Le sport dans loeuvre de Joan Miró. (Art et sport)

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Le sport dans loeuvre de Joan Miró. (Art et sport)
ART ET SPORT
Le jour de Noël 1983, mourait à Palma de Majorque un jeune homme
de 90 ans, Joan Miró, dont la longue vie fut consacrée à l’art pris au
sens le plus large. Dans ces quelques réflexions, nous entendons
analyser uniquement les œuvres de ce Catalan universel dont le titre
et l’esprit évoquent le sport.
LE SPORT
DANS L’ŒUVRE
DE JOAN MIRÓ
R. BALIUS JULI
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n peut s’étonner que Miró qui cherchait à « ce que son œuvre fût comme
un poème qu’un peintre eût mis en
musique », s e s o i t i n t é r e s s é a u t h è m e
sportif. Or, Miro qui fut bien évidemment un
peintre-poète, ne s’est à aucun moment
éloigné de la réalité. II l’a au contraire
profondément pénétrée, et le sport en fait
partie. La pratique de la culture physique « de
manière très disciplinée » procurait à Miró
« l’équilibre physique et moral pour travailIer ». Elle le maintenait en forme. Selon ses
propres dires, sa peinture est combative,
libérée de toute censure, combativité qui
s’est traduite dans sa jeunesse sous forme
d’activité pugilistique. Lors d’une entrevue, il
racontait sur le ton de la plaisanterie qu’il se
battait avec Hemingway bien qu’il ne lui
arrivait qu’à la ceinture.
Les œuvres de Miró à thème sportif
sont nombreuses. Ainsi, parmi les toiles,
citons : « La baigneuse » (1925), « Le chasseur » (1928), « Petite fille faisant de I’exercice » (1932), et « La leçon de ski » (1966).
et dans son œuvre graphique, «Acrobate la
nuit dans le jardin » (1948), « Le sauteur»
(1948), « Amazone » (1964), « Lutte rituelle »
(1964), « Excursion » (1967), « Le pêcheur
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de poulpes », « Escalade » (1969), « Automobiliste à moustache » (1970), « Le pêcheur
d’éponges » (1971) et « Tir à l’arc » (1972).
Affiche commémorative du centenaire du
« Centre Excursionsta de Catalunya » (1976).
Peintures
sur les voiles d'embarcations
de compétition.
Miro ne fut pas un produit du surréalisme Ses toiles antérieures à 1924 – année
officielle de la naissance du mouvement –
étaient déjà surréalistes, mais il fut essentiellement le créateur d’une esthétique, le
constructeur d’un monde personnel, à la fois
discret et audacieux, qu’il nous invite à
partager. On a dit de lui qu’il était un artiste
abstrait alors qu’en fait, son expression est
extrêmement concrète. Elle tend vers
l’essence de la réalité qu’il est possible de
percevoir en s’efforçant « mentalement »
d’établir un parallèle entre ses différentes
œuvres dont le titre évoque le sport et qui
représentent la réalité. Nous pensons que
cette expérience, à l a q u e l l e n o u s n o u s
sommes prêtés au moyen d’un montage
photographique simultané, est la meilleure
méthode pour tenter de démontrer nos
constatations précédentes.
A partir de 1919, Miró réalisa des
affiches. Les plus marquantes sont la
célèbre « Aidez l’Espagne », (1937 pendant
la guerre civile espagnole) et celle consacrée
à I’Exposition Internationale du Surréalisme,
1947 à Paris. A partir de cette date, Miró
intensifia sa production d’affiches, annonçant expositions personnelles ou collectives,
hommages, congrès, livres et notamment
initiatives et entreprises culturelles catalanes. C’est ainsi qu’il devint le créateur
d’affiches le plus prestigieux et le plus
demandé du monde. Cette vaste collection
ne pouvait manquer de contenir des affiches
consacrées aux événements sportifs liés en
particulier à la Catalogne.
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ART ET SPORT
En 1974, il réalisa sa première affiche
sportive à l’occasion du 75e anniversaire du
club de football de Barcelone, doyen du
football catalan Miró utilisa, dans cette
affiche, pour la première et dernière fois, la
technique du « collage » en y ajoutant l’écusson brodé du club. Une tache noire,
(omniprésente dans l’œuvre de Miró).
s’amincit pour former les lettres du nom
populaire de « Barça ».
En 1976, le « Centre Excursionista de
Catalunya » célébrait le centenaire de -sa
fondation et on ne pouvait imaginer sa
commémoration sans la contribution de
Miró II réalisa donc l’affiche de l’événement
en dessinant une énorme Iibellule, rappelant
sans doute I’origine scientifique et naturaIiste du « Centre » ; les chiffres correspondent
aux dates en question (1876-1976).
En 1980, pour la 60e édition du « tour
cycliste de Catalogne », épreuve cycliste
espagnole la plus ancienne et la plus
populaire, Miró effectua une composition
complexe autour d’une bien curieuse bicyclette. L’artiste orna le motif de l’affiche de
lettres et chiffres caractéristiques de son
style.
Le comité royal d’organisation de la
Coupe du monde de football, disputée en
1982 en Espagne, demanda à Miró de
dessiner l’affiche de cette Importante manifestation. Dans une composition circulaire le
peintre suggéra à la fois les mouvements
d’un étrange ballon rouge et ceux des
joueurs luttant pour l’accaparer. A droite, un
drôle de personnage pouvant représenter un
supporter, rappelle le caractère spectaculaire des matches de football Le mot
« Espagne » et le nombre « 82 », écrits par
l’artiste, bordent cette création largement
diffusée à travers le monde.
L’ultime contribution de Miró au sport
se compose de toiles insolites et singulières.
Sur fond de voiles d’embarcations de compétition, l’artiste a dessiné des formes nettes
et allongées s’élevant vers un ciel parsemé
de soleils et d’étoiles, ainsi qu’une silhouette
humaine manœuvrant un bateau imaginaire
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Tir à I'arc (1972)
Curieusement pour une composition évoquant le milieu marin. aucune trace de bleu
n’est visible. probablement parce que Miró
qui connaissait bien la mer – depuis 1956,
il résidait en permanence à Palma de
Majorque – savait que ses voiles, en se
mettant en action, se trouveraient suffisamment encadrées par le bleu du ciel et de la
mer.
Ceux qui connaissent la carrière de Miró
n’ignorent pas qu’il a toujours prêté son
langage artistique original exclusivement aux
causes auxquelles il croyait et plus particulièrement à tout ce qui pouvait contribuer à
enrichir la culture catalane. Les thèmes
sportifs dans son œuvre fort riche, témoignent à n’en pas douter de la sincérité de
son attachement à la culture physique et au
sport, ancré au plus profond de sa personnaIité.
Lorsque nous nous souvenons que les
couleurs olympiques, pures, couleurs fondamentales, furent les favorites de Joan Miró,
nous sommes profondément peinés de voir
qu’il nous ait quittés sans avoir pu nous
léguer une affiche consacrée à la présente
Olympiade que sa ville natale, Barcelone,
rêve d’organiser. ■