L`irrédentisme targui en question au Mali et sa dimension

Transcription

L`irrédentisme targui en question au Mali et sa dimension
TRIBUNE n° 493
L’irrédentisme targui en question
au Mali et sa dimension
sécuritaire régionale
Mohamed T.F. Maiga
Politologue (Mali).
J
e commencerai mon propos par un emprunt au Livre blanc sur la Sécurité et la
Défense nationale français qui identifie un « arc de crise » qui va de l’Atlantique
à l’océan Indien et recense de fait un certain nombre de pays en conflits. Le
constat qui se dégage de la nouvelle donne géostratégique montre à suffisance
qu’au Maghreb, au Machrek aussi bien au Sahel qu’au Sahara, la menace de déstabilisation des États et de remise en question des souverainetés territoriales et nationales pèse de tout son poids sur notre présent et notre futur immédiat.
Les frontières héritées de l’empire colonial deviennent mouvantes sinon
poreuses et avec elles la dure mise à l’épreuve des souverainetés territoriales ou
nationales. La référence des relations internationales qu’est le territoire étatique
est menacée et on observe la multiplication des espaces de « non-droit » où l’État
n’intervient plus et où son contrôle disparaît.
Un regard géopolitique sur la région sahélo-saharienne à la lumière de la
récente crise au Mali et celle de l’intervention française nous renvoie d’une part à
la vulnérabilité des régimes sahéliens, d’autre part au fait que le Sahel est au cœur
des préoccupations des grandes puissances qui voient dans cet immense territoire
un enjeu décisif de sécurité.
Dans cette configuration, à quelle approche géopolitique nous renvoie,
avec le cas spécifique du Mali, la problématique des contentieux territoriaux dans
la bande sahélo-saharienne dont nous tentons ici, à l’aune des enjeux sécuritaires,
de réévaluer le statut géostratégique ? Il s’agit de revisiter la question de l’irrédentisme targui à l’échelle de l’espace sahélo-saharien et d’évoquer ses incidences en
matière de sécurité régionale.
Cette réflexion porte d’une part sur la problématique identitaire targuie
dans le conflit au Nord du Mali et sa dimension régionale, et d’autre part sur les
enjeux de sécurité liés à cette problématique.
www.defnat.fr - 12 mars 2014
1
La problématique identitaire targuie dans le conflit au Nord du Mali
et sa dimension régionale
Au Mali, des combattants touareg, au nom d’une « libération de l’Azawad »,
ont engagé une lutte armée pour, selon eux, leur droit à l’autodétermination.
La profondeur historique
Si l’on considère la question du peuplement targui par rapport à l’histoire,
il est rappelé que les Touareg seraient un segment du peuplement originel du
Sahara, du Maghreb et de l’Afrique du Nord. Ils seraient issus des populations berbères nomades du groupe des peuples libyco-berbères désignés dans l’Antiquité
sous diverses appellations : Gétules chez Strabon, Garamantes chez Hérodote,
« Barbares » dans les textes romains. C’est sur cette antériorité historique que les
activistes touarègues entendent fonder une légitimité pour invoquer et justifier des
revendications politiques contemporaines.
Dans la mesure où les limites et les découpages des possessions africaines
découlèrent selon le cas, soit des intérêts des métropoles et des traités (notamment
celui de Berlin de 1885, la Convention franco-anglaise sur le Sahara et le Soudan
de 1899, l’Entente cordiale France-Grande-Bretagne de 1904, l’Accord francoallemand sur le Maroc de 1911), soit des rapports de force établis entre elles,
l’administration coloniale légua des frontières inadaptées à l’ensemble des États de
l’Afrique contemporaine. Afin d’éviter l’embrasement généralisé du continent,
l’Organisation de l’unité africaine (OUA) consacra par la résolution du Caire
de juillet 1964 le principe d’un uti possidetis africain pour souligner le caractère
hautement belligène de toute tentative de redécoupage.
Pour les États de la zone saharo-sahélienne, outre l’éloignement des centres
de décision situés très au sud du Sahara, l’héritage comportait, entre autres,
des frontières qui entravaient le mode de vie nomade et ignoraient la répartition
spatiale des ethnies. Il résulte de tout cela qu’il n’existe pas d’État touarègue. Et les
États nés de l’indépendance sont dirigés par des non-Touareg.
La France, pour sa part, avait conçu, dans les années 1950, le projet d’une
Organisation commune des régions sahariennes, l’OCRS. L’Assemblée nationale
créa celle-ci par une loi adoptée le 10 janvier 1957. Cette instance, destinée à définir et conduire une politique commune à l’ensemble du « Sahara français », devait
englober les départements sahariens d’Algérie (des Oasis et de Saoura, créés en
août 1957), les régions saharo-sahéliennes du Soudan (devenu le Mali, en 1960),
du Niger et du Tchad. Dès février 1959, le champ fut restreint aux seuls départements algériens car le statut d’autonomie des territoires d’Afrique subsaharienne
adopté en 1956 interdisait d’interférer dans l’administration de leur bande saharosahélienne. L’entreprise fut rejetée par le FLN qui, conformément à la ligne définie au Congrès de la Soummam, en octobre 1956, refusait toute amputation du
2
TRIBUNE
territoire de l’Algérie indépendante pour laquelle il combattait. Cette dernière
devait recouvrir l’ensemble des territoires de l’Algérie coloniale.
Tandis que certains Touareg approchaient (en vain) le FLN pour lutter en
commun pour leurs indépendances respectives, des chefs des grandes fédérations
avaient écrit, en 1960, au président de la République française une lettre destinée
à demander un statut politique au sein de l’OCRS. Elle disait : « Puisque vous quittez le pays touareg, rendez-nous notre bien tel que vous nous l’avez arraché [...]
Nous ne voulons pas que les Noirs ni les Arabes nous dirigent […] Puisque
l’indépendance s’annonce et que vous la donnez, alors nous les Touareg nous voulons nous diriger nous-mêmes et rassembler notre société tout entière là où elle se
trouve, dans notre pays. Nous voulons que notre pays soit un seul pays ». Mais leur
appel demeura sans écho. L’OCRS constitue encore, aujourd’hui, la référence
nourrissant l’espérance d’un État touarègue. Elle alimente aussi, de la part des dirigeants et populations subsahariens, les procès d’intention sécessionniste au profit
de la France.
En tout état de cause, la doctrine du droit des peuples à disposer d’euxmêmes relève de la modernité politique et une telle revendication ne peut reposer
uniquement sur des arguments historiques. Les opposants à cette revendication ont
tôt fait de souligner que les Touareg ne sont pas les héritiers d’une forte et ancienne
tradition étatique et qu’il y a même opposition entre la notion d’État et le phénomène nomade. En tout état de cause, un État touarègue est difficile à envisager en
raison de l’hostilité des « États du pourtour » à une telle solution politique, mais
aussi du manque de masse critique et d’unité du côté des Touareg. Au Nord-Mali
même, les Touareg sont en situation minoritaire et l’on a vu les divisions qui les
parcourent. Tribus, clans et sous-clans semblent avoir plus de substance politique
qu’une notion de peuple.
La dimension régionale
Au-delà, un constat s’impose : l’aire géographique du peuplement touarègue dépasse le Nord-Mali et déborde sur le territoire des États voisins, dont le
Sahara algérien. La situation de chaos que le Mali a connu du fait de la guerre au
Nord du pays n’est pas le seul fait du Mali ; mais de la région sahélo-saharienne
tout entière. Berbères en partie « négrifiés », les Touareg occupent le Sahara central
où ils commencèrent à s’infiltrer à partir du Xe siècle. Ils voisinent d’autres grands
groupes nomades, les Maures à l’Ouest et les Toubous à l’Est.
Dans le cas particulier de la confrontation armée en cours au Mali, cette
crise au Nord du pays ne peut être qu’à dimension régionale. Elle s’explique, sur le
plan des causalités, par des facteurs multiples. Qu’il s’agisse des rapports entre pouvoir central et communautés au sein d’un État à cheval sur la zone Sahara-Sahel,
d’une part et la zone nigéro-soudanienne, d’autre part ; ou qu’il s’agisse des spécificités ethnoculturelles ou des modes de vie nomade et sédentaire ; ou même de la
3
biogéographie et des contraintes inhérentes aux milieux arides et à la fragilité de
leurs écosystèmes. Tout cela interagit et doit être pris en compte.
Il semble surtout important de bien conserver à l’esprit que l’ensemble
Sahara-Sahel est un espace géographique non réparti entre des territoires stricto
sensu, c’est-à-dire des surfaces homogénéisées par des États et délimitées par des
frontières linéaires.
Ceci explique que la question malienne traverse aujourd’hui tout l’arc sahélien qui va de la Mauritanie à la Somalie et que la proclamation de l’indépendance
du Nord du Mali par le MNLA ne puisse laisser indifférents les États voisins et
ceux d’au-delà. D’autant que celle-ci intervient après trois autres soulèvements au
cours de ces dernières décennies.
Parmi les éléments de causalité, il y a lieu de souligner un facteur déclenchant : les événements de 2011 et 2012 en Libye qui expliquent en partie cette
situation, avec notamment le retour des Touareg ayant servi dans la « Légion islamique » en Libye. De fait, le retour des éléments touareg employés comme mercenaires en Libye, avec armes et bagages au propre comme au figuré, passe pour en
être la cause immédiate. Par rapport à la Libye, il serait bon de rappeler qu’en
matière de politique extérieure, le « Guide » est passé du nassérisme et du panarabisme au panafricanisme, après avoir cherché à promouvoir les « États-Unis du
Sahara ». C’est dans une telle perspective qu’il a un temps apporté son soutien au
Polisario avec en arrière-plan le principe d’une remise en cause des frontières
induites par l’idée d’« États-Unis du Sahara ». Ses revendications sur la bande
d’Aouzou, au détriment du Tchad auraient également en partie souscrit à ce schéma
de recomposition. Avec la disparition du « Guide », la Libye est aujourd’hui, ellemême, confrontée à de graves problèmes internes avec de multiples forces centrifuges que l’issue de la guerre de 2011 a mis en évidence, comme la polarité entre
la Tripolitaine et la Cyrénaïque, tandis que le Fezzan est tourné vers l’ensemble
Sahara-Sahel dans cet ensemble politique, constitué à l’époque coloniale par l’Italie
après en avoir écarté l’Empire ottoman.
En ce qui concerne l’Algérie, il y a lieu de souligner que dans sa partie méridionale, elle partage 1 300 km de frontière avec le Mali. Il est aisé, à cet égard, de
comprendre qu’elle ne soit guère favorable à la désintégration du Mali et à l’indépendance de l’« Azawad » qui constituerait pour elle un précédent dangereux du
fait des similitudes. L’Algérie considère plutôt ces espaces sud-sahariens comme
une sorte de glacis en avant de ses frontières, vis-à-vis des problématiques de
l’Afrique subsaharienne. En repoussant le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) aux confins Sud de l’Algérie, à l’issue de la guerre civile entre
militaires et islamistes au cours des années 1990, de fait, une partie des problèmes
géopolitiques internes algériens ont été exportés dans ces espaces. Car, il faut
rappeler que le GSPC est à l’origine d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Par ailleurs, la diplomatie algérienne a des relations plus ou moins étroites avec les
4
TRIBUNE
différents mouvements touareg et se pose en intermédiaire entre ceux-là et
Bamako. À plusieurs reprises, cette diplomatie a joué les bons offices, tout en ayant
accueilli nombre de Touareg repoussés plus au Nord par l’armée malienne. Ainsi,
l’actuel chef d’Ansar Dine est-il un Touareg du Mali qui a grandi à Tamanrasset
avant d’être l’un des chefs de l’insurrection des années 1990.
Les enjeux de sécurité liés à la problématique identitaire targuie
La superposition des cartes montre clairement que la zone d’action
d’AQMI recouvre approximativement celle peuplée par les Touareg. Ce qui contribue à rendre la menace irrédentiste plus complexe. Car, c’est bien à l’initiative
d’une entité terroriste islamiste algérienne, le GSPC (intégré en 2007 dans la nébuleuse Al-Qaïda sous l’appellation AQMI) que les violences se multiplièrent dans
l’espace saharo-sahélien à partir de 2003. Il donna naissance à cette organisation
criminelle qui contrôle un espace géographique propice devenu un véritable sanctuaire dédié aux activités illégales au cœur d’un immense désert.
L’espace géographique où AQMI et les rebelles touareg mutualisent leurs
moyens s’insère dans un espace gigantesque : le Sahara qui couvre 8 000 000 km2
auxquels il convient d’ajouter les 3 000 000 km2 du Sahel. Ces contrées, comparables en cela à des étendues maritimes, se montrent difficilement contrôlables.
Les groupes armés non étatiques tels que AQMI, Ansar Dine, Mujao, MNLA et
autres franchisés du terrorisme transsaharien, en utilisent une partie, d’autant que
la configuration du terrain leur offre de multiples avantages.
Contrairement à une idée commune, les dunes n’occupent que 20 %
du territoire du Sahara. La majeure partie de ce désert se compose de plateaux
profondément entaillés et percés de multiples grottes ainsi que de massifs montagneux aux altitudes certes relativement modestes ; mais, dont le point culminant,
l’Emi Koussi, au Tchad, s’élève à 3 415 m, tandis que plusieurs sommets du
Hoggar avoisinent les 3 000 m.
En ce qui concerne ces groupes armés, leur force réside dans leurs capacités tenant à la fois de la mobilité et de la furtivité. L’espace saharo-sahélien est propice au camouflage de petits groupes mobiles et leur offre une multitude de refuges
et de sites de repli quasiment inexpugnables. Or, de l’avis de Patrice Gourdin, l’une
des règles de la guerre dans le désert stipule que « la rébellion doit avoir une base
inattaquable, un lieu à l’abri non seulement d’une attaque ; mais de la crainte d’une
attaque ». Et de souligner : « La reconnaissance aérienne devient aléatoire et l’accès
aux colonnes motorisées s’avère impossible. Ces avantages tendent à étayer l’information selon laquelle AQMI aurait son sanctuaire dans la région montagneuse du
Timétrine, au Nord-Ouest de l’Adrar des Ifoghas, au Mali. Cela gêne considérablement le repérage d’unités armées mobiles réduites et/ou celui d’otage(s), ainsi que
toute action militaire. D’autant que le contrôle des points hauts offre d’excellents
5
postes d’observation d’où détecter toute colonne gouvernementale en mouvement.
Bref, il paraît difficile de réussir une opération surprise, terrestre et/ou héliportée ».
Plus généralement, l’administration, la surveillance et le contrôle de ces
contrées excèdent les possibilités des États pauvres et instables dont elles font juridiquement partie. Les déplacements et les trafics s’en trouvent très difficilement
contrôlables, notamment aux confins Algérie-Libye-Niger-Mali, où opère et stationne AQMI.
Les cartes des frontières le montrent à l’envi : le domaine saharien à coup sûr,
voire le domaine sahélien dans certains cas, est périphérique pour tous les États, à
l’exception de la Mauritanie. Cela tient largement à l’absence endémique de sécurité
dans ces régions, mais en retour, cela entretient, voire amplifie l’insécurité.
L’espace saharo-sahélien ressort comme celui de la marginalisation, de la
paupérisation et de la rébellion. Faute de moyens comme de réelle volonté politique, les États ne parviennent pas à y établir leur autorité et à y faire régner la loi
et l’ordre. Ajoutons la scissiparité des mouvements armés, processus camouflant,
en partie au moins, des rivalités pour contrôler des territoires et des routes utilisés
pour la contrebande et pour bénéficier des programmes accompagnant les accords
de pacification. Le destin de l’espace saharo-sahélien dans lequel évolue AQMI est
vécu de manière contradictoire par les locaux, ce qui offre aux djihadistes un vaste
champ de manœuvre politique.
Dans ces conditions, les dirigeants maliens ou nigériens ne pouvaient guère
être contredits lorsqu’ils imputent à des acteurs locaux touareg des activités criminelles de droit commun et un soutien à AQMI. Nul n’est, en fait, épargné par ces
soupçons de criminalisation du politique dans la région. C’est ainsi que l’épisode
rocambolesque de “Air-Cocaïne” au Mali est intervenu pour rappeler que la criminalité transnationale organisée aurait des ramifications jusqu’au « palais ». Les
interconnections criminelles allant jusqu’en Amérique latine et en Europe, tel
qu’en témoigne la presse locale, en ces termes : « S’agissant du Mali, la question de
la drogue a été au cœur du pouvoir d’Amadou Toumani Touré (ATT). La véritable
raison de sa chute n’est-elle pas à rechercher de ce côté ? N’a-t-on pas dit que c’est
à cause de sa propension à céder à l’appât du gain et son extrême cupidité qu’il
avait mis le doigt dans ce système qui l’a broyé comme un rouleau compresseur ?
Certains de ses plus fidèles alliés à l’annonce de sa chute avaient versé des larmes
de crocodile pour sauver les apparences, mais en privée s’en sont réjouis, car elle
allait permettre une nouvelle redistribution des cartes politiques susceptibles de
freiner la dérive mafieuse de l’État et de construire un nouvel avenir démocratique
pour le Mali. Le passage de la cocaïne dans le Sahara en provenance d’Amérique
latine pour rejoindre les rivages de la Méditerranée ne date pas d’aujourd’hui. Dès
2007, notre pays était devenu une plaque tournante de la cocaïne arrivant de
Colombie, notamment de la Guinée-Conakry, avant de repartir vers l’Europe.
Mais, c’est la découverte en 2009, d’un Boeing 727-200, ayant transporté plusieurs
6
TRIBUNE
tonnes de poudre blanche qui a permis de connaître l’ampleur du phénomène.
Cette découverte a également établi les complicités qui existaient à Bamako dans
certains cercles du pouvoir, de l’armée et de la douane. En janvier 2012, Mohamed
Ould Awaïnatt, un riche homme d’affaires de Tombouctou, soupçonné d’être
impliqué dans l’affaire ‘‘Air-Cocaïne’’, est libéré, avec un ancien policier espagnol
Miguel Angel Devesa, sur ordre de l’ancien président ATT qui comptait sur lui
pour lever des milices chargées de contenir l’avancée des rebelles du MNLA et de
leurs alliés d’AQMI, du Mujao et d’Ansar Dine. D’autres personnes incarcérées
dans cette affaire ont aussi été libérées. Une fois la liberté recouvrée, Mohamed
Ould Awaïnatt rejoindra le Mujao avec les armes fraîchement livrées par
Bamako… ». Et d’ajouter : « Les soupçons quant au rôle joué par AQMI sont également évoqués à l’exemple des liens entre la Katiba d’Abou Zeid, à l’époque principal chef d’AQMI au Nord et un groupe de narcotrafiquants d’origine berabich de
la région de Tombouctou. Ce groupe est communément appelé localement les
‘‘Colombiens’’. Chacun de ses ‘‘barons’’ aurait, selon le document confidentiel,
constitué une équipe d’hommes armés pour assurer l’acheminement sécurisé de
cargaisons de drogue. Il faut dire que ces hommes armés, plutôt ces milices, ont
joué un rôle décisif dans l’entrée triomphale des rebelles, pour la plupart des combattants d’AQMI dans la ville de Tombouctou au lendemain de la chute des villes
de Gao et de Kidal. Un autre exemple est cité dans ce document confidentiel : la
Katiba de Ahmada Ag Mama alias Abdou Karim Targui qui a rejoint un temps
Iyad Ag Aly, le chef du mouvement Ansar Dine avec des Touareg et des Arabes
maliens. Iyad Ag Aly régnait en potentat sur la région de Kidal, région d’où la plupart des barons de la drogue partent pour l’Algérie où ils bénéficient de l’amnistie
accordée aux repentis des groupes djihadistes, indique le document. Dans les
escortes de convois de drogue et d’armes, ces groupes armés ont bénéficié de
l’appui de ‘‘bandits d’origine Kounta’’ qui imposent des droits de péage partagés
avec AQMI et Ansar Dine ».

En tout état de cause, jusqu’à l’intervention française de janvier 2013, le
Mali passait, dans la vision « alqaidiste » et le découpage territorial qu’elle a inspiré
de la part des tenants de l’intersahélosaharienne terroriste, pour être le banc
d’essai de la stratégie d’AQMI à long terme dans l’espace du Sahel-Sahara. Le califat saharo-sahélien envisagé par AQMI a pu séduire certains Touareg, comme
moyen de réaliser leur rêve d’émancipation vis-à-vis d’une « domination » rejetée.
Mais, le mode de vie salafiste conviendrait-il réellement aux populations touarègue ?
Au-delà, une question fondamentale se pose : les acteurs extérieurs
laisseraient-ils ce modèle s’installer en cet espace charnière éminemment stratégique pour l’Europe ?
7
Élément de bibliographie
« La drogue au cœur du pouvoir ATT : La véritable raison de sa chute » in Maliweb.net, 30 avril 2013
(www.maliweb.net/politique/la-drogue-au-coeur-du-pouvoir-att-la-veritable-raison-de-sa-chute-143254.html).
Patrice Gourdin : « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d’une menace complexe » in
Diploweb.com, 11 mars 2012 (www.diploweb.com/Al-Qaida-au-Sahara-et-au-Sahel.html).
Mohamed Tiessa Farma Maiga : Le Mali, de la sécheresse à la rébellion nomade. Chronique et analyse d’un double
phénomène du contre développement en Afrique sahélienne ; Éditions L’Harmattan, 1997 ; 306 pages.
8