Projets avortés de l`arme blindée allemande
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Projets avortés de l`arme blindée allemande
Projets avortés de l’arme blindée allemande Extraits de l’ouvrage de Maurice Héninger « L’épreuve du feu – L’évolution des outils militaires durant la Deuxième Guerre Mondiale » (Plon Ed., Paris, 1985). Les Types E : trop tard pour rationaliser ! A la fin de la réunion du 7 juillet 1942, Heinrich Kniekamp mit sur la table un sujet qui, depuis le déclenchement de Barbarossa, revenait souvent dans les conversations qu’il avait avec ses collègues de la section de développement des blindés : la complexité des chars de la Panzerwaffe et les problèmes qui en découlaient. D’après lui et ses confrères, la maintenance et les réparations de véhicules blindés appartenant à de nombreux modèles différents posaient de sérieuses difficultés car les pièces des différents types n’étaient presque jamais compatibles. De même, le volume de la production était limité par la complexité technique et la variété des engins fabriqués. De ce fait, les capacités de renouvellement et d’expansion des forces blindées se voyaient limitées par des contraintes matérielles qui auraient put être évités. Enfin, les blindés fabriqués par l’Allemagne étaient fréquemment grevés de défauts plus ou moins graves qui auraient pu être évités si les militaires chargés de leur mise en œuvre avait été impliqués dès le début du processus de conception. Malheureusement pour lui, la journée avait été chargée et les autres participants se montrèrent peu réceptifs à son discours. Si les militaires et les responsables du ministère marquèrent un intérêt poli, les ingénieurs firent la tête devant des perspectives d’un accroissement de leur charge de travail qui s’annonçait déjà fort lourde. Les représentants des industriels refusèrent de parler d’un sujet qui semblait mettre en cause leur indépendance. Et Hitler se montra indifférent à une idée qu’il jugeait sans importance devant le rétablissement de la supériorité technologique promis par les projets évoqués auparavant. Devant le manque d’enthousiasme des uns et des autres, Kniekamp décida de ne pas insister – pour l’instant. ……… Les discussions reprirent de plus belle à la section de développement et se poursuivirent jusqu’à la fin de l’année. A cette date, en dépit de succès initiaux, l’opération Typhon tourna à la boucherie et le nombre de blindés disponibles dans les Panzerdivisions chuta de manière inquiétante, soulignant la nécessité d’accroître la production des usines allemandes. Kniekamp et ses collègues eurent au début du mois de décembre la première d’une série de réunions sur les solutions à apporter à ce problème. Il fallait modifier tout le processus. Le premier changement envisagé concernait la méthode de conception des blindés. Leur proposition bouleversait les habitudes. Jusque là, le ministère se contentait de produire un cahier des charges à destination des industriels qui décidaient de répondre (ou non) à la demande et fabriquaient alors des prototypes qui étaient ensuite évalués par le ministère qui décidait (ou non) d’en lancer la fabrication. Selon la nouvelle méthode, le cahier des charges devait être rédigé avec l’aide des utilisateurs (les militaires), et les rédacteurs de ce cahier devaient dessiner les plans en coordination avec des industriels pré-sélectionnés, qui pouvaient alors fabriquer des prototypes. Après les tests, la fabrication en série pouvait être lancée dans plusieurs usines à la fois. ……… Au cours du mois qui suivit, les travaux de la section de développement des blindés concernèrent l’identification des défauts des engins existants (ou projetés après la réunion de juillet) et les solutions à leur apporter pour les futurs blindés ainsi conçus. La lenteur de la production globale étant due au fait que chaque type était unique et conçu indépendamment des autres, avec des équipements généralement incompatibles entres eux, la solution choisie fut de décider qu’à l’avenir, les types de blindés mis en production compteraient autant d’éléments communs que possible. De même, il existait un grand nombre de pièces différentes pour remplir une seule et même fonction, ce qui posait de sérieuses difficultés pour la logistique et la maintenance des unités en opérations. La solution fut d’adopter un seul modèle de pièces pour chaque fonction, comme un unique modèle de moteur par type de blindés par exemple. Les suspensions utilisées rendaient les blindés trop hauts, donc plus facilement repérables par l’ennemi. Les nouveaux modèles auraient donc un châssis aussi bas que possible pour rendre les chars plus discrets. Les boîtes de vitesses et les transmissions, habituellement placées à l’avant, étaient trop vulnérables aux chocs des tirs frontaux ennemis, même si ces derniers ne perçaient pas le blindage. Elles seraient donc déplacées vers l’arrière, aussi près que possible du bloc moteur. Cela permettait aussi de rééquilibrer le châssis et de gagner de la place. Ce gain de place devait permettre d’améliorer sensiblement la protection frontale et d’augmenter la capacité d’emport en munitions. Il fut également décidé d’améliorer le système de stabilisation du canon et les optiques de tir, mais aussi de doter les blindés de systèmes de vision dans l’infrarouge pour permettre le combat nocturne. ……… Devant être conçus en étroite collaboration avec les militaires afin de bénéficier de leur expérience, les futurs blindés visaient clairement un saut technologique destiné à assurer leur supériorité sur tous leurs adversaires alliés, de la même manière qu’avec les avions à réaction ou les sous-marins Elektroboots pour la Luftwaffe ou la Kriegsmarine. La création de six types de blindés fut prévue, nommés types 5, 10, 25, 50, 70 et 90, le chiffre indiquant le poids théorique de l’engin une fois sa conception achevée. Néanmoins, doutant qu’il soit possible de respecter strictement le cahier des charges, les ingénieurs avaient prévu des marges de sécurité allant de 20 à 50 % en fonction des modèles, pour tenir compte des probables augmentations de poids en cour de développement. A la fin de l’année, le concept était bien au point mais n’avait pas été approuvé officiellement. Le manque d’enthousiasme pour leur projet poussa alors les membres de la section de développement à chercher parmi les élites politico-militaires du régime un parrain prestigieux. Leur choix se porta sur Heinz Guderian, l’un des pères de la Panzerwaffe, tout autant théoricien que chef militaire de talent. Mais au moment où le projet fut présenté à Guderian, début janvier 1943, celui-ci venait d’être disgracié et mis sur la touche. Le général montra un vif intérêt pour le projet, mais sa situation personnelle l’empêchait de lui apporter son soutien. Le projet resta alors quelque temps en suspens. Mais la contre-offensive soviétique et la décision de mobiliser totalement l’économie allemande pour la “guerre totale” allaient changer la donne. En février 1943, Albert Speer (qui venait de succéder à Fritz Todt à la tête de son organisation) prit la décision de réorganiser la production des blindés. Dans ce but, il obtint d’Hitler le 1er mars 1943 la nomination de Guderian comme inspecteur-général des troupes blindées. Ce fut le moment décisif pour le projet, qui fut validé officiellement le 1er avril suivant. Le projet fut alors nommé Einheitsfahrgestell (successeurs), mais bien vite, l’usage aidant, il lui fut préféré l’appellation Entwickluntypen (Types Standard), d’ou le surnom “Types E”. Les travaux pratiques purent enfin commencer, les nouveaux blindés commandés en juillet 1942 étant désormais vus comme des engins intérimaires destinés à tenir en attendant l’entrée en service de leurs véritables remplaçants. Afin de ne pas perturber les programmes en cours, quatre usines furent sélectionnées pour ces travaux pratiques, à Bad Oeynhausen, Francfort, Karlsruhe et Ulm. – Le E-5 devait remplacer le Panzer II et tous ses dérivés. Prévu pour être polyvalent, il devait servir de base à toute une série d’engins remplissant des fonctions très diverses, comme char/chasseur de char léger. Des chars lance-flammes, de reconnaissance, de transport de troupes et même radiocommandés étaient aussi prévus. Devant peser entre 5 et 10 tonnes et compter deux hommes d’équipage, son armement devait comporter un canon de 50 mm long. Il aurait dû entamer ses essais au printemps 1944, mais le projet fut annulé au début de l’hiver 1943-44. Les premiers prototypes étaient presque achevés, mais le E-5 était déjà considéré comme trop peu puissant et surtout trop vulnérable pour les fonctions qui auraient dû être les siennes. La priorité dans le domaine des “légers” passa E-10, dont l’état-major de la Panzerwaffe pensait qu’il serait plus apte à remplir son rôle. Plans, dessins et châssis incomplets du E-5 furent détruits au cour d’un bombardement mi-1944. – Le E-10 était une version plus lourde du E-5, qui récupéra toutes les attributions de son prédécesseur malchanceux et devait également devenir un canon automoteur et un char de DCA. Il était censé remplacer le Panzer 38(t) et ses dérivés à partir de l’automne 1944. L’armement variait en fonction des modèles et incluait un pour la version chasseur de char. La version char était dotée d’un canon de 75 mm/L48, la version canon automoteur d’un canon StuH-42 de 105 mm/L28 et la version DCA de deux canons jumelés Mk 103 de 30 mm. Une MG 34 télécommandée de l’intérieur était prévue pour toutes les versions. Le blindage devait faire 60 mm d’épaisseur à l’avant, 50 mm à l’arrière et 30 mm sur les côtés pour 60° d’inclinaison maximum. Son poids atteignait 12 tonnes, avec un moteur Maybach HL 101 de 550 Ch capable de le propulser à une vitesse de 80 km/h sur route et 48 km/h en tout-terrain avec trois hommes d’équipage à bord. Le E-10 comportait deux innovations importantes. La première était une suspension réglable dotée de vérins hydrauliques, qui faisaient varier la hauteur du char d’une trentaine de centimètres entre 1,40 et 1,75 mètre. Cela devait lui permettre d’opérer en embuscade avec un net avantage sur ses adversaires. L’autre innovation était que la caisse était fixée au châssis avec le moteur, ce qui permettait en cas de besoin de les changer en quelques heures. Des essais eurent lieu en mai 1944, mais le programme fut suspendu à cause de la pénurie de matériaux qui touchait l’industrie du Reich. Le E-10 aurait dû être produit en série à une cadence théorique de 1 000 unités par mois à partir de l’hiver 1944-45, mais au moment de l’armistice, une seule usine était avait été adaptée et elle n’avait permis d’assembler qu’une poignée d’exemplaires. Ces derniers furent testés par les Alliés occidentaux fin 1944, mais sans suite. En revanche, les Chinois se montrèrent vivement intéressés, en la personne de l’attaché militaire de leur ambassade à Paris. Le E-10 correspondait bien aux particularismes du théâtre d’opérations chinois, avec un poids limité, un moteur puissant, un blindage à l’épreuve des armes légères, un armement puissant et de grandes facilités de maintenance (selon les normes de l’époque). Les Américains acceptèrent de relancer le projet et remirent au travail les ingénieurs et les techniciens allemands. Les premiers E-10 sortirent d’usine au début de 1946, trop tard pour être utilisé contre les Japonais, mais à temps pour participer à la lutte contre les communistes chinois. La production fut progressivement ralentie en 1949, puis stoppée à la fin de l’année après la sortie du dernier des 3 645 exemplaires fabriqués dans trois versions : char, canon automoteur et blindé de DCA (ou anti-infanterie). Considéré de nos jours comme le père de tous les blindés chinois, le E-10 est connu en Chine sous le nom de “Petit-Scarabée”, qui lui fut attribué par les Chinois en raison notamment des changements d’allure qu’il doit à sa suspension à vérins. – Le E-25 était un char moyen censé remplacer les Panzer III et IV et leurs dérivés à partir de l’hiver 1944. Il devait également être un canon d’assaut et d’autres versions étaient prévues (chasseur de char, engin de reconnaissance, canon automoteur). La version char était dotée d’un canon KwK-42 de 75 mm/L70 et d’une mitrailleuse MG-42, la version canon d’assaut étant équipée d’un canon LeFH-43 de 105 mm et d’un canon de Flak MK 108 de 30 mm. Le blindage du premier modèle était de 80 mm à l’avant, 50 mm à l’arrière et 45 mm sur les côtés. La version canon d’assaut avait un blindage différent : 120 mm à l’avant, 40 à l’arrière et 30 sur les côtés. Le E-25 était propulsé par un moteur Maybach HL 230 P30 de 700 Ch avec une boîte de vitesse Voith, le rendant capable de propulser les 27 tonnes de la version char à 70 Km/h sur route et 42 Km/h en tout terrain. Les 32 tonnes de la version canon d’assaut pesaient sur ses performances et il n’atteignait que 57 Km/h sur route et 34 Km/h hors route. L’innovation principale du E-25 était que le déplacement vers l’arrière des organes de transmission avait permis de fusionner les éléments de la partie avant, constituée d’un seul bloc que l’on pouvait changer en moins d’une heure… si l’on disposait d’une grue et des pièces nécessaires. La pression des événements et la campagne de bombardement stratégique alliée perturbèrent le développement du E-25 dont les différentes versions furent progressivement abandonnées, seuls les prototypes des versions char et canon d’assaut voyant finalement le jour. Les essais eurent lieu en mai 1944 et furent concluants, néanmoins le E-25 n’entra jamais en production, l’usine censée produire les premiers exemplaires ayant été détruite en juin par les bombes alliées. Une demi-douzaine de prototypes furent capturés et testés. Là encore, les Alliés estimèrent disposer d’engins équivalents ou de solutions de substitution satisfaisantes. – Le E-50 aurait dû remplacer le Panzer V Leopard et ses dérivés et devenir le char moyen standard des forces blindées allemandes. On le destinait également aux fonctions de chasseur de char, de char de DCA et d’engin de dépannage. Son armement était constitué d’un canon de 88 mm dans sa version char et d’un canon de 105 mm dans sa version antichar. La version dépannage possédait un canon de 20 mm pour sa protection. Le blindage était épais de 100 mm à l’avant, de 40 mm à l’arrière et de 30 mm sur les côtés. Le moteur était un Maybach HL 234 capable de propulser ses 57 tonnes à 60 Km/h sur route et 36 Km/h hors route. L’innovation principale tenait au train de roulement, qui comptait six galets afin de mieux répartir les efforts infligés au système de propulsion par le poids élevé de l’engin. Bien que très prometteur, le E-50 ne devait jamais voir le jour car son développement fut régulièrement ralenti par des difficultés techniques. Le principal problème était celui de la fiabilisation mécanique de l’engin, dont le poids causait des soucis constants aux ingénieurs. Ceux-ci furent résolus progressivement, mais trop tard pour permettre sa fabrication : lors de la fin de la guerre en Europe, les prototypes commençaient seulement leurs essais. Chacun des quatre grands alliés put essayer un prototype, mais le E-50 n’eut de descendance qu’en URSS et en Grande-Bretagne. A l’Est, on lui attribue un rôle important dans la mise au point des chars lourds soviétiques d’après-guerre, et en particulier dans celle du T-10M. A l’Ouest, les Britanniques devaient s’en servir pour mettre point le FV 214 Conqueror Mk. II, justement conçu pour s’opposer aux chars lourds soviétiques. – Le E-75 aurait dû être le successeur du Pz-VI Tiger, du Pz-VII Panther, du Pz-VIII Löwe et de leurs dérivés et devenir le char lourd standard de la Panzerwaffe. Il devait jouer les rôles de char lourd et de chasseur de char lourd, avec un canon de 105 mm dans sa version char et un canon de 128 mm dans sa version antichar. Le blindage était de 120 mm à l’avant et de 80 mm à l’arrière et sur les côtés. Les 78 tonnes du E-75 étaient (en théorie) déplacés par un moteur Maybach HL 234 dont les bielles modifiées et le système d’injection permettait de développer 900 Ch. La vitesse maximale calculée était de 40 Km/h sur route et de 24 Km/h hors route. La règle de standardisation aidant, le E-75 était presque identique au E-50. Du châssis au moteur en passant par la ventilation, tous les composants étaient communs, sauf le blindage et l’armement. Le E-75 possédait aussi des optiques de tir et un système de stabilisation du canon, optimisés pour le combat à longue distance. L’innovation majeure de ce char était son système de vision nocturne à infrarouges en série, qui devait lui permettre d’affronter ses adversaires de nuit avec des chances de succès maximales. Comme pour le E-50, le poids très élevé du char entraîna des retards de développement et deux prototypes seulement furent assemblés. Les essais initiaux eurent lieu à en juillet-août 1944, avec un moteur provisoire. Les essais avec le moteur définitif furent effectués par les Américains pendant l’hiver 1944/45. Bien qu’ayant fait alors forte impression, le E-75 fut rejeté car trop fragile sur le plan de la motorisation, et surtout trop lourd et trop gourmand en carburant et en matières premières. – Le E-90 n’eut qu’une existence très brève car il fut abandonné avant même le lancement officiel du programme. Il aurait dû succéder au Panzer VIII Löwe comme char ou chasseur de char “super-lourd”. Il devait peser à terme une centaine de tonnes et être dotés d’un canon de 128 ou de 155 mm. Les documents le concernant ayant disparu dans un incendie peu après l’armistice, il n’en reste aujourd’hui que des spécifications au mieux incertaines. – Le E-100 – char, chasseur de char, char de DCA et char de dépannage – fut initialement développé par Krupp à partir de novembre 1942 pour concurrencer le Panzer IX Maus (voir ciaprès). Pesant 155 tonnes, le projet fut considéré comme trop lourd par rapport à son rival. Krupp revit sa copie, mais le “Tigre III” pesant 130 tonnes fut lui aussi rejeté. Il fut alors récupéré par le programme des Entwicklung et désigné E-100, d’autant plus que le devis de poids du Maus ne cessait de s’accroître et que son échec était prévisible. Afin d’alléger le char, il fut décidé de réduire l’épaisseur du blindage et les dimensions du projet initial. De même, il était évident qu’il serait tout aussi incapable que l’éventuel Maus de se déplacer sur route, mais son transport par le rail serait plus facile, car il serait moins large et moins haut. Après l’officialisation du programme, les travaux démarrèrent immédiatement. Les changements étaient limités par rapport au projet de Krupp, seule la suspension, qui se vit adjoindre des doubles ressorts hélicoïdaux, ainsi que la tourelle, allégée et amincie, étaient réellement différents. Les éléments les plus innovants étaient le système de suspension à plateaux élastiques et le carburant diesel spécial qui devait améliorer l’alimentation d’un moteur fortement sollicité. Le E-100 mesurait 10,27 m de long sur 4,48 m de large et 3,29 m de haut ; il pesait 140 tonnes. L’armement principal était composé d’un canon KWK-44 L38 de 150 mm dans la version char et d’un canon KWK-44 de 175 mm dans la version antichar. L’armement secondaire était composé d’un canon co-axial KWK-44 L36,5 de 75 mm (!) ainsi que d’une MG34 de 7,92 mm. Un jumelage de Flak de 88 mm (!) était également prévu pour une version DCA. Le blindage mesurait 240 mm d’épaisseur à l’avant, 120 mm sur les côtés et 150 mm à l’arrière. Pour déplacer un engin aussi lourd, un moteur Maybach HL-230 de 700 Ch fut installé pour les premiers essais, mais il fut vite remplacé par un Maybach HL-234 de 1200 Ch. Le monstre atteignit la vitesse maximale de 40 Km/h sur route et 25 Km/h hors route (sur sol porteur). L’autonomie maximale était de 190 Km sur route dans des conditions optimales. Le poids considérable du E-100 faisait peser de lourdes contraintes sur toutes les parties mécaniques. Les performances réelles en matière de vitesse et d’autonomie devaient être divisées par deux sous peine de pannes nombreuses et brutales et l’entretien était lourd et pointilleux. Ces difficultés furent résolues peu à peu, mais au moment de l’arrêt des combats, les essais officiels n’avaient pas encore eu lieu. Deux prototypes complets furent capturés, un char et un antichar. Ils ne soulevèrent pas l’enthousiasme des Alliés, qui virent tout de suite dans le E-100 un gouffre financier et logistique. Les Soviétiques laissèrent même les deux exemplaires aux occidentaux, lesquels firent procéder aux tests prévus du printemps à l’automne 1945. Les prévisions initiales des Allemands furent confirmées et les performances conformes à ce qui était prévu par les ingénieurs. Les essais de tirs devaient stupéfier les évaluateurs, le E-100 s’avérant capable de détruire n’importe quel char allié du premier coup à des distances supérieures à quatre kilomètres. Les Américains demandèrent à récupérer les deux exemplaires existants pour aider à la mise au point du char super-lourd T-28. Mais si le programme du T-28 y gagna, il ne s’en termina pas moins en impasse. Les Entwicklungtypen ne furent donc jamais produits en série, en dehors du E-10 aux couleurs chinoises. Arrivés trop tard, ils n’eurent aucune influence sur le conflit en raison d’une mise au point longue et complexe. Ils étaient néanmoins très en avance sur leur temps et annonçaient les blindés modernes, alliant mobilité, puissance de feu et protection. Les études, les prototypes et les ingénieurs furent récupérés et exploités par les vainqueurs de l’Allemagne. La conception modulaire des blindés et la standardisation maximale des composants devaient devenir la norme, ainsi que des moteurs aussi puissants que possible, des canons de gros calibre à forte vitesse initiale et des blindages épais et inclinés. Le Panzer IX Maus : hors-normes et irréaliste Le Panzer IX Maus naquit d’une idée de Ferdinand Porsche, qui s’était lancé dans la compétition pour la conception des Panzer VI, VII et VIII et avait échoué : très novateurs, ses projets avaient été rejetés en faveur de ceux de ses concurrents, plus conventionnels. Mais il ne renonça pas pour autant à son idée de concevoir un char lourd et, fort de sa bonne relation avec Hitler, il obtint du dictateur de pouvoir lancer un autre programme pour trouver un successeur au Panzer VIII Löwe. Il se mit aussitôt au travail et baptisa son projet “Mammoth”. La coque du Mammouth mesurait 10,09 mètres de long sur 3,67 m de large et 3,63 m de haut pour un équipage de six hommes. L’épaisseur du blindage variait de 60 à 240 mm en fonction des zones à protéger. Elle atteignait 200 mm à l’avant de la coque, 180 mm sur les côtés et 160 mm à l’arrière. La tourelle avait un blindage de 240 mm à l’avant, de 200 mm sur les côtés et à l’arrière, de 60 mm pour le toit. L’armement principal était constitué d’un canon KwK 44 de 128 mm L/55, l’armement secondaire étant un canon co-axial KwK 44 de 75 mm L/36,5 avec une MG 34 de 7,92 mm en guise de DCA. La propulsion était assurée par un moteur DaimlerBenz MB 509 modifié. En juin 1943, les plans du prototype étaient prêts. Bizarrement (peut-être parce que l’équipe qui y travaillait avait réalisé l’absurdité du projet ?) le Panzer IX avait été rebaptisé Mäuschen (Petite Souris). Une production de cinq exemplaires par mois était envisagée une fois les essais terminés ; les sociétés Krupp et Alket devaient se partager la fabrication. Krupp s’occuperait du châssis, de la tourelle et des armes, Alket s’occuperait du reste et de l’assemblage. En juillet, une maquette en bois fut présentée à Hitler. A ce moment, le char devait peser une centaine de tonnes. Le dictateur approuva le concept et passa une commande de 150 exemplaires, mais avec une surenchère de son cru : trouvant l’armement principal ridicule pour un engin aussi imposant, il ordonna de remplacer le 128 mm par un canon de 150 mm. Le devis de poids s’accrut considérablement – le char devait finalement peser 192 tonnes ! Le développement se poursuivit jusqu’en novembre 1943, quand Hitler annula sa commande avant d’ordonner l’arrêt du programme le mois suivant. Il autorisa néanmoins Porsche à poursuivre le travail sur les deux prototypes. Le premier prototype fut terminé en janvier 1944, mais avec un contrepoids en lieu et place de la tourelle qui n’était pas achevée. Le Panzer IX prit alors son nom définitif et devint, la dérision se confirmant, le Maus (souris). Différents problèmes apparurent lors des essais. Le plus important était le faible rapport poids/puissance : aucun moteur n’était capable de propulser cette monstruosité à la vitesse de 20 Km/h prévue par le projet initial. Avec le moteur finalement sélectionné, un Daimler-Benz Diesel MB 517 de 1 200 ch, l’autonomie théorique était de 160 Km sur route et 62 Km hors route, à une vitesse maximale tout aussi théorique de 13 Km/h. En réalité, la vitesse “de pointe” ne devait jamais dépasser 8,5 Km/h, pour une moyenne proche de 6 Km/h, afin de limiter autant que possible les efforts du moteur et l’usure des pièces. La suspension dut également être refaite pour supporter le poids colossal du blindé. Toujours en raison de son poids, il s’avéra impossible de lui faire traverser un quelconque pont. Pour lui permettre de traverser fleuves et rivières, on dota la Souris d’un Schnorchel et d’une alimentation électrique extérieure par câble pour pouvoir rouler sur le fonds d’un cours d’eau, et ce jusqu’à treize mètres de profondeur. En revanche, malgré son poids, le Maus s’avéra d’une maniabilité étonnante, grâce à une transmission électrique et à un ensemble roues/chenilles de chez Skoda. Si un déplacement routier autonome était exclu (la route n’y aurait pas survécu), il progressait relativement bien hors-route sur un sol porteur et se conduisait de manière très souple. Sa manœuvrabilité était accrue par sa capacité à pivoter sur lui-même et ses aptitudes au franchissement permettaient l’ascension de pentes jusqu’à 40°. En avril 1944 fut livré le second prototype, lequel possédait un générateur électrique embarqué et une tourelle définitive. Porsche était revenu à son idée initiale, puisque cette tourelle portait un canon de 128 mm. En juillet, alors que deux autres exemplaires étaient en construction, Krupp reçut l’ordre de détruire les matériels existants. Les essais du Maus se poursuivirent pourtant jusqu’à la fin (les hommes qui en étaient chargés préférant visiblement cette tâche ingrate à la confrontation avec les blindés alliés, même dans un Pz VI ou un Pz VII). A ce moment-là, une plate-forme ferroviaire spéciale avait été fabriquée pour le transport des engins et une version antiaérienne équipée de canons de 88 mm longs jumelés était envisagée. Les deux prototypes achevés du Maus ne furent jamais utilisés au combat, en dépit d’une rumeur persistante qui dit que l’un d’eux aurait participé au siège de Berlin. La valeur militaire de l’engin reste des plus incertaines : elle aurait été au mieux celle d’une vraie forteresse mobile, particulièrement efficace en défense, mais sa taille énorme et sa lenteur l’auraient rendu très vulnérable aux attaques aériennes. Son poids considérable aurait rendu très difficile une éventuelle extraction du champ de bataille en cas de dégâts aux chenilles ou de panne moteur. La doctrine d’emploi théorique prévoyait de l’utiliser dans une posture purement défensive en tant que chasseur de char lourd, afin de frapper les formations blindées soviétiques en profondeur. Il était également prévu de lui fournir une escorte de DCA et de véhicules anti-infanterie. Capturés au moment de l’armistice, les deux seuls exemplaires achevés ne suscitèrent aucun intérêt, au delà de la stupéfaction initiale devant leurs caractéristiques hors-normes. Américains et Soviétiques mirent tous deux la main sur un exemplaire dont ils firent un trophée de guerre, après une très courte évaluation.