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L’allocution de René Lesage 11 novembre 2013 Dans les commémorations de ce jour, une place particulière a été réservée aux résistants de la commune de Lumbres, morts du fait de la répression nazie, qu’ils aient été fusillés, décédés suite aux sévices subis dans les prisons ou qu’elles ou qu’ils ne soient pas rentrés de la déportation. Il s’agit d’une histoire douloureuse, qu’en nos temps actuels alors que ressurgissent quelques vieux démons qu’on aurait pu croire éradiqués avec la tragédie de la Seconde Guerre Mondiale, il est toujours nécessaire de rappeler, dans un travail historien de mémoire. Bien sûr, la commune a eu à déplorer de nombreuses victimes de la guerre, qu’on ne saurait oublier, militaires tués au combat ou disparus dans les camps de prisonniers, victimes des bombardements, déportés du travail et encore massacrés de la Libération : c’est aux résistants que nous nous attacherons dans notre propos, car ces femmes et ces hommes avaient en définitive fait le choix de leur combat. On rappellera tout d’abord que la Résistance à Lumbres fut précoce. Dès l’été 1940, des familles aident et hébergent des soldats britanniques. Un sabotage de fils téléphoniques de la Lufwaffe, le 15 août 1940, provoque l’arrestation d’otages, parmi lesquels François Havet, ce qui va déterminer son engagement à venir. En 1941, il est le relais, au plan local, du réseau d’évasion Garrow Pat O’Leary qui alors s’implante dans le Nord. A la mi-1942, la résistance s’étoffe, se structure, s’organise en profondeur, sur le territoire. C’est le temps où un grand mouvement qu’on appelle l’OCM, touche Lumbres et son canton grâce aux efforts conjugués d’André Constant (ce dernier a le contact avec Raoul François, responsable militaire du dit mouvement pour le département), de François Havet, d’Henri Dacquembronne et de biens d’autres, puisant dans le vivier de celles et ceux qui se sont déjà frottés à la lutte contre l’ennemi ou qui sont désireux de le faire. Le groupe recrute, et Lumbres devient la plaque tournante de l’activité de renseignements, vers laquelle convergent le Calaisis, l’Audomarois et le Boulonnais. Les mêmes hommes se retrouvent bien souvent dans un autre mouvement Voix du Nord qui diffuse le journal clandestin du même nom, qui prêche à la fois l’esprit de la résistance et les valeurs de la République et dont Roger Delannoy, un conseiller municipal, déchu par Vichy, est la cheville ouvrière. Les mêmes hommes s’occupent toujours de l’évasion d’aviateurs qui sont de plus en plus nombreux à être abattus sur notre sol et pour lesquels il faut sans cesse trouver des solutions pour leur évacuation, en utilisant des réseaux aux destins souvent éphémères tels Bordeaux-Loupiac, à l’été 1943, puis Shelburn, un peu plus tard. Dans la deuxième moitié de 1943, le secteur de Lumbres devient une zone sensible pour les Allemands. Si depuis 1940, le carrefour ferroviaire a favorisé l’implantation d’un dépôt de la Kriegsmarine, la ville accueille désormais le poste de commandement du 155e RAA, régiment d’artillerie dont l’objectif est de lancer les futurs V1. Elle devient ainsi l’objet d’une active surveillance. Déjà le 6 octobre 1943, est arrêté par la GFP (Geheime feld Polizei) Roger Delannoy en raison des liens qu’il entretient avec le mouvement Voix du Nord. Transféré à la prison de Loos, il meurt de ses souffrances le 12 janvier 1944. Le groupe OCM de Lumbres est infiltré à la fin de l’automne par deux agents de l’Abwehr IIIF, à savoir Erwin Streif, qui se fait passer pour un agent secret luxembourgeois et sa compagne Clara Gorman. Ceux-ci, promettent monts et merveilles dans le but d’évacuer des aviateurs alliés et parviennent à connaître l’identité de nombreux résistants tant du canton, que d’autres de Calais, de Saint-Omer, de Boulogne, parce qu’ils sont en lien avec François Havet. Le 30 décembre 1943, la GFP 716 d’Arras n’a plus qu’à procéder à la grande rafle dans le commune et sur sur un mode plus modeste Calais (Julien Erhold, Paul Caron), Boulogne (Gaston Demailly) et Saint-Omer (Gustave Chevalier). Vingt personnes sont arrêtées dans la commune, dont onze Lumbrois et certaines d’entre elles qui n’avaient rien à voir avec la Résistance, mais elles se trouvaient par hasard, au mauvais endroit, tant en l’étude de François Havet qu’au café du Bléquin. Quelques interrogatoires musclés, menés tant à Loos qu’à Arras, entraînent d’autres arrestations le 8 janvier 1944. La plupart Lumbrois sont jugés le 26 janvier, à la caserne Schramm d’Arras, par le tribunal du 65e Corps d’Armée, d’on relève le 155e RAA. Certains sont acquittés, mais maintenus en détention et confiés à la Sipo-D, c’est-à-dire la Gestapo. Ainsi Edouard Thomas qui avait pu rentrer chez lui, est arrêté de nouveau le 11 février. Clovis Wallon, qui n’avait pas été jugé est transféré à Fresnes le 4 février et le tribunal du 65e CA qui siège alors exceptionnellement à Paris le condamne à mort. Il est exécuté le 16 février et son corps est inhumé au cimetière d’Ivry. Il n’est pas impossible que François Havet ait connu le même sort, car il disparaît de la documentation après le 24 janvier et on ne retrouve, nulle trace de lui, dans les archives de la déportation. On peut supposer que son corps soit parmi les inconnus du cimetière d’Ivry. Les autres sont déportés le 12 février 1944 et leur parcours va les conduire dans les prisons de Cologne, puis de Mülheim où ils arrivent le 12 mars. Le 2 mai, tous sont pris en charge par la Gestapo de Cologne. Soupçonnés d’activités conte le Reich, on les envoie en camp de concentration pour la durée de la guerre. Ces camps sont répartis en trois catégories, où l’on répartit les déportés selon la perception que les Allemands se font de leurs responsabilités. Ainsi, Henri Dacquembronne peut-être (plus de trace de lui après le 15 janvier) et son épouse rejoignent Auschwitz, un camp de catégorie II. Henri y décède le 2 janvier 1945. Le 9 septembre 1944, son épouse Jeanne avait mis au monde un enfant survit jusqu’au 2 janvier 1945. Les autres Lumbrois gagnent des camps de catégorie I, Ravensbrück pour les femmes où elles arrivent le 22 mai après un passage à la prison de Berlin et Sachsenhausen pour les hommes le 24 mai, après avoir transité par les prisons d’Hanovre et de Hambourg. Toutes et tous subissent dès lors l’enfer concentrationnaire. Depuis quelques mois, les Lumbrois ont certes connu de pénibles conditions pénitentiaires qui s’aggravent d’ailleurs d’un établissement à l’autre, mais celles-ci ne sont rien à côté de l’horreur qui les saisit dès l’entrée au camp. Tant à Ravensbrück qu’à Sachsenhausen, les conditions de vie sont épouvantables : les blocks sont surpeuplés, la nourriture, toujours insuffisante, est généralement immonde ; le travail, durant de très longues heures, est harassant ; on souffre de la faim, du froid, des épidémies qui trouvent un terreau trop favorable de par la promiscuité ambiante. Et la situation ne fait que se dégrader à mesure que l’on s’approche de la fin de la guerre. Cinq semaines après l’arrivée à Sachsenhausen, le 1e juillet 1944, à trois heures quinze minutes, meurt Félix Constant ; âgé de soixante-douze ans, il n’a pu résister longtemps à l’épreuve. Le 3 septembre 1944, arrive au camp un nouveau Lumbrois ou considéré tel puisque son nom figure au monument aux morts : Jean Fauviau, jeune instituteur qui réside à Nielles. Il a été arrêté le 20 juin 1944, en même temps que Pierre Deneuville d’Acquin. Ils sont membres du réseau de renseignement Thésée et déportés par le dernier train de Loos, le 1e septembre, deux jours avant la Libération de Lille. Jean est transféré à Neuengamme le 17 octobre d’où il est dirigé vers le Kommando de Meppen-Versen, près de la frontière hollandaise. Les détenus y sont contraints de creuser des fossés antichars, car la zone est menacée par les Alliés qui s’approchent. Jean y meurt d’épuisement le 3 décembre. Entretemps, à Ravensbrück, est décédée le 19 novembre 1944 Marie Lassalle, née François. Elle était âgée de 67 ans. L’offensive soviétique, déclenchée le 12 janvier 1945, atteint rapidement l’Oder et le 1e février, les autorités SS envisagent l’évacuation du camp de Sachsenhausen et c’est sans doute pour cette raison qu’Edouard Thomas est dirigé vers le camp moins exposé de BergenBelsen, transformé en véritable mouroir et il y décède le 20 février, âgé de 57 ans. Jean Constant, âgé de 37 ans, meurt après le 4 février, peut-être après avoir quitté le camp de Sachso pour une destination inconnue. Gabriel Constant, âgé de 45 ans, frère de Jean, a gagné en février 1945 le commando de Hambourg-Spaldingstrasse, dans une ville exposée aux bombardements alliés. Les déportés y sont contraints à des travaux divers, dont les plus dangereux consistent à déminer les bombes qui n’ont pas explosé. Gabriel meurt le 24 mars 1945 à l’hôpital du camp. En août 1944, Francine Havet et sa mère avaient été transférées au camp féminin d’Oranienburg pour travailler à l’usine Auer qui fabriquait des masques à gaz. Trop malade, Francine revient en janvier 1945 dans son camp d’origine, pour y mourir le 5 mars. Sa mère sera libérée le 22 avril par les Soviétiques. Le 21 avril, Sachsen est évacué et commence alors la terrible marche de la mort, ponctuée de scènes d’horreur où les SS abattent d’une balle dans la tête de plus en plus de détenus au fil des jours. C’est le sort que subit, le 30 avril, Octave Terlat, âgé de 35 ans, dans un lieu qui s’appelle Zippendorf, en Poméranie, près de Schwerin. Le lendemain, 1e mai, mourait André Caron, son compagnon d’infortune, le jour où les Soviétiques achevaient de prendre Berlin. Sur les 20 déportés du canton, arrêtés le 30 décembre, dix ne revinrent pas : deux femmes sur sept (deux Lumbroises sur cinq) et huit hommes sur treize, dont cinq Lumbrois sur sept. De Lumbres sont rentrés Edith Havet, Marie Duwicquet, Suzanne et Pierre Wallon, Georges Wépierre. N’oublions pas non plus que le 30 décembre 1943 ne fut pas le dernier évènement tragique que connut le canton. Du 19 janvier au 20 juin 1944, la répression nazie sévit encore sur Bayenghem, Seninghem, Bléquin et Coulomby, entraînant l’arrestation d’au moins dix personnes : deux hommes furent fusillés le 29 juin 1944, André Gay et Adolphe Piquet ; trois ne revinrent pas de déportation : Marie et Wulmer Mionnet et Pierre Deneuville, le compagnon d’armes de Jean Fauviau. Souvenons nous aussi de la mort de Romuald Ducrocq, tombé au bois de Bayenghem le 4 septembre dans les combats de la Libération. La commune et le canton de Lumbres ont payé un lourd tribut à la cause de la France et de la victoire et le 11 novembre 1948, le secrétaire d’état Max Lejeune, célébra la Résistance locale en décernant à la ville la croix de guerre : " Animée de sentiments patriotiques élevés, la population lumbroise a pris une part active à la Résistance. A conservé durant toute l'occupation une attitude très digne et la volonté constante de nuire par tous les moyens à l'ennemi." On comprendra donc qu’avec le temps qui passe et le risque de l’oubli, il est important de garder en mémoire le sacrifice de ces femmes et de ces hommes, d’où le sens de ce propos dont vous voudrez bien excuser la longueur. Ajoutons que l’expérience tragique des survivants fut longtemps incommunicable, comme la souffrance ineffaçable des familles qui perdirent un ou plusieurs des leurs dans les conditions les plus atroces. Quelque soit leur origine sociale, leur appartenance idéologique ou religieuse, au moment le plus tragique de notre histoire, ces femmes et ces hommes ont donné leur vie et leur souffrance certes pour la défense de la France, mais aussi, face à la barbarie nazie, dont s’était rendu complice le régime de Vichy, pour la défense de ces belles valeurs qui sont celles de la Démocratie, de la République et tout simplement de l’Humanité1. Les victimes résistantes 1 Roger Delannoy (1905-1944) Clovis Wallon (1896-1944) François Havet (1895-1944) Félix Constant (1872-1944) Marie Lassalle (1877-1944) Jean Fauviau (1923-1944) Edouard Thomas (1887-1945) Jean Constant (1908-1945) Francine Havet (1925-1945) Octave Terlat (1909-1945) Cette allocution s’appuie sur diverses sources et je tiens particulièrement à remercier l’ami Laurent Thiéry, historien à la Coupole et spécialiste de la répression allemande.