l`opep en conclave fumee blanche pour quelle strategie

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l`opep en conclave fumee blanche pour quelle strategie
L’OPEP EN CONCLAVE
FUMEE BLANCHE POUR QUELLE
STRATEGIE PETROLIERE ?
CENTRE EUROPEEN DE DROIT ET D’ECONOMIE
CEDE ESSEC
MED REZZOUK
Note de recherche CEDE/NR/MR/23112015
23 novembre 2015
L’OPEP EN CONCLAVE
FUMEE BLANCHE POUR QUELLE STRATEGIE PETROLIERE ?
Par Med REZZOUK*
Note de recherche CEDE/NR/MR/23115
23 novembre 2015
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* Docteur en sciences économiques, Chercheur associé, Centre européen de droit et d’économie, ESSEC Business School
3 Avenue Bernard Hirsch, CS 50105 Cergy, 95021 Cergy Pontoise Cedex, France
Tél: 33 (0)1 34 43 33 87
http://www.essec.edu/fr/equipe/autres-chercheurs/med-rezzouk#!
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La réunion de l’OPEP duu 4 décembre 2015 aurra à conciliier les posittions de sess membres sur la strattégie
adoptée pour faire face à la baissee des prix ddu pétrole de plus dee 100 dollaars / baril à moins dee 50
dolllars/baril deepuis juin 2014.
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Cettte stratégie vise la présservation dees parts de m
marché de l’’OPEP pluttôt que la ddéfense des prix du pétrrole.
L’A
Arabie Saouudite, qui enn est l’arch
hitecte, devrrait s’attach
her à montrer le bienfoondé de cettte stratégiee qui
auraait permis de stopper l’expansion
n des prodductions de pétrole hors OPEP. E
En particulier le tauxx de
croiissance annuuelle des péétroles nord
d-américainns, de l’ordrre de 2% en
n 2014/13, a chuté à près
p de 0.5%
% en
2015/14 et devvrait être null en 2016/15
5.
Graphe 1 : croissan
nce annuellee de l’offre régionale
r
dee pétrole hoors OPEP
Source :O
OPEC Oil Maarket report
Ce coup d’arrêêt concernee égalementt les investiissements pétroliers.
p
Ainsi
A
par rap
apport à 201
14 les dépeenses
d’ex
xploration eet de produuction ont baissé en 2015 de 20% en 20
015/14 au pplan globall et de 35%
% en
Am
mérique du N
Nord.
Graphhe 2 : Dépen
nses globalees en explorration et pro
oduction péttrolière
Source : OP
PEC MOMR October
O
2015
2
Dans le même temps l’OPEP a produit au-delà de son quota global -pratiquement 31 millions de barils/
jour en 2015 contre 30 millions de barils /jours en 2014 et 2013.
Production de pétrole OPEP, Millions de barils/jour
Source OPEC MOMR November 2015
Ainsi la stratégie de laisser les prix du pétrole filer à la baisse permet à l’OPEP de réorienter à la hausse la
croissance de ses productions de pétrole, et à la baisse celle des productions de pétrole hors OPEP.
Graphe 3 : Offre OPEP et non OPEP
Variations annuelles, mb/j
Source : IEA Oil market report
En opposition à cette stratégie de parts de marchés, nombre de pays membres de l’OPEP – notamment
Venezuela, Iran, Algérie, Equateur… ne manqueront pas de mettre en regard le coût de cette stratégie : une
perte estimée à plus de 60% de leurs recettes pétrolières (qui constituent généralement plus de 90% de leurs
ressources). Pour ces pays l’OPEP perdrait sa raison d’être si elle s’éloignait de la défense des revenus de
ses membres.
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En l’occurrence, cette défense des revenus de ses membres
devrait inciter l’OPEP à décider d’une
fourchette des prix pour préserver leurs besoins de fonctionnement et d’investissements (limite basse de la
fourchette estimée à 70 dollars le baril) et repousser l’apparition de productions de pétrole hors OPEP
(limite haute de la fourchette estimée à 100 dollars le baril).
Par ailleurs rien ne permet de confiner l’effet d’éviction du marché pétrolier aux seuls producteurs non
OPEP. Tel pourrait être le cas de l’Equateur, pays membre de l’OPEP, qui vend son pétrole au prix de
marché de 30 dollars le baril (compte tenu des caractéristiques de son brut) alors que ses coûts de
production avoisinent en moyenne 39 dollars le baril.
Pour repousser ces demandes d’abandon de la stratégie de défense de marché en faveur de la stratégie de
défense du prix du pétrole, l’Arabie Saoudite pourrait paradoxalement tirer argument de l’impact que
pourrait avoir sur le pétrole l’agenda climatique en discussion également début décembre 2015. L’objectif
de cet agenda climatique est de limiter le réchauffement climatique au seuil de 2°C.
Or selon certaines analyses (celles menées par le GIEC, l’AIE… mais aussi à caractère académique comme
cet article publié dans la revue Nature en janvier 2015), ce seuil de 2°C imposerait de laisser en sous-sol
jusqu’à 80% des réserves actuelles d’énergie fossiles – et donc de faire sortir le pétrole d’un mix
énergétique mondial decarbonné. Une exigence que n’a pas manqué de rappeler, à l’occasion d’un discours
en juillet 2015, François Hollande, chef de l’Etat du pays hôte de la COP21.
Loin de s’entendre uniquement en termes de part de marche pétrole OPEP versus pétrole hors OPEP, la
stratégie de baisse des prix du pétrole s’entendrait donc aussi en termes de parts de marché pétrole versus
substituts au pétrole dans le mix énergétique global.
In fine le précédent de la production d’électricité fixe la nature exacte de l’enjeu : suivant les chocs
pétroliers 1970 cette production d’électricité a cessé de faire appel au pétrole en l’espace de trois décennies.
Ce que le FMI a qualifié de grand basculement a vu la part du pétrole dans la production d’électricité dans
la zone OCDE :
-
grimper de moins de 10% en 1960 à plus de 25% à la fin des années 1970 ;
-
tomber à moins de 10% au milieu des années 1980 ;
-
et poursuivre la chute jusqu’ à près de 2% depuis les années 2000.
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Graphe 4 : Le grand basculement
Part du pétrole dans la production d’électricité dans la zone OCDE (%)
Source IMF (2011) oil scarcity, growth and global imbalances
Si ce précédent se répète pour l’utilisation du pétrole dans le domaine des transports, le pétrole - OPEP et
hors OPEP- serait confronté au scénario dit du cygne noir de la fin de l’ère pétrolière en l’espace de trois
décennies, soit… à l’horizon 2050, projeté dans certaine version de l’agenda climatique comme celui du
basculement vers un mix énergétique mondial totalement decarbonné.
Preuve que ce scenario de cygne noir est pris au sérieux par l’Arabie Saoudite : il a été évoqué récemment
en ces termes par son ministre du pétrole Ali Naimi. En cause : l’effet irréversible des substituts qui
apparaissent en période de prix du pétrole orientés à la hausse, et qui ne disparaissent pas en période de prix
du pétrole orientés à la baisse.
Cet effet cliquet serait dû au progrès technique qui permet d’abaisser tant les prix des substituts au pétrole
que l’intensité pétrolière dans le PIB. Les politiques énergétiques des pays importateurs renforcent
puissamment cet effet cliquet en ne répercutant pas dans les mêmes proportions les baisses des prix du
pétrole sur les prix à consommateurs des produits pétroliers. D’où l’hypothèse suivant laquelle l’agenda
climatique serait instrumentalisé par l’Arabie Saoudite pour conforter sa stratégie de défense des parts de
marchés préférée à celle de défense des prix du pétrole.
Il n’y aurait cependant aucune chance que cette menace ait raison des réticences des pays membres de
l’OPEP opposés à la stratégie saoudienne des parts de marchés. Un scénario de cygne noir reste ce qu’il
est par définition : un évènement de très faible probabilité, loin derrière celles des scenarios des organismes
dédiés (OPEP, AIE, IEA…) pour lesquels la part du pétrole pourrait baisser sans cesser d’être
prépondérante dans le mix énergétique mondial. Il y a juste à considérer par exemple qu’à l’heure actuelle
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les chinois sont moins de 30 sur 1000 – contre plus de 700 sur 1000 américains, à posséder une voiture, ce
qui devrait maintenir un trend fortement haussier de la demande à long terme.
En sorte que la stratégie de préservation des parts de marchés préférée à la stratégie de défense des prix
reviendrait en réalité à accepter des pertes certaines de revenus à court terme sur la base d’un scenario de
cygne noir largement spéculatif face à des scénarios usuels plus vraisemblables – notamment ceux élaborés
par l’OPEP elle-même.
Ce conflit entre les perspectives à long terme de la demande pétrolière pourrait ne pas être étranger au
report à février 2016 des discussions relatives à la stratégie à long terme de l’OPEP.
Au demeurant le mécanisme de fourchette de variation des prix du pétrole entre 70 et 100 dollars le baril
prend en compte le souci de préservation de la part du pétrole dans le mix énergétique mondial puisque la
limite haute de cette fourchette aurait pour fonction de décourager l’essor des substituts au pétrole.
Par ailleurs certains pays de l’OPEP auront épuisé leurs réserves de pétrole à l’échéance projetée pour le
mix énergétique decarbonné. Contrairement à l’Arabie saoudite qui s’accommode d’un prix bas du pétrole
pour valoriser sur le long terme sa production de pétrole avant l’extinction de la demande, le problème pour
ces pays à réserves courtes est d’obtenir un prix du pétrole élevé afin de financer leur transition à terme
plus rapproché vers une économie post pétrole.
Ces stratégies opposées au sein de l’OPEP ouvrent ainsi sur deux perspectives pour la réunion de l’OPEP à
Vienne début décembre 2015. La première perspective est celle du maintien du statut quoi c’est à dire de la
stratégie saoudienne de préservation des parts du marché de l’OPEP. Concrètement les pays de l’OPEP
« convergeraient » vers un relèvement du plafond global de production (30 millions de barils / jour) pour
tenir compte du retour sur le marché de membres de l’OPEP gros exportateurs avec des quantités plus
importantes prévues d’être exportées (notamment l’Iran). L’effet de ce statut quo serait accentuer la baisse
des prix du pétrole et l’effet d’éviction du marché qui en résulterait pour les pays à coût de production
élevés – y compris parmi les membres de l’OPEP. Fait significatif : l’Arabie saoudite comme l’Iran ont tour
à tour évoqué le prix plancher de 20 dollars le baril.
La deuxième perspective est celle d’une réduction coordonnée de l’offre de pétrole mise sur le marché. Par
là il faut entendre « coordonnée avec les pays hors OPEP » notamment la Russie. Cette perspective
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impliquerait que soient réunies deux conditions préalables autant politiques que techniques. La première
condition suppose que puissent être définis des mécanismes pour s’assurer du caractère effectif des baisses
de production à la charge de chaque pays producteur. La deuxième condition suppose que puisse être
déterminé un prix cible du pétrole sur le marché qui ne viendrait pas stimuler de nouvelles productions de
pétroles à coûts plus élevés, et/ou éperonner les substituts au pétrole. Or la fourchette cible d’un prix du
pétrole entre 70 et 100 dollars / le baril serait d’ores et déjà au-dessus des prix d’équilibre (break even) des
pétroles non conventionnels américains.
Que la fumée blanche du conclave de l’OPEP apparaisse pour la première ou la seconde perspective, une
certaine rationalité de l’OPEP aura vécu : celle d’un producteur d’appoint bénévole en mesure d’assurer la
régulation du marché mondial du pétrole.
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