algies diffuses
Transcription
algies diffuses
DOSSIER SOMMAIRE 867 Interrogatoire, temps capital 868 Examen : aussi fouillé que possible 869 Bilan : éviter la surenchère ALGIES DIFFUSES : QUE FAIRE ? 870 Douleurs rhumatologiques L’interrogatoire est une étape cruciale. 871 Douleurs musculaires Douleurs neurologiques Origine endocrinienne 872 Syndromes somatiques fonctionnels Origine psychiatrique Conduite à tenir Par Pascal Cathébras, Aurélie Roblès, Delphine Vergnon, Héloïse Gindre, Emmanuelle Weber, Émilie Chalayer, service de médecine interne, CHU-hôpital Nord, 42055 Saint-Etienne. pascal.cathebras@ chu-st-etienne.fr D « octeur, j’ai mal partout » est une plainte banale, qui cache une grande complexité, car elle est souvent consécutive à plusieurs facteurs intriqués. Se pose tout d’abord la question de la définition même de la douleur diffuse. Dans les critères de la fibromyalgie proposés par l’American College of Rheumatology (ACR),1 est considérée comme diffuse et chronique une algie persistant plus de 3 mois et localisée du côté gauche et du côté droit du corps, au-dessus et en dessous de la taille, avec douleur squelettique axiale. Avec cette définition, la prévalence des algies diffuses chroniques est évaluée à 10 % dans la population générale, plus élevée chez la femme que chez l’homme, l’incidence augmentant avec l’âge dans les 2 sexes jusqu’à 70 ans. Des facteurs favorisants tels que le bas niveau socio-économique, les antécédents dépressifs ou encore des facteurs mécaniques (mouvements répétitifs, traumatisme déclenchant) ont été identifiés.2 Ces critères diagnostiques sont cependant insuffisants pour appréhender correctement ces douleurs et surtout les multiples pathologies dont elles peuvent être le symptôme. Il faut un interrogatoire et un examen clinique rigoureux, le plus souvent assortis d’examens biologiques orientés, pour poser le diagnostic, ou simplement identifier des facteurs prédisposants ou d’entretien. INTERROGATOIRE, TEMPS CAPITAL La plainte de douleur diffuse ne doit pas être acceptée sans critique. Que veut dire pour le patient « avoir mal partout » ? Il faut lui faire décrire la douleur avec ses propres mots. Essayer d’identifier le tissu qui fait mal est une tâche difficile : plutôt les os, les jointures, les tendons, les muscles, les tissus sous-cutanés ? On parlera souvent, faute de mieux, de douleur musculosquelettique ou d’arthromyalgies. Est-ce vraiment partout ? Faire dessiner un schéma est une bonne façon d’évaluer les choses. Est-ce vraiment tout le temps ? Le patient peut-il identifier des facteurs d’amélioration (antalgiques, anti-inflammatoires, repos, effort physique doux, relaxation, physiothérapie, etc.) ? On note de principe : – les antécédents familiaux et personnels (rhumatologiques, endocriniens, infectieux et psychiatriques : troubles anxieux ou de l’humeur) ; LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 26 l N° 892 l DÉCEMBRE 2012 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE 867 868 DOSSIER Algies diffuses : que faire ? – les traitements en cours, à la recherche de médicaments pouvant provoquer des myopathies, voire un lupus, mais aussi d’abus d’antalgiques, responsables d’hyperalgésie ; – l’environnement et le contexte : profession, voyages et événements de vie récents, contact avec des animaux, addictions, etc. On s’intéresse aux autres symptômes généraux : une altération vraie de l’état général avec amaigrissement est un signe d’alerte. L’asthénie très fréquente doit être bien distinguée d’une fatigabilité musculaire isolée, fort indice de pathologie organique, surtout neurologique.3 On recherche d’autres stigmates fonctionnels souvent associés à la fibromyalgie (sommeil non réparateur, intestin irritable, céphalées de tension, cystalgies, troubles de mémoire et de concentration, syndrome des jambes sans repos, etc.). On évalue la souffrance psychique : parfois manifeste, voire au premier plan, parfois cachée, ne se manifestant qu’après des questions orientées. Mais on se gardera d’y relier trop vite les symptômes, en laissant entendre à ce stade que la douleur pourrait être « dans la tête ». Tout au long de l’entretien, il faut éviter d’opposer les aspects psychologiques et somatiques du problème, car ils sont étroitement interdépendants. On s’enquiert des caractéristiques de la douleur : mode de début et d’évolution, périodicité, caractère aigu ou chronique (plus de 3 mois), topographie (schéma), et surtout type : inflammatoire, mécanique, ou neuropathique. Pour identifier ce dernier, le questionnaire DN4 est une aide utile (encadré 1).4 1. Questionnaire DN4 ➜ La douleur présente-t-elle une ou plusieurs des caractéristiques suivantes ? – brûlure – sensation de froid douloureux – décharges électriques ➜ La douleur est-elle associée à un ou plusieurs des symptômes suivants dans la même région ? – fourmillements – picotements – engourdissements – démangeaisons ➜ La douleur est-elle localisée dans un territoire où l’examen met en évidence ? – une hypo-esthésie au tact – une hypo-esthésie à la piqûre ➜ La douleur est-elle provoquée ou augmentée par : – le frottement ? Oui = 1 point ; non = 0 point ; forte probabilité de douleur neuropathique si score ≥ 4/10. On fait préciser l’effet des antalgiques et des antiinflammatoires, les facteurs aggravant ou soulageant, le retentissement social, scolaire ou professionnel, et l’impact psychologique (anxiété et thymie). La cotation de l’intensité sur une échelle type EVA, si elle est devenue un rituel à l’hôpital, n’a pas beaucoup d’intérêt à ce stade. Devant une douleur chronique et rebelle, on peut s’aider de la grille d’évaluation du patient douloureux chronique proposée par l’Anaes en 1999 (encadré 2).5 Un temps de l’entretien doit être consacré à l’étude du vécu, des représentations et des craintes du malade. Quelle est pour lui la cause la plus probable de ses douleurs ? Quelles maladies redoute-t-il ? A-t-il envisagé une fibromyalgie, après avoir reçu des avis de proches, consulté Internet, ou rencontré des praticiens de thérapies alternatives ? Le diagnostic de fibromyalgie est en effet souvent un autodiagnostic, que le patient avoue avec réticence, craignant le scepticisme des médecins. Quels ont été ses contacts préalables avec le système de soins ? A-t-il le sentiment d’avoir ou non été pris au sérieux par les soignants ? La principale question posée est-elle celle d’un diagnostic ou d’un soulagement ? EXAMEN : AUSSI FOUILLÉ QUE POSSIBLE Il doit réunir les éléments qui permettront de classer la douleur en fonction de son origine : – neurologique : douleur d’allure neuropathique (brûlures, picotements, fourmillements, dé charges électriques), examen complet avec ROT (vifs, abolis), recherche du signe de Babinski, de troubles sensitifs (allodynie, hypo-esthésie, signe de Lhermitte), d’une rigidité spastique ou plastique, d’un déficit moteur avec testing musculaire, topographie des douleurs (radiculaire, tronculaire, etc.) ; – articulaire/rhumatologique : arthrites ou synovites, enthésopathies, raideur rachidienne (distance main-sol, indice de Schöber), ampliation thoracique, mobilité articulaire, déformations articulaires réductibles ou non, etc. On recherche aussi les signes accompagnateurs des spondylarthropathies (maladies inflammatoires de l’intestin, psoriasis, urétrite, conjonctivite) et des connectivites (syndrome sec, Raynaud, livedo, rash malaire, alopécie, sérites) ; – musculaire : fatigabilité, intolérance à l’effort, crampes, diminution de la force motrice surtout proximale (signe du tabouret), amyotrophie. On recherche les signes cutanés de dermatomyosite (érythème des paupières, papules de Gottron) ; – osseuse : douleurs souvent diffuses, profondes et lancinantes, reproduites à la palpation et à la percussion osseuse ; – vasculaire : absence de pouls périphériques, syndrome de Raynaud, claudication intermittente LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 26 l N° 892 l DÉCEMBRE 2012 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE DOSSIER douloureuse, lésions ischémiques distales, souffle cardiaque ou des gros troncs, etc. La recherche des points sensibles fibromyalgiques n’a pas un intérêt majeur. Ces douleurs provoquées témoignent d’une allodynie à la pression peu spécifique. L’examen doit toujours être complet pour ne manquer aucun signe associé pouvant orienter vers une étiologie. On traque un éventuel syndrome tumoral (hépato-splénomégalie, adénopathies), des signes d’hypothyroïdie (frilosité, prise de poids, bradycardie, constipation, myxœdème), des manifestations cutanéomuqueuses (pâleur, ictère, dépilation, éruptions cutanées, phanères cassants…). On en profite également pour voir si les signes cliniques sont reproductibles, s’ils sont majorés lors de l’examen formel, ou encore accessibles à la suggestion. BILAN : ÉVITER LA SURENCHÈRE Quelques examens complémentaires sont presque toujours nécessaires. Toutefois, leur rentabilité est souvent médiocre. En revanche, le risque d’incidentalomes biologiques ou d’imagerie est important, et croît rapidement en fonction du nombre d’examens demandés. Le mieux est d’anticiper la possible découverte d’anomalies sans lien avec la plainte, et d’éviter de prescrire un bilan dont le résultat aurait de fortes chances d’être ambigu ou non pertinent (par exemple une sérologie de la maladie de Lyme).6 Il faut les prescrire, guidé par l’anamnèse et l’évaluation clinique attentive7 mais aussi par les craintes ou les hypothèses spécifiques du patient, qu’il faut éliciter. Ainsi, ils auront, en cas de négativité, un réel effet de réassurance que n’ont pas des examens non orientés.6 En première intention (encadré 3), ils visent à détecter des signes d’alarme imposant la poursuite des investigations (syndrome inflammatoire, anomalies de la formule sanguine, pic monoclonal à l’électrophorèse, insuffisance rénale, hypercalcémie, dysthyroïdie, élévation marquée des enzymes musculaires). Ils peuvent inclure la recherche de marqueurs immunologiques de rhumatisme inflammatoire si un tel diagnostic paraît possible (arthralgies de rythme inflammatoire ou arthrites) : facteur rhumatoïde (FR), anticorps antipeptides citrullinés (anti-CCP) et anticorps antinucléaires (ACAN). 2. Grille d’entretien semi-structuré avec le patient douloureux chronique Ancienneté de la douleur Mode de début ❏ Circonstances exactes (maladie, traumatisme, accident de travail) ❏ Description de la douleur initiale ❏ Modalités de prise en charge immédiate ❏ Événements de vie concomitants ❏ Diagnostic initial, explications données ❏ Retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités fonctionnelle et professionnelle) Profil évolutif du syndrome douloureux ❏ Comment s’est installé l’état douloureux persistant à partir de la douleur initiale ❏ Profil évolutif (douleur permanente, récurrente, intermittente) ❏ Degré du retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités fonctionnelle et professionnelle) Traitements effectués et actuels ❏ Traitements médicamenteux et non médicamenteux antérieurs, actuels ❏ Modes d’administration des médicaments, doses, durées ❏ Effets bénéfiques partiels, effets indésirables, raisons d’abandon ❏ Attitudes vis-à-vis des traitements Antécédents et pathologies associées ❏ Familiaux ❏ Personnels (médicaux, obstétricaux, chirurgicaux et psychiatriques) et leur évolutivité ❏ Expériences douloureuses antérieures Description de la douleur actuelle ❏ ❏ ❏ ❏ Topographie Type de sensation (brûlure, décharge électrique) Intensité Retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités fonctionnelle et professionnelle) ❏ Facteurs d’aggravation et de soulagement de la douleur Contextes familial, psychosocial, médicolégal et incidences ❏ ❏ ❏ ❏ Situation familiale Situation sociale Statut professionnel et satisfaction au travail Indemnisations perçues, attendues ; implications financières ❏ Procédures Facteurs cognitifs ❏ Représentation de la maladie (peur d’une maladie évolutive) ❏ Interprétation des avis médicaux Facteurs comportementaux ❏ Attitude vis-à-vis de la maladie (passivité) ❏ Modalités de prise des médicaments ❏ Observance des prescriptions Analyse de la demande ❏ Attentes du patient (faisabilité, reformulation) ❏ Objectifs partagés entre le patient et le médecin LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 26 l N° 892 l DÉCEMBRE 2012 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE 869 DOSSIER 870 Algies diffuses : que faire ? Mais, en l’absence de contexte évocateur, la découverte d’ACAN à taux faible ou modeste inquiète inutilement.8 Un dosage systématique de ferritine peut aussi se discuter à ce stade : recherche d’une carence martiale chez la femme contribuant à l’asthénie, et d’une hémochromatose chez l’homme. Les examens de seconde intention ne sont prescrits qu’orientés par l’anamnèse, l’examen clinique ou les premiers résultats biologiques (encadré 4). DOULEURS RHUMATOLOGIQUES Elles peuvent être en rapport avec des pathologies dégénératives, inflammatoires ou auto-immunes. Elles sont aiguës (poussée d’arthrite microcristalline), subaiguës (rhumatisme inflammatoire débutant, pseudo-polyarthrite rhizomélique [PPR]), ou chroniques (arthrose). Rhumatismes inflammatoires Les spondylarthropathies regroupent la spondylarthrite ankylosante, le rhumatisme psoriasique, les arthrites réactionnelles, les arthrites associées aux entéropathies inflammatoires, et les spondylarthropathies indifférenciées. Ces atteintes inflammatoires touchent essentiellement le rachis, les sacro-iliaques et les enthèses. Elles s’expriment plus rarement sous la forme d’oligo-arthrites. Il existe souvent (mais pas toujours) un syndrome inflammatoire biologique. La présence de l’antigène HLA B27 augmente la probabilité du diagnostic (son absence ne permet pas de le récuser). La polyarthrite rhumatoïde est évoquée typiquement chez la femme d’âge moyen, atteinte de synovites périphériques bilatérales. Son diagnostic est urgent (encadré 5).9, 10 Un rhumatisme inflammatoire peut révéler une maladie auto-immune systémique comme le lupus systémique, la sclérodermie, un Gougerot-Sjögren (dans lequel le syndrome sec est habituellement au premier plan). L’inflammation biologique peut manquer ; en revanche, il existe souvent une hypergammaglobulinémie qui augmente la vitesse de sédimentation. Plus rarement, il peut s’agir d’une vascularite. Dans ce cas, la douleur a le plus souvent une composante musculaire. S’y associe presque toujours un syndrome inflammatoire marqué : maladie de Horton avec PPR (polymyalgie rhumatismale), panartérite noueuse (PAN), vascularites dites « à ANCA » (granulomatose avec polyangéite ou maladie de Wegener, micropolyangéite, syndrome de Churg et Strauss). Les arthrites microcristallines (goutte et surtout chondrocalcinose) peuvent être en cause. Chez le sujet jeune, on évoque une maladie de Still devant des polyarthralgies inflammatoires accompagnées de fièvre élevée d’allure septique : il faut rechercher un rash cutané, l’hyperferritinémie majeure est un bon indice diagnostique. Rhumatismes non inflammatoires Ce sont la maladie arthrosique, l’ostéomalacie par carence profonde en vitamine D (douleurs osseuses, hypocalcémie, augmentation des phosphatases alcalines et de la parathormone), les syndromes douloureux régionaux multiples, à évoquer si les douleurs diffuses prédominent dans certaines régions du corps, par exemple les épaules (tendinopathies de coiffe), le coude (épicondylite), la hanche (bursite trochantérienne), et les syndromes d’hypermobilité articulaire (maladie d’Elhers-Danlos). 3. Examens de 1re intention 4. Examens de 2e intention (liste indicative) • • • • • • • • • • Sérologies : virales (par ex., VIH, VHB, VHC, parvovirus B19, EBV, CMV), Numération formule et plaquettes Protéine C-réactive Créatininémie, glycémie, kaliémie Calcémie, phosphorémie Transaminases, phosphatases alcalines Électrophorèse des protéines sériques Créatine kinases (CPK) TSH Bandelette urinaire ou protéinurie sur échantillon • • • • • • • • • • • • • bactériennes (syphilis, borréliose de Lyme, brucellose) et parasitaires (toxoplasmose, trichinose) Uricémie, vitamine D, parathormone Cortisolémie Électrophorèse des protéines urinaires Anticorps antinucléaires, facteur rhumatoïde, anticorps anti-CCP, anticorps antithyropéroxydase, anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA), enzyme de conversion de l’angiotensine Recherche de l’antigène HLA B27 Radios osseuses (mains, pieds, squelette axial, os longs, crâne) Échographie ou IRM articulaire Scintigraphie osseuse Myélogramme Électromyogramme, biopsie musculaire, épreuve d’effort musculaire, IRM musculaire Ponction d’une arthrite Test de Schirmer (syndrome sec), biopsie des glandes salivaires accessoires Biopsie d’artère temporale LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 26 l N° 892 l DÉCEMBRE 2012 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE DOSSIER Certaines affections rhumatologiques partagent des caractéristiques cliniques avec la fibromyalgie. Le diagnostic différentiel est difficile, d’autant que la fibromyalgie peut coexister avec elles. On considère ainsi qu’un syndrome fibromyalgique coexiste avec 25 % des PR, 30 % des lupus systémiques et 50 % des syndromes de Gougerot-Sjögren primaires.11, 12 La recherche d’ACAN ne suffit pas au diagnostic d’une connectivite car ils sont présents chez 10 à 15 % des fibromyalgiques. Le diagnostic sera redressé devant l’existence d’atteinte d’organes spécifiques, tels que la peau, le rein et le système nerveux central. La coexistence d’une fibromyalgie pose surtout le problème de l’évaluation de l’activité de la maladie auto-immune. En effet, les scores d’activité tels que le DAS 28 (pour la polyarthrite rhumatoïde) sont surévalués chez un patient fibromyalgique et peuvent conduire à surtraiter la maladie inflammatoire. DOULEURS MUSCULAIRES Des myosites inflammatoires (polymyosite/dermatomyosite) sont à évoquer devant des myalgies diffuses. Aiguës ou subaiguës, elles sont caractérisées par une faiblesse musculaire, avec parfois dysphagie, signes cutanés et élévation des CPK. Il faut se méfier d’une origine paranéoplasique. L’IRM et la biopsie musculaires sont d’un grand apport diagnostique, avec la recherche de certains anticorps antinucléaires solubles (profil myosite). D’autres myosites peuvent survenir au cours des connectivites, de la sarcoïdose, et d’infections virales. La myosite à inclusions est un diagnostic fait par la biopsie musculaire. Les myopathies métaboliques (glycogénoses, lipidoses, déficits de la chaîne respiratoire mitochondriale) sont suspectées dans un contexte familial parfois évocateur, devant des myalgies accompagnées d’un syndrome d’intolérance musculaire à l’effort (accès douloureux récidivants survenant au cours ou au décours immédiat de l’effort, avec parfois rhabdomyolyse aiguë). En pratique, devant des myalgies diffuses, il faut surtout penser à une origine iatrogène. De nombreux médicaments peuvent être incriminés : en premier lieu les hypolipémiants dont les statines.13 Les facteurs de risque de myotoxicité sont l’hypoalbuminémie, l’hypothyroïdie, l’insuffisance rénale, les posologies élevées, et l’association d’hypolipémiants. Des médicaments comme les fluoroquinolones peuvent également être responsables de douleurs tendineuses. DOULEURS NEUROLOGIQUES Les neuropathies périphériques sont à évoquer d’abord : liées à l’alcool, au diabète, par carence vitaminique, secondaires à l’amylose, médicamenteuses, ou paranéoplasiques. 871 5. Critères 2010 de la polyarthrite rhumatoïde 14 Devant un patient ayant au moins une synovite sans diagnostic formel, un score supérieur ou égal à 6/10 (addition des items A, B, C, D) est considéré comme affirmant le diagnostic de PR. A. Atteinte articulaire 1 grosse articulation* 2-10 grosses articulations 1-3 petites articulations** (avec ou sans atteinte de grosses articulations) 4-10 petites articulations (avec ou sans atteinte de grosses articulations) > 10 articulations (dont au moins une petite articulation) 0 1 2 3 5 B. Sérologie Absence de FR et d’Ac anti-CCP FR ou Ac anti-CCP faiblement positifs*** FR ou Ac anti-CCP fortement positifs**** 0 2 3 C. Syndrome inflammatoire VS et CRP normales VS ou CRP élevée 0 1 D. Durée des symptômes < 6 semaines ≥ 6 semaines 0 1 * ** Épaule, coude, hanche, genou, cheville. Métacarpophalangienne, interphalangiennes proximales, métatarsophalangienne, poignets. *** De la limite supérieure du laboratoire à 3 fois cette valeur. **** Plus de 3 fois la limite supérieure du laboratoire. Parmi les causes centrales, citons la sclérose en plaques, les myélopathies cervicales, et le syndrome neuro-anémique par carence en vitamine B12 (possible en l’absence d’anémie de Biermer). Certaines pathologies strictement motrices en principe peuvent s’accompagner de douleurs, comme la maladie de Parkinson, la sclérose latérale amyotrophique (crampes), et même la myasthénie. ORIGINE ENDOCRINIENNE L’hypothyroïdie doit être évoquée de principe devant des douleurs diffuses non spécifiques, avec intolérance à l’effort, asthénie et frilosité. Les enzymes musculaires sont souvent élevées et le dosage de TSH fait le diagnostic. L’hyperparathyroïdie primaire, souvent asymptomatique, peut aussi induire une asthénie, et des douleurs diffuses d’origine osseuse ou articulaire (chondrocalcinose). Calcémie et parathormone font le diagnostic. L’hémochromatose génétique peut se révéler par des algies non systématisées et des douleurs des articulations métacarpophalangiennes (signe de la « poignée de main douloureuse »). LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 26 l N° 892 l DÉCEMBRE 2012 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE 872 DOSSIER Algies diffuses : que faire ? 6. Drapeaux rouges face à des polyalgies ➜ Interrogatoire : caractéristiques des douleurs • Début aigu ou subaigu, de date identifiable (vs douleur chronique, de début imprécis) • Douleur nociceptive vs neuropathique • Évolution ( si aggravation rapide) • Horaire ( si horaire inflammatoire) • Topographie : articulaire , osseuse , musculaire , tendineuse, systématisation neurologique • Facteurs d’aggravation et de soulagement ( en faveur d’un rhumatisme inflammatoire si douleurs sensibles aux AINS, inefficaces dans la fibromyalgie) ➜ Interrogatoire : contexte • Prise de médicaments • Pathologies connues, particulièrement néoplasiques • Altération de l’état général (anorexie, amaigrissement) ➜ Examen clinique • Examen ostéo-articulaire anormal (arthrites, synovites, déformations articulaires, etc.) • Examen neurologique anormal (déficit musculaire, douleurs neuropathiques, anomalies des réflexes ostéotendineux, troubles de l’équilibre, etc.) • Anomalies de l’examen cutané (purpura, livedo, éruption du visage ou des mains, etc.) • Organomégalie, adénopathies ➜ Examens biologiques de première intention (encadré 3) : si anormaux, en particulier si syndrome inflammatoire biologique SYNDROMES SOMATIQUES FONCTIONNELS 15 La fibromyalgie est définie par une douleur diffuse persistant plus de 3 mois, des points douloureux à la palpation (allodynie à la pression), avec fatigue, sommeil non réparateur, troubles de mémoire et de concentration, céphalées de tension et douleurs abdominales (intestin irritable). Dans le syndrome de fatigue chronique (très proche du précédent), l’asthénie avec intolérance à l’effort, évoluant depuis plus de 6 mois, est au premier plan, avec au moins 4 des symptômes suivants : diminution de la mémoire à court terme, adénopathies cervicales sensibles, douleurs musculaires, douleurs articulaires sans signes inflammatoires, céphalées, sensations de malaise, sommeil non réparateur, maux de gorge. ORIGINE PSYCHIATRIQUE La dépression, souvent, mais pas constamment, associée aux syndromes fonctionnels cités plus haut, est une cause fréquente de douleurs somatiques mal systématisées, accompagnées d’asthénie, d’anhédonie, de ralentissement (mais pas toujours de tristesse). Les troubles anxieux donnent des symptômes souvent attribuables à l’hyperventilation, tels que paresthésies et douleurs thoraciques en « piquées ». CONDUITE À TENIR En raison de la multiplicité des terrains et des étiologies, il n’est guère possible de définir un algorithme diagnostique face à la plainte de douleur diffuse.16 Certains symptômes, signes cliniques, ou éléments de contexte doivent donner l’alerte (« drapeaux rouges ») et pousser à poursuivre les investigations à la recherche d’une cause organique (encadré 6). ● POUR EN SAVOIR PLUS Hatron PY, Fléchaire A, Antoine JC, Rousset H. Algies diffuses. In : Rousset H, Vital-Durand D, Dupond JL, Pavic M (eds). Diagnostics difficiles en médecine interne. Paris: Maloine; 2008: 45-61. P. Cathébras déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctelles (conférences, colloques, actions de formation) pour Mundipharma et Pfizer. A. Roblès, D. Vergnon, H. Gindre, E. Weber et E. Chalayer déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts. Quand et pourquoi adresser dans un centre de douleur ? Généraliste, spécialistes, praticiens de médecines alternatives, le patient ayant une douleur chronique (depuis plus de 6 mois et rebelle aux antalgiques usuels, envahissant sa vie quotidienne) passe de l’un à l’autre sans coordination. En centre antidouleur (service de médecine ambulatoire intégré dans un hôpital), on établit une évaluation détaillée de tous les aspects de sa problématique, mesure préalable indispensable à toute proposition thérapeutique (encadré 2). Cette étape aide le patient à reformuler sa demande vers des objectifs réalistes, souvent beaucoup plus modestes que ses attentes initiales. Il doit aussi être poussé à se prendre en charge de façon active afin de trouver des ressources et des attitudes réduisant son comportement douloureux. Dans ces centres, le traitement est multimodal, pouvant associer une pharmacothérapie personnalisée ; des traitements physiques (kinésithérapie, physiothérapie, infiltrations, cryothérapie, mésothérapie, administration intrathécale de morphine, radio- thérapie antalgique, stimulation cordonale postérieure, balnéothérapie, électrothérapie, acupuncture) ; un soutien psychothérapeutique ou une approche psycho-comportementale ou psychocorporelle (TCC, relaxation, sophrologie, hypnose) ; une réadaptation physique (loisirs adaptés, éducation posturale et gestuelle) ; et un étayage du réseau socioprofessionnel (assistants sociaux, médecine du travail, ergothérapeute). Les effets de cette approche semblent persister longtemps après l’arrêt de la prise en charge. LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 26 l N° 892 l DÉCEMBRE 2012 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE DOSSIER Fibromyalgie : que dire à vos patients ? C’est un syndrome fréquent (touchant surtout les femmes), non une « maladie » car c’est une série de symptômes dominée par des douleurs généralisées, ressenties comme musculaires et articulaires, évoluant depuis plus de 3 mois. Caractéristique : la palpation de certains tendons, muscles ou apophyses osseuses est anormalement sensible (allodynie à la pression), alors qu’aucune autre anomalie n’est retrouvée. Sont très souvent associés : sensation de fatigue dès le réveil et perception d’un sommeil non réparateur, mais aussi maux de tête, de ventre, de vessie. L’effort physique intense aggrave les douleurs et la fatigue. La mémoire et la concentration sont parfois altérées. L’humeur et le moral sont souvent affectés. L’anxiété n’est pas rare. Il est possible d’être fibromyalgique alors qu’on souffre d’une autre maladie douloureuse, comme un rhumatisme inflammatoire : dans ce cas, il est important de faire la part entre les 2 entités, car les traitements sont différents. La fibromyalgie cause une souffrance bien réelle. Elle est le plus souvent peu invalidante, mais elle est parfois chronique, réfractaire au traitement, et gêne au quotidien. Elle ne relève pas d’une cause unique. Parfois une douleur localisée chronique ou récidivante (mal de dos) peut en être le point de départ. Chez d’autres, le stress chronique, l’anxiété ou la dépres- RÉFÉRENCES 1. Wolfe F, Smythe HA, Yunus MB, et al. The American College of Rheumatology 1990 criteria for the classification of fibromyalgia. Report of the multicenter criteria committee. Arthritis Rheum 1990;33: 160-72. 2. Macfarlane GJ. Generalized pain, fibromyalgia and regional pain: an epidemiological view. Baillieres Best Pract Res Clin Rheumatol 1999;13:403-14. 3. Cathébras P, Toinon M. Asthénie : conduite à tenir. Rev Prat Med Gen 2012;26:111-6. 4. Bouhassira D, Attal N, Alchaar H, et al. Comparison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and development of a new neuropathic pain diagnosis questionnaire (DN4). Pain 2005;114: 29-36. 5. Anaes. Évaluation et suivi de la douleur chronique chez l’adulte en médecine ambulatoire. Février 1999. Les résultats acquis sont stables. L’humeur est fortement améliorée et la douleur semble moins interférer avec la vie quotidienne (reprise du travail, moindre consommation de soins médicaux).1 Cependant, cela implique un grand nombre d’intervenants... Sans l’intégration des divers traitements par une concertation réelle entre les soignants, la prise en charge peut manquer de cohérence, et même contribuer à des clivages préjudiciables. L’interdisciplinarité est d’ailleurs parfois sion sont au premier plan des facteurs favorisants. Certains patients ont subi ou subissent régulièrement maltraitance, violences. Mais souvent, on ne retrouve qu’une combinaison de stress, anxiété, tendinites ou arthrose, manque d’exercice physique. En cause : une perturbation du traitement des messages douloureux au niveau du système nerveux, qui tend à augmenter la perception de la douleur : on parle d’hyperalgésie. Tout se passe comme si le filtre que le système nerveux central oppose normalement en permanence aux messages douloureux venus de la périphérie du corps était défaillant, et contribuait à multiplier la sensation pour des stimulations minimes. 6. Cathébras P, Lachal P. Problématique de la prise en charge du patient fonctionnel. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 6-0495, 2011. 7. Finckh A. Stratégies diagnostiques en présence de douleurs diffuses. Rev Med Suisse 2007;3:1562-8. 8. Koenig M, Cathébras P. Quels auto-anticorps pour quelles connectivites ? Rev Prat Med Gen 2005; 19:281-6. 9. HAS. Polyarthrite rhumatoïde : diagnostic et prise en charge initiale. Septembre 2007 (recommandation suspendue dans l’attente de son actualisation). 10. Machado P, Castrejon I, Katchamart W, et al. Multinational evidence-based recommendations on how to investigate and follow-up undifferentiated peripheral inflammatory arthritis: integrating systematic literature research and expert opinion of a broad international panel of rheumatologists in the 3E Initiative. Ann Rheum Dis 2011;70:15-24. Les traitements font rarement disparaître douleur et fatigue, mais ils peuvent beaucoup améliorer la qualité de vie. Les antalgiques pris régulièrement mais sans excès (paracétamol et tramadol) sont recommandés, plusieurs antidépresseurs ont montré leur efficacité (même en l’absence de toute dépression), certains antiépileptiques, ainsi que le réentraînement progressif à l’exercice physique. La kinésithérapie avec massages doux et balnéothérapie en eau chaude, ou la neurostimulation transcutanée sont intéressantes. Anti-inflammatoires, corticoïdes, morphiniques sont peu ou pas efficaces, et potentiellement dangereux. Parfois, une psychothérapie peut s’avérer très utile en complément. 11. Goldenberg DL. Diagnosis and differential diagnosis of fibromyalgia. Am J Med 2009;122(12 suppl): S14-21. 12. Arnold LM, Clauw DJ, McCarberg BH; FibroCollaborative. Improving the recognition and diagnosis of fibromyalgia. Mayo Clin Proc 2011;86:457-64. 13. Cardon T. Diagnostic des algies diffuses. Rev Rhum 2003; 70:288-91. 14. Aletaha D, Neogi T, Silman AJ, et al. 2010 Rheumatoid arthritis classification criteria: an American College of Rheumatology/European League Against Rheumatism collaborative initiative. Arthritis Rheum 2010;62:2569-81. 15. Henningsen P, Zipfel S, Herzog W. Management of functional somatic syndromes. Lancet 2007;369: 946-55. 16. Reilly PA. The differential diagnosis of generalized pain. Baillieres Best Pract Res Clin Rheumatol 1999; 13:391-401. davantage « prêchée que pratiquée ». Si l’un des praticiens du centre ne se sent pas responsable de la synthèse des avis spécialisés et de l’évaluation des thérapeutiques, mais aussi du renvoi formalisé de ces informations au malade et à son médecin traitant, ce dernier peut se sentir mis sur la touche. RÉFÉRENCES Un tiers des départements ne dispose pas de ce type de centres. En outre leur manque de moyens allonge les délais de rendezvous. Les difficultés en termes de pérennité, de ressources humaines, d’organisation, de 1. Flor H, Fydrich T, Turk DC. Efficacy of multidisciplinary pain treatment centers: a meta-analytic review. Pain 1992;49:221-30. 2. Cathébras P. La douleur chronique comme construction sociale. Le Courrier de l’Algologie 2003; 2:144-9. locaux et de valorisation de l’activité, s’opposent à une demande croissante et aux attentes souvent démesurées des patients, que les campagnes visant à améliorer la prise en charge de la douleur aiguë ont d’ailleurs, paradoxalement, contribué à construire.2 LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 26 l N° 892 l DÉCEMBRE 2012 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE 873