Press reviews Quand Jean-Marc Luisada… fait son cinéma

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Press reviews Quand Jean-Marc Luisada… fait son cinéma
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12/2004
Quand Jean-Marc Luisada… fait son cinéma
Premier auditeur, fidèle parmi les fidèles, fervent, inconditionnel, toujours prêt à partager les aventures
de son maître, ses folies, ses joies et ses peines, ce « musichien » de labrador se prénomme Boggy
en souvenir d’un certain … Humphrey Bogart.
Jean-Marc Luisada vient d’enregistrer un nouvel album de sonates pour piano, un disque Chopin,
Liszt et Scriabine, sorti en octobre dernier chez RCA Red Seal. Une occasion de rencontrer ce
pianiste, fou de cinéma, capable de nous parler aussi bien de Wagner que de Mankiewicz ou de
Murnau…
Un vaste appartement, quelque part dans Paris. Dans la pièce principale, quelques meubles, des
magnifiques tableaux et curieusement, pas de piano. Cherchez l’erreur.
Sur les murs, des affiches de cinéma miniatures, soigneusement encadrées. Des photos d’acteurs
portant même ici ou là un autographe. On aperçoit le profil en noir et blanc de James Dean, par terre,
sur la couverture d’une revue; le sourire jauni de Vivien Leigh, une des actrices fétiches de Luisada,
sur la photographie d’une des scènes de La Valse dans l’ombre de Mervyn Leroy. Partout des revues
de cinéma, et surtout, des piles de DVD entassés sur des étagères qui montent jusqu’au plafond. Les
arcanes d’un passionné de cinéma comme un passionné de cinéma n’en a jamais rêvé.
Quant aux deux pianos à queue, ils trônent dans l’espace qui leur est exclusivement réservé, la salle
de musique. Là, rien au mur. Aucune tentation visuelle susceptible de distraire ou de perturber
l’attention. Autant dire que, chez Jean-Marc Luisada, les deux sphères cinéma-musique coexistent
mais ne se mélangent pas, elles cohabitent de manière totalement parallèle. C’est ce parallélisme qui
va nous guider pour suivre l’élaboration de son dernier disque.
Face à lui-même
Jean-Marc Luisada compare souvent son métier de musicien-interprète au métier d’acteur. Avec cette
distinction entre d’un côté le musicien qui enregistre en studio et qui s’apparente plutôt, selon lui, à
l’acteur de cinéma et de l’autre, le musicien qui joue sur une scène devant un public et qui s’apparente
alors plutôt au comédien de théâtre. Les conditions d’enregistrement sont contraignantes : toutes les
prises de son doivent être bouclées en quatre jours. On imagine la densité du travail et l’intensité de la
concentration de l’interprète.
« Il ne s’agit pas d’être prêt, avoue Jean-Marc Luisada. Il faut être archi prêt. Je dois avoir la sensation
que les oeuvres habitent en moi et que j’habite en elles. Une sensation d’extrême familiarité qui
suppose des heures et des heures de travail en amont. Et vraiment très en amont. Les oeuvres que je
choisis d’enregistrer sont rodées depuis de nombreuses années déjà. Ce sont des oeuvres sur
lesquelles j’ai souffert, médité, qui m’ont cent fois poussé à me remettre en question et que j’ai
remises ensuite, inlassablement, à l’épreuve du public, dans mes concerts. »
Donc, une fois en studio, le temps est compté. L’expérimentation, la recherche de tel détail
d’interprétation est impensable. Tout doit être préalablement déterminé et contrôlé au maximum.
« Mais c’est exactement la même chose pour l’acteur-studio, au cinéma, ajoute Jean-Marc Luisada.
Prenez l’exemple de Montgomery Cliff dans L’Espion de Raoul Lévy. Il y a une scène muette dans
laquelle Monthy doit marcher, ouvrir une porte, mettre un manteau, puis relever le col de son
manteau. Eh bien, il a passé deux heures à préparer la scène, relever le col de son manteau, prendre
sa partenaire par le bras, puis marcher avec elle en la tenant par la taille. Un travail de précision inouï.
Tout est calculé au millimètre près, avec un naturel confondant. Je peux vous affirmer que rien n’a été
laissé au hasard. Je n’étais pas là, mais mon amie Macha Méril, qui jouait le personnage féminin de
cette scène, m’a confirmé l’extraordinaire précision du travail. C’est aussi comme cela que je conçois
mon rapport à l’enregistrement. Précision et exactitude avant toute chose.
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Face au micro
Pour Jean-Marc Luisada, le micro est objet de fascination. Sa présence infaillible et froide est,
paradoxalement pour lui, tout sauf neutre. Parce que le micro l’oblige à recomposer intérieurement
une nouvelle approche de son rapport au clavier. Donc une nouvelle perception de son propre jeu.
« En présence du micro, explique Jean-Marc Luisada, le dois repenser la psychologie de mon jeu, de
mon écoute et le sens de mon auto critique. Pourquoi? Parce que cet objet a le pouvoir, à mon sens,
de me donner l’illusion de la perfection. C’est comme si c’était une oreille parfaite, absolue.
L’équivalent du regard implacable, parfaitement pur et objectif d’une caméra. J’ai vraiment
l’impression que le micro m’autorise à penser que je peux, moi aussi, accéder à cette même
perfection. Et c’est là toute l’illusion ! N’empêche que cela me donne l’envie et l’énergie de me
dépasser. Sentir l’illusion de l’absolu à portée de ses doigts! Enivrant vertige ! Aussi exaltant
qu’excitant! Je comprends très bien l’attitude d’un Glenn Gould, par exemple, qui a poussé cette
démarche à l’extrême. »
Toutefois, Jean-Marc Luisada reste lucide. La pratique du micro peut aussi présenter quelques
inconvénients. Il le sait. Celui notamment de lui communiquer une certaine froideur. Comme si
l’écoute parfaite et donc inhumaine de cette « oreille-enregistreuse » pouvait l’entraîner à jouer plus
mécanique, et moins chaleureux qu’au concert.
« Je joue de façon tellement plus naturelle devant mon public! Cela se comprend facilement, l’erreur
est humaine, c’est bien connu. Or le concert étant par excellence le lieu de l’humain, on sait de fait
que l’erreur y est aussi mieux acceptée. Cela me met plus à l’aise. Et puis si Boggy est avec moi sur
scène, c’est encore plus facile. Au studio, il faut que je reconstruise mentalement et affectivement
cette présence du public. C’est indispensable pour rester aussi humain que possible et retrouver mon
naturel, je dirai même que je dois reconstruire l’acte d’amour avec ce public virtuel, acte sans lequel
aucune musique n’est véritablement digne de ce nom. »
Vaste programme quand on voit comment les choses se déroulent en studio. La façon dont JeanMarc Luisada a choisi de procéder pour l’enregistrement de son disque est intimement liée à sa
personnalité. Comment a-t-il procédé? Tout d’abord en enregistrant une première fois l’ensemble du
programme. Ensuite en jouant chaque sonate, entièrement, plus fois d’affilée. Enfin chaque
mouvement de chacune des sonates, deux ou trois fois de suite.
« À force de jouer, mes ongles finissaient par se décoller... Néanmoins, cette façon de procéder me
convient. Je tiens à jouer la totalité de chaque mouvement pour garder la fluidité du discours musical
et sa cohérence interne. Un mouvement de sonate c’est pour moi l’équivalent d’une scène dans un
film. Il faut une certaine durée pour instaurer une impression de continuité. On imagine mal, au
cinéma, des passages de 10 secondes répétés 20 fois puis mis bout à bout. (Même si je sais très bien
qu’un cinéaste comme Robert Bresson, le plus grand cinéaste français à mes yeux, n’hésitait pas à
filmer 70 fois la même séquence de 30 seconde). Je serais incapable d’enregistrer chaque ligne 20
fois de suite, comme certains le font. C’est pour moi, antimusical au possible.
Face à l’équipe technique
Jean-Marc Luisada ne le répète jamais assez : la musique doit être une fête. Plus que cela. Une joie.
Et la vie est bien trop courte pour vivre, dans ces moments privilégiés, des situations tendues, amères
ou explosives. Enregistrer un disque, c’est pouvoir le faire dans des conditions optimales sur le plan
humain. Au-delà des compétences purement techniques de l’équipe, c’est sentir en chacun une totale
disponibilité et la capacité partagée à faire en sorte que oui se passe bien sans conflit. Comme cela a
été le cas pour son nouvel album... Philip Traugott en a encore une fois assuré la direction artistique.
Les deux compères se connaissent bien. Ils s’apprécient beaucoup. Il y a entre eux une complicité qui
vient bien au-delà des mots. Traugott, c’est oreille extérieure de Luisada. « La force d’empathie dont
fait preuve Philip à mon égard, explique Jean-Marc Luisada, est extraordinaire. Il connaît tous mes
défauts et toutes mes qualités. Son sens de la psychologie, sa sensibilité, tout cela est tellement
développé chez lui qu’il ne peut qu’obtenir le meilleur de moi-même. Je ne dirai pas que l’aspect
relationnel est déterminant mais il est vraiment, pour moi, d’une extrême importance. Se sentir en
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pleine confiance permet de donner complètement, sans aucune limite, avec une générosité qui n’est
pas bridée. Au cinéma, c’est la même chose. Une relation s’établit entre l’acteur et le réalisateur, de là
découlent bien des choses.
« Prenez le tournage du western Rancho Notorious (L’Ange des maudits). Les relations entre Fritz
Lang et Marlene Dietrich étaient détériorées. Tout était devenu explosif. Idem entre Hitchcock et
Montgomery Cliff sur le tournage de La Loi du silence (I Confess). Difficile de travailler dans ces
conditions. »
« Quant au montage, imagine-t-on un instant chaque acteur visionner chaque prise et procéder
ensuite à la sélection finale? Impensable ! De même, quelles raisons aurais-je eu d’assister au
montage? Comme l’acteur de cinéma, aucune. La comparaison avec le cinéma m’aide à prendre la
juste mesure des choses. Elle me permet de me poser les bonnes questions. »
L’intime conviction de PhiIip Traugott
« Assurer la direction artistique d’un enregistrement comme celui que je viens de réaliser avec JeanMarc Luisada est un engagement de chaque instant au sein d’une équipe qu’il me faut fédérer et
guider dans un même sens.
« Il s’agit de prendre en compte tous les paramètres techniques et humains et de les faire interagir de
la meilleure manière. Les paramètres purement acoustiques sont nombreux : l’emplacement du piano
en relation avec la topologie acoustique (ici, une église parisienne). Le réglage du piano (Steinway)
effectué ici par l’un des meilleurs techniciens en la matière, Osato Kasuto (qui fut le technicien attitré
de Richter). Le placement adéquat des micros par le preneur de son, et bien sûr la prise en compte
des désirs de l’artiste en relation avec le son qu’il recherche, sa sensibilité, son imaginaire et le type
de répertoire. Mon rôle est de assembler tous ces paramètres pour qu’ils s’unissent
harmonieusement. Ensuite, l’enregistrement proprement dit petit commencer.
« De manière générale, mon métier est un travail d’écoute sur deux niveaux d’approche. Le son et la
psychologie humaine. J’ai eu la chance de vivre la musique de l’intérieur en tant que violoniste et chef
d’orchestre et, aujourd’hui, dans mon métier c’est un atout inestimable.
« Premièrement parce que ma pratique du violon m’a apporté une acuité auditive que jamais je
n’aurais pu acquérir autrement. Mon exigence à l’égard de la justesse du son est extrême. Les artistes
le savent, quant à la direction d’orchestre, elle m’a permis de développer l’écoute harmonique et le
sens du timbre.
« Deuxièmement, parce que ma pratique de la musique, via l’expérience du concert, m’a apporté une
solide connaissance de la psychologie du musicien. Le concert ou l’enregistrement est une épreuve. À
la fois très difficile et profondément exaltante. Je ressens l’angoisse des artistes parce qu’elle me renvoie à celle que j’ai vécue. Je connais leur trac, leur fragilité et leur force. Et leurs exigences
intérieures. Je les comprends. Je sais leur parler, les amener à donner le meilleur. J’aime les soutenir,
les rassurer, les stimuler, les encourager, les féliciter. Au moment où il le faut. Au fond, c’est un métier
d’écoute au sens large du terme. Un métier d’attention à l’autre, je dirai que pour exercer ce métier il
faut avoir le goût des autres ».
A l’écoute du dernier album de Jean- Marc Luisada, Sonates
Jean-Marc Luisada fait partie de ces rares artistes parvenus à la véritable authenticité. Ce disque en
témoigne avec force, par la profondeur et la sincérité de son jeu. Aucun artifice intempestif, aucune
boursouflure narcissique. Sa sincérité vraie se livre dans une vision hautement personnelle des
œuvres qu’il interprète, sans sacrifier à cette originalité que d’autres recherchent pour combler un vide
de l’être et du dire. Il s’agit, chez Jean-Marc Luisada, d’une originalité au sens étymologique du terme.
Celle qui consiste à se placer à l’origine de son ressenti et à le transmettre dans la plus grande
simplicité. Sans chercher à plaire. Sans vouloir prouver, convaincre. Sans se soucier de montrer ni de
démontrer. Il dit. Seul, face à son piano. Et il va jusqu’au bout de ce qu’il a à dire. C’est tout.
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L’écouter interpréter l’étude Tristesse ou la 3e sonate de Chopin, c’est éprouver l’impression que
chaque phrase musicale nous est offerte comme si elle nous était personnellement destinée.
Impression troublante qui semble vérifier l’idée que plus la musique est ressentie par l’artiste au plus
près de sa vérité émotionnelle pure, plus elle nous connecte à la notre avec une justesse
confondante. C’est ce qui transparait dans ce disque – me semble-t-il, avec une évidente clarté – et
ce, jusque dans la Messe noire de Scriabine.
La discrétion médiatique de Jean-Marc Luisada le préserve des tentations du paraître. Il continue son
chemin. Il avance. Au plus près de son âme. La plus sûre manière, sans doute de respecter l’Autre,
de lui parler de Lui. Cet Autre, si proche et si lointain… « Mon semblable, mon frère… » nous aurait
dit Baudelaire.
Véronique Puchala