défense de ses intérêts en justice Un procès en droit des brevet devant une Cour américaine demanderait de faire appel non pas à un seul avocat, mais plutôt à une véritable équipe d’avocats spécialisés en droit de la propriété industrielle et dans le domaine technique concerné. Aussi, l’action en justice coûterait entre deux et trois millions de dollars au minimum 135 et par partie. Or, tout le monde ne peut se permettre de débourser une telle somme pour se défendre. Cela met donc indubitablement en danger le « droit à la justice ». Pour pallier à cela, nous pourrions penser au régime de contingency fee où l’avocat serait payé au prorata des gains perçus lors du procès. Néanmoins, si ce régime est normalement utilisé dans le but d’aider les parties les plus démunies, il est surtout 140 utilisé par les avocats dans un but lucratif. En effet, les avocats utilisant ce régime ne renforcent pas l’accès à la justice dans le sens où ils ne prendront que les affaires pour lesquelles ils sont quasiment sûrs de gagner. Or, en matière de brevet, il est souvent très difficile de connaître l’issue d’un procès. Aussi, peu d’avocats s’engageront dans un litige en brevets sur la base de contingency fee. 145 En outre, il faut savoir que la composition de la Cour de justice américaine est d’une manière générale plus favorable au patent troll qu’à sa victime. D’une part, les juges américains ne sont pas systématiquement spécialistes du droit des brevets et d’autre part, la présence d’un jury ajoute un avantage certain pour les patent trolls. En effet, c’est dans l’Eastern District du Texas que se déroulent les plus forte batailles en 150 matière de brevet. Dans cette zone rurale, les parties viennent rechercher un jury ayant un haut pourcentage de retraités et une forte conception de la Propriété11. En effet, c’est en tant que propriétaire que le troll se présentera aux jurés. De ce fait, parce que 11 Michael C Smith, partner of the Roth Law Firm in Marschall, Texas , auteur d’un blog sur la pratique de l’Eastern District, http://mcsmith.blogs.com/eastern_district_of_texas/ (consulté le 1 septembre 2006) 7-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq ces derniers ont des valeurs fortement ancrées autour de la notion de patrimoine, le troll attirera plus facilement la sympathie du jury que dans un autre district. 155 Ainsi, les patent trolls profitent de ces problèmes pour réclamer des licences. En effet, il est souvent bien plus avantageux de payer la licence proposée par le troll que de se faire assigner en justice par la suite. En outre, cette forte notion de propriété va permettre au titulaire de réclamer autant de royalties qu’il estime normal de demander en échange de l’utilisation de l’invention. 160 C’est la raison pour laquelle on ne trouve pas de troll en Europe et en France en particulier. D’une part, les juges compétents en matière de brevets sont spécialisés12 et les procès en contrefaçon ne requièrent pas de jury. D’autre part, la mentalité et la pratique européenne ne permettraient pas de facilement demander des indemnités à la hauteur de celles qui sont accordées aux Etats-Unis. Ainsi, les patent trolls se sont 165 naturellement installés aux Etats-Unis pour limiter les risques de se faire sanctionner et favoriser le versement de royalties. L’industrie du brevet est ainsi devenue une industrie pour milliardaires13. Pour mieux illustrer les grandeurs que cela peut prendre, nous présenterons brièvement deux affaires : le cas BlackBerry de RIM et le cas Java de Kodak. 170 La première lança définitivement la polémique des patent trolls. Il s’agissait ici d’un patent troll brut. En 2001, RIM était mis en cause par NTP pour violation de cinq brevets aux Etats-Unis. L’obligation d’extinction du réseau BlackBerry pour contrefaçon aurait été catastrophique pour RIM et ses trois millions d’utilisateurs. Condamné en première instance, le verdict sera confirmé en 2004 en Cour d’appel. En 175 2005, la Cour d’appel du Federal Circuit remettait en cause la validité de 9 des 16 accusations suite à l’annulation de deux des brevets par l’US Patent Office (USPTO). Cependant, l’annulation des brevets ne pourrait être validée qu’après décision de la Cour Suprême. Le doute planant sur la validité des 3 autres brevets, le juge retenait 12 Le contentieux étant réputé difficile, le législateur français a attribué la compétence pour tout le contentieux à certains tribunaux spécialisé. Article L615-17 et R630-1 du CPI ; Article R312-2 du Code de l’organisation judiciaire 13 Elizabeth D. Ferrill, Patent Investment Trusts : Let‟s build a PIT to Catch the Patent Trolls, North Carolina Journal of Law & Technology, Volume 6, Issue 2: Spring 2005. Brenda Sandburg, Pioneers 8-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq son verdict incitant les parties à s’entendre. En mars 2006, RIM acceptait de verser 180 612 millions USD pour mettre fin à toutes poursuites de la part de NTP. Dans la seconde affaire, Kodak, que l’on qualifiera de patent troll entreprise, encaissait en 2004 $92 millions de la part de Sun Microsystem (société américaine spécialisée dans les hard et les softwares). En effet, un logiciel « Java » de Sun contrefaisait des brevets que Kodak avait achetés à la société Wang Laboratories 185 (ancienne société américaine spécialisée dans les hardwares). Outre le caractère agressif des trolls, leurs méthodes sont d’autant plus « mesquines » qu’ils opèrent parfois grâce à des brevets dont la validité est très douteuse. Pour les besoins de notre rédaction nous utiliserons les termes « bon » et « mauvais » brevets. Nous entendons par « mauvais brevet », tout brevet qui n’aurait jamais dû être délivré; et par « bon brevet », tout brevet justement délivré. 2. L’utilisation de « mauvais brevets » par les patent trolls 190 Selon le National Academy of Sciences14, il faudrait augmenter significativement le budget du Patent Office pour recruter d’autres examinateurs. En effet, les demandes de brevet seraient ainsi examinées trop rapidement, et cela nuirait indubitablement à la qualité des examens effectués. Il semble que les examinateurs passent en moyenne 18 heures étalées sur trois années pour chaque demande de brevet 15. On aurait ainsi un 195 nombre important de « mauvais brevets » délivrés. Une forte différence est d’ailleurs à noter avec les offices européen et japonais. Une étude a été faite sur plusieurs années. Il s’agissait de comparer un échantillon demandes de brevets déposées devant les trois offices américain, japonais et européen. Change Their Business as Corporations Fight Back, The Recorder, July 30, 2001, LEXIS, Nexis Library, RECRDR File. 14 Institution des États-Unis d'Amérique dont les membres servent pro bono comme conseillers de la nation en science, en technologie et en médecine. http://www.nasonline.org/site/PageServer (consulté le 31 aout 2006) 9-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq Il fut constaté qu’environ 5% des demandes de brevets étaient rejetées par l’USPTO, 200 contre environ 35% à l’Office Européen des Brevets (OEB) et à l’Office Japonais des Brevets (OJB)16. Dans l’affaire BlackBerry, il semble que les brevets NTP n’étaient pas tous valides. RIM a donc été assigné en justice sur le fondement de brevets qui n’auraient jamais dus être délivrés. Ainsi, beaucoup pensent que le problème de patent trolling serait 205 résolu si on arrivait à éliminer les « mauvais brevets ». Dans une telle situation, les trolls ne seraient alors plus capables de défendre leurs « mauvais brevets » avec des intentions malicieuses. Mais si cela réglait le problème des trolls utilisant des « mauvais brevets » cela laisserait toujours une grande place au débat sur les trolls opérant avec de « bons brevets ». Aussi, la solution n’est sans doute pas uniquement 210 dans l’élimination des « mauvais brevets »17. Malheureusement, aucune solution n’a aujourd’hui été trouvée pour lutter contre les trolls. Entre une solution cartésienne et une solution mesurée, les avis divergent. Mais si beaucoup critiquent le trolling, finalement, les plus virulents sont souvent ceux qui 215 sont potentiellement contrefacteurs de brevets. En outre, certaines grandes compagnies ne sont pas entrées dans le débat et ne semblent pas être déranger par l’existence de trolls sur le marché des brevets18. Voyons à présent, dans cette nouvelle section, que le véritable débat tourne en fait autour de la question de savoir si l’activité de trolling est répréhensible en soit. 15 Mark Lemley, Doug Lichtman, Bhaven Sampat, What to do with Bad Patents ?, Regulation, Winter 2005-2006 16 Cecil D. Quillen, Jr. (Cornerstone Research) and Ogden H. Webster, Continuing Patent Applications and Performance of the U.S. Patent and Trademark Office,11 Federal Circuit Bar Journal 1 (2001-2002), pp. 1-21, at 3. Available at http://www.researchoninnovation.org/tiip/archive/2003_1_b.htm (consulté le 31 aout 2006). Voir aussi Paul H. Jensen, Alfons Palangkaraya, and Elizabeth Webster, Disharmony in International Patent Office Decisions, p681, http://faculty.haas.berkeley.edu/larkin/JensenDisharmony.pdf (consulté le 31 aout 2006) 17 Maggie Schiels, Technology industry hits out at « patent trolls », BBC News, 2004, at http://news.bbc.co.uk/1/hi/business/3722509.stm (consulté le 31août 2006). 18 Nicholas Varchaver, Who‟s afraid of Nathan Myhrvold ?, Fortune Magazine, June 26, 2006. 10-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq Section 2. Avons-nous les moyens de condamner le patent trolling ? 220 Ils semblent que l’extrapolation de la notion de patent troll ait noirci de nombreuses entreprises. Aujourd’hui, il convient de faire un point et de regarder quels sont les effets du trolling. Nous tenterons ici de recadrer et de modérer le débat. Aussi, il est nécessaire de clarifier la situation (A) avant de voir ce qui est effectivement condamnable (B). A. Clarification 225 Avant d’approfondir notre étude, il est important de faire une analyse téléologique de la loi. En effet, si le fait de valoriser et de chercher à défendre son titre est légitime et parfaitement légal (1), le troll utilise la loi dans un but autre que celui originellement pensé par le législateur (2). 1. Le caractère légal de l’action du troll 230 Les très nombreuses définitions de patent troll sont parfois plus critiques qu’elles ne devraient l’être. En effet, l’action du troll est avant tout une action légale, c’est l’exercice même d’un droit. Le changement de main du brevet ne modifie pas les droits du nouveau titulaire. Le troll semble donc agir en toute légalité. Premièrement, en temps que titulaire du 235 brevet, le troll a le droit d’exclure ou d’interdire les autres de faire, utiliser, ou vendre l’invention pendant le temps de la protection. Deuxièmement, le titulaire d’un brevet n’a pas besoin d’être l’inventeur, les inventions de salariés en sont un très bon exemple. Troisièmement, le titulaire peut céder tout ou partie de ses droits. Et enfin, contrairement à ce que laissent entendre les diverses définitions de patent troll, il n’est 240 pas nécessaire de commercialiser l’invention pour pouvoir la défendre. En effet, les définitions laissent parfois penser qu’il faille « pratiquer » l’invention pour pouvoir utiliser le brevet. Or, on ne peut être obligé de commercialiser ce que l’on a inventé. On garde en effet le droit d’en disposer librement. Dans le cas 11-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq contraire, cela signifierait qu’il faille utiliser l’invention pour en être légitimement 245 propriétaire. Or, cela n’est absolument pas un critère de légitimité en droit des brevets. Quand bien même, on accepterait cette règle de devoir pratiquer le brevet pour en être légitimement titulaire, on pourrait opposer l’argument que le fait de défendre un brevet est en soit une pratique du titre, et donc du brevet. Nous pouvons enfin ajouter que le droit des brevets est reconnu et protégé par la 250 Constitution Américaine et le US Congress. L’action du patent troll serait-elle pour autant l’exercice d’un droit constitutionnel ? Cette question dérangeante remettrait l’éthique professionnelle en cause. En effet, si la stratégie du troll semble légale, elle est surtout critiquée pour des raisons économiques ou d’éthique dans le monde des affaires. 255 2. Des licences facilement obtenues pour un investissement mineur a) Un investissement inexistant à l’origine des droits Le titre de brevet est en fait une récompense pour les efforts effectués en recherche et développement. C’est aussi une contrepartie pour la publication de l’invention. Ainsi, d’autres chercheurs pourront se servir de l’invention décrite pour l’améliorer et donc faire progresser l’état de la technique. Dans l’esprit du droit des brevets, le titre 260 est donc un encouragement à l’innovation. Il va permettre à l’inventeur de rentrer dans ses frais et de tirer un juste profit de son investissement. Mais, avec le patent troll brut les choses sont différentes puisqu’il ne fait aucun investissement en R&D. Ce patent troll profite en fait du droit des brevets et de la récompense qui est faite aux inventeurs. Cela va donc à l’encontre de l’esprit de la loi 265 et du législateur. Dans ce sens, on pourrait dire qu’il étouffe la recherche. En tout cas, ce type de comportement ne profiterait pas à l’innovation. En revanche, le patent troll entreprise peut avoir fait des investissements en R&D, mais aucun effort pour le brevet qu’il a acheté dans l’unique but de le valoriser. Cette pratique, osons le dire, sort également de l’esprit de la loi, et va à l’encontre du but 270 originel du brevet d’invention. Mettre le doigt dans ce qui devient peu à peu une 12-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq pratique courante dans les grandes entreprises risquerait de provoquer des débats encore plus grands. Quant au patent troll inventeur, il a effectivement investi dans la recherche, mais il ne fait aucun effort pour le développement de cette invention. Néanmoins, peut-on 275 vraiment lui reprocher de ne pas commercialiser de produit ? Le brevet a été créé à l’origine pour protéger l’inventeur. Or, en refusant de développer son invention, l’inventeur ne fait qu’exercer son droit de propriété. Tout comme on ne peut obliger le propriétaire d’un champ à le cultiver, on ne peut obliger un inventeur à développer et produire quelque chose de concret19. Aussi, l’appellation patent troll ne convient sans 280 doute pas aux inventeurs, quand bien même ils auraient des intentions malicieuses. Il ne resterait donc plus que deux catégories de trolls à considérer : les patent trolls bruts et les patent trolls entreprises. b) Des licences facilement obtenues Pour continuer cet éclaircissement, il convient ici de préciser la technique utilisée 285 par les trolls pour « rançonner » des licences. En effet, il semble que les patent trolls aient une certaine facilité et une assurance déconcertante pour réclamer des royalties. Peur du procès et soumission aux trolls Comme le monstre mythologique, le patent troll effraie. Il se retrouve même en position très favorable pour obtenir une licence. Le patent troll a l’avantage de 290 pouvoir choisir des victimes qui logiquement se « soumettront ». Les patent trolls agissent plutôt aux USA qu’en Europe. Ils peuvent profiter de la somme démesurée qu’il faut désormais dépenser pour pouvoir se défendre devant un tribunal en matière de brevet (voir ci-dessus). Une défaite serait terrible. Ainsi, il sera bien plus raisonnable de payer les royalties que demande le troll plutôt que se risquer 295 en contentieux. Les trolls profitent bien évidemment de ce facteur défavorable à leurs victimes. 19 En revanche, on pourrait lui imposer un licence obligatoire ou d’office. 13-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq Les patent trolls n‟ont rien à perdre Les trolls n’ont pas grand chose à perdre à part leur titre. Contrairement aux entreprises auxquels ils s’affairent, ils ont bien moins d’intérêts à défendre, de 300 pressions éventuelles, ou encore d’inquiétudes que leurs victimes. Par ailleurs, les trolls auraient un avantage déloyal. Ils peuvent « agresser » une entreprise tout en restant « intouchables» puisqu’ils ne produisent rien. En tout cas, en ce qui concerne les patent trolls bruts, ils ne craindraient pas d’être assignés en retour pour contrefaçon de brevets sur d’autres produits. Lors des négociations en 305 précontentieux, il est en effet fréquent de se défendre en présentant à son tour un portefeuille de brevets pour lequel le demandeur est lui-même contrefacteur. En ne produisant pas, le patent troll évite donc de se faire « contre-attaquer ». Mais surtout, les trolls sont également capables d’assigner et de demander des licences pour des brevets qui pourraient être eux-mêmes invalidés. A ce propos, 310 certains experts expliquent aussi qu’en plus de se faire attribuer facilement des licences, les trolls ralentissent, voire empêchent, un grand nombre de produits d’entrer sur le marché. En effet, certains constructeurs ne veulent pas prendre le risque d’une action en contrefaçon ou d’une licence non justifiée et par conséquent retiennent leurs produits20. 315 Ainsi, le patent trolling est une situation difficile à juger puisque l’action du troll semble protégée par les textes. Ce serait donc plus un problème moral qu’un problème légal. La loi est alors peut-être mal adaptée à cette situation particulière. 20 Maggie Shiels, Technology Industry Hits Out at „Patent Trolls‟, BBC News, June 2, 2004, at http://www.msnbc.msn.com/id/6241971/site/newsweek (consulté le 31 août 2006). Et Adam Jaffe of Brandeis University and Josh Lerner of Harvard Business School, Innovation and Its Discontents: How Our Broken Patent System Is Endangering Innovation and Progress, and What to Do About It, Princeton University Press, September 27, 2004. 14-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq B. Que reste-t-il du débat ? Le débat sur les patent trolls va au delà de la simple question légale. En effet, il nous amène à nous poser des questions sur les fondements même du droit des brevets 320 (1) et à se demander si compte tenu du contexte décrit plus haut il ne faudrait pas commencer par lutter contre ces abus (2). 1. Interrogation sur la notion de Propriété a) Une propriété d’un genre spécial On peut distinguer trois buts originels au brevet d’invention. Le brevet était conçu comme une protection de l’invention pour : pousser l’inventeur à continuer à inventer, 325 encourager l’inventeur à dévoiler son invention au public, et pour encourager les entreprises à investir dans l’innovation. Les textes considèrent le droit des brevets comme un droit de propriété ayant pour objet une invention. L’objet du brevet est donc une chose immatérielle. Le droit des brevets étant un droit de propriété, le propriétaire sera investi des mêmes prérogatives 330 que si la chose était matérielle. Les principales manifestations de ce droit sont l’usus, le fructus et l’abusus. Aussi, la situation est semblable à celle du propriétaire d’un appartement qui peut l’habiter, le louer, ou le vendre. Ainsi, le titulaire du brevet pourra utiliser l’invention pour lui-même, autoriser ou interdire à d’autres de l’exploiter, et enfin il pourra céder ses droits sur l’invention. Si cette conception du 335 droit de propriété a été fortement critiquée du fait du caractère immatériel de son objet, beaucoup sont aujourd'hui d’accord pour considérer ce droit comme un droit de propriété classique. En revanche, on ne peut nier que l’abusus pose dès le départ une difficulté dans le sens où le propriétaire du brevet est tributaire du paiement de taxes. Lorsque le 340 titulaire ne les paie plus, il perd son droit, et cela est alors considéré comme un abandon des droits de propriété. Cela démontre donc que le brevet ne peut être ramené au schéma classique des droits de propriété. Nous avons donc une propriété d’un genre spécial. 15-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq Ce caractère singulier est confirmé dans la contrepartie qui s’impose au propriétaire 345 des droits. En effet, le titulaire du brevet doit rendre public son invention. Par la publication du brevet, la connaissance de l’invention ne lui est plus exclusive. On est donc bien loin de la conception classique du droit de propriété. D’autre part, la particularité de ce droit est son caractère intellectuel. En effet, le fait générateur d’une invention est issu du cerveau de son inventeur. L’intelligence 350 humaine est donc directement à l’origine de la création. Ainsi, le lien entre l’inventeur et l’invention est extrêmement fort. Le législateur reconnaît d’ailleurs ce lien comme inaliénable ; c’est ce qu’on appelle les droits moraux. Mais cette théorie des droits moraux serait en opposition avec le concept même de propriété. En effet, on pourrait aliéner ses droits de propriété sur l’invention, mais pas ses droits moraux. Il est 355 difficile d’y trouver une logique ; pourtant, aujourd’hui, personne ne semble vouloir remettre en cause ces conceptions fondamentales du droit des brevets, et ce schisme qui tourne autour de l’invention semble être accepté par tous. b) L’abusus en question On avait donc enterré ses vieilles rancœurs sur la nature même des droits portant sur les créations immatérielles. Mais, le débat sur les patent trolls semble tout à coup 360 réveiller ces polémiques. En effet, c’est sur la capacité qu’a le titulaire de pouvoir céder son titre, c'est-à-dire sa capacité à disposer de son invention (l’abusus) que repose tout le débat. Toutefois personne n’ose en parler. Penser ou imaginer que l’on puisse toucher aux constructions passées peut paraître audacieux ou même insensé, mais rien ne nous en empêche. D’ailleurs, le droit de propriété pourrait être vu 365 autrement qu’absolu. Mais serait-il imaginable de ne donner au titulaire du brevet que certaines prérogatives ? Les constatations que nous venons de faire nous amène donc à nous poser la question de savoir si nous pourrions envisager de retirer l’abusus des prérogatives du titulaire du brevet. Outre, le bouleversement que cela provoquerait, cette réforme 370 nierait les effets bénéfiques de cette prérogative. 16-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq c) L’abusus, une prérogative utile On voit deux avantages significatifs à la cession du brevet. Une sécurité indispensable pour les petits inventeurs, Il suffit d’imaginer un inventeur qui dépose un brevet, mais qui est incapable de 375 développer et de valoriser son invention, ou encore de poursuivre en contrefaçon. En effet, pour les raisons vues plus haut, le « petit inventeur » n’aurait sans doute pas les moyens de se défendre en justice. Ainsi, non seulement, la cession de son brevet permettra au « petit inventeur » de rentrer dans ses frais, voire de retirer un certain21 profit de son investissement, mais en 380 plus de cela, elle pourra lui donner satisfaction lorsque le cessionnaire agira en justice à sa place. Dans ce sens, la cession de brevet par un « petit inventeur » serait une assurance de pouvoir s’en sortir et de gagner un juste prix pour pouvoir rembourser ses efforts et continuer à inventer. La possibilité de céder sa propriété intellectuelle serait 385 finalement un encouragement à l’innovation. Un écran politique pour les grandes entreprises On imagine ici une grande entreprise qui ne souhaite pas être connue de ses concurrents comme défendant ses brevets. Elle céderait ainsi ses brevets à une seconde entreprise plus discrète, qui attaquerait et défendrait les brevets cédés. Ainsi, 390 la première entreprise utiliserait une sorte d’écran pour agir contre ses concurrents. Finalement, l’abusus trouve une place justifiée dans les prérogatives du titulaire, et on ne pourrait envisager son retrait pour le moment. « Il n‟est de véritable richesse que mobilisable. C‟est la possible circulation du 395 bien dans le circuit économique qui, en dernière analyse, lui conférera sa réelle 17-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq valeur » écrivait Michel Vivant à propos des brevets22. Les trolls n’ont sans doute pas tous lu Monsieur Vivant, mais ils ont bien réalisé que le brevet était une richesse sur laquelle ils pouvaient spéculer. Or, c’est cette spéculation de brevet qui pose justement problème en matière d’éthique des affaires. Pourtant, le législateur a lui 400 même décidé de permettre cette cession en donnant au titulaire toutes les prérogatives du propriétaire. Or, en faisant cela, il permettait implicitement la spéculation sur titre. Dès lors, est-il légitime de sanctionner la personne qui achète un brevet dans le seul but de recevoir des revenus ? Il semble que non. 2. La recherche de solutions Finalement, il ne nous reste plus beaucoup d’arguments à la charge des patent trolls. 405 Aussi, il serait nécessaire de redéfinir la notion de patent trolling plus strictement (a). A partir de là, nous étudierons les solutions au nouveau problème donné (b). a) Une nouvelle définition Comme nous venons de le dire, il serait sage de redéfinir la notion de patent troll. En effet, depuis son premier emploi avec Peter Detkin, les esprits se sont sans doute un peu trop égarés pour en arriver à critiquer ce qui est par nature autorisé par la loi. 410 Si on veut critiquer l’entité qui achète des bons brevets dans l’unique but de les valoriser, il faudrait remettre en cause le système des brevets en tant que tel. Mais nous le savons trop bien, ce système, même s’il est dur à accepter qu’une autre personne que l’inventeur puisse bénéficier de l’invention, la valoriser, et surtout la défendre, a beaucoup d’avantages et finalement encourage l’innovation et le progrès. 415 Aussi, nous redéfinissons ici restrictivement la notion de patent troll comme l’entité qui profite des sommes excessives demandées par les cabinets d’avocats pour valoriser leurs brevets. Le fait que ces brevets n’auraient jamais dû être déposés en serait une circonstance aggravante. 21 “certain“ car cela dépendra de sa capacité à pouvoir négocier avec l’acheteur. S’il se débrouille bien il peut faire monter les enchères. 18-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq b) Les solutions 420 En droit européen, le droit des brevets et d’une manière générale le droit de la propriété industrielle, constitue une exception au principe général de libre circulation des biens et des marchandises. Cette exception est légitime mais doit être interprétée de manière stricte. Le droit français semble avoir conscience de ce problème et dans un avis du 9 novembre 2005 suivant un jugement du TGI de PARIS du 26 janvier 425 2005, le Conseil de la Concurrence a jugé que l'utilisation de brevets dont la validité est incertaine dans l’intention de nuire à son concurrent était abusive. L’entreprise LUK avait engagé une action en justice à l'encontre de VALEO sur la base de demandes de brevet européennes non encore délivrées. Or, pour éviter le rejet de celle-ci, dont l'activité inventive était mise en cause, LUK avait déposé des demandes 430 divisionnaires avant le rejet des demandes en cours d'examen, de façon à maintenir l'action judiciaire pendante. Etant donc capable de sanctionner ce type d’activité déloyale, le droit français ne serait-il pas aussi capable de sanctionner le patent trolling par analogie ? De même, le droit américain serait-il prêt à suivre cette logique ? 435 Il existe une protection en droit américain appelée patent misuse qui permettrait dans notre cas de sanctionner le titulaire qui valoriserait un brevet alors même qu’il connaissait sa mauvaise qualité. Entendue comme une limitation des droits du titulaire du brevet, le patent misuse invoquerait comme le droit français une violation des règles de concurrence. Le problème reste que, dans un cas comme dans l’autre, il sera 440 souvent très difficile, voire impossible, de prouver que le titulaire avait conscience de la mauvaise qualité de son brevet. Le mieux serait encore d’éviter de délivrer des « mauvais brevets ». On pourrait effectivement envisager des examens plus poussés dans les offices de brevets et plus spécialement à l’USPTO23. Nous rejoignons ici l’avis de nombreux auteurs et 445 notamment celui des membres du National Academy of Sciences (susvisé) qui estiment que la solution aux problèmes de trolling consiste à un effort pour éviter la délivrance de « mauvais brevets ». 22 Michel Vivant, Le droit des Brevets, Connaissance du Droit, 2nd édition, Dalloz, p. 117. 19-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq Mais surtout, il serait nécessaire de revenir sur le fonctionnement et la stratégie des cabinets d’avocats américains. Les sommes astronomiques demandées découragent 450 beaucoup trop d’acteurs économiques et cela entretient évidemment les trolls dans leurs actions offensives. Serait-il alors possible de faire baisser les frais d’avocat à un niveau raisonnable ? Mais cette démesure est sans doute également due à un manque d’avocats spécialisés en brevet – «tout ce qui est rare est cher» –. Il faudrait donc encourager les avocats à une spécialisation en propriété industrielle. 455 En définitive, en évitant de délivrer des « mauvais brevets » et en responsabilisant les avocats, nous serions probablement à même de régler le problème des patent trolls. Un projet de reforme aux USA suscite aujourd’hui un débat vigoureux, notamment en ce qui concerne le patent trolling. Ces questions entrent dans le cadre d’une 460 discussion plus générale sur le droit des brevets datant d’une trentaine d’année ; nous pouvons donc être certain que l’encre continuera de couler pendant encore un temps certain. Dans cette optique, nous pourrions par exemple envisager de mettre en place un système efficace de lutte contre les trolls en imposant une pratique de ses brevets dans 465 des conditions « fair reasonable and non-discriminatory » (FRAND). Ce type d’action est sans doute le seul moyen de combattre efficacement le trolling à condition d’être pris en charge par une instance internationale comme l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. Ce type d’opération internationale qui a fonctionné en matière de Cybersquatting pourrait-il seulement fonctionner avec le trolling ? 23 Une procédure de ré-examen a récemment été mise en place à l’USPTO. Voir notamment le cas RIM. 20-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq Tables des Matières PATENT TROLL, UN NOUVEAU METIER ...................................................................... 1 SECTION I. L’IDENTIFICATION DIFFICILE DES PATENT TROLLS DANS UN SYSTÈME DE BREVET ABUSÉ ....................................................................................................................... 2 A. Les définitions du Patent Trolling ................................................................................. 3 1. Origine du terme .................................................................................................... 3 a) Etymologie ........................................................................................................ 3 b) Une expression nouvelle ................................................................................... 3 2. Recherche d’une définition correcte ...................................................................... 4 a) Une définition victime de son succès ................................................................ 4 b) Tentative de définition commune ...................................................................... 4 c) Plusieurs sortes de patent trolls ......................................................................... 5 d) Fonctionnement des patent trolls....................................................................... 5 B. Le contexte : un système de brevet abusé...................................................................... 6 1. La décourageante défense de ses intérêts en justice .............................................. 7 2. L’utilisation de « mauvais » brevets par les patent trolls ...................................... 9 SECTION 2. AVONS-NOUS LES MOYENS DE CONDAMNER LE PATENT TROLLING ? .............. 11 A. Clarification ................................................................................................................ 11 1. Le caractère légal de l’action du troll .................................................................. 11 2. Des licences facilement obtenues pour un investissement mineur ...................... 12 a) Un investissement inexistant à l’origine des droits ......................................... 12 b) Des licences facilement obtenues .................................................................... 13 Peur du procès et soumission aux trolls........................................................... 13 Les patent trolls n’ont rien à perdre ................................................................. 14 B. Que reste-t-il du débat ? ............................................................................................. 15 1. Interrogation sur la notion de Propriété ............................................................... 15 a) Une propriété d’un genre spécial ..................................................................... 15 b) L’abusus en question ....................................................................................... 16 c) L’abusus, une prérogative utile ....................................................................... 17 Une sécurité indispensable pour les petits inventeurs, .................................... 17 Un écran politique pour les grandes entreprises .............................................. 17 2. La recherche de solutions .................................................................................... 18 a) Une nouvelle définition ................................................................................... 18 b) Les solutions.................................................................................................... 19 TABLES DES MATIERES .................................................................................................. 21 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................ 22 21-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE SEPT 2006 ALexis Dufourcq Bibliographie André Lucas, la protection des créations industrielles abstraites, Litec 1975, n°112. Beltran, Des brevets et des marques, une histoire de la propriété industrielle, Fayard 2001 Ben Depoorter, The Several Lives of Mickey Mouse: The Expanding Boundaries of Intellectual Property Law, 9 VA. J.L. & ECH. 4, 11 (2004) Bernard Condon, Management, Strategies, Trends: Numbers Games, FORBES (January 25, 1999). Brenda Sandburg, Pioneers Change Their Business as Corporations Fight Back, THE RECORDER, July 30, 2001, LEXIS, Nexis Library, RECRDR File. Cecil D. Quillen, Jr. (Cornerstone Research) and Ogden H. Webster, Continuing Patent Applications and Performance of the U.S. Patent and Trademark Office,11 Federal Circuit Bar Journal 1 (2001-2002) Code Civil Code de la Propriété Intellectuelle Daniel R. Cahoy, Changing the Rules in the Middle of the Game: How the Prospective Application of Judicial Decisions Related to Intellectual Property Can Promote Economic Efficiency, 41 AM. BUS. L.J. 1, 22 (2003) Danielle Williams and Steven Gardner, Basic framework for effective responses to Patent Trolls, The NCBA’s Intellectual Property Law Section, volume 17, number 3, April 2006 E.D. Hirsch, Jr. Et Al., The New Dictionary of Cultural Literacy (2002) John LaPlante, The case for abandoning the Term “Patent Troll”, Robins Kaplan Miller & Ciresi LLP, Intellectual Property Litigation Maggie Shiels, Technology Industry Hits Out at „Patent Trolls‟, BBC News, June 2, 2004 Mathély, Le droit européen des brevets d‟invention, éd. du JNA Michel Vivant, Le droit des Brevets, Connaissance du Droit, 2nd édition, Dalloz Paul H. Jensen, Alfons Palangkaraya, and Elizabeth Webster, Disharmony in International Patent Office Decisions, p681 Roubier P. Droit de la propriété industrielle, librairie Recueil Sirey ; tome 1, 1952 et tome 2, 1954 22-22 Ce document exprime l’opinion personnelle de son auteur uniquement et ne saurait évoquer celui de son présent ou ancien e mployeur Tous droits réservés ©2006, Alexis Dufourcq