La Bibliothèque Universitaire de Médecine de Montpellier

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La Bibliothèque Universitaire de Médecine de Montpellier
La Bibliothèque Universitaire de Médecine de
Montpellier
Par Hélène Lorblanchet
Conservateur de la Bibliothèque Universitaire de Médecine de Montpellier
ACADEMIE DES SCIENCES ET
LETTRES DE MONTPELLIER
Séance du 10/04/2006
Conf. n°3939, Bull. 37, pp. 85-90 (2007))
Logée depuis près de deux siècles au premier étage du bâtiment historique de
la Faculté de médecine, la Bibliothèque Universitaire de Médecine propose au public
une collection exceptionnelle, dont la présence en ces lieux résulte d’une histoire
singulière.
Singulière parce que les collections anciennes – c’est-à-dire antérieures au
XIXe siècle- sont fort rares dans les bibliothèques universitaires françaises : à peine
une dizaine, dont la moitié à Paris, sur une centaine d’établissements. Singulière
également par la nature même des fonds, totalement encyclopédiques dans une
faculté hautement spécialisée. Singulière enfin et surtout par la manière dont fut
constituée la collection, au début du XIXe siècle, presque entièrement grâce à
l’œuvre d’un seul homme, Gabriel Prunelle, qui sut tirer le meilleur parti, au bénéfice
de son Ecole, des circonstances de l’Histoire.
Car si certains des ouvrages remontent, comme l’Ecole de médecine ellemême, au Moyen Age, ils n’y sont pourtant parvenus que beaucoup plus tard, et l’un
des aspects les plus surprenants de l’histoire de la bibliothèque est justement la
disparition totale des collections qui ont pu y être conservées avant la Révolution.
Si rien n’est mentionné au sujet d’une bibliothèque dans les statuts de 1220,
qui fondent officiellement l’Ecole de Médecine montpelliéraine, il ne faut guère
attendre que vingt ans pour qu’un règlement du 14 janvier 1240 évoque la question
de la circulation de livres entre étudiants et maîtres : tout possesseur d’un ouvrage
de médecine « est tenu de le prêter à qui le lui demande », sous réserve pour ce
dernier de fournir en échange un gage de valeur suffisante – les livres sont précieuxet de le rendre en bon état.
Tout au long du Moyen Age, l’Ecole, qui fonde son succès sur l’équilibre entre
l’apprentissage expérimental et pratique, et l’étude des maîtres de l’Antiquité
(Hippocrate et Galien) mais aussi des traditions juive et arabe, établit des
programmes de lectures obligatoires, impliquant la disponibilité et la circulation des
ouvrages recommandés. A une époque cependant où l’Ecole ne dispose pas à
proprement parler de locaux, elle ne peut avoir de bibliothèque : celle-ci se trouve
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donc dans les « collèges », établissements qui fournissent aux étudiants, outre le
gîte et le couvert, des salles de travail. Au plus célèbre d’entre eux, le collège de
Mende fondé par Urbain V, c’est une salle proche de l’entrée principale qui accueille,
d’après les statuts de 1380, la bibliothèque, dont chaque étudiant possède la clé et
où les livres sont enchaînés.
Entre le XVe et la fin du XVIIIe siècles, période pendant laquelle la faculté de
médecine occupe des bâtiments spécifiques, l’existence de collections de livres
transparaît à travers divers documents d’archives, établissant par exemple un
règlement d’utilisation de la bibliothèque (1534). Mais, par suite de circonstances mal
définies, sans doute les guerres de religion et des épidémies successives, tout est
dispersé.
Vers le milieu du XVIIIe siècle, la situation est donc assez catastrophique,
l’absence de bibliothèque se fait cruellement sentir, et les étudiants, pour lesquels le
livre est devenu non seulement une nécessité mais un objet relativement courant,
réclament en 1757 par pétition la fondation d’une « bibliothèque publique à l’usage
seul de la Faculté » : il nous importe, disent-ils, « que cette bibliothèque soit tenue et
conservée pour notre propre utilité et celle de nos successeurs », provisoirement, en
l’absence de locaux à la faculté, logée chez les Dominicains voisins, et ouverte toute
la matinée puis de 2h à 6h de l’après-midi en été, de 2h à 4h en hiver.
La réponse à cette demande n’arrive qu’en 1767, lorsque Henri Haguenot
(1687-1775), médecin, chancelier de l’Université, décide de faire don d’une collection
remarquable d’environ 1200 ouvrages médicaux, en anatomie, physiologie, histoire
de la médecine, pathologie clinique, mais aussi de physique, philosophie, et
lexicographie. Cependant, la donation est faite non au bénéfice de l’Ecole de
médecine elle-même, mais à l’Hôtel-Dieu Saint-Eloi, dont Haguenot est l’un des
syndics perpétuels. Elle est complétée par les subsides nécessaires à
l’accroissement de la collection et à l’entretien d’un bibliothécaire, Guillaume
Amoreux auquel succède son fils Pierre-Joseph. En 1771 et 1772, les docteurs Rast
de Maupas et Uffroy complètent la collection par des dons d’ouvrages de médecine.
C’est en 1795 seulement que, suite à la fondation des Ecoles de Santé, la
bibliothèque de Haguenot fut transférée de l’Hôpital à l’Ecole, qui en avait exprimé le
souhait dès 1790. Un catalogue établi à cette époque fait état de 2700 volumes, soit
une collection encore bien modeste et fort lacunaire.
La Révolution et ses conséquences sont toutefois particulièrement bénéfiques
à l’Ecole de médecine : refondation, donc, en Ecole de Santé dès 1795, attribution
des locaux de l’ancien évêché, obtention de subsides permettant la construction d’un
amphithéâtre d’anatomie. Et surtout, constitution –enfin !- d’une bibliothèque digne
de ce nom, pour laquelle Chaptal, ministre de l’Intérieur de Bonaparte pendant le
Consulat, mandate un médecin érudit et bibliophile, Prunelle.
Gabriel Prunelle (1777-1853) est un personnage remarquable, aux activités
intenses et variées. Etudiant à Montpellier, il est médecin militaire pendant les
campagnes napoléoniennes, bibliothécaire de l’Ecole de médecine et professeur de
bibliographie médicale (1803) puis de médecine légale et d’histoire de la médecine
(1807). Après avoir quitté Montpellier en 1819, il sera député de l’Isère et maire de
Lyon de 1830 à 1834, avant de devenir maire de Vichy, où il meurt en 1853.
Dès 1802, Chaptal l’envoie dans les « dépôts littéraires » parisiens puis de
province, afin d’y choisir les ouvrages qu’il jugera utiles à la constitution de la
bibliothèque de l’Ecole de médecine montpelliéraine. C’est donc Prunelle qui
constitue de toutes pièces, au fur et à mesure de l’inspection des dépôts, une
collection que sa cohérence et sa diversité rendent réellement exceptionnelle. Son
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ambition est « d’organiser la plus riche collection de livres », et outre les ouvrages
choisis dans les dépôts, il n’hésite pas à recourir aux achats et aux échanges. Il
suscite aussi des dons importants, comme celui de Barthez (5000 ouvrages).
Passionné par le livre, Prunelle est convaincu de la nécessité pour le médecin
de connaître « les meilleurs ouvrages écrits sur chaque matière », des langues à la
théorie et à la pratique médicales, en passant par la philosophie, les mathématiques
et les sciences naturelles. Rien d’étonnant dans ce cas à ce que la collection de
l’Ecole de médecine soit encyclopédique, et parcoure sciences, arts et lettres dans
une vision humaniste du savoir.
La collection d’ouvrages imprimés –environ cent mille volumes avant le XIXe
siècle- comprend pourtant une majorité d’ouvrages médicaux, mais celle-ci n’est que
relative : 45% environ du fonds, où grands traités et éditions des maîtres anciens
côtoient manuels et écrits des médecins les plus modernes. C’est assez
naturellement que viennent ensuite, en complément, les sciences : biologie,
zoologie, botanique, histoire naturelle, mais aussi mathématiques, chimie et
physique. Les dictionnaires et encyclopédies sont nombreux : Encyclopédie de
d’Alembert et Diderot bien sûr, mais aussi dictionnaires de Bayle, de Furetière, de
Moreri ou de l’Académie française, sans compter des dictionnaires dans une
trentaine de langues différentes. La littérature est présente avec tous les grands
auteurs classiques (La Fontaine, Molière, Racine) et antiques, la philosophie avec
Descartes et Pascal, Voltaire et Montesquieu. Nombreux sont les ouvrages de
géographie et les récits de voyage : œuvres des pères jésuites du XVIIe siècle,
grands récits d’exploration du XVIIIe. Les sommes historiques enfin côtoient les
ouvrages d’archéologie magnifiquement illustrés et les ouvrages d’art proprement
dits.
Parmi ces imprimés, citons une catégorie particulière, elle aussi richement
représentée, celle des incunables. De 1469 –pour le plus ancien de la collection- à
1500, on y trouve de nombreuses éditions aldines, dont le fameux Songe de
Poliphile, mais aussi une belle édition des Canons d’Avicenne à la première page
enluminée et divers ouvrages illustrés.
Mais le caractère le plus exceptionnel de la collection est probablement la
présence de quelque 900 manuscrits, dont les deux tiers remontent à l’époque
médiévale. Il fallait en effet l’érudition, les connaissances bibliophiliques et le goût de
l’histoire d’un Prunelle pour repérer et collecter de tels ouvrages à une période où le
Moyen Age était encore largement synonyme de régression et de ténèbres. Là
encore, Prunelle s’attache à recueillir des œuvres dans tous les domaines : religion
d’abord, puis littérature antique et médiévale, médecine, et encore droit, musique,
philosophie…Cinquante-neuf manuscrits sont de l’époque carolingienne, dont le plus
ancien de la collection, un Psautier de 780 ayant appartenu à un membre de la
famille de Charlemagne. Inversement, certains manuscrits sont du XVIe siècle –un
superbe Portulan mêlant présentation à la manière médiévale et représentation des
grandes découvertes, du XVIIe – correspondance de Christine de Suède- ou du
XVIIIe siècle -cours de médecins montpelliérains. Non seulement la présence même
de manuscrits est remarquable, mais il faut aussi noter, outre leur beauté et leur
intérêt documentaire propres, la cohérence entre collection de manuscrits et
collection d’imprimés : Prunelle a en effet veillé, aussi souvent qu’il le pouvait, à faire
figurer des éditions imprimés des textes dont il avait obtenu un exemplaire manuscrit.
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Signalons en passant la présence dans la collection de quelques belles
reliures, médiévales ou classiques.
Un autre type de documents est conservé à la bibliothèque de l’Ecole de
médecine : il s’agit des archives anciennes de la Faculté. Elles nous amènent à
évoquer les nombreux étudiants qui s’y sont succédé et dont les noms s’égrènent
dans les registres d’inscription, conservés depuis le XVIe siècle. Parmi ces étudiants,
le plus célèbre est bien sûr François Rabelais, dont la bibliothèque conserve non
seulement l’immatriculation, le baccalauréat, la licence et le doctorat de médecine
avec leurs inscriptions autographes, mais aussi des éditions anciennes du
Gargantua et du Pantagruel, ainsi que son édition d’Hippocrate de 1537.
On ne peut conclure la présentation de cette bibliothèque et de son histoire
sans évoquer une autre collection qui lui est étroitement liée, le Musée Atger. Si Jean
François Xavier Atger (1768-1833) a en effet choisi de donner « à la bibliothèque de
l’Ecole de médecine », entre 1813 et 1832, les mille dessins et cinq mille estampes
qui constituent le musée, c’est assurément dans la même vision encyclopédiste qui a
poussé Prunelle, et en complément direct de la collection d’ouvrages nouvellement
constituée. Pour Atger, le dessin est nécessaire à l’étudiant en médecine, pour en
connaître la technique certes, mais surtout pour y exercer son esprit d’observation
tout en ouvrant son esprit à l’art. Atger donne ainsi académies, portraits et études,
mais aussi paysages, animaux, scènes mythologiques ou religieuses des Ecoles
française, italienne et flamande du XVIe au XVIIIe siècle. Et s’il est destiné en priorité
aux apprentis médecins, le musée doit s’ouvrir également, selon la volonté du
donateur, aux amateurs montpelliérain : il est pour cela installé dès avant 1830 dans
les salles qu’il occupe toujours aujourd’hui, dans le prolongement de la bibliothèque.
La bibliothèque universitaire de médecine connaîtra aux XIXe et XXe siècles
diverses vicissitudes : les ouvrages non médicaux sont dispersés à la fin du XIXe
siècle dans les différentes BU de Montpellier, selon leur sujet, avant de retrouver un
siècle plus tard la Faculté et d’être installés dans les salles voûtées du rez-de-cour.
La collection s’enrichit parallèlement d’ouvrages et de périodiques médicaux et la
bibliothèque est bientôt saturée, malgré des travaux d’aménagement dans les
années 1950. Il faudra attendre 1992 pour que s’ouvre une seconde bibliothèque
médicale à Montpellier, près des hôpitaux transférés au nord de la ville, pour les
étudiants de 2e et 3e cycles. Aujourd’hui, dans le bâtiment historique, la salle de
lecture continue, depuis bientôt deux siècles, d’accueillir les étudiants de premier
cycle, pendant que les chercheurs du fonds ancien bénéficient d’une salle spécifique,
et que le grand public apprécie les richesses du musée Atger.
Bibliographie
Anglada, Charles, Notice sur la bibliothèque de la Faculté de médecine pour service
à l’histoire de cette faculté, Montpellier, 1859
Vial, Mireille, « Gabriel Prunelle (1777-1853) : médecin, bibliophile et érudit à
l’origine de la bibliothèque de la Faculté de médecine de Montpellier », dans
Histoire des bibliothécaires, colloque Lyon 2003 (actes en cours de
publication).
Vidal, Yvonne, « La bibliothèque et les archives de la Faculté de médecine de
Montpellier », dans Montpellier médical, juillet-août 1958, pp. 77-108.
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