le compte rendu de l`édition 2005

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le compte rendu de l`édition 2005
Service commun de la documentation de l’Université d’Artois
Lecture étudiante : le Prix du Premier Roman 2005
de l'Université d'Artois
Réuni le 30 mars 2005, le jury du Prix du Premier roman de l'Université d'Artois a
décerné son 12
ème
prix à Eric NATAF pour son roman Autobiographie d'un virus
publié chez Odile Jacob.
◊
En cette rentrée 2005 il faut souligner, plus encore que d'habitude, une abondance
de premiers romans (le jury en a examiné pas moins de 121) ce qui représente un
record absolu et une hausse de 50% par rapport à l'an passé. Les thèmes font
montre d'une certaine variété, avec une prédilection des auteurs pour un
épanchement sur leur propre enfance. Comme le souligne le mensuel Lire (2005,
n°5) « l'effet génération » est un autre sujet
chacun
dominant
de
la
rentrée
:
raconte sa génération en tentant d'éviter l' « autofiction » devenue
obsolète.
La mise en scène médiatique des premiers romans (festivals, émissions
radiophoniques ou télévisées) donne à penser qu'un nombre important de lecteurs
apprécie cette nouvelle production. Une étude plus fine montre qu'il n'en est rien,
puisque sur les 121 titres enregistrés cette année, seuls 25 ont été remarqués et
ont obtenu une vente raisonnable.
Ce travail de lecture, d'analyse et de tri a été réalisé tout le long de l'année
par notre jury, composé cette année de 80 étudiants répartis sur tous les pôles de
l'Université d'Artois. Comme nous l'avons vu plus haut, ils ont récompensé Eric
NATAF pour Autobiographie d'un virus. Il me semble pertinent de rechercher les
motivations qui ont déterminé cette sélection.
◊
« Autobiographie d'un virus est un roman passionnant qui mêle enquête et sciencefiction sur fond de pamphlet contre l'humanité. Une fois commencé, on est pris : il
faut finir le roman pour connaître la vérité. On fait même des hypothèses sur
l'origine des virus. Je regrette juste l'usage un peu pompeux de termes latins.
Sinon, c'est un formidable roman qui se lit avec plaisir » (une étudiante de lettres).
Ou bien encore : « S'il y a un premier roman à lire cette année, c'est bien
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celui d'Eric NATAF Autobiographie d'un virus. Ce roman de cinq cents pages mêle
habilement science-fiction et métaphysique en nous présentant les virus comme
des entités pensantes, qui cherchent à se reproduire à tout prix et qui, dans ce seul
but, attaquent l'homme dans sa fécondité. Le héros, Max Journo, un scientifique,
est le premier à découvrir cette anomalie du sperme causée par le virus. Cette
anomalie, appelée SYSTAC (syndrome de stérilité acquise) lui vaudra la gloire mais
aussi son renvoi. C'est grâce à sa rencontre avec la mystérieuse Julia Berenson qu'il
découvrira le virus et ses véritables intentions. Mais sera-t-il encore temps ? ... Si
vous aimez les intrigues rondement menées et la belle littérature, c'est à ne pas
rater » (une étudiante d'histoire).
La (traditionnelle) réception de l'auteur à Arras et les échanges qu'il a su
nouer avec les jeunes critiques les ont tout autant séduits que son roman. Les
discussions ont conforté, ont-ils dit, le talent de ce médecin, son intelligence, son
humanité et sa grande curiosité d'esprit. Il leur a confié que, bien qu'adorant son
métier, l'écriture représentait pour lui un souffle nécessaire.
◊
Comme nous l'avons constaté, les sujets traités dans ces premiers romans sont
nombreux et diversifiés, tout autant que les personnalités de ces nouveaux
écrivains. Plusieurs sont encore étudiants tandis que d'autres ont dépassé l'âge de
la retraite. Ils sont souvent journalistes ou enseignants, mais aussi ingénieurs,
médecins, ou styliste, telle Chantal BOURBIGOT (Loin de mes proches).
Des thèmes récurrents son mis en scène chaque année, avec un bonheur
inégal, comme le constate ce critique (étudiant en DEA de lettres) : « Il n'est pas
rare de rencontrer en littérature le thème de la première guerre mondiale. Le rêveur
d'étoiles d'Yves POURCHER offre une écriture sobre, mais qui manque de
dynamisme et de relief. L'histoire du héros est poétique, mais il manque de la force.
On lit ce roman sans jamais s'y abandonner et la toute fin, bouleversante, donne le
sentiment d'être passé à côté de l'essentiel, presque un sentiment de culpabilité.
C'est dommage ».
Même si, cette année, il a semblé aux jeunes critiques que davantage de
récits possédaient de la valeur et de l'originalité, il n'en reste pas moins vrai que
beaucoup de premiers romans sont mal construits, bâclés et sans épaisseur, ou
aussi très complexes et donc diversement appréciés. Voici l'analyse fine et subtile
d'un étudiant en Sciences humaines à propos de La Mère des batailles de Benjamin
PELLETIER :
« Cet ouvrage, l'auteur l'a écrit pour expier sa douleur après la mort de sa
mère. Lorsqu'on referme le livre, on espère qu'il a réussi. Ce livre inspire
compassion, douleur, tristesse et touche chacun d'entre nous parce que c'est une
situation qui arrive un jour ou l'autre à tout le monde. Pourtant j'ai eu une
impression de redondance, comme si l'auteur voulait nous décrire ses sentiments,
et, cela étant difficile, il raconte plusieurs fois les mêmes choses ».
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Un autre étudiant en lettres, nuançant le propos, écrit : « Benjamin
PELLETIER nous livre le récit du combat de sa mère contre la maladie : le cancer.
La métaphore du soldat est présente, et plus intéressante encore celle de la femme
enceinte, mais cette fois-ci il s'agit d'un accouchement vers les ténèbres, la mort.
La lecture est difficile, le style audacieux, mais le découpage du livre permet de
s'arrêter et de rentrer dans la relation amoureuse qu'entretient Benjamin avec sa
mère, cette relation amoureuse d'un fils pour sa mère, pour qui rien ne sera plus
comme avant. Ce livre mérite une lecture suivie sans précipitation, de par la
difficulté du thème abordé, mais aussi par son écriture exigeante. Il est bon de
prendre son temps et de s'arrêter pour saisir toute la profondeur de l'entreprise ».
Le jury a regretté l'abondance de récits sombres, où la mort est prégnante
et même obsédante selon le commentaire de cette jeune linguiste :
« Passerelle, de Sylvain FANET, se présente comme un roman au sujet
délicat : la mort. Mais ici, la mort est décrite non pas par la personne qui l'attend,
mais par son mari. Ce roman donne à voir la façon dont la mort envahit la femme
qu'il aime et le vide qui se crée dans sa vie. La mort devient d'une absurdité encore
plus insoutenable ».
La mort est abordée aussi par le biais du suicide, ce que relate La Serre de
Sandrine BAILLY :
« C'est une destinée belle, poignante : une jeune femme part "à la
recherche" de sa mère, décédée un an plus tôt. Son voyage intérieur s'accomplit
grâce aux souvenirs qui vagabondent dans l'appartement où elles vécurent toutes
les deux. Elle la recherche également à l'extérieur de l'appartement, dans les serres
d'Auteuil où toutes deux allaient se promener. Elle se laisse alors couler lentement
dans les serres où les fleurs l'accompagnent jusqu'à la fin » (une étudiante de
lettres).
Les critiques ont eu le sentiment que l'angoisse du quotidien, le manque de
communication, la solitude, qui affectent parfois notre société, atteignaient de plein
fouet les nouveaux écrivains. Ils en ont relevé de multiples exemples : le suicide
encore, avec N'oubliez pas de vivre de Thibaut DE SAINT-POL, L'Anthologie des
apparitions de Simon LIBERATI : écoutons l'analyse de ce récit, proposée par un
étudiant scientifique :
« Il y a quelques années, Claude perdait sa sœur, Marina, avec laquelle il
arpentait les boîtes de nuit. Drogué, désabusé, il n'a jamais connu les circonstances
exactes de la disparition de sa sœur et a gardé ce mode de vie déjanté... Le style
de Simon LIBERATI est très intéressant. Il parvient à nous décrire un univers à la
fois glauque et brillant, de manière à nous faire comprendre les personnages et leur
philosophie quasi nihiliste ».
Quelques membres du jury s'indignent de romans mal écrits, maladroits et
ennuyeux. Un étudiant de lettres exprime ainsi son mécontentement à la lecture de
« Je rêvais que j'étais un ange » d'Agathe GOSSE :
« Elle déçoit par sa platitude : pas de rythme, de sursaut, par le nombre
d'effets qui reviennent, toujours mal utilisés, par des défauts stylistiques aussi sur
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l'emploi des temps. Elle crée une sorte d'incapacité à ce que les mots se mêlent à
l'histoire » (un étudiant de DEA de Lettres).
Les membres du jury n'évaluent pas tous de la même manière les lectures
effectuées, tant il est vrai que la subjectivité, le parcours de chacun, la sensibilité,
entraînent des jugements bien différents.
Cette même histoire « Je rêvais que j'étais un ange » a rencontré un écho
plus ému chez une autre lectrice :
« Pas facile d'exprimer ce que l'on ressent pendant la lecture de ce récit, et
encore moins l'état dans lequel on est après... C'est un de ces livres qui vous
rendent nostalgique dès l'instant où vous tournez la dernière page, un de ceux qui
donnent envie d'écrire, un de ceux que l'on n'ose pas relire de peur de ne pas
retrouver le même plaisir... Agathe GOSSE parvient à assembler les mots justes qui
transcrivent d'une manière troublante ces petites sensations qu'on a tous connues :
les paumes appuyées sur la surface épaisse d'un gros arbre, des mains maternelles
attentionnées qui se posent sur nos joues. Ce livre passe trop vite ».
◊
Pourtant, outre le livre primé, quelques premiers romans ont emporté l'adhésion de
tous, mettant en valeur une véritable qualité d'écriture et une recherche dans la
trame de l'histoire.
Il en est ainsi de « Clara la nuit » de Catherine LOCANDRO, selon les dire de
cette étudiante de lettres :
« Clara la nuit » est un récit pour le moins fascinant, à la fois très dur et
baigné d'humanité. On se demande en tant que lecteur, quelle position adopter.
Faut-il juger ? Ou
tenter
de
comprendre ? Ou encore garder une certaine
distance, illusoire protection ? Ce livre est remarquablement bien écrit : on sent à
travers les mots du récit la force du roman. Malgré un sujet grave, fort et poignant,
on ressent de la gaieté et la rhétorique de l'histoire m'a particulièrement séduite ».
Un autre titre a bien amusé les jeunes critiques : « Un cheval piaffe en moi
» de Françoise GRAUBY :
« Ce roman nous livre les années initiatiques d"une jeune femme propulsée
professeur dans une région autre que la sienne, mal dans sa vie et qui rêve d'
"ailleurs". Les anecdotes de la première partie du livre m'ont souvent interpellé et
renvoyé aux joies et peines qui font le quotidien d'un enseignant. Mes parents sont
de fait eux aussi enseignants, et la lecture de cet ouvrage m'a fait sourire parfois :
le rituel de l'inspection, de la salle des profs, de la rentrée des classes sont autant
d'images que j'ai vécues par procuration, et cela depuis ma plus tendre enfance...»
(un étudiant de lettres).
Parmi les textes qu'a apprécié le jury, l'un n'était pas séducteur mais difficile
et aride, et pourtant il a retenu son attention. C'est ainsi qu'une étudiante de
lettres l'analyse :
« Court-serpent » de Bernard DU BOUCHERON est un roman intrigant et très
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dur. Il "sélectionne" certains lecteurs en effrayant les autres. Il n'est pas ce qu'on
peut appeler un roman "tout public". Si l'on se sent prêt à surmonter tous les
obstacles de ce livre (style complexe, thème ardu) on peut alors accéder à la
richesse du récit de Bernard DU BOUCHERON, et même à une certaine forme
d'humour très amer. Le thème de la religion, des volontés de ses serviteurs et de
leurs moyens d'action plutôt barbares mais toujours soigneusement "justifiés" est
tout à fait fascinant. Enfin, la triste histoire d'Avarina nous laisse croire qu'il reste
un peu d'humanité, du moins de la part d'un serviteur de Dieu... Il n'en est rien. Le
roman se termine par un chapitre qui remet totalement en cause les paroles de
l'abbé, et avec lui la religion tout entière. Court-serpent
explore les limites du
monde et de l'humanité, et il ne peut laisser indifférent ».
D'autres romans encore ont procuré un vrai plaisir de lecture aux jeunes
critiques : j'en veux pour preuve l'enthousiasme de cette étudiante scientifique :
« Ce roman possède tous les ingrédients d'un roman d'exception : une très
belle histoire, des personnages "vrais", touchants, une belle leçon de vie : le secret,
la mort, l'amour, la maladie... Le style, moderne et poétique, conserve une grande
fluidité. C'est un roman rare, magnifique, qui procure beaucoup d'émotion » (Je me
souviens de tout, d'Isabelle DESESQUELLES).
Les critiques ont souhaité se dégager aussi des romans trop sombres, en
privilégiant des récits qui savent garder une certaine distance, dans un contexte
pourtant difficile. Tel est le cas de Faïza GUENE pour « Kiffe Kiffe demain » :
« Ce roman se lit facilement : le ton est léger, les chapitres courts
s'enchaînent de manière dynamique. Les personnages sont attachants, le portrait
se trouve toujours habilement brossé. Et puis "ça finit bien»... Le "happy end" colle
bien à l'esprit du livre. Dans ce premier roman, qui ne cherche pas à nous apitoyer
sur les problèmes des cités comme peut le faire la télévision, l'humour ne manque
pas, qui intensifie plus encore l'émotion ».
Deux romans antithétiques ont intéressé nombre de lecteurs : il s'agit de «
L'eau du bain » de Pascal MORIN et de « Octave avait vingt ans » de Gaspard
KŒNIG :
Pour un étudiant littéraire, « L'eau du bain » est un roman étrange qui se lit
facilement : « il intrigue sans jamais livrer la clef. Incisif, ce roman cruel possède la
légèreté des fables, une amoralité réjouissante. Sous des dehors d'innocence, pèse
une atmosphère lourde de non-dits et même de crimes déguisés. Un excellent
roman qui ne livre pas tous ses secrets ».
Une étudiante de langues relève, au contraire, dans « Octave avait vingt ans
» force détails et descriptions qui font tout l'intérêt du texte : « C'est un roman
centré sur la personnalité et la vie d'Octave, personnage singulier imbu de luimême et en même temps pétri de complexes. Ce récit offre un style très littéraire
avec de belles descriptions et une analyse approfondie et inédite sur la relation du
héros à l'art, à la sexualité ».
Le jury a également plébiscité « Une vieille querelle » de Stephen
CARRIERE, dont voici l'analyse d'un critique :
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« L'auteur a su mettre en scène un vrai conflit d'influences en le traitant à
l'intérieur d'un cirque. Johann le marionnettiste, qui travaille de ses mains, et
Jérôme le montreur d'automates, qui fait appel à la machine, vont se livrer, au
cours d'une représentation, un duel, marionnettes contre automates. C'est un peu
la querelle des Anciens et des Modernes, contée dans un réalisme magique : il
s'agit d'une histoire originale au style sans fioritures, avec des péripéties
parfaitement maîtrisées ».
◊
Au terme de ce bilan il convient de remarquer la représentativité de tous les pôles
de l'Université d'Artois, et l'enthousiasme intact des étudiants qui y participent.
Engagés dans cette activité littéraire, les étudiants évoquent toujours le plaisir
d'échanges critiques, d'analyses en commun, pour faire le tri dans cette production
pléthorique de premiers romans. Ils soulignent aussi la découverte d'auteurs très
diversifiés qu'ils n'ont pas l'occasion de rencontrer dans leurs études, et le plaisir de
ces lectures non codifiées, libres et néanmoins exigeantes.
En 2005, contrairement aux années antérieures, il est intéressant de
constater que le jury de l'Université d'Artois s'est trouvé en phase, dans ses
découvertes littéraires, avec la critique nationale, tant se dégageait la qualité de
certains récits.
Il semble que ce Prix représente, aux yeux de ces jeunes lecteurs, un projet
collectif valorisant qu'ils partagent avec les bibliothécaires et les enseignants.
L'appétit de découverte est fondamental, car la recherche, le travail de tri, la
curiosité, exigent du temps. Nous souhaiterions que les étudiants lecteurs de
l'Université d'Artois, au-delà de leur propre plaisir, fassent acte de « passeurs
littéraires ». Nous souhaitons, suivant la formule de Livre Hebdo (n° 585, janvier
2005), qu'ils « deviennent de grands consommateurs de livres, alimentant le
bouche à oreille, dans le jeu social qui caractérise la distinction culturelle chère à
Bourdieu, qu'ils sortent du plaisir du sentiment d'appartenance à un petit groupe
d'amateurs éclairés pour pouvoir se féliciter ensuite de leur position d'éclaireurs
avisés ».
Lise BOIS
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