1 René Collamarini (1904-1983) Portrait de Mac Orlan à la pipe

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1 René Collamarini (1904-1983) Portrait de Mac Orlan à la pipe
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René Collamarini (1904-1983)
Portrait de Mac Orlan à la pipe
Lithographie en noir sur papier glacé jaune
Signée en bas à droite. Epreuve d’essai, 3/4
H 55,9 x L 40,3 cm
Collections de la Fondation de Coubertin, inv. FC 94.8.76
[Donation Gérard Cathelain 1994]
René Collamarini (1904-1983) et Pierre Mac Orlan (1882-1970)
Il est difficile de savoir quand débutent les relations entre René Collamarini et Pierre Mac Orlan.
Elles semblent assez tardives. Ces deux Montmartrois se manquent dans l’entre-deux-guerres : Collamarini
s’installe en 1931 dans l’atelier des Fusains, 22 rue de Tourlaque, sur la Butte Montmartre (où il vivra
jusqu’à sa mort) ; Pierre Mac Orlan a quitté Montmartre depuis 1927, pour s’installer à Saint-Cyr-sur-Morin,
en Seine-et-Marne.
Trente ans après son départ, Mac Orlan revient à Montmartre, où il demeure quatre ans, de juillet
1957 à juin 1961, 14 rue Constance1. Manifestement, les deux hommes se fréquentent alors, puisque
Bernard Baritaud a interrogé Collamarini sur cette période, dans un entretien du 15 août 1979, pour la
préparation de sa biographie sur Pierre Mac Orlan2.
Lorsque Mac Orlan quitte Paris pour s’installer définitivement à Saint-Cyr-sur-Morin, Collamarini s’y
rend régulièrement. Le Portrait de Mac Orlan à la pipe, daterait a priori des années 1960. Collamarini
participe à des expositions collectives au Prieuré de Saint-Cyr, par exemple en 1968 avec ses élèves Nissim
Merkado (1935), Michel Pigeon (1937), Camilo Otero (1932-2003), Fumio Otani (1929-1995)…
Deux cartes de vœux pour les années 1968 (1) et 1969 (2), dessinées par Collamarini3, semblent
montrer que les relations se poursuivent jusqu’au décès de Mac Orlan. En janvier 1969, Mona Dol (l’épouse
de Collamarini), écrit ainsi : « Bonne Année mon cher Pierre. Dès que ma santé me le permettra nous
viendrons Colla et moi vous embrasser. Vos amis Mona – Colla ».
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Bernard Bariteau, Pierre Mac Orlan, Droz, 1992, p.285
Ibid., p.156, note 72
3 Conservées à Saint-Cyr-sur-Morin, Musée de la Seine et Marne, inv. Mo04757 & Mo04758.
Je remercie Evelyne Baron, conservatrice en chef du Patrimoine, musée départemental de la Seine-et-Marne, à Saint-Cyr-surMorin, pour son aide précieuse.
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Collamarini a également réalisé des lithographies représentant l'église de Saint-Cyr-sur-Morin (3),
dont trois exemplaires sont conservés dans Collections de la Fondation de Coubertin.
En 1977, bien après le décès de Mac Orlan, Collamarini réalise le portait de l’Abbé Marc Lenoir
(1917-1976), qui vient de mourir (4) : cet homme, à la fois prêtre et peintre, fut le curé de Saint-Cyr-surMorin de 1954 à 1969 ; surnommé le « curé des artistes », il était un ami de Mac Orlan.
René Collamarini, Portrait de l'Abbé Marc Lenoir, 1877, hautrelief, pierre, 30 x 60 cm, Saint-Cyr-sur-Morin, Musée de la
Seine et Marne
Un amour commun pour le poète François Villon
Les deux hommes ont en commun leur amour du poète François Villon.
Pierre Mac Orlan aima François Villon dès le lycée et resta fidèle à cette dilection toute sa vie,
comme l’indique Jean-Claude Lamy, un de ses biographes : « L’œuvre de François Villon, inspirée par le
froid, la faim, l’angoisse et les larmes fécondes, a donné à Pierre Mac Orlan des raisons de croire à la
rédemption des péchés. […] Mac Orlan, qui le fréquenta dès le lycée, sera hanté par cette ombre géniale
confrontée aux tribunaux de la solitude et du désespoir. »4 Lamy cite une lettre de Pierre Mac Orlan du 7
novembre 1968 : « Comme beaucoup d’hommes de ma génération, j’ai rencontré Villon dans les cabarets
populaires et délicats, où, sans doute, une inquiétude qui nous était commune nous conduisait afin d’y
choisir, bon ou mauvais, notre numéro gagnant à la loterie qui clôt, comme un examen, les derniers jours
de l’adolescence. »5
4
Jean-Claude Lamy Mac Orlan L'aventurier immobile, Paris, Albin Michel, 2002, p.19
Lettre de Pierre Mac Orlan à Philippe Hériat, datée du 7 novembre 1968, fonds Goncourt, Archives municipales de Nancy, citée
par Jean-Claude Lamy, op. cit., p.19
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Mac Orlan « conserv[a] religieusement dans sa bibliothèque, les œuvres de Villon éditées par L.
Thuasne chez Picard, le Villon de Pierre Champion et diverses études sur le jargon des coquillards, dont
celle de Marcel Schwob, éditée par la Société linguistique de Paris en 1891. »6
Mac Orlan fut fasciné par l’écrivain Marcel Schwob (1867-1905)7, qui effectua des recherches
érudites sur Villon, découvrit de nombreuses pièces d’archives et diffusa l’amour de Villon à Paul Léautaud,
André Salmon, Max Jacob, Pablo Picasso et Pierre Champion…
Mac Orlan fait de François Villon un personnage de son premier roman, La Maison du retour
écœurant, roman d'aventures burlesques publié en 1912 : un métis de la Guadeloupe, échoué dans un bar
de Colombo, après avoir lu les œuvres du poète, et constaté qu'on ne savait rien de sa mort, se fait passer
pour François Villon, au mépris de la chronologie.
En 1944, l’écrivain préfaça une édition des Œuvres de François Villon, illustrée par Daniel Pipard.
Mac Orlan écrivit le scénario et les dialogues du film François Villon (5)
réalisé en 1945 par André Zwoboda (1910-1994), avec Serge Reggiani dans le
rôle-titre.
Pierre Mac Orlan créa une chanson intitulée « Rue Saint-Jacques »8, qui évoque Villon et ses
commensaux. S’est-il souvenu du poème du villoniste André Salmon (1881-1969), « Rue Saint-Jacques » 9,
en 1905, dans lequel Salmon se décrit tel un nouveau François Villon ?
C’est encore Mac Orlan qui écrivit le chapitre sur François Villon, dans le Tableau de la littérature
française, publié chez Gallimard en 1962.
Par ailleurs, Mac Orlan était très ami avec Francis Carco (1886-1958), autre montmartrois, autre
célèbre amateur de Villon, qui réinventa la vie du poète dans Le Roman de François Villon, publié en 1926.
En 1980, le 9e prix Mac Orlan, alors attribué tantôt à un écrivain, tantôt à un artiste, fut décerné à
René Collamarini.
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Thèse de François-René Folliot, citée par Jean-Claude Lamy, op. cit., p.19
Bernard Bariteau, Pierre Mac Orlan, Droz, 1992, p.201-203
8 Publiée dans les Poésies pour accordéon, 1953, musique de V. Marceau
9 André Salmon, « Rue Saint-Jacques », Vers et prose, sept.-nov. 1905, p.163-64, ensuite édité dans Les Féeries, 1907.
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PIERRE MAC ORLAN, « LA RUE SAINT-JACQUES »
CHANSONS POUR ACCORDEON, 1953
Jenin l’Avenu s’en va-t-aux étuves
Pour y rencontrer la môme Museau ;
Et Museau s’en va se tremper es cuves
Chez Robin Turgis la fleur des chameaux .
Montigny s’en va avec de l’Escaille
Pour casser un peu, loin de son logis.
Et Colin lui dit : « Demeure ici caille
Pour faire le guet que ne sois greffi »
Moi j’ai goûté les baisers de Nini
Sous les ponts de Paris.
Jenin l’Avenu dérouille Jeannette,
Colin de Cayeux siffle une java ;
Et Robin Turgis gifle une fillette
C’est la ru’ Saint-Jacques dans tout son éclat.
Un gaffre dans l’ombre tousse à fendre l’âme.
Un pot de cervoise lui ferait du bien.
Un coup sur la gueule en guis’ de dictame
L’étend sur le dur près des Jacobins.
Moi j’ai cueilli les baisers de Nini / Sous les ponts de Paris.
Jenin l’Avenu à la Porte Rouge
Est venu la nuit réveiller François.
La porte est fermée, personne ne bouge
Jenin l’Avenu siffle dans ses doigts.
Alors le chanoine, ouvre la vanterne
Et vide un broc d’eau sur notre goliard
Qui chante au charron et se met en berne
Brûlant des arpions le pavé d’Parouart.
Moi j’ai goûté les baisers de Nini / Sous les ponts de Paris.
Si j’étais Jenin je s’rais fonctionnaire,
J’aurais une retraite à péréquation.
Si j’étais Villon, je n’saurais que faire
Pour ne pas changer de situation.
Si j’étais Régnier je serais chanoine
Afin d’éviter la roe, et comment !
Et je donnerais à dame Sidoine
Le jeu tout entier de mes arguments.
Puis j’irais prendre un baiser à Nini
Sous les ponts de Paris.
Notice Valérie Montalbetti septembre 2014
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ANDRE SALMON (1881-1969), « RUE SAINT-JACQUES »
IN VERS ET PROSE, TOME 3, SEPT.-NOV. 1905, P.163-164
A mes amis d'alors.
Rue Saint Jacques où j'ai vécu un rude hiver
Que suivit par hasard un été tropical,
Et puis un autre hiver,
Dans une pauvre chambre encombrée de reps vert,
Eté comme hiver plein de senteurs automnales,
Je pouvais tout le jour songer à François Villon
Pendant que mon voisin raclait son violon.
Et j'y songeais vraiment
Couché sur mon vieux lit qui devait ressembler
Au lit qu'il posséda peut-être, rue Saint-Jacques.
Et l’odeur des tavernes et des chapelles à Pâques
Composait un parfum que seul venait troubler,
Selon la saison, l'iris ou le chrysanthème.
René de Montigny et Marion l'Idole !
Messire Jehan Cotard ! Le guet et les écoles !
Et la grosse Margot et la belle heaulmière !
Comme vous dansiez hier dans ma lumière !
Si bien que je criais : « Fantômes, je vous aime ! »
Et quand, enfin, le soir tombait
J'allumais ma bougie
Et le porte-manteau dessinait un gibet
Sur le mur tapissé d'oiseaux extravagants
Et dont je pouvais faire des corbeaux suffisants.
Je dois à tout cela de chastes élégies.
Plus tard on m'expulsa pour tapage nocturne,
Il fallut un matin abandonner la turne.
Je montai, le cœur gros, la vieille rue Saint-Jacques
Dont les cloches illustres carillonnaient Pâques,
Suivant, ainsi qu'un pauvre suit un corbillard,
La carriole triste où tristes brinqueballaient :
Des livres de poètes, une tête de mort,
Item une lanterne, Item un vieux balai,
Un carton à chapeau, des fleurs fraîches encore
Dans un coffret, avec un billet égrillard,
Item tout le passé, Item tous mes regrets.
Notice Valérie Montalbetti septembre 2014

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