Patent Troll, un nouveau métier

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Patent Troll, un nouveau métier
DI2C, SPECIALITE DROIT INNOVATION TECHNIQUE
SEPT 2006
ALexis Dufourcq
Patent Troll, un nouveau métier
« Mais à travers eux s'avança à larges enjambées, avec des rugissements de bêtes,
une grande compagnie de trolls des montagnes de Gorgoroth. Plus grands et plus
larges que les Hommes, ils n'étaient vêtus que d'un réseau très ajusté d'écailles
cornées, ou peut-être était-ce leur hideux cuir, mais ils portaient d'énormes boucliers
ronds et noirs, et ils brandissaient de lourds marteaux dans leurs mains noueuses »1
Le système de brevet est présenté comme un instrument d’incitation à la recherchedéveloppement. En effet, celui qui a investi dans la recherche se voit ainsi garantir,
par l’octroi du brevet, un droit d’interdire2 autrui d’utiliser son invention.
5
Le brevet serait ainsi une récompense à l’innovation. Il confère à son titulaire le
droit d’interdire à autrui d’utiliser l’invention décrite dans les revendications. Ce
monopole, bien que limité dans le temps, va permettre au titulaire du brevet d’une part
d’échapper à la concurrence et de rentrer dans ses frais, et d’autre part de tirer un juste
profit de son investissement. C’est donc dans un double objectif que le système de
10
brevet a été créé.
Le droit et la notion de brevet ont évolué. Aujourd’hui, les brevets ont une valeur
intrinsèque en plus du simple droit d’interdire et d’exclure des concurrents. Ils sont
devenus un véritable outil marketing et peuvent avoir la même influence sur la marge
nette d’une entreprise que des biens tangibles. Ainsi, les droits de propriété
15
intellectuelle ont trouvé leur place dans l’actif immatériel des entreprises. Dans de
nombreux cas, les droits de propriété industrielle sont même devenus les principales
1
Tolkien, Le Seigneur des Anneaux, livre V
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sources de revenus de l’entreprise. La grandissante spéculation sur les biens
incorporels fait couler beaucoup d’encre et pourrait indiquer que le système a besoin
de changement3.
20
En effet, les brevets se révèlent également être des armes puissantes que l’on peut
utiliser dans un programme de stratégie offensive. C’est ainsi que l’on voit depuis
quelques années émerger des entités appelées Patent Trolls4 et capables de s’attaquer
aux plus grandes multinationales. C’est notamment depuis la célèbre affaire opposant
la société Research In Motion (RIM) – connue pour son BlackBerry – à la société
25
NTP que les acteurs économiques ont réalisé le pouvoir des patent trolls.
Les exemples sont désormais nombreux et les entreprises craignent les patent trolls.
Cependant, si aujourd’hui plus personne ne peut nier leur existence, personne n’est
vraiment capable de les identifier clairement. Aussi, notre étude commencera par
l’identification de ces entités menaçantes. Nous verrons ainsi que la qualification de
30
patent troll porte à discussion (section I). Enfin, nous verrons que le débat a pris une
ampleur inattendue que nous tenterons de modérer (section II).
Section I. L’identification difficile des patent trolls dans un
système de brevet abusé
35
Nous nous attacherons dans une première partie à poser le débat en tentant
d’identifier les patent trolls (A). Puis, dans une seconde partie, nous étudierons le
contexte favorable dans lequel vivent les patent trolls (B).
2
Certains parlent de monopôle d’exploitation
The patent system is ’absolutly failling’ said Dan Ravicher, executive director of the Public Patent
Foundation, a non profit patent-reform group in New York City. ‘There is a point where you can
benefit patentees and it actually harms the public… We are past that point’.
4
Patent : brevet en anglais
3
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A. Les définitions du Patent Trolling
1. Origine du terme
a) Etymologie
Le mot « troll » [trõl] est issu de la mythologie nordique. Il qualifie un monstre
40
humanoïde vivant dans les montagnes. Il se cachait dans des caves et enlevait les
enfants5. Le troll avait aussi la réputation de se cacher sous les ponts, et d’attendre que
des gens le traversent, pour les détrousser.
Cette créature a survécu jusqu’à nos jours puisqu’on la retrouve encore aujourd’hui
dans la littérature. Du Seigneur des anneaux de Tolkien à Harry Potter de JK Rowling,
45
le troll est encore « à la mode ». Sa laideur, sa bêtise et sa méchanceté en ont même
fait le symbole des perturbateurs de forums sur Internet, lieux où le troll désigne
l'individu qui lance un débat stérile et houleux, ou qui pose des messages provocants,
insultants et souvent répétitifs dans le but de susciter la colère des autres internautes6.
Mais récemment on y associa un nouveau comportement en matière de brevet.
b) Une expression nouvelle
La définition de Peter Detkin
50
En 1999, Peter Detkin, alors cadre chez Intel, utilisa cette expression pour qualifier
l’entreprise TechSearch qui assignait Intel en contrefaçon de brevet. Ainsi donc germa
le terme patent troll.
« Someone who takes a single patent or a small group of patents and is looking for
essentially a nuisance-value settlement”.
55
Ainsi, pour Peter Detkin, un patent troll est une personne qui, à partir d’un seul
brevet ou d’un petit groupe de brevets, va chercher à tirer un revenu tout en nuisant
fortement à quelqu’un.
5
6
E.D. Hirsch, Jr. Et Al., The New Dictionary of Cultural Literacy (2002)
Voir Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Troll (consulté le 30 septembre 2006)
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On notera qu’aujourd’hui, Peter Detkin a quitté Intel pour rejoindre Intellectual
Ventures, une entreprise spécialisée dans les acquisitions de brevets et souvent
60
qualifiée d’être elle même un patent troll7.
2. Recherche d’une définition correcte
a) Une définition victime de son succès
Qu’il l’ait voulue ou pas, l’expression est devenue une référence en l’espèce. Mais
elle serait utilisée à tort et à travers au point que l’on ne sache plus exactement ce
qu’est un patent troll. Peter Detkin reconnaît lui même que le succès de cette
expression l’a détournée de sa première définition.
65
Ce terme serait désormais utilisé à chaque fois qu’un brevet est opposé. Ainsi, la
tendance consiste à qualifier de patent troll toute personne recherchant à valoriser ses
brevets.
Pour ces raisons, certains militent pour l’abandon de cette expression, à tout le
moins pour un sérieux recadrage sur ce qui est, ou pas, mauvais pour la société 8. Ce
70
recadrage est sous doute nécessaire car les définitions fleurissent de toutes parts sans
qu’aucune ne semble englober totalement l’activité de patent trolling.
b) Tentative de définition commune
L’encyclopédie en ligne Wikipédia donne la définition suivante : serait patent troll
toute entreprise qui tente de licencier et de protéger ses brevets sans pour autant
75
effectuer de recherche ou de fabriquer des produits. C’est en effet ce qu’il ressort le
plus souvent des diverses définitions que l’on peut trouver sur le sujet.
Malgré tout, si cette définition semble être relativement convaincante, les activités
de trolling sont bien plus complexes et selon les cas, il conviendra ou pas d’en parler.
7
James Nurton, They‟re out there somewhere, Managing Intellectual Property, June 2006,
http://www.managingip.com/default.asp?page=1100&subtype=notloggedon&Status=8
8
John LaPlante, The case for abandoning the Term “Patent Troll”, Robins Kaplan Miller & Ciresi
LLP, Intellectual Property Litigation, Vol. 17, number 2, Winter 2006,
http://www.rkmc.com/The_Case_for_Abandoning_the_Term_Patent_Troll.htm (consulté le 30 août
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c) Plusieurs sortes de patent trolls
Il y aurait plusieurs types de patent trolls. En effet, certains vont distinguer selon
80
que l’on est en face d’un individu, d’une entreprise créée à cet effet, ou encore d’une
entreprise classique.
Dans le premier des cas, l’inventeur va attendre que l’industrie se développe autour
de son invention pour ensuite assigner en contrefaçon sans avoir lui-même essayé de
la développer. Pour clarifier notre discussion nous appellerons cet individu patent
85
troll inventeur.
Dans le second cas, l’entreprise a pour seul but d’acheter des brevets et d’attendre
que d’autres entreprises se développent autour, pour ensuite les leurs opposer dans le
cadre d’une action en justice. Nous appellerons celui là patent troll brut.
Dans le dernier cas, il s’agit d’une entreprise classique qui achète des brevets pour
90
ensuite développer un programme de licences agressif. Nous appellerons ce dernier
patent trolls entreprise (voir par exemple Kodak dans une affaire l’opposant à Sun).
Nicholas Varchaver, dans le magazine Fortune, faisait une autre distinction entre
ceux qui « spéculent » sur les brevets et ceux qui les « regroupent »9. On aurait ainsi,
95
d’une part des personnes qui font une véritable spéculation sur un titre en choisissant
le meilleur moment pour assigner et « extorquer » un maximum de royalties. On les
appellera patent trolls spéculateurs. D’un autre coté, on aurait des sociétés qui
vendraient leurs brevets à des trolls pour qu’ils agissent en contrefaçon à leur place.
Ces derniers trolls seraient des « écrans » pour les sociétés cessionnaires. Appelons-
100
les patent trolls masques.
d) Fonctionnement des patent trolls
La composition d’un patent troll dépendrait de la définition que l’on en retient. Si le
patent troll est un patent troll entreprise, sa composition ne sera pas révélatrice de
quelconque activité de trolling. En revanche, dans les autres cas, elle serait assez
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représentative. Ainsi, le troll ne comprendra typiquement que quelques personnes et
fera appel à des avocats avec lesquels il aura signé des conventions d’honoraires
reposant sur un pourcentage de résultat, contrairement aux pratiques des grandes
entreprises, où les avocats sont souvent sollicités pour une longue durée et où l’on
revient donc à une rémunération horaire classique.10
110
En outre, le patent troll brut n’a en général peu ou pas de client ce qui lui permet de
se consacrer entièrement à son activité de trolling, sans aucune pression ni crainte de
perdre des emplois par la fermeture d’une activité basée sur une technologie protégée.
De même, contrairement à une entreprise classique, il serait plus « facile » de
négocier avec un patent troll dans le sens où la question est souvent simple : « vous
115
prenez une licence ou je vous poursuis en justice ? » En effet, ce dernier n’a pas
d’autre intérêt à protéger et il a souvent moins d’inquiétude et moins d’objectifs que la
plupart des autres entreprises. En réalité, il n’a qu’un seul intérêt : générer des
revenus.
Finalement, si l’existence des patent trolls semble être connue de tous,
120
naturellement personne n’admet en être. Aussi, sans définition officielle et sans test
pour déterminer qui est patent troll et qui ne l’est pas, une psychose s’est peu à peu
installée dans l’industrie où chacun a sa propre définition de patent trolling et où tout
le monde est susceptible d’être patent troll.
B. Le contexte : un système de brevet abusé
125
Avant toute chose, il faut savoir que le problème des patent trolls est surtout un
problème existant sur le territoire américain. Nous relevons deux abus majeurs du
système de brevet laissant une brèche significative par laquelle les patent trolls
s’infiltrent. En effet, la défense d’un brevet devant une Cour américaine est à
9
Nicholas Varchaver, Who‟s afraid of Nathan Myhrvold?, Fortume, June 26, 2006
Danielle Williams and Steven Gardner, Basic framework for effective responses to Patent Trolls, The
NCBA’s Intellectual Property Law Section, volume 17, number 3, April 2006, www.ncbar.org
(consulté le 30 août 2006)
10
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l’avantage du patent troll (1). En outre, ce contexte favorable serait renforcé par les
130
problèmes liés à qualité des brevets enregistrés par l’office américain (2).
1. La décourageante défense de ses intérêts en justice
Un procès en droit des brevet devant une Cour américaine demanderait de faire
appel non pas à un seul avocat, mais plutôt à une véritable équipe d’avocats
spécialisés en droit de la propriété industrielle et dans le domaine technique concerné.
Aussi, l’action en justice coûterait entre deux et trois millions de dollars au minimum
135
et par partie. Or, tout le monde ne peut se permettre de débourser une telle somme
pour se défendre. Cela met donc indubitablement en danger le « droit à la justice ».
Pour pallier à cela, nous pourrions penser au régime de contingency fee où l’avocat
serait payé au prorata des gains perçus lors du procès. Néanmoins, si ce régime est
normalement utilisé dans le but d’aider les parties les plus démunies, il est surtout
140
utilisé par les avocats dans un but lucratif. En effet, les avocats utilisant ce régime ne
renforcent pas l’accès à la justice dans le sens où ils ne prendront que les affaires pour
lesquelles ils sont quasiment sûrs de gagner. Or, en matière de brevet, il est souvent
très difficile de connaître l’issue d’un procès. Aussi, peu d’avocats s’engageront dans
un litige en brevets sur la base de contingency fee.
145
En outre, il faut savoir que la composition de la Cour de justice américaine est
d’une manière générale plus favorable au patent troll qu’à sa victime. D’une part, les
juges américains ne sont pas systématiquement spécialistes du droit des brevets et
d’autre part, la présence d’un jury ajoute un avantage certain pour les patent trolls. En
effet, c’est dans l’Eastern District du Texas que se déroulent les plus forte batailles en
150
matière de brevet. Dans cette zone rurale, les parties viennent rechercher un jury ayant
un haut pourcentage de retraités et une forte conception de la Propriété11. En effet,
c’est en tant que propriétaire que le troll se présentera aux jurés. De ce fait, parce que
11
Michael C Smith, partner of the Roth Law Firm in Marschall, Texas , auteur d’un blog sur la pratique
de l’Eastern District, http://mcsmith.blogs.com/eastern_district_of_texas/ (consulté le 1 septembre
2006)
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ces derniers ont des valeurs fortement ancrées autour de la notion de patrimoine, le
troll attirera plus facilement la sympathie du jury que dans un autre district.
155
Ainsi, les patent trolls profitent de ces problèmes pour réclamer des licences. En
effet, il est souvent bien plus avantageux de payer la licence proposée par le troll que
de se faire assigner en justice par la suite. En outre, cette forte notion de propriété va
permettre au titulaire de réclamer autant de royalties qu’il estime normal de demander
en échange de l’utilisation de l’invention.
160
C’est la raison pour laquelle on ne trouve pas de troll en Europe et en France en
particulier. D’une part, les juges compétents en matière de brevets sont spécialisés12 et
les procès en contrefaçon ne requièrent pas de jury. D’autre part, la mentalité et la
pratique européenne ne permettraient pas de facilement demander des indemnités à la
hauteur de celles qui sont accordées aux Etats-Unis. Ainsi, les patent trolls se sont
165
naturellement installés aux Etats-Unis pour limiter les risques de se faire sanctionner
et favoriser le versement de royalties. L’industrie du brevet est ainsi devenue une
industrie pour milliardaires13.
Pour mieux illustrer les grandeurs que cela peut prendre, nous présenterons
brièvement deux affaires : le cas BlackBerry de RIM et le cas Java de Kodak.
170
La première lança définitivement la polémique des patent trolls. Il s’agissait ici
d’un patent troll brut. En 2001, RIM était mis en cause par NTP pour violation de cinq
brevets aux Etats-Unis. L’obligation d’extinction du réseau BlackBerry pour
contrefaçon aurait été catastrophique pour RIM et ses trois millions d’utilisateurs.
Condamné en première instance, le verdict sera confirmé en 2004 en Cour d’appel. En
175
2005, la Cour d’appel du Federal Circuit remettait en cause la validité de 9 des 16
accusations suite à l’annulation de deux des brevets par l’US Patent Office (USPTO).
Cependant, l’annulation des brevets ne pourrait être validée qu’après décision de la
Cour Suprême. Le doute planant sur la validité des 3 autres brevets, le juge retenait
12
Le contentieux étant réputé difficile, le législateur français a attribué la compétence pour tout le
contentieux à certains tribunaux spécialisé. Article L615-17 et R630-1 du CPI ; Article R312-2 du
Code de l’organisation judiciaire
13
Elizabeth D. Ferrill, Patent Investment Trusts : Let‟s build a PIT to Catch the Patent Trolls, North
Carolina Journal of Law & Technology, Volume 6, Issue 2: Spring 2005. Brenda Sandburg, Pioneers
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son verdict incitant les parties à s’entendre. En mars 2006, RIM acceptait de verser
180
612 millions USD pour mettre fin à toutes poursuites de la part de NTP.
Dans la seconde affaire, Kodak, que l’on qualifiera de patent troll entreprise,
encaissait en 2004 $92 millions de la part de Sun Microsystem (société américaine
spécialisée dans les hard et les softwares). En effet, un logiciel « Java » de Sun
contrefaisait des brevets que Kodak avait achetés à la société Wang Laboratories
185
(ancienne société américaine spécialisée dans les hardwares).
Outre le caractère agressif des trolls, leurs méthodes sont d’autant plus
« mesquines » qu’ils opèrent parfois grâce à des brevets dont la validité est très
douteuse.
Pour les besoins de notre rédaction nous utiliserons les termes « bon » et « mauvais » brevets. Nous
entendons par « mauvais brevet », tout brevet qui n’aurait jamais dû être délivré; et par « bon brevet »,
tout brevet justement délivré.
2. L’utilisation de « mauvais brevets » par les patent trolls
190
Selon le National Academy of Sciences14, il faudrait augmenter significativement le
budget du Patent Office pour recruter d’autres examinateurs. En effet, les demandes
de brevet seraient ainsi examinées trop rapidement, et cela nuirait indubitablement à la
qualité des examens effectués. Il semble que les examinateurs passent en moyenne 18
heures étalées sur trois années pour chaque demande de brevet 15. On aurait ainsi un
195
nombre important de « mauvais brevets » délivrés.
Une forte différence est d’ailleurs à noter avec les offices européen et japonais. Une
étude a été faite sur plusieurs années. Il s’agissait de comparer un échantillon
demandes de brevets déposées devant les trois offices américain, japonais et européen.
Change Their Business as Corporations Fight Back, The Recorder, July 30, 2001, LEXIS, Nexis
Library, RECRDR File.
14
Institution des États-Unis d'Amérique dont les membres servent pro bono comme conseillers de la
nation en science, en technologie et en médecine. http://www.nasonline.org/site/PageServer (consulté
le 31 aout 2006)
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Il fut constaté qu’environ 5% des demandes de brevets étaient rejetées par l’USPTO,
200
contre environ 35% à l’Office Européen des Brevets (OEB) et à l’Office Japonais des
Brevets (OJB)16.
Dans l’affaire BlackBerry, il semble que les brevets NTP n’étaient pas tous valides.
RIM a donc été assigné en justice sur le fondement de brevets qui n’auraient jamais
dus être délivrés. Ainsi, beaucoup pensent que le problème de patent trolling serait
205
résolu si on arrivait à éliminer les « mauvais brevets ». Dans une telle situation, les
trolls ne seraient alors plus capables de défendre leurs « mauvais brevets » avec des
intentions malicieuses. Mais si cela réglait le problème des trolls utilisant des
« mauvais brevets » cela laisserait toujours une grande place au débat sur les trolls
opérant avec de « bons brevets ». Aussi, la solution n’est sans doute pas uniquement
210
dans l’élimination des « mauvais brevets »17.
Malheureusement, aucune solution n’a aujourd’hui été trouvée pour lutter contre les
trolls. Entre une solution cartésienne et une solution mesurée, les avis divergent. Mais
si beaucoup critiquent le trolling, finalement, les plus virulents sont souvent ceux qui
215
sont potentiellement contrefacteurs de brevets. En outre, certaines grandes
compagnies ne sont pas entrées dans le débat et ne semblent pas être déranger par
l’existence de trolls sur le marché des brevets18. Voyons à présent, dans cette nouvelle
section, que le véritable débat tourne en fait autour de la question de savoir si
l’activité de trolling est répréhensible en soit.
15
Mark Lemley, Doug Lichtman, Bhaven Sampat, What to do with Bad Patents ?, Regulation, Winter
2005-2006
16 Cecil D. Quillen, Jr. (Cornerstone Research) and Ogden H. Webster, Continuing Patent Applications
and Performance of the U.S. Patent and
Trademark Office,11 Federal Circuit Bar Journal 1 (2001-2002), pp. 1-21, at 3. Available at
http://www.researchoninnovation.org/tiip/archive/2003_1_b.htm (consulté le 31 aout 2006). Voir aussi
Paul H. Jensen, Alfons Palangkaraya, and Elizabeth Webster, Disharmony in International Patent
Office Decisions, p681, http://faculty.haas.berkeley.edu/larkin/JensenDisharmony.pdf (consulté le 31
aout 2006)
17
Maggie Schiels, Technology industry hits out at « patent trolls », BBC News, 2004, at
http://news.bbc.co.uk/1/hi/business/3722509.stm (consulté le 31août 2006).
18
Nicholas Varchaver, Who‟s afraid of Nathan Myhrvold ?, Fortune Magazine, June 26, 2006.
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Section 2. Avons-nous les moyens de condamner le patent
trolling ?
220
Ils semblent que l’extrapolation de la notion de patent troll ait noirci de nombreuses
entreprises. Aujourd’hui, il convient de faire un point et de regarder quels sont les
effets du trolling. Nous tenterons ici de recadrer et de modérer le débat. Aussi, il est
nécessaire de clarifier la situation (A) avant de voir ce qui est effectivement
condamnable (B).
A. Clarification
225
Avant d’approfondir notre étude, il est important de faire une analyse téléologique
de la loi. En effet, si le fait de valoriser et de chercher à défendre son titre est légitime
et parfaitement légal (1), le troll utilise la loi dans un but autre que celui
originellement pensé par le législateur (2).
1. Le caractère légal de l’action du troll
230
Les très nombreuses définitions de patent troll sont parfois plus critiques qu’elles ne
devraient l’être. En effet, l’action du troll est avant tout une action légale, c’est
l’exercice même d’un droit. Le changement de main du brevet ne modifie pas les
droits du nouveau titulaire.
Le troll semble donc agir en toute légalité. Premièrement, en temps que titulaire du
235
brevet, le troll a le droit d’exclure ou d’interdire les autres de faire, utiliser, ou vendre
l’invention pendant le temps de la protection. Deuxièmement, le titulaire d’un brevet
n’a pas besoin d’être l’inventeur, les inventions de salariés en sont un très bon
exemple. Troisièmement, le titulaire peut céder tout ou partie de ses droits. Et enfin,
contrairement à ce que laissent entendre les diverses définitions de patent troll, il n’est
240
pas nécessaire de commercialiser l’invention pour pouvoir la défendre.
En effet, les définitions laissent parfois penser qu’il faille « pratiquer » l’invention
pour pouvoir utiliser le brevet. Or, on ne peut être obligé de commercialiser ce que
l’on a inventé. On garde en effet le droit d’en disposer librement. Dans le cas
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contraire, cela signifierait qu’il faille utiliser l’invention pour en être légitimement
245
propriétaire. Or, cela n’est absolument pas un critère de légitimité en droit des brevets.
Quand bien même, on accepterait cette règle de devoir pratiquer le brevet pour en être
légitimement titulaire, on pourrait opposer l’argument que le fait de défendre un
brevet est en soit une pratique du titre, et donc du brevet.
Nous pouvons enfin ajouter que le droit des brevets est reconnu et protégé par la
250
Constitution Américaine et le US Congress. L’action du patent troll serait-elle pour
autant l’exercice d’un droit constitutionnel ? Cette question dérangeante remettrait
l’éthique professionnelle en cause. En effet, si la stratégie du troll semble légale, elle
est surtout critiquée pour des raisons économiques ou d’éthique dans le monde des
affaires.
255
2. Des licences facilement obtenues pour un investissement mineur
a) Un investissement inexistant à l’origine des droits
Le titre de brevet est en fait une récompense pour les efforts effectués en recherche
et développement. C’est aussi une contrepartie pour la publication de l’invention.
Ainsi, d’autres chercheurs pourront se servir de l’invention décrite pour l’améliorer et
donc faire progresser l’état de la technique. Dans l’esprit du droit des brevets, le titre
260
est donc un encouragement à l’innovation. Il va permettre à l’inventeur de rentrer
dans ses frais et de tirer un juste profit de son investissement.
Mais, avec le patent troll brut les choses sont différentes puisqu’il ne fait aucun
investissement en R&D. Ce patent troll profite en fait du droit des brevets et de la
récompense qui est faite aux inventeurs. Cela va donc à l’encontre de l’esprit de la loi
265
et du législateur. Dans ce sens, on pourrait dire qu’il étouffe la recherche. En tout cas,
ce type de comportement ne profiterait pas à l’innovation.
En revanche, le patent troll entreprise peut avoir fait des investissements en R&D,
mais aucun effort pour le brevet qu’il a acheté dans l’unique but de le valoriser. Cette
pratique, osons le dire, sort également de l’esprit de la loi, et va à l’encontre du but
270
originel du brevet d’invention. Mettre le doigt dans ce qui devient peu à peu une
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pratique courante dans les grandes entreprises risquerait de provoquer des débats
encore plus grands.
Quant au patent troll inventeur, il a effectivement investi dans la recherche, mais il
ne fait aucun effort pour le développement de cette invention. Néanmoins, peut-on
275
vraiment lui reprocher de ne pas commercialiser de produit ? Le brevet a été créé à
l’origine pour protéger l’inventeur. Or, en refusant de développer son invention,
l’inventeur ne fait qu’exercer son droit de propriété. Tout comme on ne peut obliger le
propriétaire d’un champ à le cultiver, on ne peut obliger un inventeur à développer et
produire quelque chose de concret19. Aussi, l’appellation patent troll ne convient sans
280
doute pas aux inventeurs, quand bien même ils auraient des intentions malicieuses.
Il ne resterait donc plus que deux catégories de trolls à considérer : les patent trolls
bruts et les patent trolls entreprises.
b) Des licences facilement obtenues
Pour continuer cet éclaircissement, il convient ici de préciser la technique utilisée
285
par les trolls pour « rançonner » des licences. En effet, il semble que les patent trolls
aient une certaine facilité et une assurance déconcertante pour réclamer des royalties.
Peur du procès et soumission aux trolls
Comme le monstre mythologique, le patent troll effraie. Il se retrouve même en
position très favorable pour obtenir une licence. Le patent troll a l’avantage de
290
pouvoir choisir des victimes qui logiquement se « soumettront ».
Les patent trolls agissent plutôt aux USA qu’en Europe. Ils peuvent profiter de la
somme démesurée qu’il faut désormais dépenser pour pouvoir se défendre devant un
tribunal en matière de brevet (voir ci-dessus). Une défaite serait terrible. Ainsi, il sera
bien plus raisonnable de payer les royalties que demande le troll plutôt que se risquer
295
en contentieux. Les trolls profitent bien évidemment de ce facteur défavorable à leurs
victimes.
19
En revanche, on pourrait lui imposer un licence obligatoire ou d’office.
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Les patent trolls n‟ont rien à perdre
Les trolls n’ont pas grand chose à perdre à part leur titre. Contrairement aux
entreprises auxquels ils s’affairent, ils ont bien moins d’intérêts à défendre, de
300
pressions éventuelles, ou encore d’inquiétudes que leurs victimes.
Par ailleurs, les trolls auraient un avantage déloyal. Ils peuvent « agresser » une
entreprise tout en restant « intouchables» puisqu’ils ne produisent rien. En tout cas, en
ce qui concerne les patent trolls bruts, ils ne craindraient pas d’être assignés en retour
pour contrefaçon de brevets sur d’autres produits. Lors des négociations en
305
précontentieux, il est en effet fréquent de se défendre en présentant à son tour un
portefeuille de brevets pour lequel le demandeur est lui-même contrefacteur. En ne
produisant pas, le patent troll évite donc de se faire « contre-attaquer ».
Mais surtout, les trolls sont également capables d’assigner et de demander des
licences pour des brevets qui pourraient être eux-mêmes invalidés. A ce propos,
310
certains experts expliquent aussi qu’en plus de se faire attribuer facilement des
licences, les trolls ralentissent, voire empêchent, un grand nombre de produits d’entrer
sur le marché. En effet, certains constructeurs ne veulent pas prendre le risque d’une
action en contrefaçon ou d’une licence non justifiée et par conséquent retiennent leurs
produits20.
315
Ainsi, le patent trolling est une situation difficile à juger puisque l’action du troll
semble protégée par les textes. Ce serait donc plus un problème moral qu’un problème
légal. La loi est alors peut-être mal adaptée à cette situation particulière.
20
Maggie Shiels, Technology Industry Hits Out at „Patent Trolls‟, BBC News, June 2, 2004, at
http://www.msnbc.msn.com/id/6241971/site/newsweek (consulté le 31 août 2006). Et Adam Jaffe of
Brandeis University and Josh Lerner of Harvard Business School, Innovation and Its Discontents: How
Our Broken Patent System Is Endangering Innovation and Progress, and What to Do About It,
Princeton University Press, September 27, 2004.
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B. Que reste-t-il du débat ?
Le débat sur les patent trolls va au delà de la simple question légale. En effet, il
nous amène à nous poser des questions sur les fondements même du droit des brevets
320
(1) et à se demander si compte tenu du contexte décrit plus haut il ne faudrait pas
commencer par lutter contre ces abus (2).
1. Interrogation sur la notion de Propriété
a) Une propriété d’un genre spécial
On peut distinguer trois buts originels au brevet d’invention. Le brevet était conçu
comme une protection de l’invention pour : pousser l’inventeur à continuer à inventer,
325
encourager l’inventeur à dévoiler son invention au public, et pour encourager les
entreprises à investir dans l’innovation.
Les textes considèrent le droit des brevets comme un droit de propriété ayant pour
objet une invention. L’objet du brevet est donc une chose immatérielle. Le droit des
brevets étant un droit de propriété, le propriétaire sera investi des mêmes prérogatives
330
que si la chose était matérielle. Les principales manifestations de ce droit sont l’usus,
le fructus et l’abusus. Aussi, la situation est semblable à celle du propriétaire d’un
appartement qui peut l’habiter, le louer, ou le vendre. Ainsi, le titulaire du brevet
pourra utiliser l’invention pour lui-même, autoriser ou interdire à d’autres de
l’exploiter, et enfin il pourra céder ses droits sur l’invention. Si cette conception du
335
droit de propriété a été fortement critiquée du fait du caractère immatériel de son
objet, beaucoup sont aujourd'hui d’accord pour considérer ce droit comme un droit de
propriété classique.
En revanche, on ne peut nier que l’abusus pose dès le départ une difficulté dans le
sens où le propriétaire du brevet est tributaire du paiement de taxes. Lorsque le
340
titulaire ne les paie plus, il perd son droit, et cela est alors considéré comme un
abandon des droits de propriété. Cela démontre donc que le brevet ne peut être ramené
au schéma classique des droits de propriété. Nous avons donc une propriété d’un
genre spécial.
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Ce caractère singulier est confirmé dans la contrepartie qui s’impose au propriétaire
345
des droits. En effet, le titulaire du brevet doit rendre public son invention. Par la
publication du brevet, la connaissance de l’invention ne lui est plus exclusive. On est
donc bien loin de la conception classique du droit de propriété.
D’autre part, la particularité de ce droit est son caractère intellectuel. En effet, le fait
générateur d’une invention est issu du cerveau de son inventeur. L’intelligence
350
humaine est donc directement à l’origine de la création. Ainsi, le lien entre l’inventeur
et l’invention est extrêmement fort. Le législateur reconnaît d’ailleurs ce lien comme
inaliénable ; c’est ce qu’on appelle les droits moraux. Mais cette théorie des droits
moraux serait en opposition avec le concept même de propriété. En effet, on pourrait
aliéner ses droits de propriété sur l’invention, mais pas ses droits moraux. Il est
355
difficile d’y trouver une logique ; pourtant, aujourd’hui, personne ne semble vouloir
remettre en cause ces conceptions fondamentales du droit des brevets, et ce schisme
qui tourne autour de l’invention semble être accepté par tous.
b) L’abusus en question
On avait donc enterré ses vieilles rancœurs sur la nature même des droits portant sur
les créations immatérielles. Mais, le débat sur les patent trolls semble tout à coup
360
réveiller ces polémiques. En effet, c’est sur la capacité qu’a le titulaire de pouvoir
céder son titre, c'est-à-dire sa capacité à disposer de son invention (l’abusus) que
repose tout le débat. Toutefois personne n’ose en parler. Penser ou imaginer que l’on
puisse toucher aux constructions passées peut paraître audacieux ou même insensé,
mais rien ne nous en empêche. D’ailleurs, le droit de propriété pourrait être vu
365
autrement qu’absolu. Mais serait-il imaginable de ne donner au titulaire du brevet que
certaines prérogatives ?
Les constatations que nous venons de faire nous amène donc à nous poser la
question de savoir si nous pourrions envisager de retirer l’abusus des prérogatives du
titulaire du brevet. Outre, le bouleversement que cela provoquerait, cette réforme
370
nierait les effets bénéfiques de cette prérogative.
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c) L’abusus, une prérogative utile
On voit deux avantages significatifs à la cession du brevet.
Une sécurité indispensable pour les petits inventeurs,
Il suffit d’imaginer un inventeur qui dépose un brevet, mais qui est incapable de
375
développer et de valoriser son invention, ou encore de poursuivre en contrefaçon. En
effet, pour les raisons vues plus haut, le « petit inventeur » n’aurait sans doute pas les
moyens de se défendre en justice.
Ainsi, non seulement, la cession de son brevet permettra au « petit inventeur » de
rentrer dans ses frais, voire de retirer un certain21 profit de son investissement, mais en
380
plus de cela, elle pourra lui donner satisfaction lorsque le cessionnaire agira en justice
à sa place.
Dans ce sens, la cession de brevet par un « petit inventeur » serait une assurance de
pouvoir s’en sortir et de gagner un juste prix pour pouvoir rembourser ses efforts et
continuer à inventer. La possibilité de céder sa propriété intellectuelle serait
385
finalement un encouragement à l’innovation.
Un écran politique pour les grandes entreprises
On imagine ici une grande entreprise qui ne souhaite pas être connue de ses
concurrents comme défendant ses brevets. Elle céderait ainsi ses brevets à une
seconde entreprise plus discrète, qui attaquerait et défendrait les brevets cédés. Ainsi,
390
la première entreprise utiliserait une sorte d’écran pour agir contre ses concurrents.
Finalement, l’abusus trouve une place justifiée dans les prérogatives du titulaire, et
on ne pourrait envisager son retrait pour le moment.
« Il n‟est de véritable richesse que mobilisable. C‟est la possible circulation du
395
bien dans le circuit économique qui, en dernière analyse, lui conférera sa réelle
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valeur » écrivait Michel Vivant à propos des brevets22. Les trolls n’ont sans doute pas
tous lu Monsieur Vivant, mais ils ont bien réalisé que le brevet était une richesse sur
laquelle ils pouvaient spéculer. Or, c’est cette spéculation de brevet qui pose
justement problème en matière d’éthique des affaires. Pourtant, le législateur a lui
400
même décidé de permettre cette cession en donnant au titulaire toutes les prérogatives
du propriétaire. Or, en faisant cela, il permettait implicitement la spéculation sur titre.
Dès lors, est-il légitime de sanctionner la personne qui achète un brevet dans le seul
but de recevoir des revenus ? Il semble que non.
2. La recherche de solutions
Finalement, il ne nous reste plus beaucoup d’arguments à la charge des patent trolls.
405
Aussi, il serait nécessaire de redéfinir la notion de patent trolling plus strictement (a).
A partir de là, nous étudierons les solutions au nouveau problème donné (b).
a) Une nouvelle définition
Comme nous venons de le dire, il serait sage de redéfinir la notion de patent troll.
En effet, depuis son premier emploi avec Peter Detkin, les esprits se sont sans doute
un peu trop égarés pour en arriver à critiquer ce qui est par nature autorisé par la loi.
410
Si on veut critiquer l’entité qui achète des bons brevets dans l’unique but de les
valoriser, il faudrait remettre en cause le système des brevets en tant que tel. Mais
nous le savons trop bien, ce système, même s’il est dur à accepter qu’une autre
personne que l’inventeur puisse bénéficier de l’invention, la valoriser, et surtout la
défendre, a beaucoup d’avantages et finalement encourage l’innovation et le progrès.
415
Aussi, nous redéfinissons ici restrictivement la notion de patent troll comme l’entité
qui profite des sommes excessives demandées par les cabinets d’avocats pour
valoriser leurs brevets. Le fait que ces brevets n’auraient jamais dû être déposés en
serait une circonstance aggravante.
21
“certain“ car cela dépendra de sa capacité à pouvoir négocier avec l’acheteur. S’il se débrouille bien
il peut faire monter les enchères.
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b) Les solutions
420
En droit européen, le droit des brevets et d’une manière générale le droit de la
propriété industrielle, constitue une exception au principe général de libre circulation
des biens et des marchandises. Cette exception est légitime mais doit être interprétée
de manière stricte. Le droit français semble avoir conscience de ce problème et dans
un avis du 9 novembre 2005 suivant un jugement du TGI de PARIS du 26 janvier
425
2005, le Conseil de la Concurrence a jugé que l'utilisation de brevets dont la validité
est incertaine dans l’intention de nuire à son concurrent était abusive. L’entreprise
LUK avait engagé une action en justice à l'encontre de VALEO sur la base de
demandes de brevet européennes non encore délivrées. Or, pour éviter le rejet de
celle-ci, dont l'activité inventive était mise en cause, LUK avait déposé des demandes
430
divisionnaires avant le rejet des demandes en cours d'examen, de façon à maintenir
l'action judiciaire pendante.
Etant donc capable de sanctionner ce type d’activité déloyale, le droit français ne
serait-il pas aussi capable de sanctionner le patent trolling par analogie ? De même, le
droit américain serait-il prêt à suivre cette logique ?
435
Il existe une protection en droit américain appelée patent misuse qui permettrait
dans notre cas de sanctionner le titulaire qui valoriserait un brevet alors même qu’il
connaissait sa mauvaise qualité. Entendue comme une limitation des droits du titulaire
du brevet, le patent misuse invoquerait comme le droit français une violation des
règles de concurrence. Le problème reste que, dans un cas comme dans l’autre, il sera
440
souvent très difficile, voire impossible, de prouver que le titulaire avait conscience de
la mauvaise qualité de son brevet.
Le mieux serait encore d’éviter de délivrer des « mauvais brevets ». On pourrait
effectivement envisager des examens plus poussés dans les offices de brevets et plus
spécialement à l’USPTO23. Nous rejoignons ici l’avis de nombreux auteurs et
445
notamment celui des membres du National Academy of Sciences (susvisé) qui
estiment que la solution aux problèmes de trolling consiste à un effort pour éviter la
délivrance de « mauvais brevets ».
22
Michel Vivant, Le droit des Brevets, Connaissance du Droit, 2nd édition, Dalloz, p. 117.
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Mais surtout, il serait nécessaire de revenir sur le fonctionnement et la stratégie des
cabinets d’avocats américains. Les sommes astronomiques demandées découragent
450
beaucoup trop d’acteurs économiques et cela entretient évidemment les trolls dans
leurs actions offensives. Serait-il alors possible de faire baisser les frais d’avocat à un
niveau raisonnable ? Mais cette démesure est sans doute également due à un manque
d’avocats spécialisés en brevet – «tout ce qui est rare est cher» –. Il faudrait donc
encourager les avocats à une spécialisation en propriété industrielle.
455
En définitive, en évitant de délivrer des « mauvais brevets » et en responsabilisant
les avocats, nous serions probablement à même de régler le problème des patent trolls.
Un projet de reforme aux USA suscite aujourd’hui un débat vigoureux, notamment
en ce qui concerne le patent trolling. Ces questions entrent dans le cadre d’une
460
discussion plus générale sur le droit des brevets datant d’une trentaine d’année ; nous
pouvons donc être certain que l’encre continuera de couler pendant encore un temps
certain.
Dans cette optique, nous pourrions par exemple envisager de mettre en place un
système efficace de lutte contre les trolls en imposant une pratique de ses brevets dans
465
des conditions « fair reasonable and non-discriminatory » (FRAND). Ce type d’action
est sans doute le seul moyen de combattre efficacement le trolling à condition d’être
pris en charge par une instance internationale comme l’Organisation Mondiale de la
Propriété Intellectuelle. Ce type d’opération internationale qui a fonctionné en matière
de Cybersquatting pourrait-il seulement fonctionner avec le trolling ?
23
Une procédure de ré-examen a récemment été mise en place à l’USPTO. Voir notamment le cas RIM.
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Tables des Matières
PATENT TROLL, UN NOUVEAU METIER ...................................................................... 1
SECTION I. L’IDENTIFICATION DIFFICILE DES PATENT TROLLS DANS UN SYSTÈME DE
BREVET ABUSÉ ....................................................................................................................... 2
A. Les définitions du Patent Trolling ................................................................................. 3
1. Origine du terme .................................................................................................... 3
a) Etymologie ........................................................................................................ 3
b) Une expression nouvelle ................................................................................... 3
2. Recherche d’une définition correcte ...................................................................... 4
a) Une définition victime de son succès ................................................................ 4
b) Tentative de définition commune ...................................................................... 4
c) Plusieurs sortes de patent trolls ......................................................................... 5
d) Fonctionnement des patent trolls....................................................................... 5
B. Le contexte : un système de brevet abusé...................................................................... 6
1. La décourageante défense de ses intérêts en justice .............................................. 7
2. L’utilisation de « mauvais » brevets par les patent trolls ...................................... 9
SECTION 2. AVONS-NOUS LES MOYENS DE CONDAMNER LE PATENT TROLLING ? .............. 11
A. Clarification ................................................................................................................ 11
1. Le caractère légal de l’action du troll .................................................................. 11
2. Des licences facilement obtenues pour un investissement mineur ...................... 12
a) Un investissement inexistant à l’origine des droits ......................................... 12
b) Des licences facilement obtenues .................................................................... 13
Peur du procès et soumission aux trolls........................................................... 13
Les patent trolls n’ont rien à perdre ................................................................. 14
B. Que reste-t-il du débat ? ............................................................................................. 15
1. Interrogation sur la notion de Propriété ............................................................... 15
a) Une propriété d’un genre spécial ..................................................................... 15
b) L’abusus en question ....................................................................................... 16
c) L’abusus, une prérogative utile ....................................................................... 17
Une sécurité indispensable pour les petits inventeurs, .................................... 17
Un écran politique pour les grandes entreprises .............................................. 17
2. La recherche de solutions .................................................................................... 18
a) Une nouvelle définition ................................................................................... 18
b) Les solutions.................................................................................................... 19
TABLES DES MATIERES .................................................................................................. 21
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................ 22
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