Du hidjab au sapin de Noël

Transcription

Du hidjab au sapin de Noël
DENIS CHALIFOUR
Édito
La religion à l’école
Du hidjab au
sapin de Noël
oit-on permettre le port du voile à l’école ? Faut-il y
aménager des locaux pour les prières des musulmans, les rencontres des catholiques charismatiques
ou les méditations des bouddhistes ? Devons-nous y
changer les dates d’examen pour respecter la Pâque juive ?
Des questions délicates, opposant souvent les droits individuels
enchâssés dans la Charte des droits et libertés – dont celui de la
liberté de religion – aux droits collectifs de la société civile, basée
sur la séparation des Églises et de l’État et prônant la laïcité. Beau
débat en perspective.
Légiférer ou laisser-faire ?
En France, où les musulmans représentent un fort pourcentage de la population, le gouvernement désire adopter une
loi sur la laïcité interdisant le port, à l’école, de tout symbole
religieux apparent. Un projet de loi qui déchire la société
française et qui, au Québec, a été rejeté par la plupart des
éditorialistes.
Le Québec devrait-il se préoccuper de cette question ?
Le défi est de taille. Et dépasse largement les questions
d’ordre logistique, ainsi que nos frontières. La mondialisation
en cours sacrifiera-t-elle la diversité ? Dans le village global
de demain, les humains porteront-ils tous le même habit, en
honorant le même dieu, dans la même langue ? Ce défi d’une
mondialisation à visage humain constitue le véritable enjeu
soulevé par ces questions. Est-il possible alors de trouver des
solutions gagnant/gagnant ? Comment faire en sorte que la
majorité québécoise ait le sentiment d’être respectée dans sa
culture spécifique par ses minorités, sans que ces dernières
ne se sentent dépossédées de la leur ?
Ces questions vont alimenter encore longtemps le débat – à
peine naissant ici – sur la place de la religion à l’école. Pour l’instant, nous ne pouvons que souhaiter que nos universitaires contribuent à la réflexion, en y apportant une attitude positive,
ouverte, et une démarche rationnelle.
Quelques pistes de réflexion
Trois grandes préoccupations mériteraient l’attention de nos
chercheurs, intervenants et décideurs dans la recherche d’une
troisième voie, capable de concilier la Charte des droits et la
société civile, et de conjuguer l’affirmation de soi avec le
respect de l’autre.
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• La culture québécoise est marquée par la religion
chrétienne
Penser pouvoir échapper au rituel de Noël constitue, au
Québec, une quasi-impossibilité existentielle ! Ce trait socioreligieux de notre culture, marquée par la religion chrétienne,
comment pouvons-nous l’assumer et le faire accepter par les
immigrants que nous accueillons ? Est-ce que la culture de la
majorité prime toujours sur celle des minorités? À titre d’exemple,
certaines écoles ont interdit de chanter des cantiques de Noël
en classe. Pourtant, ne s’agit-il pas là d’un important rituel
culturel ? En chantant « Les anges dans nos campagnes » avec
leurs copains de classe, les nouveaux arrivants – sans renier
leur foi – ne s’intègrent-ils pas plutôt à leur nouvelle communauté d’appartenance? Doit-on vraiment parler « d’arbre
de joie » plutôt que de « sapin de Noël » pour être politiquement correct ?
• L’école n’est pas un lieu de culte
Réaffirmer que l’école publique, qu’elle soit de niveau collégial ou universitaire, n’est ni une synagogue, ni une mosquée,
ni une église, semble aujourd’hui problématique. L’enseignement qu’on y offre est non confessionnel, non discriminatoire
et universel, sauf pour les institutions privées, qui demeurent
toutefois financées en bonne partie par le gouvernement du
Québec.
• L’accommodement raisonnable
La tolérance est une bien belle vertu, qui n’est pas étrangère
à cette culture québécoise teintée de philosophie chrétienne.
Port du voile, de la kippa ou du crucifix ? Ces décisions
devraient-elles demeurer du ressort de la direction des établissements ? Qui d’autre pourrait décider en fonction des
sensibilités et des demandes des différentes clientèles ?
L’accommodement raisonnable est un principe qui repose sur
la bonne volonté des deux parties en cause. Il stipule que nous
pouvons nous entendre sans devoir recourir systématiquement
aux tribunaux pour trancher (en Ontario, on pense même instituer un tribunal islamique, pour les affaires matrimoniales !). Les
partisans religieux accepteront-ils, par respect pour la culture de
cette société qu’ils ont choisi d’intégrer, de ne pas recourir aux
tribunaux à chaque fois qu’ils ne pourront pratiquer leur culte à
l’école ?
En clair, peut-on chanter Noël en classe, devant un beau sapin,
tout en portant le hidjab ?
Les temps sont peut-être mûrs pour tenir – sereinement – un
débat public sur la question.
Serge Cabana
Éditeur
RÉSEAU / HIVER 2004