l`impact de l`exode syrien sur le marché du travail libanais

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l`impact de l`exode syrien sur le marché du travail libanais
L’IMPACT DE L’EXODE SYRIEN SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
LIBANAIS
Danièle CHEHADE – Chargée d’enseignement à la FGM
RESUME
L’objet de cet article est d’analyser l’impact de l’exode des Syriens sur l’emploi au Liban.
Pour cela, nous reviendrons, dans un premier temps, sur la clarification de certains concepts
de base relatifs au chômage et à la migration avant de mettre en évidence, dans un
deuxième temps et compte tenu des spécificités du marché du travail libanais, les avantages
et les inconvénients de l’afflux récent des Syriens. Pour conclure, nous tenterons de pointer
du doigt quelques mesures à adopter ou de suggérer des recommandations qui
permettraient de remédier, potentiellement, aux répercussions de cet exode sur le taux de
chômage.
MOTS CLES
Flux Migratoires ; Chômage ; Mondialisation ; Exode ; Pays d’accueil ; Pays de départ ;
Structure de la population.
ABSTRACT
The objective of this paper is to assess the impact of the Syrian migration on employment in
Lebanon. We will first clarify some major concepts linked to unemployment and migration.
We will then analyze the advantages and disadvantages of the recent Syrian influx taking
into account the characteristics of the Lebanese labor market. We will conclude by pointing
out some measures to be taken and will suggest some recommendations that would
potentially contribute to alleviate the repercussions of the Syrian migration flows on the
unemployment rate.
Key words
Migration ; Unemployment ; Globalization ; Exodus ; Host Countries ; Countries of Origin ;
Population Structure.
1
INTRODUCTION
Les flux migratoires sont devenus un phénomène de plus en plus répandu à cause de la
mondialisation et de l’ouverture des marchés et concernent principalement des populations
qui recherchent de meilleures conditions d’existence. Ils présentent la particularité d’être
avant tout urbains, multiethniques et multiculturels.
Le Liban a, depuis toujours, été concerné par ces mouvements et était considéré comme
une source abondante d’émigrés cherchant à perfectionner leurs qualifications académiques
ou à mettre en œuvre leurs acquis dans le monde du travail, hors des frontières du pays.
Mais récemment, le pays du Cèdre est sujet à d’autres types de flux migratoires, ceux en
provenance de son voisin syrien en proie à une guerre civile des plus sanglantes.
Commencée en mars 2011 par une révolte alors pacifique, la crise Syrienne n'a cessé
depuis d'empirer, prenant doucement mais surement la forme d'une guerre civile sanglante
faisant plus de 200,000 morts selon les dernières estimations de l’OCDE. Partageant
largement ses frontières avec la Syrie, le Liban a, sans surprise, subi les conséquences
désastreuses de ce conflit, tant au niveau politique qu'à celui socioéconomique. Dès les
premiers mois du conflit, des milliers de syriens ont afflué dans les pays voisins, fuyant la
guerre et ses ravages et se réfugiant, pour une grande partie, dans la relative sécurité que
leur offre le Liban. Cette augmentation soudaine de la population sur le territoire libanais a
bien sûr eu des conséquences dramatiques sur le marché du travail.
Cet article a pour objectif d’identifier les conséquences de l’afflux des Syriens sur le marché
du travail libanais et d’évaluer son impact sur le chômage et l’emploi.
En premier lieu, nous discuterons de manière générale de l'influence de l’immigration sur le
marché du travail dans un pays donné. Nous établirons une réflexion sur les cas où
l’immigration a un impact positif sur le pays d’accueil et les opposerons au cas où, au
contraire, cette immigration, au lieu d’être une force, se transforme en boulet pour un marché
du travail dans l’incapacité de s’adapter à ce flux. Nous reviendrons, en second lieu, en
particulier sur le marché du travail au Liban. Nous exposerons l’état du marché avant le
déclenchement de la guerre en Syrie pour mettre en évidence les conséquences de cette
guerre. Cette évaluation nous permettra d’identifier les moyens à notre disposition pour
résoudre les problèmes sur le marché du travail ou du moins minimiser son impact dans les
années à venir.
1. Influence de l’immigration sur le marché du travail
1.1 Migration : Définition, Causes et Conséquences
2
1.1.1 Définition
Une migration humaine est un déplacement du lieu de vie d’un individu vers un autre pour
des raisons politiques, économiques ou personnelles. Cette migration peut être volontaire
(déplacement voulu d’individus d’un pays à un autre) ou forcée (déplacement obligatoire des
personnes en dehors de leur pays à cause d’une guerre, d’une crise économique ou d’une
force majeure).
Les statistiques publiées en Mai 2014 par l’Organisation Internationale du Travail (OIT)
estiment à 230 millions le nombre total de migrants vivant à l’étranger en 2013. Ce chiffre
représente près de 3% de la population mondiale et augmente annuellement de près de 2%
malgré les restrictions à l’immigration qui ont vu le jour dans de nombreux pays. Si la crise
économique mondiale de 2008 et des années suivantes a ralenti le mouvement, l'OIT estime
que «les migrations s'intensifieront probablement dans un avenir prévisible» et pointe du
doigt de nouvelles migrations vers des pays émergents. Les composantes de cette migration
ne changent pas beaucoup avec près de 15% de jeunes de moins de 20 ans et 28%
d’adultes de 20 à 34 ans et cette migration touche aussi bien les hommes (52%) que les
femmes (48%) (OIT, 2014).
On estime que les capitaux injectés dans les pays d’origine en provenance des pays
d’accueil sont au moins égaux sinon supérieurs à l’aide financière apportée par les pays dits
riches aux pays plus pauvres. Les démographes considèrent que les migrations seront une
importante variable d’ajustement d’ici 2050, échéance à laquelle 2 à 3 milliards d’individus
supplémentaires viendront peupler notre planète alors que les effets des modifications
climatiques se feront de plus en plus sentir et que certaines zones ne pourront plus nourrir
une population grandissante.
Bien qu’accusée de tous les maux par certains politiciens, l’immigration représente des
bienfaits considérables. En effet, selon les estimations de l’OIT et sur base des données de
la Banque Mondiale, une augmentation de 3% du nombre de travailleurs migrants des pays
en développement vers les pays à revenu élevé se traduirait en 2025 par des gains de 356
milliards de dollars pour l'économie mondiale, soit une progression de 0,6 % du revenu
mondial (OIT, 2014). Par ailleurs, selon un rapport de l’OCDE consacré aux bienfaits de
l'immigration sur les économies des pays de l'OCDE, les migrants contribuent plus aux
impôts et aux charges sociales qu'ils ne bénéficient de prestations (OCDE, 2000).
La main-d'œuvre immigrée ne représente donc pas un danger pour les salariés natifs d'un
pays. Les émigrés sont plus exposés, vulnérables et sont les premiers à perdre leur emploi.
3
Si les immigrés avaient le même taux d'emploi que les travailleurs natifs, le gain fiscal serait
notable et le produit intérieur brut progresserait.
Avec la mondialisation, il est fort probable que le mouvement migratoire s’intensifie compte
tenu des différents déséquilibres mondiaux et de la meilleure connaissance des filières
d’entrée.
1.1.2 Causes de la migration
Comme nous l’avons déjà mentionné lors de la partie précédente, les migrations des
individus n’ont jamais été aussi nombreuses qu’aujourd’hui et concernent plusieurs millions
de personnes qui franchissent les frontières chaque année. Nous pouvons distinguer
plusieurs types de migration :
i)
ii)
iii)
iv)
i)
Les flux de travailleurs
Les flux d’étudiants
Les flux de refugiés
Les flux de touristes
Flux de travailleurs :
Environ 2 millions de personnes quittent chaque année leur pays pour rechercher du travail.
Ils se dirigent principalement vers les Etats-Unis et l’Europe Occidentale qui constituent les
principaux pays développés. S’ajoutent à ces pays, d’autres destinations vers des pays
développés moins prisés ainsi que vers certains pays émergents. C’est le cas notamment du
Japon, un des noyaux de l’innovation technologique mondiale, l’Australie et les pays
pétroliers de la Péninsule Arabique capables d’attirer les talents à coups de salaires
alléchants. En plus d’une migration de main-d’œuvre généralement moins coûteuse que les
locaux, les Etats-Unis excellent dans un autre genre de migration, celle des cerveaux
talentueux principalement en provenance d’Europe et d’Asie de l’Est et partant travailler dans
les locaux de grosses entreprises de la Silicon Valley par exemple. C’est le fameux «Brain
Drain».
ii)
Flux d’étudiants :
Les flux d’étudiants sont organisés en vastes systèmes fortement polarisés. L’essentiel des
échanges s’effectue d’un pays du Sud vers un pays du Nord. En effet, on estime à 88% le
pourcentage de flux migratoires étudiants vers l’OCDE. Toutefois, cette polarisation
4
s'accompagne d'une extension des zones de recrutement et d'un élargissement des
destinations. Ces flux migratoires se diversifient et se mondialisent au détriment des relations
classiques de pays à pays. Les relations privilégiées qu’entretenait la France par exemple
avec ses anciennes colonies commencent à se dissiper (Bourgi, 2009)
iii)
Flux de réfugiés :
Ces vagues de réfugiés peuvent être dues à des raisons politiques : fuyant la persécution
dans leur pays à cause de leur opinion politique, ces individus se réfugient souvent dans les
démocraties leur conférant l’asile politique. La grande majorité des flux migratoires de cette
catégorie concerne, elle, les réfugiés fuyant la guerre comme c’est le cas en Syrie, en
Palestine ou en Irak. Enfin, on se rappelle évidemment du tsunami qui a ravagé les côtes de
l’Asie du Sud Est en décembre 2004 ou du tremblement de terre d’Haïti de 2010. Ces
catastrophes terribles ont engendré des flux migratoires de réfugiés conséquents dans les
pays voisins et se caractérisent par leur aspect imprévisible et intense. Nous pourrions
également mentionner la guerre de Bosnie, au début des années 90, qui a fait plus de 1.2
millions de réfugiés, 800,000 d’entre eux étant toujours considérés comme déplacés à
l’intérieur du pays.
iv)
Flux de touristes :
L’Europe est la première zone d’accueil de touristes dans le monde avec par exemple plus
de 84 millions de touristes visitant la France en 2013. Les Etats-Unis et le Japon sont
concernés en second lieu tandis que les pays en voie de développement restent
majoritairement à l’écart. Cependant, de par son caractère ponctuel, le touriste n’appartient
pas tout à fait à cette appellation de migrant .
En conclusion, les différents types de migration à travers le monde sont souvent le reflet des
inégalités économiques entre un Nord développé et démocratique et un Sud en
développement où sévissent fréquemment régimes autoritaires, guerre civile ou instabilité.
1.1.3 Conséquences de la migration
Plusieurs études ont eu pour objectif de mettre en évidence la relation entre l’immigration et
le développement économique aussi bien dans les pays de départ que ceux d’accueil. Nous
pouvons résumer leurs conclusions comme suit.
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1.1.3.1 Les pays de départ :
Points positifs
Bien qu’il soit fréquent dans les pays de départ de pointer du doigt les méfaits de
l’émigration qui touche en premier lieu ses talents, il ne faut pas en négliger les bienfaits. Les
avantages de l’émigration se résument comme suit.
-
Véritable source primordiale de liquidité chez les habitants, les transferts d’argent
des pays d’accueil vers les pays de départ représentent souvent une sorte de bulle
d’air permettant de respirer un peu dans un pays qui n’offre pas des opportunités
d’emplois alléchantes. La banque mondiale estime à 414 milliards de dollars le
volume des transferts vers les pays en voie de développement en 2013, en
augmentation de 6.3% par rapport à l’année précédente. Ce chiffre devrait atteindre la
barre symbolique des 500 milliards à l’horizon 2016, toujours selon la banque
mondiale. Ces chiffres élèvent les transferts d’argent au deuxième rang des échanges
commerciaux mondiaux juste après les échanges d'hydrocarbures (pétroles et gaz
naturels) (Banque Mondiale, 2014).
-
Les départs de jeunes diplômés prêts à rentrer dans le monde du travail
s’accompagnent tout logiquement d’un allègement du chômage : lorsque la pression
sur le marché intérieur du travail est moins forte, les travailleurs moins qualifiés, restés
au pays, sont plus demandés et comme l’offre de travailleurs diminue, les salaires
augmentent. Les familles restées au pays profitent aussi de la diminution de la charge
familiale : les bouches à nourrir sont moins nombreuses.
-
Un des aspects les plus importants de l’émigration reste cependant lié à l’éventuel
retour de ces migrants dans leur pays d’origine. Ce retour ne peut que s’avérer
bénéfique notamment lorsque ce travailleur met le savoir et les compétences acquises
au service de sa nation tout en permettant aux autres travailleurs qui le côtoient d’en
bénéficier au quotidien.
-
Le dernier aspect qu’on a tendance à négliger concerne les progrès sociaux
enregistrés par les pays touchés par l’émigration. Comme cette dernière concerne en
premier lieu les hommes, les entreprises du pays d’origine se voient dans l’obligation
de recruter des femmes et ainsi de les faire participer dans la vie active d’un pays
souvent à la traine au niveau des acquis sociaux.
Points négatifs
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Se limiter à ces points positifs ferait des flux migratoires une manne d’or, une opportunité
alléchante pour les pays de départ. Mais, fort logiquement, ces flux ont aussi des effets
socio-économiques indésirables et négatifs. Ces effets se résument comme suit :
-
La fuite des cerveaux est certainement le premier aspect qui vient à l’esprit lorsque
l’on évoque l’émigration. Les candidats pour partir sont généralement les plus
talentueux et donc les plus ambitieux de leur génération, des talents qui cherchent un
avenir meilleur ailleurs dans un pays qui puisse les récompenser à leur juste valeur et
qui puisse leur procurer des challenges à leur taille dans leur vie professionnelle. Ces
talents constituent une perte considérable pour un pays en voie de développement et
qui a besoin de ces personnes pour diriger, innover et progresser. Une perte qui
touche aussi les recettes fiscales et la croissance du pays.
-
La tendance à l’émigration concerne de plus en plus les jeunes. La population restée
dans le pays d'origine est donc parfois composée en majeure partie de personnes
âgées et d'enfants, ce qui bouscule les équilibres sociaux et crée un manque d’une
offre intéressante de main d’œuvre compétente dans le monde du travail.
-
Au fil des ans, on peut constater le renforcement des inégalités spatiales et
sociales. Certaines classes sociales, certaines régions géographiques et certaines
catégories ethniques ou religieuses sont plus sujettes à l’émigration. Par conséquent,
il est fréquent d’observer un basculement social avec le temps, parfois tendant vers
une uniformisation de la population et la disparition de mosaïques sociales.
Pour finir, l’image d’un pays qui subit une émigration massive de sa population est
souvent dégradée. Rares sont les touristes ou autres travailleurs venus d’ailleurs qui
désirent s’y aventurer.
-
1.1.3.2 Les pays d’accueil :
Points positifs
Même si les pays de destination des migrations se déclarent prêts à accueillir des
immigrants et à maintenir leur image proche des peuples, les restrictions de plus en plus
strictes qu'ils établissent vont à l'encontre de cette idée.
Pourtant, l'arrivée d'immigrés peut apporter aux pays d'accueil des avantages
considérables :
-
Le premier concerne l’aspect économique évoqué précédemment. Contrairement à ce
que l’on pense, l’immigration est source de gain d’argent pour les pays d’accueil qui
la réussissent ; la disponibilité d’une main d’œuvre immigrée et souvent moins chère
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permet la réduction des coûts de certains projets et donc de leur exécution. Cela crée
un dynamisme économique et une relance de la croissance grâce à ces projets qui
apportent des opportunités d’emplois qui englobent les locaux.
-
Autre aspect positif aussi bien dans les pays du Nord que du Sud est l’ouverture
économique. Cette dernière encourage l’expansion et favorise la baisse du taux de
pauvreté ce qui engendre une réduction des écarts et la convergence entre les pays
développés et ceux en voie de développement.
-
L’immigration permet aussi un mélange interculturel qui constitue une richesse
immense pour le pays d’accueil et renvoie une image positive vers l’extérieur, l’image
d’un pays cosmopolite et tolérant. Les immigrants apportent leurs cultures et traditions
et contribuent ainsi à la création d’une énergie nouvelle et d’un certain dynamisme.
Des centres culturels sont créés pour accompagner la venue de ces migrants et
attirent d’autres immigrants. L’exemple le plus probant reste celui de Berlin,
considérée comme la troisième ville où il y a le plus d’émigrés turques au monde.
-
Enfin, l’immigration permet de combler certains gaps dans la démographie des
pays de destination. Par exemple, il est commun à presque tous les pays européens
de constater une réduction des taux de natalité et de mortalité et donc du
vieillissement de la population. Sans l’immigration, la population des 25 états de
l’Union Européenne serait passée de 452 millions d’habitants en 2000 à moins de 400
millions en 2050 ( Conseil Economique et Social, 2006).
Points négatifs
Malgré tous ses bienfaits, l’immigration est souvent tournée en épouvantail et sert à attiser
les peurs identitaires exploitées par les mouvements d’extrême droite notamment dans les
pays européens. Mais quels sont ces méfaits tellement dénoncés ?
-
Un des leitmotivs les plus populaires chez les partis politiques de droite consiste à
pointer du doigt les immigrés responsables selon eux de subtiliser des emplois
des locaux qui les méritent nettement plus. Nous l’avons souligné dans la section
précédente, il est bien vrai que les immigrés sont souvent prêts à travailler pour moins
cher que les nationaux. Mais cela contribue à une relance économique dont
bénéficiera tous les habitants.
-
Les immigrés, dans le cas où ils sont mal intégrés dans le tissu social du pays
d’accueil peuvent se sentir exclus et vivre en marge d’une société qu’ils envient. Ces
sentiments peuvent donner naissance à des mouvements de violence, de rébellion ou
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de délinquance. Il s’avère donc primordial de filtrer les candidats à l’immigration dès le
départ et de sélectionner ceux aptes à s’adapter et à se fondre dans le pays d’accueil.
Ceci doit s’accompagner d’un suivi accru des autorités et du travail efficace des
organisations locales pour assurer une intégration réussie.
-
A long terme, une immigration extensive peut aboutir à un effacement progressif
des traditions ancestrales locales et en quelque sorte à la perte de l’identité
culturelle du pays. Voilà aussi pourquoi, elle doit rester contrôlée pour préserver
l’héritage culturel de chaque pays au fil des ans.
1.2 Avantages et Inconvénients de la migration sur le marché du travail
A chaque campagne électorale, le sujet de l’immigration, et donc de son influence sur le
marché du travail, revient systématiquement comme sujet de débat entre plusieurs
candidats. L’immigration est souvent accusée d’augmenter le taux de chômage, les immigrés
étant accusés de prendre les travaux des locaux. Evidemment, la réalité est plus complexe.
Déjà, il faut bien établir que le marché du travail est toujours assez hétérogène, avec
plusieurs degrés de compétence requis dans plusieurs zones géographiques. L’ouverture du
marché de travail entre deux pays présente l’avantage de permettre d’échanger les
compétences entre ces deux pays au bénéfice de leurs sociétés respectives. Dans ce
contexte, l'immigration permet de pallier certains besoins en main-d'œuvre d'une économie.
Par exemple, dans un cas très théorique et simplifié, supposons que les citoyens d’un pays
A sont très doués pour la menuiserie et que les citoyens d’un pays B sont réputés pour la
boulangerie. Avec l’ouverture des marchés du travail entre leurs pays respectifs, les
menuisiers du pays A pourraient immigrer dans les pays B et servir la demande de ce pays
en menuiserie. Similairement, les boulangers du pays B feraient de même dans le pays A.
C’est dans cette perspective que beaucoup de pays occidentaux établissent formellement les
opportunités de travail vacantes non comblées par leurs citoyens et proposent ces postes à
de potentiels immigrés.
Le deuxième avantage majeur de l’immigration sur le marché du travail est la diminution
conséquente des coûts sur les entreprises et donc la diminution des prix. En effet, à court
terme, l’augmentation de l’immigration accroît l’offre de travail (les demandeurs d’emploi)
sans augmenter la demande de travail (nombre d’emplois disponibles). En conséquence, le
taux de chômage augmente. Cela est particulièrement vrai dans les pays avec salaire
minimum comme en France puisque l’augmentation du nombre de travailleurs ne pourrait
affecter le niveau d’emploi ou décroître les salaires indéfiniment. Cependant, cette
augmentation du taux de chômage n’est que provisoire. En effet, cette augmentation du
chômage diminue les revendications salariales. Ainsi, les salaires diminuent et donc les
coûts sur les entreprises diminuent aussi. Cela entraîne une baisse des prix et une reprise
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de la consommation et donc une augmentation de la croissance. Cette croissance
économique génère alors plus d’emplois et donc diminue le taux de chômage.
La diminution des prix est d’autant plus importante que la différence entre les niveaux de vie
et des salaires est grande entre deux pays (ou deux régions) géographiquement proches.
C’est le cas par exemple entre les pays de l’Europe de l’Est et ceux de l’Ouest. Les citoyens
des pays de l’Europe de l’Est immigrent souvent vers ceux de l’Ouest pour accepter
volontiers des emplois qui n’exigent que peu de qualifications et à faible rémunération. Cela
présente l’avantage de baisser la masse salariale des entreprises qui auront donc une marge
supérieure pour offrir leurs produits et services à des prix plus compétitifs. Cela profite donc
au consommateur final.
De plus, du point de vue des migrants, ceux qui quittent leur pays pauvre pour aller vivre
dans un pays riche se mettent à gagner des salaires de pays riches. Cela est dû au fait que
leur productivité augmente parce qu’ils ont échappé des pays avec des modèles sociaux
dysfonctionnels caractérisés par des coupures d’électricité, des retards dans les livraisons et
des négociations avec des bureaucrates corrompus. Par contraste, dans un pays développé,
ces immigrants peuvent bénéficier de la bonne gouvernance du pays d’accueil et de la
primauté du droit.
S’il est évident que l’immigration a des aspects positifs au niveau marché du travail, il est
légitime de citer les limites de ces avantages et de parler des inconvénients d’une
immigration trop conséquente et peu contrôlée. Le premier inconvénient potentiel est que,
face à une immigration massive et donc face à l’augmentation des demandeurs d’emploi, les
employeurs soient tentés d’éviter une régularisation des migrants employés. En effet, les
avantages de la migration illégale sont nombreux pour l’employeur. Ce dernier pourrait être
intéressé par le statut d’illégalité d’un migrant dans la mesure où le travailleur se trouve dans
une situation de forte dépendance qui le contraint à accepter une rémunération très basse,
souvent en-dessous du salaire minimum légal. Employer un travailleur illégal présente aussi
l’avantage de réduire les charges sociales et les coûts non salariaux pour l’employeur. Le
migrant employé pourrait aussi y voir une opportunité de ne pas payer d’impôt sur le revenu
(aussi faible soit-il). Cependant, dans le cas d’un travail illégal, le migrant employé prend le
risque de subir des pratiques discriminatoires comme l’allongement des heures de travail, le
paiement différé du salaire et l’élimination de primes diverses.
Un autre point délicat est l’effet de la migration illégale sur les travailleurs aux salaires les
plus bas. Cela consiste particulièrement au fait que les compétences des immigrés sont des
compétences de substitut, et non de complémentarité, aux compétences des nationaux. Plus
ces travailleurs bénéficient d’avantages et de prestations sociales (qu’ils ont souvent obtenu
avec mérite), plus ils sont vulnérables à une potentielle immigration massive. En effet, ces
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avantages et prestations sociales accordés aux travailleurs nationaux a pour effet d’accroître
pour les employeurs le rendement de l’immigration illégale. Les travailleurs nationaux les
plus défavorisés se trouvent alors obligés à abaisser leurs salaires pour être compétitifs visà-vis des immigrés clandestins et à renier les prestations sociales souvent obtenues après
de longues revendications syndicales. Sinon, ils verraient la sécurité de leurs emplois
menacée, en particulier dans un contexte de fort taux de chômage. Il est évident qu’il est
possible qu’un tel environnement devienne le théâtre de tensions sociales entre les
travailleurs évincés de leurs emplois dans leur propre pays et les immigrés venus « voler »
ces emplois aux nationaux. Cependant, il serait bon de tempérer cet argument en notant que
l’immigration n’est pas la seule capable de mettre en péril les salaires et les prestations
sociales puisque la délocalisation des entreprises aurait un effet similaire.
2. L’immigration au Liban
2.1 Structure de la population (âge, sexe, catégories socio-professionnelles)
La population du Liban, d’avant conflit Syrien s’élevait à environ quatre millions de résidents.
Selon les données de l’administration centrale des statistiques au Liban, nous remarquons
qu’en 2009, 25% de la population résidant au Liban avait 14 ans ou moins, 20% entre 15 et
24 ans, 40% entre 25 et 54 ans et 15.4% avait 55 ans et plus. La pyramide ci-dessus montre
clairement l’impact de l’émigration des jeunes Libanais, soucieux de trouver du travail à
l’étranger. En effet, la pyramide des âges s’affaisse surtout pour les âges entre 25 et 34 ans.
Cette pyramide montre aussi une baisse récente du taux de natalité puisque le nombre de
personnes résidant au Liban entre l’âge de 0 et 4 ans est significativement plus faible que le
nombre de personnes âgées entre 5 et 9 ans.
Comme nous pouvions nous y attendre, la majorité de la population libanaise, selon les
mêmes chiffres de l’Administration centrale au Liban de 2009, se concentre à Beyrouth et au
Mont Liban, géographiquement proche de Beyrouth (figure 1)1.
1
Dans la figure 1, le Mont Liban prend en compte les banlieues de Beyrouth qui font partie
administrativement du Mont Liban, comme Dekwaneh ou Zalka.
11
Figure 1. Répartition géographique de la population libanaise (2009)
6.50%
Nabatiyeh
8.90%
Beyrouth
10.80%
Liban Sud
Beyrouth
12.50%
Bekaa
Mont liban
41.10%
Mont Liban
20.20%
Liban Nord
Liban Nord
Bekaa
Liban Sud
Nabatiyeh
Source : Administration centrale des statistiques au Liban
La moitié de la population libanaise réside donc à Beyrouth ou au Mont Liban. Par contre, la
Bekaa, pourtant la région la plus grande géographiquement, ne compte que 12.5% des
résidents du Liban. Cette distribution reflète le poids prépondérant qu’occupe Beyrouth dans
l’économie du Liban.
De plus, la société libanaise se caractérise par de fortes inégalités sociales et économiques.
En effet, l’index Gini, qui mesure la disparité des revenus pour une société donnée, était de
85.7 en 2013 selon des données de la banque mondiale. Le Liban est ainsi le 3 ème pays du
monde où il y a le plus d’inégalités de richesse, après la Russie et l’Ukraine et devant les
Etats-Unis. Cela dit, le taux de pauvreté au Liban reste significativement élevé à 30%. Ces
inégalités flagrantes reflètent l’absence, pendant de longues années, de politiques
économiques, sociales et fiscales qui pourraient favoriser l’équité entre les citoyens. De plus,
les inégalités des richesses entre Beyrouth et le Mont Liban d’un côté et le reste du Liban
persistent en dépit d’initiatives privées lancées par des hommes politiques ou des hommes
d’affaires au Liban (Banque mondiale, 2014).
12
2.2 Impact de la migration syrienne
Ayant clarifié certains concepts dans la section précédente, nous parlerons dans cette
section du marché du travail libanais avant le début de la guerre en Syrie. Quelles étaient
ces caractéristiques? Le taux de participation? Le taux de chômage? Ensuite, à la lumière de
cet aperçu, nous discuterons de l’impact de l’afflux de réfugiés Syriens sur le marché du
travail.
Avant le début du conflit en Syrie, la main-d’œuvre disponible sur le marché du travail
Libanais augmentait de façon régulière à un taux moyen de 2.2% par an durant la période
2004-2010. Cette augmentation était due à deux facteurs principaux : premièrement, le
nombre de personnes en âge de travailler augmentait de façon régulière à un taux de 1.7%
par an. Ce nombre devait, selon les estimations d’avant le début de la guerre en Syrie,
continuer à augmenter durant les prochaines années à un rythme légèrement moins soutenu
de 1.2% par an. En d’autres termes, si le taux de participation restait le même, il y aurait
19,000 personnes chaque année entrant sur le marché du travail. La deuxième cause de
cette augmentation conséquente de 2.2% par an de la main-d’œuvre est l’augmentation
régulière du taux de participation, en particulier pour les femmes. En effet, même si le taux
de participation pour les hommes et femmes demeure relativement faible comparé à d’autres
pays du monde et de la région du Moyen-Orient, il est en train d’augmenter. A ce rythme,
23,000 personnes devraient entrer le marché du travail chaque année durant la prochaine
décennie, et cela avant même de prendre en compte l’afflux de réfugiés Syriens.
Cela dit, une croissance relativement bonne au Liban durant la décennie précédant le conflit
syrien n’a pas été accompagnée par une évolution conséquente du marché du travail. En
effet, l’économie du Liban a augmenté en moyenne de 3.7% par an durant la période 1997 –
2009 alors que l’emploi n’a augmenté que de 1.1% par année. Cette augmentation de 1.1%
de l’emploi n’est pas suffisante pour absorber les nouveaux entrants au marché du travail,
d’autant plus que cette augmentation d’emploi concernait surtout des postes peu productifs.
Par conséquent, avant même le déclenchement de la guerre en Syrie, la croissance au Liban
n’était pas assez soutenue pour satisfaire tous les nouveaux demandeurs d’emploi.
Ainsi, avant même le début de la guerre en Syrie, le taux de chômage au Liban s’élevait déjà
à 11% avec des durées de chômage relativement élevées. Ce taux de chômage était
particulièrement élevé pour les femmes (18%) et les jeunes (34%) selon les données
collectées par l’administration centrale des statistiques. De plus, le taux de chômage
augmente avec le taux d’éducation puisqu’il s’élève à 14% pour les diplômés d’université
contre seulement 7% pour les travailleurs qui n’ont qu’une éducation primaire (Banque
mondiale, 2014).
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Une autre caractéristique importante du marché du travail libanais avant le conflit Syrien est
la forte présence de travailleurs Syriens immigrant au Liban pour occuper des postes peu
rémunérés dans l’agriculture, la construction et les services. Ainsi, avant le déclenchement
de la guerre en Syrie, des estimations montrent qu’il y avait déjà 300,000 travailleurs
Syriens, représentant 17% de la main-d’œuvre au Liban.
Il va donc, sans dire, que le marché du travail Libanais souffrait déjà de problèmes majeurs
avant l’année 2011 et n’était pas habilité à accueillir une augmentation conséquente et
rapide de demandeurs d’emplois (Banque mondiale, 2014).
Aujourd’hui, l’influx massif des travailleurs Syriens au Liban a des répercussions graves sur
le marché du travail Libanais. Ainsi, l’offre sur le marché du travail a, selon les estimations,
augmenté de 30% sur l’année 2013 et d’environ 50% à la fin de l’année 2014 par rapport à la
période d’avant-conflit Syrien. Cette augmentation, très rapide, pourrait entraîner des
ajustements sur le marché du travail à long terme. Cependant, à court terme, l’augmentation
soudaine de l’offre sur le marché du travail entraîne une diminution des salaires et une
augmentation du chômage, en particulier pour les emplois peu qualifiés (Fleyfel, 2014).
Pour mieux comprendre ces répercussions, nous allons discuter au départ de la population
Syrienne immigrant au Liban. Ces Syriens, fuyant la guerre dans leur pays, présentent des
caractéristiques similaires à la population Syrienne résidant au Liban avant le conflit. En
particulier, cette population Syrienne est jeune, puisque environ 58% des immigrés ont 25
ans ou moins et 62% des immigrés Syriens sont en âge de travailler, selon les chiffres de
l’agence des Nations Unies pour les Réfugiés. Selon ces mêmes chiffres, parmi les immigrés
Syriens en âge de travailler, 50% ont reçu une éducation primaire contre 43% une éducation
secondaire. Il est aussi bon de noter que le niveau d’éducation varie selon les régions
libanaises dans lesquelles résident les immigrés Syriens. En effet, les Syriens résidant à
Bourj Hammoud ont une éducation plus avancée que ceux présents à Akkar. Logiquement,
les réfugiés Syriens peu qualifiés occupent des postes peu rémunérateurs, surtout dans
l’agriculture et la construction.
La Banque Mondiale a tenté de chiffrer l’impact de l’influx syrien sur le taux de chômage au
Liban, en prenant pour hypothèse qu’il n’y a pas de restriction sur le recrutement de Syriens.
Selon plusieurs scénarios allant du plus optimiste au plus pessimiste, les résultats estiment
que la hausse du taux de chômage pourrait être de 8% à 11%, et ce malgré la diminution
des salaires. L’augmentation du chômage devient encore plus significative lorsqu’il s’agit des
travailleurs jeunes et peu qualifiés, puisque ce sont ces travailleurs qui sont les plus affectés
par l’immigration Syrienne. L’augmentation du chômage pour cette tranche de travailleurs
14
serait de 13% à 16%. Cependant, les travailleurs Libanais jeunes et qualifiés sont aussi
affectés par l’influx de travailleurs Syriens. Ainsi, en plus d’une diminution de leurs salaires
de 6.5% à 9%, le chômage de cette tranche d’âge a augmenté de 4% à 6%. Aussi, la
traditionnelle migration des «cerveaux » Libanais pourrait s’accélérer sous l’influence de ces
modifications majeures du marché du travail.
L’impact de cette immigration syrienne sur le marché du travail ne pourrait être dissocié
d’une éventuelle tension sociale et/ou communautaire entre les Libanais et les Syriens, en
particulier dans les villes ou villages les plus concernés par l’exode syrien. L’augmentation
soudaine de la population dans certains villages Libanais au Nord ou dans la Bekaa, parfois
multipliée par 2 ou 3, pourrait être systématiquement associée à une certaine source de
tension pour les locaux Libanais. Il est aussi bon de noter que nous avons surtout discuté,
dans les quelques paragraphes qui ont précédé, de l’impact de l’accroissement rapide des
demandeurs d’emploi sur le marché du travail. Nous pouvons aussi noter que les troubles
sécuritaires majeurs, dont la cause principale reste le conflit en Syrie, pose aussi des
problèmes significatifs quant à la confiance dont le Liban jouit auprès d’investisseurs locaux
ou étrangers. Ce ralentissement d’investissements affecte directement la croissance
économique dans le pays qui reste strictement limitée à environ 1%, un niveau infiniment
faible pour un pays du tiers-monde comme le Liban, a fortiori quand la population a
augmenté significativement. Ce ralentissement majeur de l’économie entraine lui aussi une
faible augmentation du nombre d’emplois disponibles.
CONCLUSION
En conclusion, le marché du travail libanais ne déroge pas à la règle générale selon laquelle
tout marché du travail connaissant une augmentation soudaine des demandeurs d’emploi
présente les symptômes suivants: augmentation du chômage (en particulier pour la tranche
de travailleurs la plus concernée par l’influx de travailleurs) et la diminution des salaires due
à l’augmentation de l’offre sur le marché du travail par rapport à une demande d’emploi qui
n’a pas pu suivre l’augmentation immédiate de l’offre. Ces symptômes sont d’autant plus
exacerbés que le marché du travail libanais présentait déjà des déficiences structurelles
majeures avant même le conflit syrien et ne pouvait pas, déjà à cette époque, suivre
l’augmentation des demandeurs d’emploi. Cela dit, il est possible que le marché du travail
s’adapte, d’une façon ou d’une autre, à l’immigration syrienne, et ce, en particulier si des
programmes pour stimuler le marché sont mis en œuvre. La décision du gouvernement
libanais, prise en octobre 2014, de stopper l’immigration syrienne ne devrait donc pas suffire.
La Banque Mondiale avance les chiffres suivants quant aux retombées du conflit syrien sur
l’économie libanaise sur la période 2012-2014 (Voir annexe 1):
- Un manque à gagner de 7.5 milliards de dollars en PIB
15
-
-
Un coût sur le trésor public s’élevant à 5.1 milliards de dollars dont 1.1 milliard de
dollars en dépenses budgétaires courantes pour les services fournis aux réfugiés tels
que les soins médicaux dans les hôpitaux publics, l’éducation dans les écoles
publiques et les subventions pour l’électricité et autres services et produits de
consommation.
2.5 milliards de dollars en investissements supplémentaires pour maintenir l’accès aux
services à leur niveau d’avant la crise en 2011 (Voir annexe 2).
1.5 milliard de dollars en diminution de recettes publiques résultant de
l’affaiblissement de l’économie.
Les coûts sociaux sont tous aussi dévastateurs, car l’afflux massif des réfugiés augmente
sensiblement l’offre de la main-d’œuvre, exerçant par-là, une pression à la baisse sur les
niveaux des salaires. Pour les citoyens libanais, les conséquences sociales en sont
désastreuses et se traduisent par la hausse du taux de chômage à près du double de leur
niveau actuel, en particulier pour les travailleurs non qualifiés dans les régions les plus
pauvres (Nord et Bekaa) qui, par le hasard de la géographie, abritent le plus grand nombre
de réfugiés, et l’ajout de 170,000 personnes aux millions de libanais qui vivent en dessous
du seuil de la pauvreté (Daher, 2013).
De plus, les entrepreneurs restent au Liban dans une double logique de survie et d’attente :
survivre aussi longtemps que possible, avec le minimum d’investissements et ayant recours
à la main-d’œuvre peu qualifiée et peu coûteuse, en attendant une normalisation de la
situation.
Il devient impératif qu’une politique rationnelle émanant d’un consensus national solide soit
adoptée pour mettre en place des solutions réalistes et appropriées. Le Père Paul Karam,
président de Caritas Liban2, propose que la communauté internationale ouvre des camps de
réfugiés en territoire syrien. Il souligne que le nombre de réfugiés syriens a atteint un seuil
insoutenable pour le pays ces derniers jours. Alors que les sources officielles de l’ONU ont
confirmé que les réfugiés syriens enregistrés au Liban ont dépassé le million de personnes,
le Père Karam évoque le chiffre d’1.5 million, représentant 25% à 30% de la population
libanaise. En Syrie, explique le prêtre libanais, il existe de vastes régions qui ne sont pas
touchées par le conflit, où peuvent être installés des camps de réfugiés ou des stations de
secours et d’assistance.
En conclusion, pour assurer de façon réaliste, la viabilité du programme d’assistance aux
réfugiés, les modifications à apporter à l’ensemble des services offerts doivent être basées
2
Caritas Liban est une organisation caritative fondée en 1972 à Saida. Le travail social reste une des priorités
de cette organisation visant à servir les plus démunis sans aucune discrimination sur tout le territoire libanais.
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sur le principe d’Airain que les réfugiés se retrouvent au Liban en des circonstances
exceptionnelles et à titre temporel dans l’attente de leur retour en Syrie. Le devoir moral des
autorités libanaises au cours de cette période est d’offrir un niveau abordable de services de
base conformes aux normes appliquées de par le monde aux réfugiés de guerre dans des
situations critiques comparables et vérifiées par les autorités. Les services publics et sociaux
que les citoyens libanais sont habilités à recevoir ne peuvent plus constituer, en termes
d’accès et de qualité, la référence qui définit l’aide apportée aux réfugiés. L’inexorable loi du
nombre rend d’ailleurs cette approche aujourd’hui inabordable.
BIBLIOGRAPHIE
Rapports
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conflict”, report number 81098, LB.
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employment profile”, http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---arabstates/---robeirut/documents/publication/wcms_240134.pdf.
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d’Intégration Active ».
Articles
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la France en Afrique », Centre Thucydide – Analyse et recherche en relations
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l’Orient-le-Jour.
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française d’économie, volume 20, numéro 4.
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d’Orient.
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et révolutions, http://economiesarabes.blog.lemonde.fr/2013/11/02/liban-leconomieminee-par-le-conflit-syrien/
SEBASTIAN J. ET JIMENEZ M., (2007), “The unemployment impact of immigration in
OECD countries”, OECD Economic Department, working paper number 563.
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Annexe 1:
Évaluation quantitative de l’impact du conflit syrien sur le Liban
Ce tableau résume quantitativement, en quelques lignes, l’impact du conflit syrien sur le
développement humain et social au Liban. En premier lieu, l’impact le plus important repose
sur l’électricité. En effet, l’électricité au Liban a été pour de nombreuses années source de
pertes majeures pour l’Etat Libanais, bien avant le début de la guerre Syrienne. En d’autres
termes, pour plus de deux décennies, le contribuable Libanais a payé pour subventionner
l’électricité dans son pays. Il est donc normal que, quand la population au Liban a augmenté
de façon soudaine augmentant ainsi significativement la demande d’énergie, l’énergie se
retrouve en première ligne des infrastructures affectées. Cet impact est mesuré à 360
millions de dollars sur la seule année 2014.
On retrouve, sans surprise, parmi les impacts les plus prononcés du conflit syrien sur le
Liban des services publics offerts par l’Etat Libanais et donc payés par le contribuable
Libanais, comme le système de santé, l’éducation, etc.
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Il est aussi bon de noter que l’impact total du conflit syrien sur le Liban, déjà très élevé en
début de conflit (année 2012) ne cesse d’augmenter. Ainsi, l’augmentation est de 402% sur
l’année 2013 et de 64% sur l’année 2014. En tout et pour tout, l’impact total pour l’année
2014 s’élève à 510 millions de dollars, l’équivalent de 1.1% du PIB Libanais. Autrement dit,
pour chaque 100 dollars générés par les Libanais en produits ou en services, 1.1 dollar ont
servi à la subvention de l’aide aux réfugiés Syriens, que ce soit en eau, électricité, santé ou
éducation. La récente décision du gouvernement Libanais de Tammam Salam de modifier la
procédure d’entrée des Syriens au Liban n’est, bien sûr, pas comptabilisée dans ces chiffres
puisque son impact ne sera visible que dans le courant de l’année 2015.
Finalement, ce tableau montre que le manque en croissance, et donc la création de
richesses, se chiffre à 3.9 milliards de dollars sur la seule année 2014. Sur une population
Libanaise de 4 millions de Libanais, cela veut dire que chaque Libanais a souffert d’un
manque de croissance de 1,000 USD sur l’année 2014. En termes de pourcentage, la guerre
en Syrie a fait diminuer la croissance prévisionnelle au Liban de 4.4% en 2014 à 1.5% ou
1.9%.
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Annexe 2:
Évaluation quantitative des besoins de stabilisation résultant de l’impact du conflit
syrien sur le Liban
Ce tableau affiche des réalités encore plus alarmantes pour le Liban puisqu’il évalue les
sommes requises pour revenir à une situation de stabilisation, c’est-à-dire pour rétablir
l’accès et la qualité des services à leur niveau d’avant conflit Syrien. En un mot, le Liban
devra dépenser jusqu’à 4.4% de son PIB actuel pour arriver au niveau des services qu’il
offrait à ses citoyens avant le conflit syrien. En particulier, la situation de l’électricité est
significativement alarmante. Il faudra donc débourser jusqu’à 909 millions de dollars pour
rétablir le niveau de service de l’électricité à celui de 2011. On ose à peine imaginer ce qu’il
faudrait dépenser pour arriver à une électricité 24h/24 pour toutes les régions au Liban.
De même, il faudra débourser jusqu’à 482 millions de dollars pour rétablir le niveau de
transport. Autrement dit, 1% du PIB. Là aussi, ce chiffre représente uniquement les
dépenses nécessaires pour rétablir le niveau à celui d’avant 2011 et non pas pour offrir un
niveau de transports publics acceptable aux Libanais.
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Cette évaluation quantitative en besoins de stabilisation est classée en besoins de
fonctionnement et besoins d’investissement. A ce propos, il est intéressant de noter que les
dépenses d’investissement sont beaucoup plus sujettes aux interprétations quant aux
hypothèses (de base ou haute) par rapport au dépenses de fonctionnement. Dans les deux
hypothèses, les dépenses d’investissement sont significativement plus élevées.
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