Néphrologie 2004 - Vol 25 N°7
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Néphrologie 2004 - Vol 25 N°7
Place des fibres alimentaires dans la prise en charge nutritionnelle de l’insuffisance rénale chronique H. Younes, J.-Cl. Alphonse et P. Deteix Service de néphrologie, Unité d’hémodialyse adulte, Hôtel Dieu, CHU de Clermont-Ferrand Durant les dernières décennies, l’impact de la nutrition en insuffisance rénale chronique (IRC) a été bien étudié. Bien que la majorité des essais visant à traiter l’urémie ait concerné l’apport protéique, l’utilisation d’une nouvelle approche diététique basée sur les fibres alimentaires (FA) n’a quasiment pas été explorée. Et pourtant, les FA peuvent induire les mêmes effets hypourémiants que les régimes hypoprotéiques mais sans leurs inconvénients. Nos résultats montrent, en effet, qu’il est possible, lorsque le régime alimentaire est enrichi en FA, d’accroître l’excrétion de l’N par la voie fécale tout en diminuant son élimination dans les urines, avec en parallèle une baisse significative de l’urémie. Cet effet est largement expliqué par le transfert de l’urée plasmatique vers le gros intestin où elle est dégradée par l’uréase bactérienne produisant ainsi de l’ammoniac nécessaire à la prolifération de la microflore colique qui sera éliminée par la suite définitivement dans les selles. Cette nouvelle approche diététique s’avère intéressante et efficace en cas de déficience rénale expérimentale, mais aussi chez des patients souffrant d’IRC. D’autres investigations sont actuellement en cours afin d’étudier les éventuels effets néphroprotecteurs des FA ainsi que leurs effets sur la tolérance tardive au stade préterminal de la maladie. Une partie de ces travaux a été financée par la Société française de néphrologie. During the past few decades, considerable attention has been given to the impact of nutrition on kidney disease. Although most dietary attempts to treat chronic renal failure (CRF) and to decrease uremia recommend a protein restriction, another dietetic approach, based on dietary fibers (DF), can lead to the same urealowering effect by increasing urea-nitrogen (N) excretion in stool with a concomitant decrease of the total N quantity excreted in urine. In fact, feeding DF results in a greater rate of urea N transfer from blood to large bowel, where it will be hydrolyzed by bacterial ureases before subsequent microflora metabolism and proliferation. Because elevated concentration of serum urea N have been associated with adverse clinical symptoms of CRF, these results suggested a possible usefulness of combining DF with a low protein diet to increase N excretion via the fecal route. These results have been shown in animal models of experimental renal failure and in CRF patients. Further investigations in this population of patients are currently in progress to study whether DF may be beneficial on CRF progression and on CRF terminal stage tolerance. A part of this work is financed by the French Society of Nephrology. Mots-clés: Fibres alimentaires – Microflore colique – Fermentations – Insuffisance rénale chronique – Urémie – Elimination azotée. Key words : Dietary fibers – Colonic microflora – Fermentations – Chronic renal failure – Uremia – Nitrogen excretion. ■ Introduction faibles que ceux habituellement pratiqués (environ 5 ml/min vs 10-15 ml/min).6 Toutefois, l’intérêt que suscitent ces régimes ne doit pas faire oublier leurs inconvénients, en particulier sur le risque de dénutrition calorico-protéique, cette dernière comptant au nombre des facteurs de mauvais pronostic ultérieur. Du point de vue physiologique, il existe deux voies pour éliminer les déchets azotés : une voie principale rénale et une voie secondaire digestive. C’est ainsi que certains chercheurs ont essayé, en cas d’IRC, de stimuler l’utilisation de la voie digestive en utilisant plusieurs méthodes parfois assez lourdes et difficiles en pratique (notamment la diarrhée provoquée) pour accroître l’élimination de l’azote.7,8 Toutefois, l’utilisation de cette voie pour stimuler l’élimination de l’urée plasmatique par une modification diététique simple à base de fibres alimentaires (FA) n’a quasiment pas été étudiée. En effet, ces dernières peuvent modifier L’évolution de l’IRC dépend de nombreux facteurs et peut être ralentie par des mesures préventives médicamenteuses et/ou diététiques. Ces mesures ont deux objectifs : 1) assurer une néphroprotection et diminuer la pente d’évolution de l’IRC ; 2) assurer une meilleure tolérance au stade préterminal de la maladie et, par ces deux moyens, permettre une prise en charge plus tardive par un traitement palliatif. Les mesures diététiques utilisées actuellement sont basées notamment sur des régimes hypo-protidiques. En effet, de nombreuses études réalisées chez des patients atteints d’IRC permettent de conclure, d’une part, à une réduction de la progression de l’IRC,1-5 et d’autre part, à la possibilité de retarder la prise en charge en dialyse jusqu’à des taux de filtration glomérulaire plus Néphrologie Vol. 25 n° 7 2004, pp. 283-285 283 articles originaux Résumé • Summary profondément la prolifération de la microflore colique via les fermentations et, par conséquent, le métabolisme azoté en stimulant le transfert de l’urée plasmatique vers la lumière du côlon. articles originaux ■ Ce qui est démontré aujourd’hui Depuis une dizaine d’années, nous avons entamé toute une série d’expérimentations dans le cadre d’un programme de recherche qui a comporté quatre phases, à savoir : 1) mise en évidence du mécanisme d’action des FA sur le métabolisme azoté chez des rats normaux ;9 2) étude de l’effet synergique entre un apport élevé en FA et une restriction protéique chez des rats normaux ;10,11 3) étude de l’impact des FA sur un modèle animal d’IRC12-14 et 4) étude clinique chez des patients atteints d’IRC (en cours de publication). La description de cette nouvelle approche diététique ainsi que les résultats que nous avons obtenus ont fait l’objet d’un éditorial publié en 1999 dans l’American Journal of Kidney Disease.15 Brièvement, nos résultats montrent, qu’il est possible grâce à une alimentation enrichie en FA et relativement restreinte en protéines, de réduire significativement la concentration de l’urée plasmatique (d’environ -30%) et que cette baisse est plus marquée chez les rats insuffisants rénaux par rapport aux rats normaux.9-14 De plus, lorsque l’on compare chez les rats insuffisants rénaux un régime sans FA et riche en protéines à un régime enrichi en FA et restreint en protéines, la réduction de l’urée plasmatique peut atteindre 70% (5,9 mmol/l à 1,8 mmol/l).13,14 Nous avons montré également qu’en présence des FA, l’azote éliminé par la voie digestive peut atteindre jusqu’à 50% de l’excrétion totale de l’azote chez les rats insuffisants rénaux. Cette augmentation se fait au détriment de la voie urinaire puisque la quantité totale d’azote éliminée par les deux voies ne change pas lorsque le régime est enrichi en FA.13,14 Il s’agit en fait d’un déplacement des sites d’élimination de l’azote de la voie rénale vers la voie digestive, ce qui pourrait atténuer les conséquences métaboliques du syndrome urémique. A la vue de ces résultats encourageants obtenus chez le modèle animal, nous nous sommes posés la question sur leur transposabilité à l’homme. Ainsi, nous avons décidé de lancer une étude prospective, contrôlée avec une intervention en cross over randomisé (2 x 5 semaines) chez neuf patients insuffisants rénaux chroniques (clearance de créatinine : 22,6 ± 12,2 ml/min ; urémie : 26,1 ± 8,7 mmol/l). L’objectif de ce travail était de savoir si un régime alimentaire enrichi en FA (40 g/j) avec un apport nutritionnel satisfaisant en protéines (0,8 g/kg/j), pouvait entraîner des effets similaires à ceux observés chez le modèle animal. Nos résultats chez l’homme montrent qu’en présence des FA, la quantité d’azote éliminée dans les selles augmente d’environ 50% avec, en parallèle, une diminution de celle éliminée dans les urines. Ce déplacement de l’élimination de l’azote était accompagné d’une baisse significative de l’urée plasmatique (- 23%). Un effet hypourémiant d’autant plus intéressant qu’il se rapproche de celui obtenu avec des régimes restreints en protéines (- 26%),6 et ce sans bouleverser les habitudes alimentaires des patients. Bien qu’il n’existe pas chez l’homme de techniques rigoureuses pour mesurer le flux transcæcal d’urée, nous pensons que les mécanismes mis en jeu par les FA sont proches de ceux observés chez le modèle animal.15 284 ■ Quel est le mécanisme d’action? En fait, les FA sont, par définition, des substrats glucidiques qui échappent à la digestion dans l’intestin grêle et vont donc être dégradées et fermentées dans le gros intestin par la microflore bactérienne. Les fermentations coliques aboutissent à la stimulation de la croissance bactérienne et donc à l’accroissement des besoins azotés pour la synthèse protéique des micro-organismes. De manière générale, et lorsque l’apport en FA est faible, l’azote qui arrive dans le côlon provient principalement des composés d’origine endogène (sécrétions digestives, cellules desquamées, polyamines, urée plasmatique, etc.) et des composés d’origine alimentaire qui sont peu ou pas dégradés dans l’intestin grêle. En revanche, lorsque l’apport en FA, en particulier les plus fermentescibles, est élevé dans l’alimentation, l’azote disponible dans le gros intestin devient insuffisant pour favoriser une croissance bactérienne optimale. Dans ces conditions, nous avons montré que le transfert de l’urée sanguine vers le côlon était fortement stimulé et, par conséquent, cette molécule constituait la source majeure d’azote pour la synthèse protéique bactérienne.9 Le transfert de l’urée plasmatique vers le gros intestin est favorisé, en présence des FA, par l’augmentation de la surface d’échange entre le compartiment sanguin et la lumière colique, par l’augmentation du débit sanguin au niveau du cæcum et par la stimulation de l’uréase, une enzyme membranaire des bactéries permettant la dégradation de l’urée en ammoniac.15 L’ammoniac ainsi produit est utilisé dans la synthèse des protéines bactériennes qui sera définitivement éliminé dans les selles. Parallèlement à cette élimination de l’azote uréique, l’urémie est significativement diminuée entraînant une baisse significative de l’excrétion de l’azote total dans les urines. ■ Que pouvons-nous attendre à l’avenir? Suite à ces travaux, la question est de savoir si les FA peuvent être utilisées en tant que traitement de maintenance de l’IRC en phase préterminale, mais aussi si elles peuvent avoir des effets néphroprotecteurs. Pour cela, nous proposons dans un premier temps une étude, randomisée, en double aveugle (FA vs placebo) chez des patients atteints d’IRC ayant une clearance comprise entre 15 et 30 ml/min (60 patients pour une durée totale de l’étude de trois ans). L’objectif étant d’étudier l’effet d’un traitement de maintenance à base des FA avec surveillance de la fonction rénale et suivi de l’état nutritionnel jusqu’à un stade avancé de l’IRC et, par conséquence, retarder l’échéance de la dialyse. Après inclusion et randomisation, les patients seront partagés en deux groupes : le premier recevra un apport de FA de 15 g/j/patient, alors que le deuxième recevra 15 g/j/patient de placebo. Tous les patients recevront un apport protéique de 0,75 g/kg/j et seront suivis selon le protocole habituel de surveillance des IRC préterminales. Cette étude a été financée par une allocation de recherche de la Société française de néphrologie pour l’année 2002/2003. Elle est actuellement bien avancée avec plusieurs patients qui sont inclus. ■ Conclusion Dans l’ensemble, même s’il est difficile d’apprécier l’efficacité à long terme des mesures diététiques en IRC, le suivi nutritionnel Néphrologie Vol. 25 n° 7 2004 des patients demeure un objectif prioritaire dans la prise en charge et le traitement de cette maladie. Bien que la plupart des pratiques diététiques actuelles soient centrées sur les régimes restreints en protéines, il semble intéressant d’accroître l’apport en fibres fermentescibles chez les patients atteints d’IRC pour leurs effets hypourémiants, mais aussi, comme cela est bien documenté actuellement, pour leurs effets hypocholestérolémiants. En revanche, nous ne possédons pas de données quant aux effets des FA sur la fonction rénale elle-même, que ce soit sur la pente d’évolution de l’IRC ou en tant que traitement de maintenance en phase préterminale. On peut cependant se poser la question de savoir si la déficience rénale ne peut pas être sensiblement allégée si le côlon pouvait assurer l’excrétion d’une partie non négligeable des déchets azotés. Bien entendu, le côlon ne peut pas substituer complètement la fonction rénale et cette voie d’élimination extrarénale ne peut être efficace qu’en l’absence des pathologies digestives. Adresse de correspondance : Dr Hassan Younes Service de néphrologie Unité d’hémodialyse adulte Hôtel Dieu CHU de Clermont-Ferrand F-63003 Clermont-Ferrand [email protected] 3. Levey AS, Adler S, Caggiula AW, England BK, Greene T, Hunsicker LG, Kusek JW, Rogers NL, Teschan PE. 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