article 2 - Mental Health Commission of Canada
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article 2 - Mental Health Commission of Canada
ARTICLE 2 Le modèle de soins chroniques et les soins de collaboration en santé mentale Michel Gervais, MD, FRCPC, MBA En 1996, E. H. Wagner a fait paraître un article intitulé Organizing Care for Patients with Chronic Illness, lequel est devenu un tournant dans le domaine des soins prodigués aux patients atteints d’une maladie chronique1. Il affirme que le système de santé est dans une large mesure structuré de façon à répondre surtout aux besoins urgents et aigus des patients et qu’il est, à bien des égards, inefficace dans l’approche des maladies chroniques2. Cet article décrit en quoi le contexte de services destinés aux maladies chroniques est particulier et soutient que l’organisation des soins devrait être remaniée en conséquence : [traduction] « Les malades chroniques et leurs proches aidants font face à un avenir écourté et incertain, sans parler du fardeau lié au contrôle de la maladie […]. Nous avons sélectionné des exemples tirés de revues scientifiques afin d’étudier différentes approches globales en matière de restructuration du modèle de prestation des soins qui ont amélioré les perspectives des patients atteints d’une maladie chronique3. » Wagner dresse aussi une longue liste d’écueils compromettant la capacité du système de santé à s’attaquer aux maladies chroniques : la priorité de l’urgence sur la gravité, la conformité déficiente aux lignes directrices fondées sur des données probantes, le défaut de promouvoir l’autogestion de leurs soins et de leur bien-être par les patients souffrant de maladies chroniques, le manque de formations expliquant aux soignants comment dispenser des soins complets afin de répondre aux besoins de ces patients et de leur famille (évaluations systématiques, interventions préventives, soutiens psychosociaux), les retards dans la détection de complications ou de dégradations de l’état de santé des patients, l’absence d’une culture et d’une structure des pratiques cliniques qui favoriseraient une approche interdisciplinaire concertée, etc. En accord avec les observations de Wagner, Holman et Lorig ont affirmé que [traduction] « le système de santé actuel, conçu au début du siècle dernier pour faire face aux maladies aiguës, n’a pas été mis à jour lorsque les maladies chroniques ont pris l’avant-scène. En conséquence, la discontinuité et la fragmentation des soins sont omniprésentes. La technologie est utilisée à outrance. Les services offerts dans les communautés et au domicile des patients font piètre figure. Les coûts grimpent sans produire des bienfaits proportionnés chez les patients. Enfin, une large frange de la population est incapable 1 Wagner, Edward H., Brian T. Austin, Michael Von Korff, 1996. Organizing care for patients with chronic illness. The Milbank quarterly, volume 74, no 4 : 511-544. 2 Wagner, Edward H. 1998. Chronic disease management: What will it take to improve care for chronic illness. Effective Clinical Practice, volume 1, no 1 (août-septembre) : 2-4. 3 Bernstein, Steven J 2008. A New Model For Chronic-Care Delivery. Frontiers of Health Services Management, volume 25, no 2 (hiver) : 31-38. d’obtenir des services de santé appropriés 4. » Tous ces constats sont amplifiés lorsqu’il est question des services de santé mentale. Wagner a proposé un modèle de soins chroniques que l’on appelle également le modèle Wagner. Celuici combine plusieurs ingrédients essentiels au succès des soins de collaboration en santé mentale 5 : Utilisation de plans et de protocoles détaillés : [traduction] « la transition vers des soins planifiés, fondés sur des données probantes, devrait être facilitée par le travail au sein d’un système ou d’une équipe de soins attentifs aux lignes directrices6. » Réorganisation de la pratique : travail en équipes interdisciplinaires, suivi proactif et continu des patients (passage de soins aigus et réactifs à une approche proactive), réunions d’équipe régulières, tâches clairement réparties entre les pourvoyeurs de services, plans de soins partagés, etc. Éducation et soutien des patients (les aider à gérer leur maladie): autosoins, autogestion, participation des patients, soutien psychosocial, etc. Cette philosophie rappelle le mouvement vers le rétablissement et l’appropriation du pouvoir par les usagers, lesquels font partie de la vision stratégique dominante en matière de santé mentale. L’acquisition de compétences en autogestion par l’usager et sa famille constitue également une composante fondamentale des services de santé mentale concertés. Soutien par des experts : accès, en temps opportun, aux services de spécialistes (p. ex. psychiatres), et consultations de ces spécialistes disponibles directement dans le cadre de services de première ligne. Wagner utilise expressément le terme « soins de collaboration » et met en garde contre le risque potentiel de fragmenter les soins davantage. Il réclame [traduction] « des innovations dans les interactions entre généralistes et spécialistes afin que tous deux prodiguent conjointement des soins dans un contexte de services de première ligne7. » Utilisation de registres des patients et d’autres technologies de l’information8. Adoption d’une approche populationnelle qui entraîne une utilisation plus efficace des ressources communautaires, p. ex. les groupes de soutien par les pairs. Au même titre que les soins concertés, le modèle de soins chroniques ne peut être déployé au moyen de la « taylorisation » du travail et ne peut être aisément reproduit. En d’autres mots, il n’est pas l’équivalent d’une chaîne de restauration rapide. Bien que certains facteurs de succès essentiels soient reconnus dans la reconfiguration des services d’un établissement de santé, il n’existe aucun mode d’emploi normalisé pour la mise en œuvre de ce modèle. Au contraire de la restauration rapide, le modèle de soins chroniques est un repas regorgeant de saveurs locales uniques. La même logique s’applique aux modèles de services de santé mentale concertés. En effet, les soins de collaboration en santé mentale et le modèle de soins chroniques affichent des caractéristiques communes qui les rendent complémentaires. Les soins concertés apportent la vision stratégique et la culture organisationnelle qui sont nécessaires pour que le modèle de soins chroniques puisse être mis en place et produire les résultats attendus : [traduction] « Le modèle de soins 4 Holman, Halsted, Kate Lorig 2004. Patient Self-Management: A Key to Effectiveness and Efficiency in Care of Chronic Disease. Public Health Reports, volume 119 (mai-juin) : 239-243. 5 Ham, Chris 2010. The ten characteristics of the high-performing chronic care system. Health Economics, Policy and Law : 7190. 6 Wagner, Edward H., Brian T. Austin, Michael Von Korff, 1996. Organizing care for patients with chronic illness. The Milbank quarterly, volume 74, no 4 : 511-544. 7 Wagner, Edward H., Brian T. Austin, Michael Von Korff, 1996. Organizing care for patients with chronic illness. The Milbank quarterly, volume 74, no 4 : 511-544. 8 Coleman, Katie, Brian T. Austin, Cindy Brach, Edward H. Wagner 2009. Evidence On The Chronic Care Model In The New Millennium. Health Affairs, volume 28, no 1 (janvier-février) : 75-85. 2 chroniques met l’accent sur l’éducation et la mobilisation des patients ainsi que la création de milieux de pratique concertés et proactifs pour les médecins. […] Les interactions productives peuvent prendre la forme d’évaluations régulières, d’une adaptation de la gestion clinique par protocoles aux besoins précis du patient, d’une détermination concertée des objectifs, d’un plan de soins partagé et d’un suivi continu et personnalisé9. » Dans le cadre du modèle de soins chroniques, la prestation des services de santé va bien au-delà de la simple relation patient-médecin et englobe [traduction] « un processus plus collaboratif entre un patient informé et une équipe de soins de santé bien préparée et proactive10. » L’instauration du modèle de soins chroniques n’est pas envisageable sans une collaboration essentielle entre les parties intéressées et la coordination de leurs activités en vue d’atteindre des objectifs communs. Inversement, les services de santé mentale concertés dépendent, entre autres, des principes de gestion des maladies chroniques pour l’atteinte de leurs objectifs11. Cette vision est également compatible avec la tendance dominante vers le rétablissement et l’autonomisation qui prévaut dans le domaine de la santé mentale. Le terme « chronique » peut cependant inquiéter certains usagers. Un éditorial intitulé Chronic my ass, publié en 2002 par la Revue canadienne de psychiatrie, dénonçait l’utilisation impropre de ce qualificatif associé à une forme de stigmatisation12. Ainsi, dans le contexte de la santé mentale, le modèle de soins chroniques pourrait être rebaptisé « modèle de soins adapté aux environnements complexes » ou, plus simplement, « modèle de soins » afin d’éliminer la stigmatisation associée au terme « chronique ». Dans le domaine de la santé mentale, plusieurs provinces canadiennes travaillent à implanter le modèle de soins chroniques et à l’adapter aux contextes locaux. Ces mesures feront partie d’un modèle de soins concertés conçu pour fonctionner dans un cadre de services de première ligne complets. À la recommandation de nombreux chercheurs et experts, la priorité consiste à renforcer les services de première ligne de haute qualité dispensés par des équipes multidisciplinaires et à assurer une intégration efficace des soins primaires et des soins spécialisés13. Il est frappant de constater l’écart vertigineux entre la culture de soins et de gestion en vigueur (plus axée sur les dimensions simple ou compliquée des maladies aiguës dans un environnement ordonné) et la culture qui doit être instaurée pour permettre la gestion des maladies chroniques, tellement répandues en santé mentale, dans des environnements complexes. En bref, [traduction] « le transfert de la priorité en médecine clinique à partir des soins aigus (simples ou compliqués) vers des enjeux cliniques liés aux maladies chroniques (complexes) requiert une nouvelle conceptualisation de la gestion des services de santé. […] Les aspects cliniques et les aspects liés à la gestion et au leadership des services de santé sont profondément interdépendants14 ». Pour accroître les chances de succès des soins concertés, les gestionnaires et les cliniciens n’ont d’autre choix que de s’entendre et de travailler en étroite collaboration. 9 Wallace, Paul J. 2005. Physician Involvement in Disease Management as Part of the CCM. Health Care Financing Review, volume 27, no 1 (automne) : 9-31. 10 Bernstein, Steven J 2008. A New Model For Chronic-Care Delivery. Frontiers of Health Services Management, volume 25, no 2 (hiver) : 31-38. 11 Association des psychiatres du Canada (APC) et Le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) 2011, Exposé de position, rédigé par Kates, Nick; G Mazowita, F Lemire, A Jayabarathan, R Bland, P Selby, T Isomura, M Craven, M Gervais, D Audet. L’évolution des soins de santé mentale en collaboration au Canada : Une vision d’avenir partagée. Revue canadienne de psychiatrie, volume 56, no 5 (mai) : 1-10. 12 Lesage, Alain, Raymond Morissette 2002. Chronic my A**. Revue canadienne de psychiatrie, volume 47, no 7 (septembre) : 619-620. 13 Ham, Chris 2010. The ten characteristics of the high-performing chronic care system. Health Economics, Policy and Law: 7190. 14 Zimmerman, Brenda 2010. How Complexity Science is Transforming Healthcare. Dans The Sage Handbook of Complexity and Management : par Steve Maguire, Bill McKelvey et Peter Allen. ISBN-10 : 1847875696. 3 Glouberman et Mintzberg ont décrit le réseau de services de santé comme un système extrêmement complexe caractérisé par une très forte différentiation de ses activités, particulièrement en raison des spécialités médicales, isolées en vases clos et souffrant de l’absence de mécanismes d’intégration15. Dans ce système de soins hautement fragmenté, la part du lion du budget est consacrée aux hôpitaux, à la « guérison » des maladies aiguës et aux urgences médicales. Les ressources investies dans les « soins » des maladies chroniques sont moindres. Mentionnons que Glouberman et Mintzberg ont souligné l’importance de mettre en place [traduction] « des soins continus, coopératifs, et non seulement un traitement ponctuel. Les forces naturelles de la collaboration doivent être exploitées pour amener l’intégration à un niveau proportionné à la différentiation des activités. » À la lumière de ces notions, la valeur ajoutée du modèle de soins chroniques et des modèles de soins de collaboration en santé mentale comme mécanismes d’intégration au sein du système santé ne fait aucun doute. 15 Glouberman, Sholom, Henry Mintzberg 2001. Managing the Care of Health and the Cure of Disease – Part 1: Differentiation. Health Care Management Review (hiver) : 58-71. 4