Notion de faute intentionnelle en assurance
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Notion de faute intentionnelle en assurance
ACTUASSURANCE – LA REVUE NUMERIQUE EN DROIT DES ASSURANCES Publication n° 11 2ème trimestre 2009 Notion de faute intentionnelle en assurance : une nécessaire dualité Deuxième partie Sabine Abravanel-Jolly Contrat d’assurance. – Exclusion légale de garantie. – Faute intentionnelle. – Notion I) v. cette revue n°10, trim. 1 2009. II) Le nécessaire recours à la faute intentionnelle objective ou faute dolosive dans les relations contractuelles La faute intentionnelle objective ou faute dolosive semble avoir été expressément prévue par l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances, comme distincte de la faute intentionnelle. Coexisterait donc deux catégories de faute intentionnelle, la faute intentionnelle subjective qui peut être appliquée en responsabilité délictuelle et la faute intentionnelle objective ou faute dolosive qui a sa raison d’être en responsabilité contractuelle (A). L’exclusion légale de la faute intentionnelle objective se justifie par le fait que la faute volontaire aboutit à la suppression de l’aléa tenant au dommage (B). A) La faute intentionnelle objective ou faute dolosive : une catégorie distincte de la faute intentionnelle subjective Si la doctrine défend l’autonomie de la faute intentionnelle objective, il semble que le législateur de 1930 n’ait pas été hostile à en faire une catégorie à part entière. En effet, pourquoi aurait-il maintenu les deux vocables « intentionnelle » et « dolosive », s'il avait voulu suivre les rapporteurs qui proposaient d'assimiler les deux notions ? (Lamy Assurances 2009, n° 1286). Or, à l’évidence, la faute intentionnelle subjective n’a pas sa place lorsque sont en cause des relations contractuelles (J. Kullmann, note sous Cass. 3ème civ., 9 nov. 2005, n° 04-11856 ; Cass. 2ème civ., 24 mai 2006, 05-14942 ,1ère esp. ; Cass. 2ème civ., 24 mai 2006, n° 05-13547, 2ème esp. ; Cass. 2ème civ., 24 mai 2006, n° 03-21024, 3ème esp., RGDA 2006, p. 632, spéc., p. 644). En effet, comme le fait remarquer le professeur Kullmann, comment soutenir qu’un entrepreneur commette une « négligence inacceptable », c’est-à-dire une faute volontaire dans le but de causer un dommage à son client ? Qu’il soit incompétent peut-être mais il n’agit certainement pas dans l’intention de nuire (J. Kullmann, note sous Cass. 2ème civ., 20 mars 2008, n° 07-10499, RGDA, p. 326). La faute intentionnelle est donc bien une notion dualiste. 1 Dès lors, pourquoi se priver du recours à la faute intentionnelle objective ou faute dolosive, expressément prévue par l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances, et judicieusement soutenue par les professeurs Bigot ( J. Bigot, Les limites du risque assurable, RGAT 1978, p. 174), Kullmann (note sous Cass. 3ème civ., 9 nov. 2005, n° 04-11856 ; Cass. 2ème civ., 24 mai 2006, 05-14942 ,1ère esp. ; Cass. 2ème civ., 24 mai 2006, n° 05-13547, 2ème esp. ; Cass. 2ème civ., 24 mai 2006, n° 03-21024, 3ème esp., RGDA 2006, p. 632, RGDA 2006, p. 632) et Groutel (Resp. civ. et assur. 2005, com. 370) ? Pour sa part, le professeur Mayaux (L. Mayaux, Assurances terrestres, Rép. Civ Dalloz, n° 201-202 ; in J. Bigot, Traité de Droit des assurances, tome 3, Le contrat d’assurance, LGDJ 2002, n° 1115) se montre plus réservé, considérant notamment qu’il n’est guère orthodoxe de rapprocher la faute intentionnelle de l’aléa. A notre avis, il faut approuver la jurisprudence rendue en ce sens car il faut bien admettre que la faute délibérée d’un co-contractant aboutit à une suppression de l’aléa tenant au dommage. B) Le fondement de la faute intentionnelle objective exclusive de garantie : la suppression de l’aléa tenant au dommage Il résulte des quelques arrêts rendus pour l’instant, que la faute intentionnelle objective a été consacrée et comporte deux éléments : Le premier élément est le même que celui connu de la faute intentionnelle subjective : une faute a été sciemment commise par l’assuré. Toutefois, et c’est le deuxième élément, la recherche du dommage n’est ici plus nécessaire : c’est sur le terrain de la suppression de l’aléa qu’il faut alors se placer. C’est la position retenue par la Cour de cassation qui affirme expressément qu’en commettant volontairement la faute, l’assuré a objectivement supprimé l’incertitude tenant à la survenance du dommage (Cass. 2ème civ., 22 septembre 2005, no 04-17.232, RGDA 2005.907, note J. Kullmann, Resp. civ. et assur. 2005, comm. 370, note H. Groutel). De même, à l'occasion de dommages dus à l'abstention volontaire de l'entreprise assurée de réaliser des travaux nécessaires, prévus contractuellement, il a été jugé que « ce manquement délibéré constitue une faute dolosive qui a pour effet de retirer au contrat d'assurance son caractère aléatoire », et que les assureurs « font dès lors justement valoir que leur garantie est exclue par application de l'article L. 113-1 du Code des assurances » (CA Versailles, 4e ch. civ., 4 juin 2007, RGDA 2008, p. 130, note Bigot J). Il convient de rapprocher ces décisions : - de celle précédemment citée (Cass. 2ème civ., 24 mai 2006, n° 03-21.024, RGDA 2006, p. 632, note J. Kullmann) qui a retenu une faute intentionnelle, en précisant qu'il y avait intention de causer le dommage tel qu'il est survenu, chez l'avocat qui s'était abstenu de procéder à la consignation des fonds que lui avaient remis ses clients adjudicataires d'un immeuble ; - et de celle qui, observant que l'assuré a été condamné pénalement à raison d'une infraction, en déduit le caractère intentionnel de la faute (Cass. com., 27 sept. 2005, no 04-10.738, Resp. civ. et assur. 2005, comm. 370, note H. Groutel : la personne en charge de la comptabilité d'une société est pénalement condamnée pour complicité de présentation de comptes non sincères et, civilement, à des dommages-intérêts envers des tiers lésés par son comportement. Elle demande à son assureur de responsabilité de garantir sa dette de responsabilité civile, ce qu'il refuse en soutenant que son assuré a commis une faute intentionnelle. Le juge d'appel retient la qualification de la faute intentionnelle s'agissant de la présentation de comptes non sincères au motif qu'une telle attitude établit en soi l'intention du condamné à causer un préjudice à autrui. Le 2 pourvoi de l'assuré est rejeté : « en relevant que la condamnation pénale de Monsieur B pour complicité de présentation de comptes non sincères établit l'intention de celui-ci de causer un préjudice à autrui, la présentation de comptes étant destinée à informer les personnes intéressées, la cour d'appel a, à bon droit, décidé que l'assureur ne saurait être tenu à garantir une faute intentionnelle ». Si ces dernières décisions s’inscrivent bien dans la conception de la faute intentionnelle objective, on attendrait, pour plus de clarté, que la Cour de cassation soit beaucoup plus précise et se réfère expressément à cette deuxième catégorie de faute intentionnelle en en rappelant les éléments constitutifs. Toutefois, ces décisions ont tout de même le mérite de recourir à la faute intentionnelle objective même si ce n’est qu’implicite. En cela, elles s’opposent à d'autres, qui, au visa de l'article L. 113-1 du Code des assurances, cassent des arrêts qui avaient retenu la faute intentionnelle, la Cour de cassation rappelant à chaque fois qu'il n'est pas établi que l'assuré ait eu la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu. La cour d'appel a ainsi été censurée pour avoir jugé : - que les non finitions et malfaçons relèvent de graves négligences et d'une certaine incompétence de l'architecte, qui n'a pas respecté les règles de l'art à de multiples reprises, et a commis des erreurs de conception tant en matière d'isolation que d'étanchéité, ces agissements sont constitutifs de fautes intentionnelles (Cass. 2ème civ., 9 nov. 2005, n° 04-11.856, RGDA 2006, p. 632, note J. Kullmann ; Cass. 3ème civ., 29 janv. 2008, n° 07-10.747, RGDA 2008, p. 378, note J.-P. Karila et C. Charbonneau) ; - que le souscripteur d'une assurance incendie avait commis une faute intentionnelle au motif qu'il avait été condamné pénalement pour dégradation d'immeuble par incendie et tentative d'escroquerie (Cass. 2ème civ., 24 mai 2006, n° 05-13.547, RGDA 2006, p. 632, note J. Kullmann) ; - que l'assuré, un syndicat de copropriétaire, a commis une faute intentionnelle en ne votant pas une résolution relative à la mise en place de gardes-corps sur la toitureterrasse du bâtiment des garages d'où la victime avait chuté (Cass. 2ème civ., 24 mai 2006, n° 05-14.942, RGDA 2006, p. 632, note J. Kullmann) ; Dans la même logique, la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir décidé qu’il n’y a pas faute intentionnelle en l’absence de volonté de causer le dommage, à propos de la livraison d’une chose non conforme et en connaissance de cause par l’assuré (Cass. 2ème civ., 20 mars 2008, n° 07-10499, RGDA 2008 p. 326, note J. Kullmann). Pourtant, dans de telles circonstances, la mise hors de cause de l'assureur aurait être pu justifiée en observant très simplement qu'aucune place n'a plus été laissée au hasard par l'assuré dans la réalisation du risque : « la question que doit se poser le juge consiste donc à savoir si les faits perpétrés laissent encore ou non place à un aléa » (H. Margeat, Les péripéties de la faute intentionnelle en assurance, Assur. fr. 1975, p. 397). En définitive, avec le professeur Kullmann, on peut dire « qu’il est grand temps que la Cour présente clairement sa doctrine (unité ou dualité de la faute intentionnelle) de sorte que les assureurs puissent mettre le juge du fond en mesure de réaliser avec efficacité la recherche des faits qui lui permettent de motiver sa décision, et donc d’exercer utilement son pouvoir souverain d’appréciation » (RGDA 2008 p. 328). Pour s’y retrouver, la Cour de cassation pourrait se servir comme guide du facteur commun aux deux catégories, subjective et objective : la faute volontaire supposée démontrée. Après quoi, elle devrait vérifier, en fonction des faits de l’espèce, le choix effectué par l’assureur : - soit il opte pour la thèse selon laquelle l’assuré a cherché à provoquer le dommage tel qu’il est survenu, et le cas échéant la Cour doit faire prévaloir l’approche subjective. 3 - soit, si l’assuré n’a pas recherché le dommage, c’est à la suppression objective de l’aléa tenant au dommage que l’assureur devra s’attacher, la Cour devant alors se ranger à l’approche objective. Bien que non publiées au bulletin civil, à dix jours d’intervalle, la Troisième (Cass. 3ème civ., 7 oct. 2008, n° 07-17969, RGDA 2008, p. 912, note J. Kullmann) puis la Deuxième chambre (Cass. 2ème civ., 16 oct. 2008, n° 07-14373, RGDA 2008, p. 912, note J. Kullmann) civile viennent d’apporter une contribution essentielle à ce débat, optant explicitement pour la notion objective de la faute intentionnelle : dans les deux cas à propos de manquements contractuels. Ainsi, la haute juridiction affirme dans l’arrêt du 7 octobre 2008 que la cour d’appel « a pu en déduire que ces manquements délibérés constituaient une faute dolosive ayant pour effet de retirer aux contrats d’assurance leur caractère aléatoire ». De même, mais sans expressément viser la suppression de l’aléa, dans l’arrêt du 16 octobre 2008, la Cour de cassation censure la cour d’appel pour avoir écarté la faute intentionnelle alors qu'elle relevait « que M Z… avait volontairement présenté de façon erronée et tardive le plan de continuation…, qu'il était intervenu de façon délibérée afin que ce plan de continuation ne soit pas comparé avec l'offre de reprise de la société Danel, laquelle avait été arbitrairement privilégiée, ce dont il résultait que M. Z..., professionnel ayant pour mission légale de veiller à la sauvegarde de l'entreprise, avait voulu que le plan de continuation ne soit pas adopté ». Reste à souhaiter que la jurisprudence à venir poursuive cette évolution, et se fonde sur la notion de faute intentionnelle objective dès que sont en cause des relations contractuelles. S. Abravanel-Jolly 4