"Médecines traditionnelles" en version imprimable.
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DMédecines OSSIER traditionnelles Ostéopathie Phytothérapie Médecine ayurvédique Acupuncture Médecines traditionnelles Quelle place pour les praticiens dans notre monde moderne ? Les médecines traditionnelles occupent de plus en plus de place dans notre quotidien. Faut-il pour autant parler d’une révolution ou d’un retour aux sources ? Tradipraticien, rebouteux, guérisseur, naturopathe, médecin ayurvédique… Ce sont des hommes et des femmes qui, par leur talent et leur savoir, offrent une médecine différente, généralement sans acte chirurgical, en dehors de celle qui est enseignée dans les universités. Alors qui sont ces praticiens de l’ombre armés d’une aiguille, d’un sachet de plantes ou d’une méthode héritée de leurs aïeux et qui s’engagent à garantir notre bien-être sans passer par la case « école de médecine » ? E couter le patient, ses maux, son mode de vie, évaluer ses besoins et le soigner en fonction de ce qu’il est autant que de ce qu’il a… Voilà les principes fondamentaux des médecines traditionnelles. Elles visent à maintenir la santé et quand il s’agit de guérir une maladie, elles entament une prise en charge complète. Généralement, ces pratiques considèrent que si une pathologie apparaît chez un individu, c’est qu’il y a un déséquilibre dans son mode de vie qui se répercute sur sa santé. Le médecin ayurvédique, par exemple, reconnaît que chaque individu est constitué de trois doshas (ou éner- N°71 - Novembre/Décembre 2015 - SE SOIGNER O Naturellement N aturellement gies vitales). Chacun d’entre eux est un ensemble de qualités, de caractéristiques physiques et physiologiques. Si vous rencontrez un médecin ayurvédique, c’est donc la première chose qu’il déterminera. Une fois votre dosha principal défini, le praticien va s’atteler à rééquilibrer votre organisme en s’appuyant sur votre profil doshique. Il va étudier votre régime alimentaire, prendre en compte vos défenses naturelles, le bien-être de votre flore intestinale et bien d’autres paramètres. A l’issue d’une longue consultation et en fonction de vos déséquilibres il vous prescrira un ensemble de soins pour retrouver la santé. DMédecines OSSIER traditionnelles C’est là une des principales différences avec la médecine allopathique. En effet, la définition de celle-ci dans le Larousse est « Méthode de traitement qui emploie des médicaments produisant des effets contraires à ceux de la maladie à combattre. » C’est-à-dire qu’un patient qui se présente chez son médecin avec un mal de ventre, repartira avec le médicament adéquat. Sans qu’il sache forcément pourquoi il a eu mal au ventre et comment éviter que cela se reproduise. Comme les médecines traditionnelles et allopathiques peuvent se compléter, des collaborations étroites se mettent en place dans plusieurs pays à travers le monde. Traditionnelles et modernes Dans les territoires en voie de développement, la médecine traditionnelle reste la méthode de soins la plus abordable financièrement et donc la plus consultée. En Ouganda, par exemple, le ratio de tradipraticiens par population se situe entre 1/2000 et 1/4000. Ceci contraste nettement avec la disponibilité d’allopathes, pour lesquels le ratio typique est de 1/20 000 ou moins. En Occident, les médecines traditionnelles deviennent courantes. En effet, aller voir un ostéopathe en cas de douleurs articulaires, un hypnotiseur pour arrêter de fumer ou prendre du thé vert en gélules pour mincir est devenu presque banal… Une histoire de transmission Les médecines traditionnelles regroupent des systèmes de soins complets tels que l’Ayurvéda, la médecine chinoise traditionnelle ou l’Unani (voir tableau ci-dessous), entre autres. Ces médecines se sont généralement développées grâce à une transmission des connaissances, d’un pays, d’un village ou d’une famille à une autre. En fonction des colonisations ou des différents courants migratoires, elles se sont enrichies, diffusées et parfois diluées. Elles ont laissé peu de traces écrites et ont donc pendant longtemps traversé les siècles grâce à l’oralité. Alors que certaines médecines traditionnelles ont rayonné dans le monde, d’autres sont restées confidentielles et ont quasiment disparu avec l’arrivée massive de l’allopathie. C’est le cas, par exemple, de la médecine Inuit. La transmission des techniques médicinales se faisait en famille, en fonction des expéditions, des rencontres, des mariages. En fin de compte, après des siècles de pratique, elle est finalement restée cantonnée à l’Arctique, compte tenu d’une part, de l’isolement de ces populations et d’autre part des spécificités du territoire. En effet, les ressources naturelles varient d’un continent à l’autre et les végétaux qui poussent dans un pays ne se trouveront pas forcément sur un autre. Thérapies et techniques thérapeutiques de médecines traditionnelles toujours utilisées dans le monde MÉDECINES TRADITIONNELLES Ayurvéda Médecine chinoise Médecine traditionnelle d’Afrique Unani Naturopathie Médicaments à base de plantes Ostéopathie Homéopathie Chiropraxie Autres Acupuncture/ acupression Thérapies manuelles Thérapies spirituelles Exercices Yoga Toucher thérapeutique Qigong Relaxation Shiatsu Hypnose, guérisseurs, méditation... DMédecines OSSIER traditionnelles Une histoire d’argent aussi En plus des notions de transmission et d’écoute du patient, il existe une différence frappante entre la médecine allopathique et la médecine traditionnelle : la protection juridique des connaissances ! Depuis toujours, les praticiens de médecines traditionnelles ont partagé librement leurs savoirs et leurs expériences, défendant la notion de «libre accès» bien avant l’heure. Pas de dépôt de formulation et pas de découverte qui porte le nom d’un praticien plutôt que d’un autre. Tout est échange. De plus, l’usage des plantes qui fait partie intégrante des médecines traditionnelles ne relève d’aucun brevet. Les végétaux doivent rester accessibles à tous et même si nous avons quelques cas de biopiraterie (voir ci-contre*) en tête, il existe des lois pour protéger la liberté d’utiliser ces végétaux. * Le Neem a été une des victimes les plus marquantes de biopiraterie. Grâce à lui, la jurisprudence a permis d’éviter bon nombre d’abus ! Cet arbre possède en effet de nombreuses et remarquables vertus qui ont attiré l’attention des industriels : hypoglycémiant, antiparasitaire, antibactérien… Dans les années 90, en raison de cette richesse en substances actives, le Neem a fait l’objet de 64 brevets déposés par plusieurs entreprises privées et reposant sur ses différentes propriétés thérapeutiques. Alors que l’Inde avait librement diffusé l’usage et les connaissances sur le Neem depuis des siècles, ces entreprises se sont approprié cette ressource importante en quelques années. Ils ont ainsi privé les Indiens et tout autre peuple ou entreprise de la possibilité d’utiliser le Neem ou de le commercialiser. Comme la culture de Neem s’est organisée et intensifiée pour les seules entreprises ayant les brevets, l’arbre s’est fait plus rare pour la population locale et son coût a explosé. Après une dizaine d’années de combat, ces brevets ont été annulés et l’Inde a retrouvé le libreusage de cette plante essentielle ! Aujourd’hui la vente du Neem profite à tout le pays. Les médecines traditionnelles de plus en plus populaires Pendant la dernière décennie, le recours à la médecine traditionnelle a connu un regain d’attention et d’intérêt dans le monde.1 En Chine, 40% environ de l’ensemble des soins de santé relèvent de la médecine traditionnelle. Au Chili et en Colombie, 71% et 40% de la population, respectivement, ont recours à la médecine traditionnelle et, en Inde, 65% de la population rurale utilisent l’Ayurvéda et les plantes médicinales au niveau des soins de santé primaires. Dans les pays occidentaux, les médecines traditionnelle, complémentaire et parallèle connaissent un succès croissant. Ainsi, le pourcentage de la population ayant eu recours à ces médecines au moins une fois est de 48% en Australie, 31% en Belgique, 70% au Canada, 49% en France et 42% aux Etats-Unis. 1-Rapport de l’OMS N°71 - Novembre/Décembre 2015 - SE SOIGNER Naturellement N aturellement DMédecines OSSIER traditionnelles Crédit photos © archives Aidemet Ong Article écrit en collaboration avec Rokia Sanogo • Première femme professeure titulaire de la Faculté de Pharmacie du Mali Thérapeutes et herboristes du Mali. Les tradipraticiens de santé se préoccupent de plus en plus de la sauvegarde des espèces médicinales : des activités de protection et réintroduction de plantes médicinales en voie de disparition sont en cours à travers le pays. Les tradipraticiens d’Afrique, thérapeutes du quotidien « En Afrique, la Médecine Traditionnelle constitue une composante très importante du patrimoine culturel vivant, profondément ancrée dans l’histoire, la culture et les croyances des populations. Elle détermine les aptitudes et les comportements face aux évènements personnels, familiaux et sociaux de la vie quotidienne. Bien au-delà des seuls problèmes de santé, la Médecine Traditionnelle participe à la culture et aux traditions locales, aux connaissances et aptitudes collectives, aux sentiments et aux certitudes populaires. Pendant des millénaires, les populations africaines ont utilisé les plantes médicinales pour leurs besoins de santé. Au Mali, ces plantes représentent encore aujourd’hui, le premier recours pour 80% de la population2.» explique la Professeure Rokia Sanogo, première femme professeure titulaire de la Faculté de Pharmacie du Mali. Celle qui a contribué à développer des espaces d’enseignement de médecines traditionnelles à l’intérieur des universités de médecine, tient à ce que les deux méthodes de soins se côtoient et se complètent malgré les différences de leurs approches. La plante, ce médicament La Professeure considère aussi que les plantes médicinales d’Afrique représentent une ressource pour la médecine. En effet, elles sont une base importante N°71 - Novembre/Décembre 2015 - SE SOIGNER O Naturellement N aturellement de nouvelles molécules pour l’industrie pharmaceutique. De 1983 à 2000, l’Institut de Pharmacognosie et de Phytochimie de l’Université de Lausanne (Suisse) a recensé les végétaux du continent africain et c’est ainsi que : - 1337 espèces de plantes ont été récoltées en Afrique, - 4679 extraits ont été analysés, - 47 plantes ont été étudiées du point de vue phytochimique et ont révélé leurs actions potentielles sur l’organisme humain. La place des plantes médicinales L’art de guérir par les plantes est connu et pratiqué en Afrique depuis bien longtemps, car il exploite des savoirs transmis oralement de génération en génération à certaines catégories d’individus initiés que sont les tradipraticiens de santé et les herboristes. Il s’agit généralement d’hommes. Les femmes étant plutôt chargées de la collecte et de la vente des plantes. Ce commerce est d’ailleurs une source importante de revenus pour elles, même si l’urbanisation rend difficile la cueillette sauvage. 2 - http://www.aidemet.org/ DMédecines OSSIER traditionnelles Chine : médecine de tradition Iran, Pakistan La médecine Unani Si l’apparition de la médecine chinoise est estimée à 1250 ans av. J.-C., elle n’est parvenue en Occident qu’au milieu du XIXème siècle. Cette médecine possède une particularité : elle n’est pas fondée sur une réponse aux maladies, mais sur une théorie du fonctionnement de l’être humain en bonne santé. C’est-à-dire qu’en partant de la physiologie, de la psychologie et de l’anatomie d’un individu, elle explique les causes des maladies qui ne sont finalement que des conséquences. Le but n’est pas tant de « nommer » la maladie que de trouver la cause (au niveau de l’énergie, du sang, des liquides organiques ou des différentes fonctions) entraînant l’apparition des symptômes, de repérer quel organe provoque les symptômes afin de rétablir son bon fonctionnement. A côté de la vision occidentale qui considère le corps comme une mécanique et les organes comme des éléments à changer ou réparer pour faire fonctionner tout l’ensemble, la pensée chinoise insiste sur l’interdépendance de tous les organes. Une maladie y est interprétée non seulement comme une manifestation particulière, mais aussi comme le signe d’un déséquilibre plus général. Le médecin chinois va donc s’atteler à «remettre de l’ordre» dans l’organisme après une longue consultation au cours de laquelle il va examiner le mode de vie de son patient, son alimentation et tenter de percevoir son état de forme grâce à sa respiration, mais aussi en le palpant à des endroits bien précis. A l’issue de cette rencontre, il dispose de cinq pratiques principales pour soigner : l’acupuncture, les plantes médicinales, le rapport à la nourriture, le massage et les exercices énergétiques. Source : medecinechinoise.org N°71 - Novembre/Décembre 2015 - SE SOIGNER O Naturellement N aturellement La médecine Unani (ou yunani) est encore bien vivante aujourd’hui au Pakistan, au Bengladesh, en Iran, en Inde, et tend même à se développer grâce à l’ouverture d’écoles, de dispensaires, de centres de formation... Les principes de cette médecine sont nés dans la Grèce ancienne avant d’être adoptés et remaniés au VIIème siècle par les savants arabes et persans. C’est alors qu’ils la baptisent «médecine Unani» (de ionique qui veut dire grec en arabe). A l’origine, la médecine Unani reposait sur un Hakim (médecin), qui transmettait à trois ou quatre disciples ses connaissances des plantes et les pratiques thérapeutiques. Cette médecine traditionnelle s’est ensuite ouverte au plus grand nombre et en 2006, 38 institutions rien qu’en Inde offraient des cours conduisant au diplôme en médecine unani (BUMS). Selon cette médecine traditionnelle, la maladie est la réponse de l’organisme à un déséquilibre entre la chaleur et l’humidité de certains de ses organes ; la thérapie prescrite doit donc rétablir cette harmonie. Les praticiens puisent leurs remèdes dans les plantes médicinales et élaborent des produits ciblés, précis qui s’attaquent aux causes des maladies pour en supprimer les effets. La finalité étant de « rechercher l’équilibre des grands systèmes pour résoudre des problèmes particuliers ». Les médecins Unani considèrent que les médicaments doivent être exclusivement de source naturelle, afin d’éliminer les effets secondaires. On retrouve donc l’usage universel de certains végétaux comme l’harpagophytum qui sert à traiter les douleurs articulaires, autant dans la médecine Unani au Pakistan que chez les naturopathes en France. DMédecines OSSIER traditionnelles Récit de Hervé Bruhat • Photographe • Écrivain Inde à la rencontre des guerriers guérisseurs Dans le Sud de l’Inde, au Kerala, on pratique le kalaripayatt, un art martial dont les racines nous plongent au cœur de l’Inde féodale. Il y avait alors une caste d’hommes qui étaient à la fois guerriers et guérisseurs. Aujourd’hui, cette double pratique existe toujours et Hervé Bruhat a rencontré ces hommes d’exception. Il nous raconte... V oici bientôt deux semaines que Rakesh, 8 ans, s’est fait une double fracture au bras en jouant au cricket. Depuis, il passe tous les deux jours à la clinique du gymnase martial pour recevoir un soin. Le maître du lieu, Lalkrishnan, lui défait son pansement puis, comme un sculpteur qui achèverait son œuvre, lui masse délicatement l’avant-bras pour vérifier que l’os se ressoude dans la bonne position. Il tire avec précaution les doigts de l’enfant, fait jouer les articulations du poignet et du coude. Il replace ensuite les quatre atèles de bambou recouvertes de tissu, les attache avec des bandelettes puis panse le tout à l’aide d’une gaze imprégnée d’un emplâtre dont sa famille conserve jalousement la recette. « Tout va bien », conclut le docteur, « encore une semaine et tu seras tiré d’affaire. » La médecine de ces guerriers indiens ne dément jamais sa réputation d’efficacité et semble pouvoir faire face à des accidents en tous genres. Un pratiquant qui s’évanouit suite à un malencontreux coup de bâton sur la tête à l’emplacement d’un marma (point vital) sera soigné par une contre application qui enrayera le blocage du flux énergétique. Celui qui s’est blessé à l’orteil avec la lame d’un sabre recevra immédiatement du maître l’onguent adéquat. Un déboîtement d’épaule sera rétabli par une manipulation. Le système thérapeutique de ces guerriers guérisseurs ne cherche pas seulement à soigner mais vise à doter le pratiquant d’un corps exceptionnel : un corps d’athlète, de danseur ou de guerrier qui transcende les limites du corps profane. Giovanni Maffei, historien du XVIe siècle, explique dans ses écrits, qu’en son temps, ces maîtres d’armes, grâce à leurs massages huileux, rendaient leurs disciples « agiles, presque incroyablement ». Au début du XXe siècle, et en dépit de la colonisation, leurs successeurs ont conservé ce talent jusqu’à pouvoir « transformer n’importe quel homme en contorsionniste, même s’ils ne disposaient que de la surface d’une boîte d’archives pour table de massage ». A lire INDE, les guerriers guérisseurs Par Hervé Bruhat Hervé Bruhat est photographe et écrivain. Voyageant en Asie depuis 1997, s’intéressant aux rapports entre corps, culture, philosophie et médecine, il a publié 6 ouvrages dont « Inde, Les Guerriers guérisseurs », un beau livre aux illustrations splendides. EN LIBRAIRIE Inde, les guerriers guérisseurs de Hervé Bruhat Ed. Lieux Dit 45 € 276 pages Octobre 2011 Pour pratiquer le kalaripayatt en France : www.kalaripppayat.asso.fr ou : kalaripayatt.blog.mongenie.com N°71 - Novembre/Décembre 2015 - SE SOIGNER O Naturellement N aturellement Maître Baiju fabrique un emplâtre afin de soigner un patient dont le genou s’est bloqué suite à l’infection d’un staphylocoque. Etendue sur la peau et entourée d’une bande, la pâte est renouvelée tous les deux jours. Elle diminuera le gonflement et redonnera aux muscles et aux veines leur vitalité. D’autres pâtes curatives sont confectionnées en mélangeant les plantes avec du miel, du ghee (beurre clarifié) ou de l’huile. Des sucres bruts ou de la poudre de riz complètent parfois la composition. Le massage en thérapie Les guerriers pratiquent les massages assouplissants (uzhichil) pendant la mousson, sur une période de 14 jours. Les mains du masseur interviennent mais rapidement, ce sont ses pieds qui prennent le relais. Le praticien se suspend à une corde fixée à la charpente du gymnase, de façon à pouvoir doser sa force et masse son disciple, lequel se tient allongé par terre sur une natte, la peau couverte d’huile. L’opération est presque douloureuse et sa vigueur augmente crescendo pendant une semaine, à l’issue de laquelle l’étudiant se voit administrer un purgatif qui élimine les toxines. Après cette phase de plateau, l’intensité du massage redescend progressivement. L’extraordinaire compétence des maîtres en matière de massage s’explique aisément : la connaissance de leur propre corps, acquise au cours des années d’entraînement intensives, leur fait percevoir la place exacte de chaque muscle, de chaque tendon, la course de chaque articulation. Ils ne se contentent pas de s’occuper de leurs propres élèves mais mettent leur talent au profit des malades victimes de problèmes neuromusculaires, comme les hernies discales et les déplacements vertébraux. Il en est des guerriers guérisseurs du Kerala comme des rebouteux occidentaux. La rapidité de leurs résultats tient à la nature mécanique du mal. Ils l’affrontent face à face, agissant directement sur la structure du squelette. Mais en outre, ils bénéficient de la variété extraordinaire des plantes poussant dans la forêt vierge qui s’étend à l’est de l’état, et qu’ils incorporent à leurs huiles salvatrices. Hervé BRUHAT Ayurvéda médecine à la fois traditionnelle et moderne La médecine indienne que l’on appelle Ayurvéda (Science de la vie) est une exception parmi les médecines traditionnelles. D’abord, parce qu’elle occupe toujours une place très importante en Inde, mais surtout parce qu’on dispose d’écrits datant de quelques siècles avant J.-C. : les védas. Ces textes évoquent des méthodes thérapeutiques, mêlant un peu de magie à beaucoup d’expérience de praticiens. Aujourd’hui la magie a totalement disparu de la pratique ayurvédique et les médecins sont formés dans des institutions : l’Inde dispose d’environ 440 000 praticiens, 2 300 hôpitaux et 24 000 dispensaires ayurvédiques. N°71 - Novembre/Décembre 2015 - SE SOIGNER O Cette médecine considère que chaque individu est constitué de 5 éléments (Air, Feu, Eau, Terre, Éther) qui forment les trois doshas (Vata, Pitta, Kapha), des sept dhatus (les tissus) et des seize shrotas (les canaux qui véhiculent les doshas à travers tout l’organisme). Selon l’Ayurvéda, la maladie s’installe quand il y a déséquilibre de l’un ou de l’autre de ces éléments. Au terme d’une longue consultation, le praticien va déterminer quel point est défaillant et le rééquilibrer. Il utilisera les plantes, les massages, la méditation et le yoga. Médecine curative en cas de maladie et science de la vie, l’Ayurvéda s’intègre parfaitement dans le monde moderne. Naturellement N aturellement L’OMS définit ainsi les médecines traditionnelles : « Médecine traditionnelle » est un terme global utilisé à la fois pour des systèmes de soins tels que la médecine traditionnelle chinoise, l’ayurvéda indien et l’unani arabe et diverses formes de médecine indigène. Celles-ci s’appuient sur l’usage de plantes pour soigner, mais aussi l’acupuncture, les thérapies manuelles, les thérapies spirituelles... Dans les pays dont le système de santé prédominant est basé sur l’allopathie, la Médecine Traditionnelle est souvent appelée médecine «complémentaire», «alternative » ou « non conventionnelle». DMédecines OSSIER traditionnelles Les sages-femmes, des soignantes à part Une majorité des pays d’Afrique possède des instituts de recherche et de formation pour ces médecines. Plus récemment, la Déclaration d’Ajuba sur la lutte contre le paludisme, signée par les chefs d’États et de gouvernements africains de 53 pays en l’an 2000, reconnaissait la contribution importante de la médecine traditionnelle dans la lutte contre le paludisme. La Déclaration comprend également une requête auprès des gouvernements pour s’assurer l’efficacité d’un tel traitement et de le rendre disponible et accessible aux groupes les plus pauvres des collectivités. Par ailleurs, plusieurs pays d’Asie comme la Chine, la République de Corée et le Vietnam, ont intégré la Médecine Traditionnelle Chinoise dans leurs enseignements et dans la pratique des soins, y compris dans les hôpitaux. En Inde, Canada, Indonésie, Japon, Australie, Allemagne, Norvège, Royaume-Uni et bien d’autres, l’allopathie commence aussi à inclure les médecines traditionnelles dans sa pratique des soins en hôpital. En France le changement s’amorce. Ainsi l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a adopté, dans son plan stratégique 2010-2014, un volet sur les médecines complémentaires. Un centre intégré de médecine chinoise y a été créé en 2011, afin d’évaluer ces techniques et d’envisager leur utilisation dans la prévention et le traitement des maladies chroniques. Des accords ont été signés avec des hôpitaux universitaires de Canton, Nankin, Shanghai et Hong Kong. Des médecins de ces hôpitaux ont été accueillis à l’AP-HP afin qu’ils apportent leur expertise et qu’ils se familiarisent avec la méthodologie des protocoles de recherche clinique. Crédit photos © archives Aidemet Ong Madagascar, Mexique C’est une journée ordinaire pour cette reninjaza3 de la campagne Malgache. Aujourd’hui encore, elle va aider une femme à mettre son bébé au monde et lui prodiguer les premiers soins. Pendant toute la grossesse, elle a accompagné la future Maman, l’a massée pour la soulager, lui a concocté des infusions et l’a écoutée. A Madagascar, une femme sur deux accouche avec une reninjaza, sans qu’un médecin soit consulté. Pourtant ces sages-femmes n’ont reçu aucune formation médicale. Elles ont appris en observant leur mère ou leur grand-mère. Et même si on fait appel à elle dans plus de 50% des cas, elles ne vivent pas de leur statut, mais trouvent des métiers à côté pour subvenir à leurs besoins. A Madagascar comme dans de nombreux pays d’Afrique ou d’Asie, cette profession est en passe de disparaître au profit de la médecine allopathique. Or si la pratique n’est plus transmise, on peut se poser la question de l’avenir des soins apportés aux femmes les plus pauvres dans les villages éloignés des hôpitaux... Il en est de même au Mexique, où la fonction des sagesfemmes est mise en danger par les politiques publiques de santé qui leur retirent beaucoup de leurs responsabilités. On nie leur dimension médicale et leur connaissance de la pharmacopée pour transformer ces thérapeutes en simples « accompagnatrices » de la femme enceinte, voire en distributrices de médicaments. En 3 ans, la moyenne des accouchements qu’elles pratiquent par mois est passée de 30 à 3. Les autres étant réalisés en hôpital. Il semble que leur savoir soit désormais considéré comme un folklore de la culture mexicaine. 3 - reninjaza (sage-femme) - Paradoxes et pouvoirs autour des savoirs et pratiques des reninjaza, H. Quashie, D. Pourette, O. Rakotomalala, F. Andriamaro N°71 - Novembre/Décembre 2015 - SE SOIGNER O Naturellement N aturellement F inalement, le point commun de toutes ces médecines traditionnelles est de repositionner l’individu au cœur de sa santé, de tenir compte de ses humeurs ou de ses comportements, mais dans tous les cas, partir d’un fonctionnement organique qui lui est propre pour trouver le meilleur traitement. Et c’est précisément ce point qui diverge avec la médecine allopathique qui, à l’inverse, va appliquer une solution médicamenteuse prédéfinie à tout individu touché par une pathologie. Aujourd’hui, la globalisation des connaissances nous permet de « piocher » le meilleur de chaque tradition médicale. Laurence GAUTHÉ