Chapitre VIII – La résilience

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Chapitre VIII – La résilience
Chapitre VIII – La résilience
Dans ce chapitre, nous nous appliquons à comprendre en quoi cette capacité de sortir
vainqueur d’une épreuve traumatique avec une force renouvelée, pourrait expliquer le
processus mis en œuvre par l’ex-chômeur pour se ré-intégrer ? Les demandeurs d’emploi
de longue durée ré-intégrés seraient-ils « résilients » ?
La capacité de l’ex-chômeur à se ré-intégrer s’attache-t-elle à une disposition particulière
de l’individu ou d’une situation, ou encore à une combinaison des deux ?
Autrement dit, devrions-nous concentrer nos efforts à la détection des éléments résilients
ou à développer cette capacité chez les exclus, pour résoudre du même coup, la
problématique de notre recherche : la ré-intégration des demandeurs d’emploi de longue
durée ?
À quelles conditions le sans-emploi pourrait-il développer cette capacité d’adaptation face
à l’adversité ? Le chômeur dans sa globalité, possède-t-il ou peut-il développer des
réponses adaptatives variées, qui lui permettraient de se (re)-construire malgré ou à partir
des situations délétères ou traumatogènes traversées ? Peut-on parler, et dans quelle
mesure, de « résilience » chez les chômeurs de longue durée ?
Pour répondre à ces questions, nous allons préalablement essayer de définir cette capacité
(ou de la notion, ou le concept), d’en déterminer la nature et surtout l’utilité, afin
d’examiner dans un deuxième temps si elle est applicable dans le cas qui nous occupe et
comment nous pouvons nous en servir.
Le modèle de la résilience
Qu’elle relève du domaine de la psychologie, de la psychopathologie, de la psychanalyse,
de la sociologie, de la psychiatrie, la résilience, avance des assises théoriques qui trouvent
leur congruence en tant que modèle composite. Le noyau fédérateur consiste, face au
danger, à prendre en compte les facteurs de protection et non plus seulement les facteurs
de risque, de travailler sur les potentiels et les modes de protection des sujets. Le modèle
de la résilience n’est pas à opposer au modèle psychopathologique mais à considérer
comme une approche complémentaire de la prise en compte de la vulnérabilité des sujets.
Dans le cadre de la psychologie clinique, l’intérêt du modèle de la résilience est, pour
nous, de comprendre le développement des sujets qui ont connu des traumatismes et qui,
pourtant, les ont dépassés.
Ce modèle peut-il contribuer à la compréhension des formes d’adaptation des individus et
participer à la construction de nouvelles méthodes de prise en charge des chômeurs de
longue durée, confrontés à l’adversité, aux traumatismes, aux carences identitaires
fondamentales identifiées ?
©Patricia Welnowski-Michelet – Thèse en sciences de l’éducation – 2004 – Approche clinique de la crise identitaire du demandeur d’emploi de longue durée
et de sa dynamique identitaire de ré-intégration socioprofessionnelle – vers une pédagogie de la restructuration identitaire – La Sorbonne – Paris V
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Les recherches actuelles conduisent à considérer la résilience comme un modèle théorique
original et complexe. Après sa présentation, nous le confronterons à la résolution de notre
problématique de recherche.
La métaphore de l’huître
Préalablement, nous proposons la métaphore de la perle que B. Cyrulnik{ XE « Cyrulnik
B. » } (1999) utilise pour illustrer le fonctionnement de la résilience. Comment, à partir
d’une blessure et d’une souffrance, le sujet peut en faire une expérience qui sera
potentiellement fructueuse pour lui. Le modèle est celui de la perle fabriquée par l’huître
en réponse à une agression. Le processus psychique et comportemental de l’individu
« résilient », face à une situation traumatogène, serait comparable au travail de l’huître qui,
pour se protéger du grain de sable qui la blesse, va, en sécrétant la nacre autour de l’intrus,
arrondir les aspérités du grain de sable et donner naissance à un bijou précieux. La
résilience serait ainsi forgée par l’individu face aux agressions de la vie et le sujet
« résilient » conserverait ce précieux potentiel qui l’aiderait à affronter sa trajectoire de vie
dans de bonnes conditions.
La métaphore de l’huître perlière illustre bien comment, parfois, à partir d’une expérience
souffrante, l’on peut actualiser ou dynamiser des forces demeurées jusqu’alors latentes et
inconnues. La résilience apparaît ainsi comme résultant d’un processus paradoxal dans
lequel la confrontation au traumatisme et à la blessure vient étayer la créativité.
Cependant, la beauté de la métaphore de l’huître perlière ne fait pas oublier la blessure
initiale et donc, ne signifie pas que le sujet « résilient » face l’économie de la souffrance du
trauma et du stress.
Définition de la résilience
Acceptons de définir la résilience comme la capacité de sortir vainqueur d’une épreuve
traumatique, avec une force renouvelée. On reconnaît deux types de réaction : le
développement normal en dépit des risques et le ressaisissement de soi après un
traumatisme. La résilience désigne l’art de s’adapter aux situations adverses (conditions
biologiques et socio-psychologiques) en développant des capacités en lien avec des
ressources internes (intrapsychiques) et externes (environnement social et affectif)
permettant d’allier une construction psychique adéquate et l’insertion sociale.
Cyrulnik{ XE « Cyrulnik B. » } (1999) rappelle que la résilience en psychologie est
souvent définie comme :
« la capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de manière
socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité qui comporte
normalement le risque grave d’une issue négative »1.
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ANAUT, M. (2003). La résilience, surmonter les traumatismes. St-Germain-du-Puy. Nathan Université.
©Patricia Welnowski-Michelet – Thèse en sciences de l’éducation – 2004 – Approche clinique de la crise identitaire du demandeur d’emploi de longue durée
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L’auteur précise également que, pour qu’il y ait résilience, il faut qu’il y ait confrontation à
un traumatisme ou à un contexte traumatogène, ce qui rejoint le point de vue de
chercheurs d’orientation psychanalytique qui considèrent que le traumatisme est l’agent de
la résilience.
Retenons que la résilience en tant que processus psychique peut être formulé ainsi :
« la capacité à maintenir une homéostasie endopsychique et intersubjective dans des
conditions traumatogènes »2
La résilience, dont l’origine du terme français, issu du latin resilienta, est habituellement
employée en physique des matériaux pour désigner la « résistance du matériel aux chocs
élevés et la capacité pour une structure d’absorber l’énergie cinétique du milieu sans se
rompre3. » D’après le dictionnaire historique de la langue française, le terme résilier,
étymologiquement constitué de re (indiquant le mouvement en arrière, le retrait) et salire
(sauter, bondir) signifie donc littéralement sauter en arrière, se rétracter.
La résilience ne se réduit pas à une simple capacité de résistance qui véhiculerait l’idée
d’une rigidité, mais évoque davantage des propriétés de souplesse, d’élasticité et
d’adaptation.
L’origine du concept
L’émergence du concept date du début des années 80. Freud{ XE « Freud S. » } est
considéré par certains auteurs comme ayant posé les bases épistémologiques de cette
approche, avec certes une terminologie différente, tournant autour du concept de
sublimation. Depuis les premiers travaux de recherche sur la résilience, le modèle
théorique et son champ d’application ont évolué, cherchant à écarter le risque d’un
concept aux contours flous, synonyme de copying{ TA \l "copying" \s "copying" \c 8 } (ou
stratégie d’ajustement)4 ou encore celui d’adaptation. Il intéresse les champs, social,
comportemental, cognitif, psychiatrique, de la psychologie clinique et de la
psychopathologie des adultes ; le domaine de la sociologie, celui de la psychologie sociale
et de la compréhension des comportements (dont l’éthologie) ; enfin, le champ éducatif et
social ainsi que le secteur de l’inadaptation sont également concernés.
Concept d’une part, la résilience est d’autre part vue comme un modèle de compréhension
du sujet humain dans ses dimensions normale et pathologique.
Elle peut apparaître comme un trait de personnalité ou de caractère, comme un processus
évolutif, être abordée comme le résultat de ce processus ou, plus généralement, le résultat
d’un parcours de vie. La résilience serait considérée à la fois comme le processus même de
remaniement psychique et la résultante de ce travail en termes d’adaptabilité et
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BESSOLES, P. (2001). Processus originaires et facteurs de résilience. Synapse. 172.
Dictionnaire Grand Robert.
Copying ou stratégie d’ajustement : cf. Lexique en fin de tome 1.
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d’interaction avec l’environnement social et psycho-affectif. Vanistendael{ XE
« Vanistendael » } (2000) considère que la résilience est avant tout une capacité. Si l’on se
réfère à Piéron : il s’agit de la capacité correspondant à « la possibilité de réussite dans
l’exécution d’une tâche ». Elle pourrait donc être mesurable et stimulée par des actions
éducatives ou thérapeutiques. Cette capacité serait le produit d’une interaction sujetenvironnement.
D’autres pensent, qu’à l’inverse, c’est la capacité de résilience singulière de l’individu qui
lui permet de percevoir et d’agir sur son environnement de manière significative. Ainsi, la
résilience permettrait à l’individu qui la possède (de manière innée ?) de construire un
fonctionnement spécifique de maîtrise de son environnement.
C’est à partir d’un ensemble de critères permettant de repérer un fonctionnement dit
résilient que l’on s’autorise à poser un diagnostic de résilience. On étudie donc un
ensemble de comportements, en tant que manifestations de la résilience. Dans cette
optique « la résilience réfère à une classe de phénomènes caractérisés par de bons
résultats, en dépit de menaces sérieuses pour l’adaptation ou le développement » (Masten{
XE "Masten A." }, 2001)5.
Parler uniquement de résultat risquerait de conférer à la résilience un caractère figé,
comme si le résultat d’un fonctionnement résilient supposait que le sujet avait acquis une
structure résiliente une fois pour toutes. Dans cette perspective, le sujet résilient le serait
de manière organisationnelle et donc potentiellement pérenne : capacité à caractère inné ?.
Pour Emmy Werner{ XE "Werner E." }6, elle n’est pas acquise une fois pour toutes chez un
individu. Les recherches longitudinales et études de cas dans la durée montreraient que la
résilience ne serait jamais totalement acquise. Ainsi, les individus ne seraient pas résilients
en tout, ni tout le temps, ni dans n’importe quelles circonstances. Un équilibre de
résilience se construirait sur des bases à la fois internes (personnelles) et externes
(environnement) dans une dynamique interactionniste et évolutive avec les sujets et leurs
environnements. Elle ne serait donc pas de nature innée.
Il y a un consensus chez les auteurs pour soutenir que la résilience se démarque de
l’invincibilité (Rutter, 1993).
Elle serait sans doute à comprendre comme une construction multidimensionnelle (Fortin
et Bigras, 2000), résultant d’un équilibre entre facteurs de risque et facteurs de protection,
face aux événements stressants et-ou traumatiques.
La notion de résilience est différente de celle de résistance ou de défense travaillée dans la
cure psychanalytique. En effet, résister, c’est se protéger, en mettant en place le
refoulement. Cependant, la douleur reste «là», tapie dans le noir et « ça » continue d’agir
en sourdine dans notre inconscient. Pour le sujet résilient, il semble qu’il garde en
mémoire, d’une manière très présente le souvenir de son traumatisme : il ne le refoule pas.
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ANAUT, Ibidem.
ANAUT, Ibidem. P. 38.
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Ce souvenir va ainsi pouvoir devenir le ressort d’un élan vital quasi-permanent
d’adaptation aux effets négatifs de la souffrance du passé.
La résilience du chômeur de longue durée ré-intégré
La perte de l’emploi cause un traumatisme, la privation prolongée de travail a fortiori : un
élément identitaire essentiel est touché.
Pour autant, en cas de chômage frictionnel (de courte durée, pour un passage d’un emploi
à un autre, …), ce traumatisme n’est pas déstructurant ; il ne remet en cause ni la
structure, ni les composantes de l’identité professionnelle antérieure ; pour l’identité
globale, cela peut représenter une évolution personnelle, les valeurs de l’individu ayant
toutes les chances d’être plus et mieux valorisées. Aussi serait-il intéressant de confronter
ce cas à la pertinence d’analyse de la résilience, l’individu ayant en lui les capacités de
résistance et de rebond auxquelles celle-ci se réfère.
Mais il n’en est rien de notre objet d’étude : le traumatisme n’est que le point de départ
d’un processus qui se traduit par une perte et une déstructuration identitaires. Après plus
de 2 ans d’inactivité professionnelle, l’individu n’existe plus pour lui-même autant que
pour les autres ; la nouvelle identité générée, dans tous les cas examinés, est initialisée à
partir de ressources extérieures, d’un étayage tant psychique que matériel qui ne lui
appartient pas en propre. Il n’y a ni rebond, ni élasticité : les ressources internes n’existent
plus, ce qui est un point cardinal de notre objet d’étude.
Aussi, bien que notre objet de recherche ne semble pas concerné par … la notion, le
concept, ou la théorie de la résilience, nous souhaitons retenir l’acception qui considère la
résilience « comme un processus évolutif, qui peut être abordée comme le résultat de ce
processus ou, plus généralement, le résultat d’un parcours de vie. »
Dans les cas où les chômeurs de longue durée ont bénéficié des conditions favorables
(« l’environnement suffisamment bon », …) et ont, de ce fait, ré-intégrées un travail et une
vie sociale à l’issue d’un processus évolutif long et difficile, nous pourrions voir une
application de la notion chez certaines de ces personnes qui, a posteriori, ont pu renforcer
leurs capacités à maîtriser l’adversité ; mais, il ne nous semble pas que le dépassement de la
crise identitaire « accidentelle » du chômeur de longue durée, puisse être le résultat d’une
qualité particulière (innée ou acquise) interne à l’individu. Peut-être pourrait-on qualifier
ainsi l’interaction de « l’environnement suffisamment bon » (partie externe de l’identité,
étayage et contenant de celle-ci) avec la partie interne de l’identité ? Cela ne vaudrait, en
tout état de cause, que pour la dynamique identitaire relancée, pas pour son initialisation
qui, dans le cas du chômeur de longue durée, implique une prise en charge extérieure,
l’énergie interne étant tournée contre le Moi de l’individu.
©Patricia Welnowski-Michelet – Thèse en sciences de l’éducation – 2004 – Approche clinique de la crise identitaire du demandeur d’emploi de longue durée
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