Ecole Française et Jeunesse Je m`appelle Thibaud Frossard. J`ai

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Ecole Française et Jeunesse Je m`appelle Thibaud Frossard. J`ai
Ecole Française et Jeunesse
Je m'appelle Thibaud Frossard. J'ai grandi en province dans une région qui se
dépeuple de plus en plus selon les derniers communiqués de l'INSEE. Mon père est ouvrier,
ma mère infirmière. Un ménage moyen dans une ville moyenne. J'ai fréquenté un collège
classé Zone Education Prioritaire à la suite de la circulaire Jospin de 1990, puis un lycée au
milieu d'un quartier réputé dangereux par les médias. Pour autant, je n'ai jamais manqué de
rien, mes parents ont toujours fait tout leurs possibles pour que je puisse m'épanouir dans les
meilleures conditions.
Je suis maintenant à l'Ecole Polytechnique et cette progression dans l'échelle sociale,
je la dois au système français qui a su mettre à ma disposition par l'Education et par la qualité
de l'enseignement que j'ai pu avoir les moyens nécessaires à ma réussite. Je la dois aussi à
mes parents qui ont su m'inculquer les valeurs et prodiguer les conseils opportuns.
Ainsi, investir l'avenir c'est peut être tout simplement investir sur l'avenir et donc sur
la jeunesse. L'éducation en France se doit d'être réformer, aussi bien que le rôle donné aux
jeunes. Mon propos ne doit pas pour autant être compris comme une dénonciation de la
gérontocratie ou un quelconque manque de reconnaissance envers la société dans laquelle
nous vivons. Investir sur l'avenir c'est créer une passerelle entre les générations afin d'éviter la
mise en place du fossé intergénérationel.
Comment l’école française scinde notre jeunesse ?
Je n’ai gardé que très peu de contacts avec les personnes que j’ai fréquenté à l’école
primaire et au collège. Cela vient peut être du clivage orchestré par l’école. Bien que très
idéaliste, je ne peux que constater avec peine la séparation logique qui apparaît à chaque étape
de la vie. Loin de moi l’idée de reporter entièrement la faute sur l’école et de croire en la
possibilité d’une éternelle continuité. Cependant, force est de constater que les séparations
sont trop brutes, trop dichotomiques et même si à l’échelle individuelle, cela peut parraître
négligeable, ce n’est absolument pas le cas à l’échelle de la nation. La jeunesse française se
déchire et le système éducatif en est la cause.
La première grande distinction est celle entre diplômés et non diplômés. Nous
entendrons par non-diplômés toute personne n’ayant pas obtenu de certificats (Baccalauréat,
CAP, BEP …) à l’issue de sa scolarité. Plusieurs économistes à l’instar de Pierre Cahuc ou
André Zyldeberg ont dévoilés les dessous de notre système. Ainsi, chaque génération voit
17% des siens quitter le système éducatif sans diplôme. Il y a de cela une cinquantaine
d’années, cela n’aurait pas été un problème. Les jeunes non diplomés pouvaient par exemple
rejoindre des emplois moins qualifiés dans l’industrie. Le marché du travail s’est requalifié au
cours des dernières décennies grâce à l’automatisation. Dans les années 1970, le risque de
chômage était une fois et demi plus élevé pour un jeune non diplomé que pour un jeune
diplomé. Le rapport est aujourd’hui de deux-et-demi.
Comment le marché du travail ne fait qu’amplifier la division ?
Si l’on pourraît croire que le marché du travail permettrait de rétablir une certaine
égalité entre les deux jeunesses, il n’en ait en fait rien. Celui-ci ne permet pas aux jeunes nondiplomés d’acquérir des compétences professionnelles par l’expérience. Bien au contraire, il
creuse les écarts. Puisque l’absence de diplômes concerne presque un français sur cinq,
quelque chose doit être fait. Bien sûr, le but n’est pas de donner des diplômes à tout le monde
puisqu’il n’aurait aucune valeur mais bien de rendre à chacun la possibilité et le droit à une
formation complète à n’importe quelle étape de la vie.
Il faut investir sur un système scolaire parallèle permettant à ceux qui ne se retrouvent
pas dans les valeurs de l’école traditionnelle de trouver leurs voies. Il y a de nos jours une
trop grande connotation négative dans le terme « orienté ». Je me rappelle personnellement
avoir vu des enfants pleurer de honte lorsqu’on leur a annoncé qu’ils seraient souhaitable de
s’orienter vers une filière professionnelle. Ce ne devrait pas être le cas. L’accent est beaucoup
trop donné à la théorie et non à la pratique. Des présentations de métiers et des heures
d’orientation obligatoires faites par des spécialistes devraient être instaurées en France dans
les programmes. Cela dynamiserait la diversité des formations et réduirait le nombre de sans
diplômes. Enfin, il est évident que cette politique ne sera pas universelle, l’obligation d’un
suivi national personnalisé pour les jeunes quittant le milieu scolaire sans diplôme pourraît
permettre une intégration accrue de ces derniers au marché du travail. Le coût d’une telle
politique semble sur le court terme beaucoup trop importante mais la vie ne se limite pas au
dix prochaines années mais bel et bien aussi à ce que la société sera dans trente ans. Il faut
donc croire au sacrifice pour redonner un jour à la France la consistence nécessaire à son
rayonnement.
Comment l’école de la République se situe par rapport à l’égalité des chances ?
Je crois aussi que cela ne pourra être fait sans la compréhension complète de la
population française et des changements culturels qu’elle a connu depuis 20 ans. Si l’on
regarde des études économiques récentes, c’est de plus en plus l’origine nationale et non
l’origine sociale qui semble être la cause des inégalités dans le monde du travail. La forte
corrélation entre les deux origines restent cependant fortes. A caractéristiques égales, le risque
d’être au chômage pour un jeune d’origine maghrébine est neuf points supérieurs par rapport
la moyenne des jeunes. Une très belle étude de Romain Aeberhardt, Denis Fougère et Julien
Pouget Wages and Employment of French Workers with African Origin montre avec brio ce
clivage.
Loin d’imposer à l’école ou au marché du travail des quotas comme dans le cas d’une
politique d’affirmative action ou d’imposer des générations sacrifiées, l’école de la
République peut permettre des politiques d’ouvertures sur les autres cultures en décentralisant
les programmes de l’Europe Occidentale permettant ainsi à tout à chacun de connaître la
culture de son voisin. Des journées de la diversité ouvertes aux parents donneraient une image
plus juste de toutes les cultures contrairement aux faits divers martelés par certains médias
habitués aux amalgames.
Comment la frustration grandit au sein de notre jeunesse ?
C’est avec tristesse que j’ai constaté aux vues d’un sondage Harris Interactive que
60% des français de 25 à 34 ans estiment qu’ils vont moins bien vivre que leurs parents. Ce
constat n’est pas à négliger, cela représente un risque pour la société. Des économistes
comme Eric Maurin ont mis en avant cette peur dans des livres comme La Peur du
Déclassement.
Tout d’abord, d’un point de vue purement humaniste, il est difficile d’accepter de
voir certains membres de la société dans une détresse émotionnelle, désillusionnés et n’ayant
plus aucun espoir. Un soutien psychologique et de la compassion s’avèrent alors salvateurs et
pourraient redonner confiance. Si l’on reprend le clivage diplômés/non diplômés, on
constatera que 15% des jeunes non-diplômés face à 8% pour les jeunes diplômés estiment ne
pas pouvoir recevoir un soutien assez important. Si les jeunes encore à l’école ou les étudiants
peuvent bénéficier du soutien d’un psychologue scolaire, les non-diplômés livrés à eux même
et souvent en précarité ne peuvent compter sur peu de solutions. La sécurité sociale ne prévoit
aucun remboursement d’une consultation chez le psychologue, or mis si celle-ci est effectuée
dans un CMP (Centre Médico-Psychologique) sur lesquelles les listes d’attente sont longues
et dont le nombre est limité. De plus, en France l’idée de rencontrer un psychologue et la peur
du jugement rend le problème encore plus grand. Il n’existe alors pas de solutions simples
pour les jeunes se sentant isolés.
Cet isolement s’accentue encore lorsqu’on y intègre des questions d’implication et
d’intégration au sein de la société. Ainsi, 31% des jeunes non diplomés trouvent leur
existence « vide de sens » et ne s’intéressent pas à la vie de la cité. Pis encore lorsqu’on en
vient au domaine politique, les écarts entre nos jeunesses croient, 70 % des jeunes présentant
un diplôme inférieur au Bac+2 ou non-diplomé disent se désintéresser totalement de la sphère
publique contre 38% pour les autres. Rappelons nous les immenses manifestations de 2006
faisant suite au CPE (Contrat Première Embauche) et remarquons que la majeure partie des
manifestants étaient étudiants du supérieur. Ce désintérêt pour la sphère politque croît
malheureusement sous la forme d’une spirale infernale. En effet, le désintérêt pour la
politique entraîne un manque d’implication dans la vie de la communauté, une mise en marge
de la société et donc un fort taux d’abstention. Celui-ci entraîne l’élection de personnalités
pour lesquels les jeunes n’ont pas d’attrait où dont ils ne reconnaîssent pas la légitimité. Le
schéma s’amplifie alors et peut amener à des situations extrêmes. L’élection présidentielle de
2002 et le taux d’abstention de 40% chez les moins de 25 ans au premier tour expliquent les
résultats et l’heure sombre que la France a connu. La société s’en trouve alors touchée dans
son ensemble. On me rétorquera que la jeunesse ne se reconnaît pas dans les valeurs de
gauche ou de droite. En effet, ils sont 53% à ne pas savoir se situer. Jouer le jeux des partis
n’est en soit pas une nécessité, mais c’est malheureusement botter en touche et peut amener à
une radicalisation profonde d’une jeunesse de plus en plus tourmentée.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque Jacques Attali, ancien conseiller spécial du
président Mitterrand et fidèle partisant du long terme, estime qu’une révolution générale est
proche. L’histoire française m’amène à croire que ceci est possible et ce n’est selon moi pas à
un Mai 2020 que nous allons assister mais plutôt à une résurgence d’un 6 février 1934. La
décision de 2013 du gouvernement de dissoudre les groupuscules d’extrême droite rappelle
les décisions de ces années 20 et 30 où les gouvernements de la Troisième combattait les
ligues.
Des mesures fortes doivent être rapidement prises par les gouvernements. Investir sur
l’avenir de la France doit se faire ici et maintenant et doit être porté par des mesures fortes.
Ce que je vais proposer maintenant loin de proposer un remède miracle représente une
solution économiquement, politiquement et surtout socialement envisageable.
Comment des mesures simples pourraient réintégrer la jeunesse à la société ?
Tout d’abord acceptons que malgré les réformes consécutives de l’éducation en
France de droite comme de gauche, les gouvernements ont été incapables de « refonder
l’Ecole de la République » d’après le nom du Rapport Peillon de 2013. En France comme
nous l’avons déjà supposé le principale problème est l’échec scolaire qui amène au
décrochage. De nombreuses politiques du gouvernement actuel sont opportunes. Ainsi, le
désir de Vincent Peillon de vouloir doter la France d’une école primaire forte afin de prendre
le problème à la source semble louable. Il s’inscrit dans la continuité de travaux comme ceux
de James Heckman qui par l’analyse de données américaines a pu montrer que c’est en
investissant sur les plus jeunes que le retour sur investissement est le plus grand. Malgré le
coût budgétaire très important, redonner un sens à la formation des maîtres d’école au sein
des EPSE (Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation) en assurant la primauté de la
pédagogie a un véritable sens. De même, malgré la réticence de nombres communes,
l’instauration de la réforme des rythmes scolaires représente un défi et un véritable
investissement sur l’avenir, l’avenir de la notion d’égalité. Ayant moi même été confronté à
cette question lors d’un stage au sein d’un groupe scolaire en banlieue parisienne, cette
politique semble certes onéreuse mais pourraît redynamiser la notion d’égalité des chances
sur laquelle nous reviendrons plus tard. De plus, cette demande du gouvernement entraîne une
demande de travail et pourraît permettre à certains intermittents de (re)trouver des moyens
d’exercer leurs activités. De même, cela permet au sein des communes de créer des liens entre
les diverses institutions locales. Citons par exemple la possibilité de mettre en place des
passerelles avec les MJC (Maison de la Jeunesse et de la Culture) et de redorer leurs images
bien trop souvent associées aux quartiers sensibles et à la délinquance. Malheureusement,
l’intérêt et la logique des réformes s’arrêtent là. La décision de créer 60 000 postes d’ici à la
fin du quinquennat pourraît compromettre toute la politique gouvernementale. En effet, celleci est à l’opposé même de la première partie de la réforme. Le problème n’est pas le nombre
d’enseignants mais une question de moyens et une redéfinition de ce poste. L’école est trop
verticale, trop obnubilée par le classement et non par la réussite. A l’heure actuelle, au lieu de
valoriser la réussite et la compréhension d’un élève, on estime qu’il faut classer les élèves et
qu’une classe qui n’aurait que des 18 n’est pas possible. Chez les plus jeunes, travailler et
obtenir une mauvaise note est frustrant et ne les encourage pas à travailler. Il faut sortir de la
notion de « Surveiller et Punir » dénoncé par Michel Foucault, dépassé et aliénante. Il faut
s’adapter à cette nouvelle génération marquée par les réseaux sociaux et la révolution
numérique. La vie à l’école comme à la maison a changé.
L’école n’est pas la seule en cause. Le désintérêt croissant des parents pour les études
des enfants ou pis encore, la condamnation permanente de l’école par ces derniers ne sont pas
constructifs. Des études récentes proposées par des économistes comme Marc Gurgand
proposent aux travers de brillantes études économétriques des solutions simples, peu
couteuses et pour autant efficaces. Je citerai par exemple l’article Getting Parents Involved : a
Field Experiment in Deprived Schools (Review of Economic Studies vol. 81, n°1, 57-83,
2014) qui propose et met en avant l’intérêt de l’implication des parents dans le milieu
scolaire. Cette étude réalisée dans l’académie de Créteil montre que quelques réunions
mensuelles avec les parents au sujet du collège permettrait entre autre de combattre
l’absentéïsme et l’inattention à la fois pour les élèves touchés directement mais aussi pour les
autres en une sorte d’effet de groupe. D’autres études mandatées par l’assemblée nationale et
réalisées en commission laissent apparaître la nécessité d’impliquer la famille différement, la
répression et les carnets de correspondance ne suffisent pas. D’autres solutions innovantes
proposées et évaluées par des économistes de renom comme Ester Duflo ou Luc Behagel sont
présentées sur le Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab. Ces propositions pourraient
permettre de réunifier la jeunesse et réaffirmer la position de la France comme vecteur
d’égalité.
Si l’école se veut vecteur de mixité par exemple, les statistiques montrent qu’un jeune
dont le père est ouvrier ou employé a deux chances sur dix d’obtenir un baccalauréat général
contre six chances sur dix pour un enfant de cadre ou de technicien. Si des programmes
récents comme les internats d’excellence ont montré selon les études de Marc Gurgand
(Rapport sur Sourdun) un intérêt réel sur le long terme pour les élèves concernés, la décision
du gouvernement de les fermer semble brusque. Rappelons que la cause est budgétaire. Je ne
citerai encore une fois que James Heckman qui rappelle l’intérêt d’investir sur le capital
humain et Pierre Cahuc qui dans son article The detaxation of Overtime Hours : Lessons from
the French Experiment montre que plus de 5 milliards d’euros sont utilisés chaque année pour
défiscaliser les heures supplémentaires sans effet sensible sur la durée du travail.
Le marché du travail est peu encourageant pour les jeunes de moins de 25 ans. Si on
en croît les enquètes de valeurs, les jeunes attachent autant d’importance à la valeur travail
que dans le passé. Leur donner la possibilité de croire en ce marché est une nécessité. Pour
autant à l’heure actuelle, ce marché est trop tendu : les contrats de travail proposés en France
sont peu ou pas adaptés aux jeunes, ce qui les précarise. L’utilisation à outrance de contrat de
stage ou de CDD (Contrat Durée Déterminée) n’est absolument pas socialement acceptable.
Si ces contrats permettent une relative maniabilité sur le marché du travail et de le fluidifier,
les jeunes sont de fait toujours les premiers à perdre leur emploi. Leurs manques d’expérience
les rend vurnérables et les places se font chères. De plus, le revenu de solidarité active (RSA)
n’est que peu voire pas du tout accessible aux moins de 25 ans. Certains jeunes se retrouvent
donc à la charge complète de leurs parents et tombent dans un pseudo-chômage de longue
durée. Or, rappelons nous que plus l’individu est longtemps installé dans le chômage moins il
lui est possible de retrouver un poste. La politique des contrats de générations proposés par le
gouvernement Hollande n’est économiquement pas intéressante. Elles entraînent simplement
de forts coûts budgétaires qui s’élèvent à presque un milliard par an. En effet, rappelons que
de toute façon si des employés partent en retraite, il faut les remplacer, emploi aidé ou non.
On répondra que cela peut permettre à des jeunes non qualifiés d’apprendre un emploi. Que
dire alors de ses jeunes qui à la suite du contrat se voient refuser le travail car ils n’ont pas
présenté les compétences nécessaires. Ceci s’est déjà passé à la CAF par exemple et les
jeunes n’en tirent que du remords et un sentiment d’injustice.
Pour autant, tout n’est pas perdu. Les jeunes doivent se réintéresser à la société dans
laquelles ils vivent et l’Etat doit les y aider. Des initiatives comme les conseils communaux
ou régionaux de la jeunesse permettent de leur rendre la parole et de réflechir à des
thématiques d’avenir. Cependant, la sphère politique reste très peu ouverte aux jeunes. En
effet, le cumul des mandats condamné par la commission Jospin ne sert qu’aux mêmes
toujours déjà implantés. L’idée d’un quota pour les élections par liste de jeunes pourrait au
même titre que la parité rajeunir la vie publique. Ainsi, la jeunesse prendra conscience des
enjeux et problématiques d’avenir et réussira sans doute à retrouver confiance en l’avenir.
La jeunesse est une période transitoire, marquée par la peur mais aussi par de très
bons moments, permettre à tout à chacun de la vivre pleinement et de se sentir bien redonnera
confiance à la société dans son ensemble car n’oublions jamais que les jeunes d’aujourd’hui
sont les décideurs de demain. Investir sur l’avenir c’est avant tout investir sur les plus jeunes.

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