Le mutisme des enfants (de) migrants à l`école maternelle
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Le mutisme des enfants (de) migrants à l`école maternelle
Le mutisme des enfants (de) migrants à l'école maternelle Nathalie Auger, Jérémi Sauvage Les enseignants de maternelle s'inquiètent du mutisme de certains enfants non francophones. Mais cette situation est parfois due à l'interdiction de parler à l'école une autre langue que le français. Revenons à quelques fondamentaux... L a parole, phénomène langagier visible, est un outil de commu nication, d'expression de la pensée, de la culture, etc. Les recherches sur l'articulation entre langage et pensée depuis plusieurs décennies ont montré que, bien qu'étroitement liées, ces deux facultés restent très indépendan- tes. Une absence de parole (cette vitrine du langage) ne permet pas de déduire quoi que ce soit des réalités cognitives de la personne: pourtant, surtout à l'école maternelle où le langage oral doit être évalué, le poids culturel et les pressions sociales conduisent à un malaise notamment chez les enseignants en cas de mutisme. En deuxième lieu, il faut revenir sur ce qu'apprendre à parler veut dire. Nous savons qu'au-delà de « l'acquisition du langage », la manière d'apprendre à parler est fondamentale et les interactions avec l'environnement jouent un rôle prépondérant. Plus encore, au-delà de l'appropriation d'une langue et du langage, les enjeux sont multiples: au travers de son développement psychique (langage et pensée) un enfant se construit en tant que personne sociale, jusqu'à la question complexe de la construction identitaire humaine. En troisième lieu, le principe républicain de l'école publique selon lequel la langue française est la langue de l'égalité, du savoir, etc. nous semble parfois mal interprété. Si nous sommes tous d'accord pour fixer comme objectif ce que certains appelleront « la maîtrise de la langue française » chez tous les élèves de l'école républicaine, rien ne devrait sous-entendre que toute autre langue que le français dans l'enceinte de l'école est proscrite. Les opinions archaïques selon lesquelles « pour maîtriser la langue française on ne doit pas parler une autre langue » ou bien qu'avant d'apprendre une langue étrangère, on ferait mieux de leur apprendre le français... » sont scientifiquement invalidées depuis longtemps1 . Que penser alors de ces élèves mutiques que nous avons rencontrés et dont le français n'est pas la langue maternelle ? cholinguistiques des petites enfants (3-4 ans) dont il est question. Un point de vue psycholinguistique En effet, lorsqu'un enfant de 3 ans arabophone, comme ceux que nous avons observés, entre en petite section, il est le résultat de trois ans de développement psychosocial, trois ans d'interactions avec son environnement socioculturel, trois ans de construction en personne sociale. Par exemple, du point de vue de la langue, cet enfant a construit des représentations langagières, des systèmes « langue maternelle », c'est-à-dire de cette langue qui lui a permis d'évoluer et de se socialiser. Alors que nous tentions d'expliquer ces phénomènes à une collègue, celle-ci nous rétorqua qu'elle restait sceptique car elle observait chaque jour que les mamans des enfants mutiques ne leur Il faut relever la dérive créée par le statut de la langue française dans l'école républicaine, avec une stigmatisation qui devient inévitable pourquoi certaines langues bénéficientelles d'un statut plus valorisant que d'autres? nelles, à force de témoignages, de discussions, de souvenirs parfois sur une trentaine d'années, sans être tous du même avis sur le mutisme spécifique aux enfants migrants ou de migrants, nous avons constaté qu'il pouvait être combattu à force de relations avec la famille, de communication forte, de valorisation des langues et des cultures d'origine. Si Ahmed, dont le niveau linguistique en français n'est pas aussi élevé que ses petits camarades de classe, pouvait de temps en temps montrer à son entourage en classe qu'il maîtrise aussi bien que d'autres les compétences de communication, le langage de situation, le langage d'évocation mais dans une autre langue que le français, peut-être les représentations changeraient-elles et que les évaluations de l'oral à l'école maternelle permettraient de valoriser des élèves qui préfèrent se taire plutôt que d'être stigmatisés. Tout comme leurs parents. Nathalie Auger Université Montpellier 3 [email protected] Jérémi Sauvage IUFM-université Montpellier 2 [email protected] Des pratiques variées dans les écoles En 2008, nous avons constaté des approches différentes sur nos terrains d'enquêtes (en autres Hérault, Gard). Il est arrivé que l'autre langue (souvent l'arabe) soit encore interdite dans les classes. Le discours administratif de l'institution à la famille peut alors se résumer par « il ne faut pas parler arabe à l'école ». Le problème est ici que l'on interdit à un enfant de parler sa langue maternelle, en ne lui laissant la possibilité que de parler une «autre langue » qu'il ne maîtrise évidemment pas assez. Et d'aucuns s'inquiéteront d'un mutisme spécifique à l'école. À l'opposé, nous avons été témoins d'une enseignante qui, encouragée par son inspecteur, essayait de s'appuyer sur les connaissances linguistiques de ses élèves arabophones en classe pour mieux s'assurer que son objectif dans le domaine de la langue française était atteint : distinguer les homophones français « mer » et « mère » qui n'en sont pas en arabe. Cette posture de l'enseignant suppose un contrat de confiance avec l'élève en le considérant comme une personne de référence qui a des ressources dans une autre langue. Cette approche pédagogique nous semble pertinente, eu égard aux réalités psy- parlaient pas du tout lors de l'habillage avant d'entrer ou sortir de classe. Nous touchons ici un point névralgique qui rejoint la dérive pointée plus haut sur le statut de la langue française dans l'école républicaine. S'il ne faut pas que l'enfant parle arabe à l'école, le message est relayé dans les familles. La stigmatisation devient alors inévitable : comment imaginer une maman s'adressant à son enfant pour une tâche quotidienne dans une langue étrangère devant un enseignant? La question devient alors ici politique. Certaines langues bénéficieront d'un statut plus ou moins valorisant. Nous avons observé qu'une élève de grande section pouvait discuter à l'école en allemand avec son papa autrichien sans que personne ne trouve à redire, suscitant même de l'admiration. Car la névralgie revêt ici une dimension grandement oubliée dans les interactions linguistiques : les affects. Cette même dimension affective du langage enfantin sur laquelle Wallon insistait tant. Quelle serait la charge affective de la parole d'une mère s'adressant à son enfant dans une autre langue que celle qui a construit ce qu'est devenu cet enfant? Lors d'animations pédagogiques effectuées avec des collègues d'écoles mater- Références N. Auger, 2005, Comparons nos langues, DVD, Paris: Scéren/CRDP, J. Sauvage, 2005, L'oral à l'école maternelle, L'Harmattan. 1 Voir par exemple les travaux de James P. Cummins. University of Toronto, http://home.oise.utoronto.ca/%7Ejcummins/cum mins.htm