Notion de faute intentionnelle en assurance : une

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Notion de faute intentionnelle en assurance : une
ACTUASSURANCE – LA REVUE NUMERIQUE EN DROIT DES ASSURANCES
Publication n° 10 1er trimestre 2009
Notion de faute intentionnelle en
assurance : une nécessaire dualité
Première partie
Sabine Abravanel-Jolly
Contrat d’assurance. – Exclusion légale de garantie. – Faute intentionnelle. – Notion
Au visa de l'article L. 113-1 du Code des assurances, la Cour de cassation a longtemps affirmé
qu'« au sens de ce texte, la faute intentionnelle qui exclut la garantie de l'assureur est celle
qui suppose la volonté de causer le dommage et pas seulement d'en créer le risque » (Cass.
1ère civ., 10 avr. 1996, n° 93-14.571, RGDA 1996, p. 716, note J. Kullmann). Ce faisant, en
exigeant à la fois une faute volontaire et un dommage recherché, la jurisprudence interprète
très restrictivement la notion de faute intentionnelle (V. G. Viney , La responsabilité civile,
Effets, LGDJ, 1988, n° 365, p. 476, LGDJ, 1988, n° 366, p. 477) et retient classiquement la
notion de faute intentionnelle subjective. D’ailleurs, en assimilant la faute dolosive à la faute
intentionnelle, la Cour de cassation ne retient qu'un seul motif d'exclusion alors que la loi en
mentionnait deux. En ce sens, l'exclusion légale n’a vocation à jouer que rarement, et
lorsqu’elle joue, on peut regretter l’application désordonnée qui en est faite par la Cour de
cassation (I).
Malgré une notion majoritairement unilatérale, la Cour de cassation n'a pas toujours été aussi
tranchée. Par certaines décisions, elle a pu laisser croire à une atténuation de la nécessité de la
volonté de provoquer le dommage, en reconnaissant la faute intentionnelle chez l'assuré qui
crée un risque de dommage, sans vouloir que celui-ci se réalise. C’est ainsi que sans le dire
explicitement, elle semble donner enfin vie à la « faute dolosive » prévue par l’article L. 1131, alinéa 2 du Code des assurances, et ainsi accorder une place à la notion de faute
intentionnelle « objective », chère au professeur Groutel (Resp. civ. et assur. 2005, com. 370),
et approuvée par le professeur Kullmann (Lamy Assurances 2009, n° 1292 à 1294 ; RGDA
2006, p. 637, spéc. p. 643-644). A cet égard, on ne peut qu’encourager la Cour de cassation
dans cette voie, au moins lorsque sont en cause des questions de responsabilité civile
contractuelle (II).
I) Une application jurisprudentielle désordonnée de la faute intentionnelle subjective
En théorie, la faute intentionnelle subjective définie par la Cour de cassation suppose la
réunion de deux éléments : un geste volontaire et la volonté de provoquer le dommage.
Malgré cette définition précise, la notion de faute intentionnelle demeure floue parce que la
Cour de cassation se livre à un contrôle normatif inconstant (A) et a recours à des fondements
parfois erronés (B).
A) Une notion floue due à un contrôle normatif inconstant
Comme il l’a été rappelé plus haut, sur le fondement de l'article L. 113-1 du Code des
assurances, la Cour de cassation s’est d’abord livrée à une interprétation très restrictive de la
notion de faute intentionnelle (v. G. Viney, préc.), affirmant qu'« au sens de ce texte, la faute
intentionnelle qui exclut la garantie de l'assureur est celle qui suppose la volonté de causer le
dommage et pas seulement d'en créer le risque » (Cass. 1ère civ., 10 avr. 1996, no 93-14.571,
RGDA 1996, p. 716, note Kullmann J.). En ce sens, la haute Cour a imposé la notion de faute
intentionnelle subjective (Lamy Assurances 2009, n° 1292).
Mais, par un arrêt de principe, commenté dans le Rapport annuel de la Cour de cassation, la
première chambre civile a décidé que « l'appréciation par les juges du fond du caractère
intentionnel d'une faute, au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances, est souveraine
et échappe au contrôle de la Cour de cassation » (Cass. 1ère civ., 4 juill. 2000, n° 98-10.744,
RGDA 2000, p. 1055, note J. Kullmann ; H. Groutel, L'appréciation de l'aléa et de la faute
intentionnelle dans le contrat d'assurance, Resp. civ. et assur. 2000, chr. n° 24, Rapp. C. cass.
2000, Doc. fr. 2001, p. 40). Si le juge du fond a toujours disposé d'un tel pouvoir pour relever
les éléments de fait, notamment l'intention de l'auteur de la faute, il a ainsi obtenu celui de
déclarer si ces éléments constituent, à ses yeux, la faute intentionnelle mentionnée par la loi.
En d'autres termes, après avoir établi les diverses circonstances dans lesquelles la faute a été
commise, il a pu souverainement se livrer à leur qualification, se permettant alors de rompre
avec la définition jusque-là donnée par la Cour de cassation. Ainsi, il a pu admettre, par
exemple, qu'au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances, un geste fautif volontaire
suffisait sans qu’il soit nécessaire que le dommage ait été recherché. Dès lors, à condition bien
sûr que la motivation de sa décision soit sans reproche, son approche du concept légal n'a plus
été contrôlée par la Cour de cassation.
Dans la continuité de ce mouvement de flou artistique de la notion de faute intentionnelle, en
mars 2002, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a également admis
l'appréciation souveraine, par le juge du fond, du caractère intentionnel de la faute de l'assuré :
« Ayant constaté que la société V avait élaboré un projet de construction destiné à appuyer
une demande de permis modificatif alors qu'elle ne pouvait ignorer, en tant que
professionnelle de la construction, que ce projet, tel que présenté, était irréalisable et qu'elle
avait construit un immeuble en sachant qu'il n'était conforme ni au permis de construire, ni
au plan d'occupation des sols, ni même au permis de construire obtenu sur la base du projet
irréalisable, la cour d'appel, appréciant souverainement le caractère intentionnel des fautes
de la société V, contre les conséquences desquelles elle ne pouvait s'assurer, a pu en déduire
que le GAN ne devait pas sa garantie » (Cass. 3ème civ., 9 janv. 2002, no 00-14.002, RGDA
2002, p. 66, note J. Kullmann, JCP G 2002, I, 116, note J. Kullmann, Resp. civ. et assur.
2002, comm. n° 158, note H. Groutel ; G. Courtieu, Mieux vaut des revirements que des
errements, Resp. civ. et assur. 2002, chr. n° 10 ; v. aussi, Cass. 3ème civ., 9 janv. 2002, n° 0017.394, Resp. civ. et assur. 2002, comm. n° 158, note H. Groutel).
Malgré cette apparente convergence, en 2003, la Cour de cassation est revenue à un contrôle
normatif, par un arrêt ainsi rédigé : « La faute intentionnelle, au sens de l'article L. 113-1 du
Code des assurances, qui implique la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu,
n'exclut de la garantie due par l'assureur à l'assuré, condamné pénalement, que le dommage
que l'assuré a recherché en commettant l'infraction » (Cass. 1ère civ., 27 mai 2003, n° 0110.478, RGDA 2003, p. 463, note J. Kullmann, Resp. civ. et assur. 2003, comm. n° 282, note
H. Groutel). Par la suite, la même position a été reprise par la première chambre civile de la
Cour de cassation, ainsi que la deuxième (Cass. 1ère civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.493, RGDA
2004, p. 370, note J. Kullmann : la faute intentionnelle, au sens du texte susvisé, qui implique
la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu ; Cass. 2ème civ., 18 mars 2004, n° 0310.720, RGDA 2004, p. 356, note J. Kullmann et Cass. 2ème civ., 18 mars 2004, n° 03-11.573,
RGDA 2004, p. 364, note J. Landel : la faute intentionnelle, au sens de l'article L. 113-1 du
Code des assurances, implique la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu ; Cass.
2ème civ., 23 sept. 2004, n° 03-14.389, Resp. civ. et assur. 2004, comm. no 389, note
Groutel H.). Les deux éléments en sont clairement rappelés : le geste fautif volontaire et la
volonté de provoquer le dommage effectivement survenu. En tout état de cause, ces derniers
arrêts rappellent que le juge du fond demeure souverain pour apprécier les faits de l'espèce au
regard de ces éléments : pratiquement, c'est la motivation de sa décision qui demeure
déterminante, comme l'écrit la Cour de cassation dans son Rapport annuel pour 2004 : « le
pouvoir souverain réaffirmé en faveur du juge du fond ne va pas jusqu'à remettre en cause le
contrôle que la Cour de cassation exercera toujours sur le caractère suffisant de la
motivation, indispensable pour lui permettre de vérifier que le juge du fond a tiré les
conséquences légales de ses constatations et appréciations souveraines » (Rapp. C. cass.
2004, Doc. fr. 2005, p. 352).
Si le contrôle normatif semble rétabli, les fondements retenus par la Cour de cassation
lorsqu’elle censure une décision des juges du fond sont parfois erronés, ce qui nuit là encore à
la cohérence de la notion de faute intentionnelle et, partant, à la sécurité juridique.
B) Des cassations aux fondements parfois erronées
Lorsqu’elle exerce son pouvoir de censure, tantôt la Cour de cassation casse pour violation de
la loi, tantôt pour manque de base légale, mais sans forcément en respecter leurs conditions
respectives. Or, en théorie, si l’on s’en tient aux principes, lorsqu’elle casse pour violation de
la loi, cela ne devrait être que parce que les juges du fond n’ont pas recherché la volonté de
l’auteur de causer le dommage. De même, lorsqu’elle casse pour manque de base légale, cela
ne devrait être que parce que les juges du fond n’ont pas mentionné des faits complets et
précis.
La réalité est bien différente ainsi que l’attestent trois arrêts rendus le même jour en 2006
(Cass. 2ème civ., 24 mai 2006, 05-14942 ,1ère esp. ; Cass. 2ème civ., 24 mai 2006, n° 05-13547,
2ème esp. ; Cass. 2ème civ., 24 mai 2006, n° 03-21024, 3ème esp., RGDA 2006, p. 632, note J.
Kullmann qui, à la lecture de ces arrêts, n’hésite à parler d’un « malaise »).
Dans l’arrêt du 24 mai (1ère espèce, préc.), rendu à propos du dommage provoqué par la chute
d’un enfant, se posait la question de savoir si le syndicat de copropriété, qui n’avait pas voté
la mise en place de garde-corps sur le toit, avait commis une faute intentionnelle. La cour
d’appel le pense mais sans se référer à la volonté de rechercher le dommage. Pourtant, son
arrêt est cassé par la Cour de cassation pour manque de base légale et non, à en suivre les
principes brièvement rappelés plus haut, pour violation de la loi.
De même, en ce qui concerne l’arrêt du 24 mai 2006 (2ème espèce, préc.), où la décision est
encore cassée pour manque de base légale alors qu’apparaissait une évidente faute
intentionnelle : il était question d’un incendie volontaire suivi d’une demande d’indemnisation
à l’assureur. A ce titre, la cassation pour violation de la loi s’imposait.
Le même constat peut encore être fait à l’égard du dernier arrêt du 24 mai 2006 (3ème espèce,
préc.). Dans cette affaire, la Cour de cassation était saisie de la faute d’un avocat qui n’avait
pas consigné les fonds de ses clients adjudicataires dans les délais réglementaires, ce qui avait
entraîné des intérêts de retard à leur charge. La cour d’appel estimait qu’il y avait faute
intentionnelle, et la cassation avait été demandée pour manque de base légale. Le pourvoi est
rejeté, la haute Cour considérant qu’il y avait eu volonté de l’avocat de causer le dommage.
Le moins que l’on puisse dire c’est que cette décision manque de rigueur, la cour d’appel
n’ayant même pas rappelé l’étape de la volonté de causer le dommage. En outre, le pourvoi ne
visait pas la violation de la loi mais seulement le manque de base légale, la Cour de cassation
n’avait donc pas à rappeler ce deuxième élément de la faute intentionnelle.
Un tel manque de rigueur révèle en réalité les limites de la faute intentionnelle subjective,
notamment, comme dans ces deux dernières affaires, pour les relations contractuelles. A leur
égard, une place doit être accordée à la faute objective ou dolosive prévue par l’article L. 1132, alinéa 2 du Code des assurances, aux côtés de la faute intentionnelle.
A suivre : cette revue, n°11, deuxième trimestre 2009

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