Transformations de la guerre, métamorphoses des combattants

Transcription

Transformations de la guerre, métamorphoses des combattants
SÉBASTIEN SCHEHR
Laboratoire “Cultures et sociétés en Europe”
(UMR du CNRS n° 7043)
& Université de Nancy 2
< [email protected]>
Transformations de la
guerre, métamorphoses
des combattants
Penser la guerre aujourd’hui
D
ans un article consacré aux
conflits d’après guerre froide,
A. Gluckskmann affirmait qu’un
des dénominateurs communs aux nouvelles formes de violences serait l’incompréhension que celles-ci suscitent
aussi bien chez le profane que chez
le spécialiste (civil ou militaire). Cette
incompréhension précisait-il, n’aurait
pas une source unique : elle trouverait
son origine dans la spécificité des événements auxquels nous sommes désormais
confrontés et dans la caducité des repères que nous mobilisons pour les appréhender. Nous serions en quelque sorte
« démunis » devant les formes actuelles de guerres et de conflits, et donc
incapables d’y répondre politiquement.
Il y aurait ainsi urgence à construire
de nouvelles catégories, de nouveaux
modes de pensée afin de faire face à la
singularité des phénomènes conflictuels
contemporains.
Ce constat n’est en lui-même ni original ni isolé. De Van Creveld à Liang
et Xiangsui, de nombreux auteurs se
demandent si « la guerre est toujours la
guerre ? » et si notre héritage principal
en la matière, c’est-à-dire les catégories proposées au début du XIXe siècle
28
par Clausewitz dans De la guerre, sont
encore suffisamment pertinentes pour
comprendre guerres et conflits de notre
temps. Cet article s’inscrira en grande
partie dans cette perspective. Il s’agira
en effet de mettre en évidence les transformations majeures qui affectent les
affrontements contemporains, en insistant aussi sur les acteurs et les figures
qui en sont les protagonistes. Ce qui supposera non seulement de faire un « état
des lieux » des conflits post-modernes
– et donc de pointer les changements
affectant la forme guerre – mais aussi
de revisiter les catégories de pensée utilisées habituellement par la polémologie. Nous commencerons d’ailleurs par
explorer cet héritage.
De Clausewitz
à Freund :
la guerre et l’État
■
L’incompréhension que susciteraient
les conflits contemporains fait, d’une certaine manière, écho à la démarche et aux
interrogations de Clausewitz. En effet,
quelle est l’ambition de Clausewitz dans
De la guerre, si ce n’est de rendre compte
Sébastien Schehr
d’un phénomène où apparemment dominent « chaos », « désordre incompréhensible », « hasard » et « passion déchaînée » ?
Il y a bien chez Clausewitz – comme du
reste chez tous ses contemporains du
début du XIXe siècle – l’espoir de trouver
derrière les apparences de la guerre, la
vérité d’un ordre permettant d’en éclairer
à jamais la nature et les formes. Penser
la guerre, la théoriser, impliquerait tout
d’abord de dégager son « essence » et
d’identifier ses invariants. Or, l’essence
de la guerre, Clausewitz croît la trouver
dans le duel, cette forme de violence réciproque où chaque adversaire tente de terrasser l’autre et de lui imposer sa volonté.
La guerre sera donc définie comme un
« combat singulier agrandi » qui implique
une montée inéluctable aux extrêmes (De
la guerre, 2000, p. 27). Dans un duel en
effet, chaque adversaire tente de tourner à
son avantage l’utilisation de la violence et
ne peut donc négliger le moindre moyen
disponible sous peine d’être vaincu par
ce même moyen : l’emballement, la radicalisation en découlent nécessairement.
Clausewitz pourtant, ne se contente
pas d’isoler une « forme absolue » de la
guerre : penser la guerre ne suppose pas
seulement de construire un type général
mais implique aussi d’être attentif aux
variations concrètes que le phénomène
manifeste historiquement. Dans la réalité,
la guerre est ainsi « …quelque chose qui
sera tantôt plus et tantôt moins que la
guerre » (1955, p. 673), ce qui est une
manière de rappeler que les guerres réelles échappent en partie à leur essence, et
notamment à cette montée systématique
aux extrêmes.
La guerre abstraite construite sur le
mode du duel tend à réduire toute guerre
à sa dynamique interne, celle de la violence réciproque et de ses conséquences
nécessaires et prévisibles (« …la guerre
elle-même mène sans cesse aux extrêmes »). Or pour Clausewitz, dès que l’on
quitte l’univers de l’abstraction, c’est-àdire dès que l’on se penche sur les guerres réelles et les acteurs qui les mènent, il
devient évident que la violence guerrière
ne se déploie jamais sans incorporer une
part de hasard et surtout, sans se soumettre à une logique qui lui échappe, externe
à son domaine : la guerre précise-t-il,
« a sa propre grammaire, mais non sa
propre logique » (1955, p. 703). Si la
violence armée est bien le moyen propre
Transformations de la guerre, métamorphoses des combattants
à la guerre – un moyen qui a sa nature et
ses contraintes particulières – celui-ci est
toujours au service de fins extérieures à
celle-ci puisqu’il s’agit de fins élaborées
par la politique. La guerre « naît toujours
d’une situation politique et poursuit toujours un but politique. Elle est donc ellemême un acte politique » (2000, p. 44).
Même si la politique doit composer et
faire avec ce moyen singulier, elle exerce
néanmoins une « influence constante »
sur l’acte de guerre. C’est d’ailleurs
parce qu’elle est la « continuation de
la politique par d’autres moyens », et
qu’elle « n’est d’abord jamais indépendante dans son action », qu’elle est un
phénomène « intelligible » (2000, p. 47).
Comme le soulignent Aron et Terray, la
détermination politique de la guerre est
donc pour Clausewitz au fondement de
sa rationalité : elle est une condition de sa
lisibilité. La guerre se comprend comme
acte politique, c’est-à-dire en référence
aux finalités auxquelles elle se trouve
assignée.
Clausewitz propose alors une sorte
d’idéal type de la guerre basé sur une
« combinatoire » (Terray) articulant violence, incertitude et politique. Et c’est la
variation de ces éléments qui permet de
rendre compte de l’ensemble des guerres
réelles, celles-ci étant toujours indexées
à un contexte particulier : « la guerre
n’est donc pas seulement un véritable
caméléon qui modifie quelque peu sa
nature dans chaque cas concret, mais elle
est aussi, comme phénomène d’ensemble
et par rapport aux tendances qui y prédominent, une étonnante trinité où l’on
retrouve d’abord la violence originelle de
son élément, la haine et l’animosité, qu’il
faut considérer comme une impulsion
naturelle aveugle, puis le jeu des probabilités et du hasard qui font d’elle une
libre activité de l’âme, et sa nature subordonnée d’instrument de la politique, par
laquelle elle appartient à l’entendement
pur » (1955, p. 69). Or cette définition est
aussi l’occasion pour Clausewitz d’identifier les acteurs en présence et surtout de
délimiter leurs prérogatives respectives.
En effet « le premier de ces trois aspects
intéresse particulièrement le peuple, le
second le commandant et son armée, et le
troisième relève plutôt du gouvernement »
(idem, p. 69). Le rôle majeur revient bien
ici à l’homme d’État : la conduite de
la guerre, si elle relève d’une activité
particulière demandant des savoirs particuliers, reste soumise à son autorité.
Le peuple et les combattants ne sont
donc perçus qu’en tant qu’opérateurs ou
vecteurs de violence contrôlée par l’État.
Cette discrimination fixe également le
cadre de toute guerre : puisque la politique « est l’intelligence même de l’État »,
puisque « rien ne saurait échapper à son
contrôle » (2000, p. 46), les guerres ne
sauraient se dérouler que dans un horizon
interétatique, c’est-à-dire qu’entre une
même classe d’acteurs ou d’opérateurs.
Si nous faisons maintenant un saut
brutal dans le temps et que nous nous
intéressons à la manière dont la guerre
est analysée par Freund, que remarquonsnous ? Tout d’abord, une même ambition
de rendre compte du réel et des manifestations d’hostilité qui, bien qu’inhérentes
à toute société, semblent pourtant échapper à notre entendement. Cependant, à
la différence de Clausewitz, Freund va
considérer que l’étude de la guerre relève
plus largement du « conflit en général ».
Comprendre les guerres implique donc en
quelque sorte de s’affranchir de la forme
guerre afin de s’atteler au décryptage de
la pluralité des phénomènes conflictuels,
c’est-à-dire des « divers affrontements
entre les hommes » (1983, p. 63). C’est
d’ailleurs en ce sens qu’il va proposer
d’étendre le terme polémologie à l’ensemble des phénomènes conflictuels, en
donnant à ce concept une signification
plus étendue que celle de Bouthoul (étudier scientifiquement la guerre et la paix).
Pour faire bref, disons que la guerre est
pour Freund une forme particulière de
conflit. Ce dernier est défini de la façon
suivante : « le conflit consiste en un affrontement ou heurt intentionnel entre deux
êtres ou groupes de même espèce qui
manifestent les uns à l’égard des autres
une intention hostile, en général à propos
d’un droit, et qui pour maintenir, affirmer
ou rétablir le droit essaient de briser la
résistance de l’autre, éventuellement par
le recours à la violence, laquelle peut le
cas échéant tendre à l’anéantissement
physique de l’autre » (idem, p. 65). Si
l’on retrouve bien dans cette conceptualisation l’idée de duel et de tiers exclu
associée chez Clausewitz à l’essence de
la guerre, la différence majeure tient à
ce que la violence n’y est plus qu’une
option, un moyen parmi d’autres de « briser la résistance » de l’adversaire. Le
29
conflit est donc la manifestation d’une
puissance « sur la base de divers moyens
possibles comme le chantage et l’intimidation ou bien la violence directe ou
indirecte » (ibid., p. 68-69). De même,
il disparaît de cette définition tout acteur
clairement désigné qualitativement : la
seule restriction en la matière concerne la
nature intraspécifique du conflit.
Cependant, puisque le conflit peut se
présenter sous des visages extrêmement
différents, Freund va proposer d’en dresser une typologie, qu’il ramène à deux
formes principales, permettant d’ordonner et de spécifier ses nombreuses manifestations. Il y aurait d’un côté la « lutte »
et de l’autre le « combat ». La lutte est ce
qu’il appelle la « forme indéterminable du
conflit » : elle n’implique pas forcément
un enjeu et apparaît souvent « confuse ».
Véritable « tumulte qui ignore ses limites », elle met au prise des groupes ou des
foules au nombre indistinct. Dans la lutte,
la violence – directe ou indirecte – est
comme débridée, incontrôlée, spontanée.
L’émeute est par exemple un cas de lutte
où se déploie une violence directe, « sans
calcul des moyens (et même très souvent tous les moyens sont bons), parce
qu’elle n’a pas d’objectif déterminé et
que l’ennemi n’est pas précisé » (ibid.,
p. 71). Dans le « combat » au contraire,
l’affrontement est soumis à des règles et
des conventions, que celles-ci portent sur
le déclenchement du conflit, son déroulement ou son issue. Même déchaînée,
la violence y est contrôlée, soumise à
certaines limites. Le « combat » est mené
par des spécialistes – en général « des
armées dont les membres ou soldats sont
revêtus d’un uniforme distinctif, en même
temps qu’ils sont soumis à une discipline
fortement hiérarchisée » – ce qui permet d’éviter le tumulte de la lutte. Cette
limitation de l’affrontement est l’œuvre
du politique et plus particulièrement des
pouvoirs publics. S’appuyant sur Weber,
Freund rappelle que l’effort visant à substituer le combat aux formes indistinctes
de luttes et de violence est concomitant à
l’émergence des États nations : « il s’agissait d’une part de proscrire tout exercice
de la violence par les privés (…) d’autre
part d’éliminer l’ennemi intérieur pour
ne laisser subsister que l’ennemi extérieur, représenté par un autre État souverain » (ibid., p. 78).
Cette conceptualisation des conflits est
donc beaucoup plus proche des catégories clausewitziennes que la définition de
départ ne le laissait penser. En effet, nous
retrouvons bien dans la forme « combat »
– dont la guerre relève – l’idée d’une
violence maîtrisée, soumise à l’instance
politique. C’est ce critère qui est érigé
en mètre-étalon : la lutte nous dit Freund,
ignore ce type de limites et de contraintes extérieures. Si la notion de conflit
laissait ouverte la question des moyens
et des acteurs, les formes typiques qu’il
identifie réduisent considérablement le
champ des possibles1. Ainsi, au niveau
des acteurs, la typologie de Freund ne
fait que reproduire à distance le primat
étatique : la guerre est une affaire de
spécialistes, de servants d’État2, et l’État
est le « lieu » d’incarnation du politique.
La guerre comme violence maîtrisée ne
peut donc relever que de la politique
extérieure des États nations : la guerre est
fondamentalement interétatique (« elle
est une conjoncture particulière du projet
politique d’un État »,1987, p. 142).
Dérégulation de
la guerre et assomption
du contrôle
■
Cet « outillage » conceptuel ne nous
laisse pas vraiment d’alternative pour
appréhender les formes contemporaines
de conflits : ou ceux-ci relèvent d’un
affrontement limité, organisé et contrôlé
par l’instance étatique, ou ils sont renvoyés à des formes indistinctes de violences, échappant à toute maîtrise et donc à
ce titre, résistant à l’analyse. Cependant,
l’intuition initiale de Freund reste à notre
sens pertinente : le concept de conflit est
en effet plus utile que celui de « guerre »
ou de « combat » pour appréhender les
nouvelles formes d’affrontements. Cette
thèse prend d’ailleurs dans le contexte
actuel une acuité toute particulière. Examinons maintenant quelques arguments
en faveur d’une conceptualisation plus
large, plus protéiforme des formes contemporaines d’affrontements et notamment l’idée d’une désinstitutionnalisation
des guerres.
Comme le rappelle Hassner, il existe
désormais de bonnes raisons de penser
que la proposition de Tilly selon laquelle
« la guerre fait l’État et l’État fait la
30 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”
guerre » (cité par Hassner, 2000, p. 298)
ne recouvre plus complètement la réalité présente. La fin de la bipolarité EstOuest, l’éclatement et la recomposition
de certaines entités nationales, la mondialisation des échanges économiques,
le rôle croissant de la technoscience et
de l’information, l’assomption d’organisations supraétatiques (ONU, OMC,
Union Européenne…), la reconnaissance
du droit d’ingérence, l’affirmation croissante des revendications identitaires…
sont autant d’éléments qui interrogent
et érodent la légitimité des États, leur
autorité mais aussi leur souveraineté.
Leurs marges de manœuvre se sont ainsi
considérablement réduites en quelques
décennies. Les États en effet, voient certaines de leurs prérogatives leur échapper
ou être remises en cause, d’autres sont
tout simplement transférées à des organisations internationales ou confiées au
« libre » jeu du marché. L’ensemble de
ces tendances a pour effet de faire des
États des entités interdépendantes qui ne
peuvent plus exercer leur souveraineté
sans tenir compte des multiples acteurs
auxquels ils sont liés. L’emploi de la force
n’échappe pas à ce mouvement : même
la première puissance mondiale doit
s’appuyer sur des « coalitions » lorsqu’il
s’agit de mener campagne, de les financer
ou de lever des fonds pour des programmes de développement d’armements.
Cette situation d’entrelacement modifie
d’autre part complètement la donne en
matière de contrôle : comme le rappelle
Hassner, la « déstabilisation par l’ouverture » (idem, p. 258) qui découle de la
dépendance réciproque des États aux flux
économiques, financiers, informationnels
et migratoires démultiplie non seulement
les potentialités de conflits mais dissout
également les frontières entre l’intérieur
et l’extérieur, le national et l’international, l’État et les entités politiques, le
privé et le public. À la logique étatique
de la territorialisation s’oppose de plus
en plus celle, transnationale et fluide, du
rhizome et de la réticulation (marchande
ou « terroriste »). La question du contrôle
et de la « sécurité » s’entrecroise ainsi de
plus en plus avec celle du conflit et de
la guerre.
Le cadre interétatique – l’ordre horizontal qu’il générait – n’est donc plus
qu’une modalité parmi d’autres d’inscription des rapports politiques et de
Sébastien Schehr
Transformations de la guerre, métamorphoses des combattants
Daniel Depoutot : Robot, dernier quart du XXe siècle.
régulation des conflits qui pouvaient en
résulter. Les États doivent désormais
composer avec des acteurs variés et
variables : multinationales, ONG, organisations mondiales, « ethnies », mafias,
mouvement sociaux, sociétés militaires
privées… Il découle de tout ceci une
modification considérable du paysage
conflictuel : les affrontements interétatiques « horizontaux » et « symétriques »,
régulés par des conventions et limités
dans le temps, font place à des conflits
« verticaux » et « asymétriques », voire
« transversaux » où semble absent tout
contrôle normatif. La guerre n’est plus le
monopole d’une « classe » d’acteurs : elle
est aussi le fait d’entités sub- ou transétatiques, de collectifs regroupés autour
de revendications politiques, religieuses,
identitaires ou d’intérêts économiques
très divers. De la Colombie à la Tchétchénie, de l’ex-Yougoslavie à l’Afghanistan,
les exemples ne manquent pas de cette
imbrication des acteurs et des échelles
d’affrontement (État contre ethnie, multinationale contre guérilla, mafias contre
entité politique… mais aussi mercenaires
contre mercenaires, ethnie contre ethnie,
entité politique contre entité politique).
Selon Hassner, la crainte de nombreux États n’est plus tant l’agression
d’un rival ou d’un État voisin, que cette
fragmentation et cette multiplication des
opérateurs potentiels de violence et leur
pouvoir de contagion. En somme, plus
que de faire la guerre, il s’agirait surtout
« d’intervenir » pour contenir et maintenir
ces conflits à distance. La force armée se
transformerait ainsi de plus en plus en
force de police : les opérations dites de
« maintien de la paix » illustreraient cette
dissolution du militaire dans le maintien
(ou la reconstruction) de l’ordre. L’évolution de la configuration des armées est
d’ailleurs à ce titre révélatrice : l’accent
est mis depuis une dizaine d’année sur
la projection et l’allègement des forces,
les capacités de déploiement rapide,
31
l’acquisition d’informations, les actions
« civilo-militaires », la modularité, la
sous-traitance de nombreux services à
des sociétés privées…
Ceci ne signifie pas pour autant que
les forces armées ne joueraient plus de
rôle important en tant que vecteur d’une
violence d’État : les « interventions » extérieures ne visent pas seulement à contenir
la violence, elles sont aussi – comme
le montre Joxe à propos des États-Unis
et des deux guerres d’Irak – l’occasion
d’une manifestation de puissance. Selon
l’auteur, la politique américaine « du
chaos » ne vise pas tant l’endiguement de
la violence que le « remodelage » d’États
et de régions entières (Moyen-Orient,
Caucase), ce qui implique la déstabilisation d’États et l’utilisation de la force.
La guerre clausewitzienne n’a donc de ce
point de vue pas disparue : il serait plus
juste de dire qu’elle s’imbrique désormais
à la question du contrôle et du maintien
de l’ordre, à la différence qu’elle s’appuie
dorénavant sur des moyens radicalement
nouveaux.
Le paysage conflictuel contemporain
voit donc coexister des affrontements de
toutes sortes dans lesquels les États ne
sont plus les seuls fomenteurs et organisateurs de violence. Ceci a plusieurs
conséquences. Comme l’a remarqué Van
Creveld, la marginalisation des conflits
interétatiques met en crise les formes de
régulation qui y étaient liées : nous assistons ainsi depuis une quinzaine d’années
à une criminalisation croissante de l’ennemi et à une disparition concomitante
du droit de la guerre et de son respect (si
l’on pense à Guantanamo par exemple).
Lorsque des forces armées deviennent
des forces de police, lorsque des États
laissent la place à des transnationales, des
mafias ou des sociétés militaires privées,
il ne reste plus beaucoup d’espace pour
la reconnaissance de l’autre et donc la
négociation politique « classique ». Souvenons-nous que l’approche clausewitzienne faisait de la guerre un moment
particulier dans les relations entre États :
la guerre se distinguait clairement de la
paix (pensons par exemple aux rituels de
déclaration de guerre) et la paix signifiait
le retour aux formes habituelles de relations politiques (diplomatie). Désormais
cette distinction ne tient plus : nombre
d’antagonismes violents ne connaissent
plus ni de début ni de fin claires mais
semblent « s’étendre » dans la durée sans
pour autant déboucher sur une alternative
politique. Ce que l’on nomme conflits de
« basse intensité » désigne bien cet état
de violence larvaire, permanent, où seul
l’épuisement des protagonistes semble
pouvoir mettre un terme à l’affrontement
(Angola, Somalie, Tchétchénie, Irak…).
Guerre et paix ne sont donc plus des catégories pertinentes, désignant des états
opposés, qui s’excluent mutuellement.
Dans ce type de conflit, il devient également de plus en plus difficile de faire
la différence entre combattants et civils.
La confusion touche ici les acteurs et les
opérateurs des affrontements violents.
En effet, non seulement les combattants
ne portent plus forcément de signes distinctifs (caractéristiques des armées de
métiers3) mais les populations des territoires concernés sont de plus en plus, peu
ou prou, partie prenant des conflits. Van
Creveld observe que les rapports entre
combattants et ceux qui ne le sont pas
à plein temps ne relèvent plus d’un duel
pur, d’un « combat » entre forces plus ou
moins équilibrées : ainsi, les limites entre
la guerre et le crime, entre le fait de tuer
parce que l’on a la licence (étatique) de
le faire et le fait d’assassiner, se perdent
de plus en plus.
L’inflation des conflits « à petite échelle », impliquant des classes d’acteurs différents, jouant sur l’usure et le temps,
mêlant les intérêts, contraignent inexorablement les forces régulières (étatiques)
à évoluer : la guerre avec ses opérations
de haute intensité et sa recherche d’une
« bataille décisive » assurant la victoire
fait place à des « opérations » plus floues,
où l’enjeu n’est pas tant de conquérir et
d’occuper un territoire que de contrôler et
d’imposer ses normes en matière d’ordre.
Cette nouvelle donne passe donc par la
maîtrise voire l’instrumentalisation de
conflits protéiformes, ce qui suppose de
disposer d’organisations idoines capables
de remplir ce nouveau type de mission.
Ceci ne peut se faire – comme on le
verra – que par la mise en œuvre de
nouveaux moyens, non militaires pour
la plupart. Mais ceci accroît aussi considérablement la tentation de confier à
des organisations privées – nationales ou
transnationales – la charge d’assurer ces
nouvelles fonctions. Le retour en force du
mercenariat n’est donc pas seulement à
comprendre comme étant le fruit logique
32 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”
de la libéralisation des échanges et de la
marchandisation tous azimuts des biens
et des services : il est aussi le symptôme
de l’incapacité des États à répondre aux
transformations du paysage conflictuel
contemporain autrement que sur le mode
du calcul économique et stratégique à
court terme (réduction des coûts, pari sur
l’instrumentalisation de ces sociétés). Le
risque, comme l’a bien souligné Van Creveld, étant de voir ces nouveaux acteurs
supplanter en partie et dans un horizon
très proche l’instance étatique elle-même
ainsi que ses forces régulières. La guerre
clausewitzienne – au sens d’une guerre
entièrement contrôlée et assumée par
l’État – aura alors définitivement vécu.
Nouveaux contextes
d’affrontements et
systèmes néo-militaires
■
Nous pourrions résumer certaines des
transformations qui affectent la forme
guerre en disant que les affrontements
contemporains se déroulent désormais
dans des espaces protéens (Polycarpe,
1995) dans lesquels la puissance ne se
trouve plus tant accaparée et concentrée
que dispersée en réseaux déterritorialisés.
Dès lors, comme le précise Rifkin, c’est
la question de l’accès (aux réseaux) qui
devient centrale et qui à terme devrait
focaliser une grande partie des affrontements politiques, culturels et sociaux : si
le pouvoir était jusqu’à présent surtout
une question d’accumulation (de ressources, d’actifs, de territoires…) impliquant
parfois le recours à la force armée, il
devient désormais essentiellement une
question de contrôle impliquant d’autres
moyens que celle-ci, l’enjeu étant de
déterminer « qui » organise cet accès
aux réseaux, et « qui » en détermine le
contenu, selon quelles normes et selon
quelles modalités. Cette « nouvelle » réalité implique que la guerre – les affrontements de puissance – s’émancipe de ses
limites traditionnelles non seulement en
terme d’espace mais aussi en terme de
moyens.
Ainsi, l’un des traits marquants des
conflits actuels est la capilarisation progressive du champ de bataille. Le champ
de bataille correspondait à l’inscription
moderne des conflits de puissance. Il
était en quelque sorte le « lieu » de ren-
Sébastien Schehr
contre où une même classe d’acteurs (les
armées) s’affrontait, poursuivant l’objectif de la « bataille décisive » (Clausewitz),
c’est-à-dire de l’anéantissement de l’adversaire. Désormais, nous assistons à
l’élargissement tous azimuts du champ
de bataille et notamment son extension
vers « l’espace non naturel » du spectre
électromagnétique : « toutes les notions
de largeur, de profondeur et de hauteur
de l’espace opérationnel semblent dorénavant dépassées. Avec l’expansion de
la puissance imaginative de l’humanité
et de sa capacité à maîtriser la technique, l’espace du champ de bataille
atteint sa limite extrême » (Liang, Xiangsui, 2003, p. 78). L’environnement dans
lequel s’inscrit tout conflit est d’ores
et déjà omnidimensionnel : le « théâtre
des opérations » n’est plus assigné à un
espace fixe voire prédéterminé, il se joue
et se déplace synchroniquement dans
l’ensemble des dimensions où se déploie
l’activité humaine : l’économique, le symbolique, la connaissance, l’information…
deviennent des lieux de confrontations
et d’affrontement des volontés rivales.
Aux missions militaires « autres que la
guerre » – où la force armée se fait force
de police et de maintien « de la paix »
– viennent donc se superposer des missions « de guerre non militaire » où l’état
de guerre s’étend à tous les domaines de
la vie (idem, p. 89).
Cette extension implique par ailleurs
une inflation considérable des moyens
mis en œuvre : l’embargo économique,
la spéculation financière, l’attaque d’une
banque de donnée ou d’un système
informatique, l’imposition d’une norme
technique, juridique, commerciale ou
environnementale, une rumeur propagée
via Internet, une image diffusée dans les
médias, etc. peuvent être des moyens de
déstabiliser ou de faire plier durablement
un adversaire sans recourir à des moyens
militaires « classiques ». La relation entre
armes et guerre est donc complètement
réordonnée dans le sens où les guerres actuelles s’appuient de plus en plus
sur des combinaisons et des palettes de
moyens extrêmement larges. C’est une
nouvelle représentation des armes qui
s’impose peu à peu : sont désormais considérées comme armes tous les moyens
– militaires ou civils – qui peuvent être
utilisés pour nuire à un adversaire. Poly-
Transformations de la guerre, métamorphoses des combattants
carpe nomme « néo-militaire » l’ensemble de ces nouveaux moyens offensifs ou
défensifs. Leur caractéristique essentielle
est leur commutabilité : le programme
informatique devient virus, le réseau
d’antenne de télévision système de
détection, la voiture ou l’avion missile
ou bombe à retardement, la série télé
un moyen d’intoxication. Inversement,
le moyen militaire peut aussi être « basculé » et servir des objectifs plus « civils »
(le réseau d’écoute Échelon par exemple
ou les satellites d’observation militaires).
Comme le précisent Liang et Xiangsui
(2003, p. 58) : « nous croyons qu’un beau
matin les hommes découvriront avec surprise que des objets aimables et pacifiques ont acquis des propriétés offensives
et meurtrières ».
C’est certainement dans le domaine
de l’information que cette métamorphose
des moyens est la plus patente. Certains
spécialistes font d’ailleurs de l’information et de la connaissance les armes principales des conflits de demain, reléguant
les moyens militaires traditionnels au rang
de simples adjuvants (on parle, outreatlantique d’infodominance). J. Arquilla
de la Rand Corporation déclare ainsi que
« ce n’est plus celui qui a la plus grosse
bombe qui l’emportera dans les conflits
de demain, mais celui qui racontera la
meilleure histoire » (cité par Huyghe,
2002, p. 196). Cette phrase peut laisser
perplexe. Nos sociétés en effet, ont traditionnellement associé le développement
de la connaissance et de l’information
à l’idée de progrès et donc d’élimination ou de résolution des conflits. Ainsi,
comme le rappelle Huyghe, le sens commun conçoit difficilement un rapport de
la connaissance et de la violence qui soit
autre chose qu’un détournement ponctuel
de son « essence » au profit de finalités
offensives (fabriquer des armes plus destructrices). Or, la dépendance croissante
des sociétés contemporaines vis-à-vis de
l’information n’a pas pour conséquence
l’élimination du risque ou du conflit mais
implique au contraire son extension au
domaine immatériel et l’utilisation de
moyens immatériels. Si la connaissance
et l’information deviennent des ressources essentielles, il est donc logique que
certains acteurs, organisations ou entités politiques tentent d’en organiser la
rareté : « savoir avant l’autre, savoir ce
que fait l’autre, interdire de savoir, fairesavoir, décider comment l’autre sait ou
croit, diriger et manipuler son intention…
deviennent les nouveaux facteurs de puissance » (id., p. 191). L’information et la
connaissance sont donc bien plus que des
ressources auxquelles il faut avoir accès,
ce sont aussi des facteurs stratégiques,
des armes permettant d’agir sur l’adversaire (manipuler, dissuader, intoxiquer, surveiller, déstabiliser). Dans ce
contexte, les médias et les organisations
non-gouvernementales vont jouer un rôle
majeur comme en témoigne les événements récents en Géorgie, au Venezuela
ou en Ukraine. Les stratégies d’influence
incluent désormais tout une déclinaison
de techniques non violentes permettant
à la fois de renverser des gouvernements
définis comme « hostiles » et de s’assurer du soutien de l’opinion publique
internationale (Voltaire, 6 janvier 2005).
Les ONG, les fondations et les médias
sont par exemple ouvertement intégrés
à la politique extérieure américaine et
sa stratégie de sécurité nationale, via
son agence de développement, l’USAID
ou la NED (National Endowment for
Democracy) liée à la CIA. Il s’agit en
fait – à travers le financement, l’instrumentalisation voire la création de toutes
pièces d’ONG, de médias et d’agences de
presse, de bureaux d’études ou de sites
Internet – de délégitimer l’adversaire en
organisant des mouvements sociaux ou
des campagnes d’intoxication4.
Si cette utilisation offensive de l’information se superpose à la recherche
classique de renseignements, elle relance
aussi la question du sens de la guerre :
en effet, « l’apparaître des guerres »
(Glucksmann, 1998) est devenu un enjeu
central des conflits contemporains, lesquels se jouent aussi et peut être surtout
devant l’écran de télévision. La nécessité
de présenter un conflit sous un jour favorable, de s’assurer soutien et mobilisation
est certainement une tâche plus importante que jamais pour les protagonistes
des conflits contemporains. L’addition
de facteurs sociologiques et culturels
(individualisation, réflexivité, remise en
cause des traditions, délégitimation des
notions de patrie et de nation…) ajoutés à la complexité des conflits et à la
multiplication des figures de l’ennemi
ont pour conséquence que le sens des
33
affrontements et des guerres ne va plus de
soi ainsi, bien entendu, que les sacrifices
qu’ils supposent (pensons à la rhétorique
américaine du « zéro mort »). Le sens des
guerres et des conflits doit donc de plus
en plus être pensé, construit et communiqué, il devient lui-même « centre de
gravité » des affrontements actuels : d’où
l’importance croissante de ce que les
militaires nomment « guerre psychologique », c’est-à-dire de la propagande et de
la désinformation.
Cette extension des moyens et des
champs d’affrontement ouvre donc la
porte à de nouveaux combattants : non
seulement aux mercenaires – équivalents
privés du soldat professionnel – mais plus
largement à des figures naguère périphériques, intermédiaires (les réservistes) ou
étrangères au domaine de la guerre. Toute
une élite technique issue de la société
civile fait ainsi son entrée en force sur les
nouveaux champs de bataille : du pirate
informatique au chercheur, en passant par
le magnat de la presse ou le financier, nous
assistons bien à l’assomption d’une classe de combattants « non professionnels »
(c’est-à-dire « non-militaires » ; Liang,
Xiangsui, 2003, p. 86), et, devrions-nous
ajouter, non « guerriers » (puisque leur
activité n’est plus directement létale5).
Ce mouvement ne signifie pas pour autant
la disparition pure et simple du soldat
de métier mais désormais, cette figure
traditionnelle des armées modernes devra
cohabiter avec d’autres acteurs (l’Irak et
l’Afghanistan sont de ce point de vue des
« laboratoires » intéressants : l’ingénieur,
le commercial, le spécialiste en communication y côtoient le soldat d’infanterie
et le mercenaire).
De nouvelles
perspectives pour
la polémologie ?
■
En guise de conclusion, nous voudrions insister sur le fait que l’ensemble
des changements et des transformations
qui affectent les sociétés contemporaines offrent de nouvelles perspectives de
recherche à la polémologie. En effet, sans
vouloir faire de prospective ou de spéculations inutiles, les éléments que nous
avons brièvement mis en exergue laissent
augurer d’un futur proche plus polémogène que jamais : la crise des États-Nations,
l’apparition de nouveaux acteurs politiques, la reconnaissance du droit d’ingérence, l’assomption des revendications
identitaires, la mondialisation des échanges économiques et le rôle croissant de
l’information, la question des risques,
etc. sont autant de facteurs qui multiplient les potentialités de conflits ainsi
que les contextes dans lesquels ceux-ci
se déroulent ou sont susceptibles de se
dérouler. Cependant, sauf à se condamner
par avance à l’incompréhension et à l’impuissance intellectuelle, ces nouveaux
terrains d’investigation ne seront défrichés qu’à la condition que la polémologie
soit en mesure de faire sa propre « révolution copernicienne », ce qui impliquera
de ne pas se crisper outre mesure sur
certaines catégories clausewitziennes. En
effet, l’apparition de nouveaux acteurs
et de nouveaux champs d’affrontements
suppose désormais d’autre points d’appui
que ceux proposés par le penseur prussien. Ainsi, le décryptage et le balisage
des phénomènes conflictuels ne peut plus
se contenter du seul cadre institutionnel
et interétatique dans lequel les bornait
Clausewitz. Le caractère asymétrique
et polymorphe des affrontements, leur
niveau d’intensité (fin de la dichotomie
guerre / paix), l’assomption de moyens
néo-militaires « commutants » et d’acteurs non-militaires, la fin du monopole
régalien de la violence armée (retour du
mercenariat), la capilarisation du « champ
de bataille » au domaine de l’information
et de la connaissance, le découplage entre
entité politique et instance étatique …
sont autant d’éléments qui plaident en
faveur d’une analyse « élargie », qui ferait
des affrontements de puissance non seulement une forme parmi d’autres de conflits mais surtout une forme susceptible
d’évoluer et d’investir toutes les dimensions de l’activité humaine (l’immatériel
par exemple).
Pour le dire autrement, et peut être
plus simplement, la notion de conflit
– telle que l’a proposée Freund dans son
ouvrage de 1983 – est désormais certainement plus opératoire que celle de guerre, si l’on fait de celle-ci – à la suite de
Clausewitz et d’Aron – un affrontement
violent, politique, contrôlé par l’Etat et
relevant de spécialistes clairement missionnés. Rappelons que la définition proposée par Freund n’excluait initialement
aucune classe d’acteurs, ni aucun type de
34 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”
moyens (violence directe ou indirecte) de
la catégorie conflit6. Il s’agit, en somme,
de refuser de réduire et de cristalliser la
polymorphie des conflits dans une forme
fixe et immuable, c’est-à-dire historiquement située, afin de penser le caractère
« hors limites » (Liang, Xiangsui, 2003)
des affrontements contemporains.
Sébastien Schehr
Transformations de la guerre, métamorphoses des combattants
Bibliographie
Notes
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guerre, Éditions du Rocher.
« Les ONG, nouveau bras de la diplomatie
US », Voltaire, 6 janvier 2005.
1. Il faut noter ici que les deux formes
qu’isole Freund sont déjà discutées dans
son ouvrage antérieur sur le politique
(1965) : elles sont donc antérieures à la
définition du conflit qu’il propose en 1983.
Freund reprend telles quelles ces catégories sans percevoir qu’elles s’agencent
d’une manière restrictive à sa définition.
2. L’armée est « le détenteur dans l’État de
la violence suprême et extrême, à laquelle
celui-ci a recours en période exceptionnelle » et son but est de « défendre les
personnes et les biens [de cet État] ou
d’essayer de les protéger en augmentant
ses possibilités d’action » (1976, p. 38)
3. Il faut préciser que la confusion est désormais d’autant plus grande que les armées
de métier elles-mêmes s’appuient de plus
en plus sur des « forces spéciales ». Ces
combattants, qui ne portent pour certains
plus de signes distinctifs en mission,
jouent ainsi de cette confusion comme
avantage tactique.
4. Un rapport de l’USAID intitulé « Aide
internationale au nom de l’intérêt national : Promouvoir la liberté, la sécurité et
l’opportunité » précise : « Il est possible
d’apporter une aide aux réformateurs
qui permettront d’identifier les gagnants
et les perdants les plus importants, de
développer la construction de coalitions
et de stratégies de mobilisation, et d’élaborer des campagnes de relation publique. (…) Une telle aide peut représenter
un investissement pour le futur, lorsqu’un
changement politique donnera le pouvoir
réel aux réformateurs » (p. 51). Pour de
plus amples détails se reporter à l’article
« Les ONG, nouveau bras de la diplomatie
US », Voltaire, 6 janvier 2005.
5. Ceci renouvelle, comme le souligne parfaitement Bauman, la question de la responsabilité des actes de « guerre ». Elle
devient selon l’auteur « plus flottante que
jamais » (2003, p. 125). La médiation
électronique de la guerre, l’utilisation
de moyens économiques ou financiers
(embargo, dévaluation d’une monnaie)
invisibilise l’ennemi et la violence qu’on
lui fait directement ou indirectement
subir. Les nouveaux combattants n’ont
pour la plupart, plus besoin d’assumer la
question de la mort de l’autre pour remplir
leur mission.
6. Ainsi, si l’on peut dire qu’il y a indubitablement filiation entre l’analyse de Clausewitz et d’Aron et celle de Freund (voir
ses articles de 1976), il semble cependant
que l’ouvrage sur le conflit fasse en partie
rupture avec cette perspective, au sens où,
si Freund propose bien une typologie des
conflits collant aux canons clausewitziens,
sa définition autorise une appréhension
moins limitative des affrontements : elle
fait droit à des conflits infra-politiques
par exemple ou politiques mais non étatiques, ce que les définitions de Clausewitz
excluaient a priori.
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