Brasilia, plus jeune capitale du monde : entre

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Brasilia, plus jeune capitale du monde : entre
Brasilia, plus jeune capitale du monde : entre utopies et réalités
Marie Le Scaon
Pourquoi une nouvelle capitale ? Un besoin
mais aussi une volonté politique
A la fin des années 50, le Brésil vit des années dorées.
De 1956 à 1961, le pays s'invente une épure
moderniste, fondatrice de l'identité brésilienne
contemporaine sur la scène mondiale. Après le suicide
du président autocrate Vargas en 1954, la crise
politique se résorbe avec l'élection de Juscelino
Kubitschek de Oliveira en janvier 1956. Maire de Belo
Horizonte, et gouverneur de l'Etat du Minas Gerais,
portait un message prometteur : « Cinquante ans de
progrès en cinq ans ». Une fois élu, porté par son
époque et reprenant le troisième article de la
constitution républicaine de 1891, il lance le projet de
la nouvelle capitale fédérale, Brasilia, vitrine du futur
radieux du Brésil, sans se soucier des difficultés
financières que connaît le pays. Les critiques
remplaceront justement son slogan par « Cinquante ans
d'inflation en cinq ans ». Il faut cependant rappeler
que l’objectif premier de la construction d’une
nouvelle capitale sur le plateau central brésilien était,
dans la constitution républicaine, d’équilibrer le
développement du Brésil dominé par les villes du Sud
(Sao Paulo, Rio de Janeiro), en termes de richesses et
de population.
gouvernemental, axe résidentiel. Commerce
culture au croisement. » Lucio Costa.
et
Tout a été conçu de manière pratique. Les écoles, les
parcs, les centres commerciaux mais aussi les parkings
et les maraîchers ont été imaginés pour rendre chaque
quartier autosuffisant. Cependant, travail et habitat ne
se mélangent pas.
« Brasilia, capitale de l’espoir », André Malraux,
lors de la visite de la ville en construction.
L'architecte Oscar Niemeyer se charge quant à lui des
bâtiments principaux, mais aussi des appartements des
quartiers d’habitation : les Superquadras, voulus par
Costa. : « Une suite continue de grandes quadras
semblables »
Un projet utopique porté par deux figures de
la conception urbaine
L’urbaniste Lúcio Costa dessine les plans, avec l'idée
que la ville doit symboliser la modernité du Brésil. Il
trace deux axes, l'Axe monumental (Est-Ouest), le long
duquel sont implantés les bâtiments officiels, mais
aussi les activités commerciales, et un axe courbe
(Nord-Sud), sur lequel sont implantés les quartiers
d'habitation. Le tout a la forme d'une croix ou d'un
avion, symbolisant l’isolement de cette capitale et sa
dépendance des liaisons aériennes.
« Le geste primaire qui prend possession d'un lieu, le
signe de croix. Deux axes, deux croisements. Axe
Isolée de la circulation des voitures, la Superquadra
doit être le lieu privilégié de la sociabilité : les
boutiques disposées entre deux Superquadras et
séparées par une voie motorisée, doivent avoir leurs «
vitrines sur la partie faisant face aux ceintures
d’arbres encadrant les blocs d’appartements » (Costa,
1957). Lucio Costa cherche à contraindre les habitants
à changer leurs pratiques urbaines en supprimant la rue
comme lieu d’échange social.
Des objectifs ambitieux
L’utopie de Brasília repose sur une double hypothèse :
l’organisation urbanistique de la ville doit être un
remède à la séparation des classes sociales et
l’architecture doit prévenir la discrimination sociale et
forcer le mode de vie et de nouvelles pratiques socialourbaines.
Un bilan contrasté
Les 1ers habitants sont enthousiastes, Brasilia n’est pas
loin de la cité idéale de l’époque. Etant avant tout un
projet politique socialiste, elle a pour objectif de
réaliser l’égalité sociale. En quelques années, le rêve
utopiste provoque l’admiration de la communauté
internationale. Brasília est d’ailleurs désignée
Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco
seulement 27 ans après sa création.
« Tout conspirait à notre cause. Le monde nous
regardait avec un mélange d'envie et d'admiration.
Vinicius de Moraes avait composé Orfeu. Nous étions
le pays du "il l'a dit, il l'a fait" » Le quotidien O
Globo (1960).
périphérie offre 3 alternatives : les favelas où
s’entassent les classes pauvres, les cités dortoirs où
vivent la masse ouvrière et les petits fonctionnaires,
puis les résidences privées où les classes aisées vivent
recluses.
A l’intérieur de la ville, l’absence de place publique
rend le cadre de vie utilitaire et sans plaisir.
L’organisation en quartiers indépendants, regroupant
commerces et services, tend à isoler leurs habitants et
rend indispensable l'utilisation de la voiture, car la rue
n'est plus un lieu d'interaction sociale : Brasília est une
ville conçue pour la voiture.
Pourtant, les habitants, riches ou pauvres, revendiquent
leur sentiment d’appartenance.
« C'est une ville que l'on passe son temps à vouloir
quitter, mais dont on n'arrive jamais à consommer le
divorce. » Un habitant de Brasilia, dans Le Figaro2.
Finalement, la construction de Brasilia a amorcé une
dynamique nouvelle au Brésil.
Mais, parallèlement à ce succès apparent, une toute
autre réalité se met en marche : on assiste au
« renversement de l’utopie » (Holston, 1989). La ville
doit initialement accueillir 500 000 habitants dans ses
Superquadras. Cependant, Kubitschek n’inclut parmi
eux que les fonctionnaires et commerçants, et estiment
que « Ces gens1 ne devront pas s’installer dans le Plan
Pilote ». Le choix est fait d’installer ces populations
dans 4 ou 5 villes satellites en périphérie, censées
apparaître dans un 2nd temps. L’inverse se produit : les
villes satellites se développent pendant la construction
de Brasilia, et le 21 avril 1960, le jour de
l’inauguration, la population « indésirable » se répartit
déjà en 8 villes satellites. Elle est maintenant le centre
d’une agglomération de 2,5 millions d’habitants. Par
ailleurs, la gentrification de la zone centrale en a petit à
petit éradiqué les classes populaires, et exclut
maintenant les classes moyennes.
« Je crois que Brasilia a été utile. Elle a apporté le
progrès dans l'intérieur du Brésil, […]. Maintenant,
elle a tous les inconforts habituels d'une ville très
peuplée : beaucoup de gens, beaucoup de trafic.
Toutes les villes modernes sont ainsi. Elles n'ont plus
l'unité des villes anciennes et elles perdent leur
identité. » Oscar Niemeyer, 2000.
Une urbanité contestée mais une identité
revendiquée
MONNIER Gérard, CLAVAL Paul, Brasilia :
l'épanouissement d'une capital, 2006.
Son inscription au patrimoine de l’Unesco empêche
d’y réaliser des opérations de rénovation urbaine et
contraint la ville à rester figée dans le passé, conçue
comme une ville du futur incapable de vieillir.
DE MELLO Neli Aparecida, LE TOURNEAU
Francois-Michel, THERY Hervé, VIDAL Laurent
Vidal. Brasilia : quarante ans après, Editions de
l’Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine
(IHEAL), 2004.
La ville que l’on appelait la capitale du 21ème siècle est
surtout une ville des années 60 qui ne répond plus aux
attentes des urbains, soucieux d’économies d’énergie
et de facilités de déplacement.
En savoir plus :
Autre contradiction, il faut sortir du centre de Brasilia
pour comprendre le mode de vie de ses habitants. La
2
1
Les ouvriers constructeurs : les « candangos »
BARAN Claudie, Brasilia, la plus jeune capitale du monde !,
Le Figaro, 31/05/2013.