inventer des lanceurs d`écriture pour faire apprendre dans toute
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inventer des lanceurs d`écriture pour faire apprendre dans toute
LANCEURS MULTIPLES ET INTERMEDIAIRES Aux cycles 2 et 3 extraits de REFONDER L'ENSEIGNEMENT DE L'ECRITURE Dominique Bucheton, Ed. Retz Résumé : La séquence d’arts plastiques présentée dans ce chapitre met en œuvre un dispositif où l’écriture, la lecture et le commentaire oral sont conjugués savamment par des jeux de lanceurs d’écriture successifs permettant l’avancée de la réflexion singulière et collective des élèves à propos du peintre MIRÓ. Le problème étudié : inventer des lanceurs d’écriture pour faire apprendre dans toutes les disciplines, faire varier les postures d’écriture. Partie du principe du pouvoir réflexif et structurant de l’écriture, selon lequel « est auteur celui qui fait siens la culture, les savoirs, les discours entendus et qui les réorganise, les traduit, les réinvente à partir de sa propre expérience intellectuelle ou émotionnelle », une équipe d’enseignants-formateurs de Perpignan, réunie dans un groupe de recherche-action-formation 1 « les langages pour apprendre », a mis au point, dans les années 2000, le principe des lanceurs pour des écrits intermédiaires dans diverses disciplines : littérature, art, sciences, géographie notamment. Le contexte : une école classée E, une enseignante maître-formateur, une classe de CM1 Il s’agit d’une séquence d’arts plastiques consacrée au peintre catalan Joan MIRÓ dans une classe de CM1 située en zone d’éducation prioritaire. L’école assemble une population très hétérogène : des élèves d’origine maghrébine, d’origine gitane et de nationalité française. L’école a réussi à stabiliser la scolarisation des élèves gitans. L’enseignante, Marie-Paule RIVES, elle-même peintre passionnée par l’enseignement des arts, fait rencontrer chaque mois un nouveau peintre aux élèves. Après avoir travaillé sur des peintres figuratifs, elle aborde la peinture moderne. L’ensemble des travaux écrits des élèves sur chacun des peintres est présenté et compilé dans un CD-Rom : c’est un écrit long collectif. Une longue séquence autour du peintre MIRO La séquence, dont nous chercherons à dégager les principes sous-jacents pour comprendre l’efficience, se déroule sur deux semaines. Elle a été filmée enregistrée par une équipe du CNED et particulièrement diffusée lors d’une séquence d’enregistrement à distance des futurs candidats au concours de professeur des écoles. Consigne 1 Une peinture de MIRÓ est affichée au tableau sans son titre. La consigne : « Vous allez observer cette toile dont j’ai volontairement enlevé le titre donné par MIRÓ. Vous allez réfléchir à un titre que vous allez choisir, et expliquer sur votre cahier de travail pourquoi ce choix ». Après une quinzaine de minutes, tous les élèves lisent leur texte (de 1 à 3 lignes). 1 Le groupe de recherche, dirigé par Dominique Bucheton et J.C. Chabanne, a réuni pendant quatre ans, à l'IUFM de Perpignan, une quinzaine de maîtres-formateurs des Pyrénées Orientales. Consigne 2 « L’année dernière, dit l’enseignante, j’ai fait le même travail avec une autre classe. Voilà dix titres qu’ils ont choisis. Vous les lisez et vous en choisissez deux : un qui va bien avec le tableau, vous écrivez sur votre cahier de travail : « je suis d’accord avec ce titre » et vous expliquez pourquoi… Et l’autre qui selon vous ne va pas du tout avec le tableau et là aussi vous expliquez pourquoi. » Les élèves écrivent cette fois plus longuement (entre 3 et 7 lignes), se concentrent, regardent alternativement le tableau, les titres affichés. Cette première tâche achevée, tous les élèves lisent leurs écrits (l’échange dure une dizaine de minutes). Voici cinq des titres discutés : « Le tableau vite fait », « Les inventions dingues », « Les coupeurs de têtes », « La fête des araignées », « Des planètes, des étoiles filantes et des cerfs-volants ». Consigne 3 Le lendemain, le titre donné par MIRÓ est affiché au tableau ; l’enseignante demande aux élèves de « commenter oralement ce titre » : Libellules aux ailerons rouges à la poursuite d’un serpent glissant en spirale vers l’étoile comète Consigne 4 la semaine suivante, après avoir vu et discuté sur diverses œuvres du peintre, après avoir lu et écouté des documentaires relatant la vie de MIRÓ, la classe se prépare doucement à écrire le texte qui figurera sur le CD-Rom (sorte de bilan des savoirs acquis). L’enseignante demande aux élèves de « noter sur le cahier cinq mots qui évoquent le peintre MIRÓ ». Chaque élève est alors invité à commenter le choix de ses propres mots. Leçon de vocabulaire oblige ! Pour Chahira : « magnifique, merveilleux, impressionnant, superbe, admirable». Pour Marion « magnifique, bizarre, animé, superbe, osé, laid, barbouillé, souvenir ». Pour Mélanie : « triste, impressionnant, joli, barbouillé, vrai ». Annabelle écrit : « pour moi les cinq mots qui évoquent Miró c’est, sa pourrait etre un souvenir comme les vagues descendent et remontent, ou plutôt des cailloux tapant la montagne comme si c’était un tremblement de terre. Miró a peut-être fait un souvenir. Les cinq mots santinelle – magnifique, laid, bizare, incomparable ». [...] […] Concentrée, l’écriture dure plus d’une demi-heure. Les textes s’allongent, tous écrivent, même les plus en difficulté. Quelques textes révèlent l’hétérogénéité de la classe. Mathieu : « je pense que (rature) Joan Miró, l’artiste de la peinture entre dans une imagination formidable». Vanessa qui, pour les cinq mots avait écrit : « je n’est pas d’idée », écrit cette fois « A moi-même je trouve que Miró a beaucoup d’imagination en dessinant parce qu’il dessine des toiles déformé comme le sans titre les traits son droit et il n’y a pas tros de chose mais il ya beaucoup de bleu ». Mélanie : « Miro est impressionnant il a fait plein de jolis tableaux. Lui qui voillé qu’il n’allaie pas devenir peintre parce que son père ne voulaie pas, il est devenu un grand peintre. Je trouve que les tableaux la ferme, la libellule à la poursuite du serpent et le tableau sans titre sont splandide, venait tous voir Miró ». Sophie : « Miró est un peintre très moderne il n’est pas comme Chardin, George de la tour, il ne s’acroche pas à dessinée des personnages s’il fait des tableaux de maison ou d’interieur de maison et s’il devait dessiner un personnage, ça serai un personnage déformé. Miro utilise de couleurs et defois, je ne compren même pas son tableau ». Quels principes derrière de telles pratiques destinées à de jeunes élèves ? Le principe central est encore ici le temps, mais ici un temps plus fragmenté, qui demande un pilotage des tâches et de l’emploi du temps très précis et préparé. Il s’agit en effet de mettre en dynamique et en synergie plusieurs visées. Faire circuler les élèves dans diverses postures La variété des tâches proposées aux élèves vise à les faire changer de posture langagière : passer d’une nécessaire posture première, du brut de pensée, brut de ressenti, brut de réactions, à une posture plus réflexive et distanciée. Elle vise aussi à les faire circuler du réel à l’imaginaire et vice versa. Favoriser la porosité de l’écrit et de l’oral, la circulation du lexique et les formes discursives de la critique L’alternance sous forme de continuum des tâches de lecture de l’image et de textes documentaires, d’écriture, de lecture de ses propres textes et d’écoute de ceux des autres favorise la porosité de ces divers langages et leur enrichissement mutuel. L’étude des mouvements lexicaux entre les textes et entre les interactions orales nous a révélé des modes de s’approprier le lexique, différents. Nous avions construit des métaphores pour les qualifier. Ainsi certains élèves sont de vrais chasseurs de mots (ils les attrapent dans leur filet, ils reprennent les mots des textes, des autres, ceux de l’enseignante). D’autres sont des passeurs : ils apportent du capital lexical dans la classe, d’autres encore tissent leur toile sémantique autour de leurs propres mots, fils rouge de leur pensée. D’autres encore s’appliquent à mettre en réseau, les divers mots de savoirs déjà rencontrés, d’autres encore se lancent à mettre en perspective, à prendre de la hauteur (métaphore de l’ascenseur), ils généralisent, exemplifient. « Miró fait des illusions pour peindre, il fait des traits droits ou tordus et fais des personnages bizarre. Mais il peint bien.» Par ailleurs, la variation des actes de langage qu’appellent les diverses consignes (asserter, expliquer, commenter, discuter, raconter, décrire) développe très vite chez les élèves des textes aux formes discursives hétérogènes. Elles sont un indicateur des divers mouvements réflexifs en cours. Nourrir constamment par des apports culturels divers (textes, magazines, émissions de télévision, visites au musée…). Quelques résultats saillants Dans cette classe, à l’occasion de cette séquence portant sur les arts plastiques mais aussi dans d’autres séquences construites sur les mêmes principes dans d’autres disciplines, chez d’autres enseignants, on observe plusieurs résultats importants. L’engagement des élèves ne faiblit pas. Il est vrai que tous leurs textes sont lus et écoutés. Ce premier résultat : l’implication de tous les élèves, dans une école classée ZEP est notable. Les tournages en vidéo montrent des élèves actifs, souriants, intéressés et heureux. Ce n’est pas un moindre résultat ! Autrement dit, pas de posture de refus ; très rares sont les postures scolaires où l’élève travaille a minima. […] Le deuxième trait est la construction lente d’une identité d’élève pensant Qu’on nous pardonne la formule ! Constamment les élèves sont invités à exprimer de façon argumentée leur point de vue. Ils apprennent à penser par eux-mêmes en argumentant, en écoutant les autres, en leur empruntant beaucoup. Ils osent affirmer une idée, ils savent qu’elle sera attentivement écoutée. Dans le cas de l’étude sur MIRÓ, ils ont mis en place les premières pierres d’une pensée esthétique. En sciences où les consignes alternent manipulation, croquis, lecture, prise de notes, élaboration de textes de savoirs, ce seront les premiers gestes réflexifs pour entrer dans une démarche scientifique. L’inventivité des enseignants Enfin, du côté des maîtres, à chaque fois nous avons été surpris, et nous sommes restés toujours très admiratifs, de l’extrême inventivité dont les consignes témoignaient, frappés aussi de leur extrême patience pour écouter tous les élèves dans une posture d’accompagnement particulièrement bienveillante.