le songe - La Différence

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le songe - La Différence
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SOR JUANA INÉS DE LA CRUZ
LE SONGE
traduit de l’espagnol (mexique) par jean-luc lacarrière
et présenté par margo glantz
édition bilingue
orphÉe / la diffÉrence
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El sueño
Piramidal, funesta, de la tierra
nacida sombra, al Cielo encaminaba
de vanos obeliscos punta altiva,
escalar pretendiendo las Estrellas;
si bien sus luces bellas
–exentas siempre, siempre rutilantes–
la tenebrosa guerra
que con negros vapores le intimaba
la pavorosa sombra fugitiva
burlaban tan distantes,
que su atezado ceño
al superior convexo aun no llegaba
del orbe de la Diosa
que tres veces hermosa
con tres hermosos rostros ser ostenta,
quedando sólo o dueño
del aire que empañaba
con el aliento denso que exhalaba;
y en la quietud contenta
de imperio silencioso,
sumisas sólo voces consentía
de las nocturnas aves,
tan obscuras, tan graves,
que aun el silencio no se interrumpía.
Con tardo vuelo y canto, del oído
mal, y aun peor del ánimo admitido,
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Le songe
Pyramidale, funeste, de la terre
une ombre née, dirigeait
de vains obélisques la pointe hautaine,
prétendant à l’assaut des Étoiles ;
même si ses lumières belles,
– claires toujours, toujours rutilantes –
la guerre ténébreuse,
que l’ombre vaporeuse et fugitive
de noires vapeurs intimait,
moquaient si distantes
que son noir sourcil
n’atteignait pas encore le convexe supérieur
de l’orbe de la Déesse
qui trois fois belle
montre trois beaux visages,
ne dominant que l’air
qu’elle ternissait
du souffle dense qu’elle exhalait ;
et dans la contente quiétude
d’un silencieux empire,
elle ne consentait que les voix soumises
des oiseaux nocturnes,
si obscures, si graves,
que même le silence ne s’interrompait pas.
D’un vol lourd et d’un chant, par l’ouïe
mal admis, et par l’âme pire encore,
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la avergonzada Nictimene acecha
de las sagradas puertas los resquicios,
o de las claraboyas eminentes
los huecos más propicios
que capaz a su intento le abren brecha,
y sacrílega llega a los lucientes
faroles sacros de perenne llama,
que extingue, si no infama,
en licor claro la materia crasa
consumiendo, que el árbol de Minerva
de su fruto, de prensas agravado,
congojoso sudó y rindió forzado.
Y aquellas que su casa
campo vieron volver, sus telas hierba,
a la deidad de Baco inobedientes,
–ya no historias contando diferentes,
en forma sí afrentosa transformadas–,
segunda forman niebla,
ser vistas aun temiendo en la tiniebla,
aves sin pluma aladas:
aquellas tres oficiosas, digo,
atrevidas Hermanas,
que el tremendo castigo
de desnudas les dio pardas membranas
alas tan mal dispuestas
que escarnio son aun de las más funestas:
éstas, con el parlero
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la honteuse Nyctimène1 épie
les fentes des portes sacrées,
ou des hautes claires-voies
les failles les plus propices
à lui ouvrir la brèche souhaitée,
et sacrilège parvient aux brillantes
lanternes à la flamme éternelle
qu’elle éteint, sinon infâme,
consumant en liquide clair
l’huile que l’arbre de Minerve
de son fruit, de presses écrasé,
dans la peine sua et rendit sous la force.
Et celles qui virent leur maison
changée en terre, leurs tissus en herbe,
à la déité de Bacchus inobéissantes
– ne racontant plus maintenant différentes histoires
mais transmuées en forme ignominieuse –
forment une brume seconde,
craignant même dans les ténèbres d’être vues,
oiseaux sans plumes ailés :
ces trois officieuses, dis-je,
Sœurs effrontées
que le terrible châtiment
affubla de nues et sombres membranes,
d’ailes si informes qu’elles sont l’objet
des railleries des oiseaux les plus funestes :
celles-ci, avec Ascalaphos, le rapporteur
1. Dans la mythologie grecque, Nyctimène est la fille du roi de
Lesbos, Épopée. Elle était si belle que ce dernier se prit de passion pour
elle et la viola. Nyctimène, honteuse, alla se cacher dans une forêt où
elle fut transformée en chouette par Athéna.
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ministro de Plutón un tiempo, ahora
supersticioso indicio al agorero,
solos la no canora
componían capilla pavorosa,
máximas, negras, longas entonando,
y pausas más que voces, esperando
a la torpe mensura perezosa
de mayor proporción tal vez, que el viento
con flemático echaba movimiento,
de tan tardo compás, tan detenido,
que en medio se quedó tal vez dormido.
Éste, pues, triste son intercadente
de la asombrada turba temerosa,
menos a la atención solicitaba
que al sueño persuadía;
antes sí, lentamente,
su obtusa consonancia espaciosa
al sosiego inducía
y al reposo los miembros convidaba,
–el silencio intimando a los vivientes,
uno y otro sellando labio obscuro
con indicante dedo,
Harpócrates, la noche, silencioso;
a cuyo, aunque no duro,
si bien imperioso
precepto, todos fueron obedientes–.
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ministre de Pluton, désormais
superstitieux indice pour l’augure,
formaient un chœur
silencieux effrayant,
maximes, noires, longues entonnant,
et plus que des voix des pauses, attendant
la lente mesure paresseuse
peut-être accrue, que le vent
marquait d’un mouvement flegmatique,
d’un compas si lent, si posé,
qu’entre deux notes peut-être il s’endormait.
Ce triste son, donc, inconstant
de la tourbe craintive assombrie,
sollicitait moins l’attention
qu’au sommeil il ne persuadait ;
bien plus, lentement,
son obtuse consonance flegmatique
à la quiétude induisait
et au repos les membres conviait
– la nuit, Harpocrate1 silencieux,
d’un doigt péremptoire sur la lèvre obscure
intimant l’un et l’autre
le silence aux vivants ;
à ce précepte, léger,
bien qu’impérieux,
tous obéirent –.
1. Dans la mythologie égyptienne, Har-pa-khrat, qui signifie « Horus
l’enfant », est le dieu enfant, né d’Isis et d’Osiris. Les Grecs qui en ont
fait Harpocrate voyaient en lui le dieu du silence, parce qu’il est souvent
représenté le doigt à la bouche en un geste enfantin.
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© SNELA La Différence, 30, rue Ramponeau, 75020 Paris, 2014,
pour la traduction en langue française et la préface.
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