Festival. A Belfort, la 25ème édition d`EntreVues a consacré Kurdish

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Festival. A Belfort, la 25ème édition d`EntreVues a consacré Kurdish
Festival. A Belfort, la 25ème édition d'EntreVues a consacré Kurdish Lover de Clarisse Hahn.
Véritable révélation du Festival de Belfort, Kurdish Lover de Clarisse Hahn repart avec deux distinctions : le prix du film francais, décerné par le jury professionnel, et le prix
du public. Film fédérateur, donc, réalisé par une artiste qui se situe ici a l'intersection des lignes directrices de son travail. Photographe, conceptrice de l'installation évolutive
Boyzone qu'elle caractérise comme une réflexion sur la masculinité, la vidéaste a déja, a 37 ans, réalisé trois longs métrages documentaires : Ovidie (2000), Karima (2002) et
Les Protestants (2005).
On retrouve dans Kurdish Lover, dont le titre dit a la fois l'intimité du propos et sa mise a distance presque fictionnelle, une semblable fascination pour l'expérience et
l'exploration communautaire. Le groupe est en l'occurrence la famille de son compagnon kurde, Oktay, dont l'univers matriciel est ici restitué. C'est cependant la présence
révélatrice de la cinéaste qui s'avère essentielle, bien que le plus souvent hors- champ et muette.
Le dévoilement, dénué de toute complaisance, passe par une approche des corps qui refuse l'exotique ou le pittoresque. Il s'agit de substituer aux plans attendus une
mosaïque de situations et de dispositifs dont la crue cinégénie, qui ne fait pas l'économie du sang, du sacrifice, de la dispute ou de la transe, ne peut renvoyer qu'au horschamp de la guerre. Car le Kurdisatn, comme Clarisse Hahn le rappelle en exergue, est un « pays qui n'existe pas ». Au film incombe la tache de le faire vivre sans l'idéaliser.
Il en va ainsi du personnage de la grand-mère d'Oktay, complice rouée et tyran domestique. De la bru geignarde, brimée dans sa soif de savoir. Ou de ces jeunes hommes en
quete de l'ame sœur qui ne savent, dans leur détresse, que revenir au pays. La somme de ces portraits forme un ensemble fascinant qui fait de Kurdish Lover une réussite
majeure.
Thierry Méranger, janvier 2011
Kurdish Lover de Clarisse Hahn.
«C'est a Paris que j'ai rencontré ces hommes. Ils viennent d'un pays qui n'existe pas. J'ai choisi de vivre avec l'un d'eux. » Le film commence par ces phrases, tandis qu'on
voit les images compactes et mouvantes, bientot brouillées par la neige qui tombe, d'un groupe d'hommes dans la rue, filmé en surplomb. Ils ont l'air de se retrouver, de feter
quelque chose ; ce sont des Kurdes immigrés a Paris. Les premières images de Kurdish Lover ressemblent a celles de la série Boyzone, ces vidéos que l'artiste a réalisées
en placant sa caméra plus ou moins près, voire au sein de communautés masculines : lieu de drague homosexuelle, terrain de sport, mosquée... L'ensemble avait donné lieu
a une installation-rétrospective en 2008, dans la Salle noire du Musée d'art moderne de la Ville de Paris.
Tombée amoureuse d'un de ces kurdes, Clarisse Hahn a décidé de réaliser son premier long-métrage au Kurdistan, dans l'autre communauté a laquelle il appartient, sa
famille aussi soudée que cette terre est éclatée entre quatre pays : Turquie, Iran, Iraq et Syrie. D'une certaine facon, Kurdish Lover s'inscrit aussi dans la suite d'un autre film,
les Protestants, qu'elle avait réalisé sur sa propre famille, protestante donc, et très bourgeoise. On imagine mal un contraste plus radical. Clarisse Hahn pratique le
documentaire embed- ded. C'est rien de le dire. Meme lorsqu'elle filme des groupes auxquels elle n'appartient pas, ses images sont faites pour susciter une fascination
extremement tenace. Alors, lorsqu'elle filme une conversation familiale a laquelle elle-meme participe, lorsqu'elle pose sa caméra a quelques centimètres d'une banquette sur
laquelle s'agglutinent plusieurs personnes, c'est comme si le spectateur reniflait l'odeur des couvertures. Pas d'explication, pas de voix off, simplement un temps de prise qui
se confond avec celui d'une dispute ou d'une hésitation ou d'une occupation quotidienne et qui immerge dans une réalité aussi opaque que si nous devions nous y débrouiller
seuls, donc d'autant plus gluante : une grand-mère sympathique et tyrannique, malicieuse et cupide, sa bru révoltée et résignée, un jeune homme occidentalisé et comme
hébété face a la jeune fille qu'on lui destine, des vieilles femmes usant d'injures d'une obscénité inouïes, un paysage minéral, une ruche grouillante...
Kurdish Lover a recu le Prix du Public long-métrage documentaire ainsi que le Prix du film francais au 25° festival international de films/Entrevues de Belfort 2010, ainsi que le
prix du meilleur film de la compétition internationale au festival Forumdoc de Belo Horizonte (Brésil), et le grand prix de la compétition internationale du 206 festival Traces de
Vie, a Clermont-Ferrand. La sortie en salles est prévue pour le début 2012.
Catherine Millet, mai 2011
"I met these men in Paris. They come from a country that doesn't exist. I chose to live with one of them." The film starts with these words, heard over the sight of compact,
shifting images —soon blurred by the falling snow—of a group of men in the street, seen from above. They seem to have gathered to celebrate something. They are Kurdish
immigrants in Paris. The first images of Kurdish Lover are like those of the Boy- zone series, the videos in which the artist's camera more or less closely explored exclusively
masculine territories such as gay cruising areas, sports grounds and mosques. The resulting ensemble was shown in an installation-cum-retrospective at the Musée d'Art
Moderne de la Ville de Paris in 2008.
Having fallen in love with one of these Kurds, Clarisse Hahn decided to make her first long film in Kurdistan, among his people. This family is as tight- knit as their people's
land is fragmented (between Turkey, Iran, Iraq and Syria). In a way, Kurdish Lover can be related to an earlier film by Hahn, Les Protestants, about her own Protestant and
very middle class family. The contrast could hardly be more radical. Hahn goes in for the embedded style of documentary (easier said than done). Even when filming groups
to which she doesn't belong, she produces images with real power to compel, but when she films a family conversation in which she is herself involved, when she places her
camera a few centimeters from a banquette where she is herself seated, it is if we had the smell of the blankets in our nostrils. There are no explanations, no voice-overs,
simply long, slow takes that merge with the time of an argument, a hesitation or an everyday activity, immersing us in a reality so opaque it seems we have been left to fend
for ourselves in this viscous reality inhabited by a winsome but overbearing, mischievous and greedy mother-in- law, her indignant yet resigned daughter-in-law, a westernized
young man who seems hypnotized by the young girl lined up to marry him, old women whose language would make troopers blush, a rocky landscape, a teeming hive...
Kurdish Lover won the audience prize for full- length documentaries and the French film prize at the 25th Entrevues international film festival in Belfort (2010), the best film
prize in the international section at Forumdoc in Belo Horizonte (Brazil), and the grand prix at the twentieth Traces de Vie festival in Clermont- Ferrand. Theatrical release is
slated for early 2012.
Catherine Millet, translated by C. Penwarden, May 2011
Kurdish Lover, un film de Clarisse Hahn
Clarisse Hahn pratique l « documentaire embedded » comme le dit si bien Catherine Millet. Après des documentaires et des installations sur des situations ou des personnes
en décalage, comme une actrice porno, un lieu de drague homosexuelle, une mosquée, un coin de rue, un club de foot, etc. voici qu’elle plante sa caméra en plein Kurdistan
turc pour y filmer la famille de l’homme qu’elle aime et qui revient sur les lieux de ses origines entre tradition et modernité. Comme il y est dit si bien, elle est allée par amour
filmer un pays qui n’existe pas. D’où le beau titre du film comme un conte oriental. Mais la réalité est moins glamour meme si les images qu’elle nous rapporte sont parfois
belles a couper le souffle. C’est aussi une bonne manière de mieux appréhender la situation des Kurdes dont beaucoup sont exilés en France ou en Allemagne. Ici, le village
d’Oktay, l’homme qu’elle aime et qui apparaît dans de nombreux plans, est fréquemment traversé par des patrouilles militaires turques qui apparaissent dans le film. Une partie
des villageois a d’ailleurs aidé la guérilla et a subi des violences physiques et le village a été détruit et certains villageois ont été dé
Clarisse Hahn pénètre de front dans ce paysage sacré car les habitants, pour la plupart de confession Alévi, y pratiquent une des religions les plus anciennes du Kurdistan, a
base d’animisme et d’Islam. Chaque sommet des montagnes est sacré. Chaque pierre, chaque cours d’eau ont leur importance et le langage y trouve une place quasi
symbolique. Paysages sacrés, mais familles en conflit finalement comme dans toute société de par le monde. Elle a planté sa caméra dans la famille de son amoureux si près
des canapés et du plan de travail de la cuisine que le spectateur a parfois l’impression d’entrer de plain-pied dans une intimité, dans une conversation qui ne le concernent pas
mais qui sont riches de signification et font mieux comprendre a la fois le pays et ses traditions.
Documentaire proche, trop proche peut-etre, de son sujet, Kurdish Lover en déconcertera plus d’un, notamment les amis des animaux car chaque séquence de dispute
familiale, ou d’apre discussion, est suivie d’un rite d’abattage qui ne nous épargne rien, ni le sang, ni les viscères des moutons sacrifiés. Le quotidien d’un village kurde, isolé et
coincé entre analphabétisme et pauvreté, voici un bon sujet un peu voyeur, très courageux et meme provocateur, mais sans pathos inutile, ni misérabilisme. « En passant du
temps avec eux, écrit la réalisatrice, j’ai eu peu a peu le sentiment que chaque membre de la communauté vivait en symbiose avec les autres, comme s’ils étaient tous
membres d’un meme corps. Les événements de la vie personnelle sont immédiatement partagés avec le groupe. » Est-ce un bien, est-ce un mal ? On peut se le demander.
Faut-il préférer l’indifférence et la solitude de nos groupes sociaux occidentaux ou la trop grande proxémie de ce village kurde ? Toujours est-il que Clarisse Hahn, toujours
présente dans le film meme si elle est rarement « in » (et de dos ou seulement son bras, sa jambe, elle-meme morcelée en fait pour exprimer son exclusion), est percue par le
groupe, et notamment par celle qu’on appelle « la vieille », comme un corps étranger, sorte de parasite, dont on parle quelquefois sans se gener. Et c’est aussi ce qui,
curieusement, fait tout le sel de ce documentaire pour le moins original. placés au pied des montagnes.
Jean-Marie Méjean, juillet 2011
Clarisse Hahn, Kurdish Lover, sortie le 12 septembre
Quelques poils de barbe entourés d’une aura de sacré : ce sont les reliques d’un saint homme de ces Kurdes plus proche de l’animisme que de l’islam et dont Clarisse Hahn
consigne le quotidien dans une passionnante tranche de vie, quelque part entre le témoignage anthropologique embedded, la page arrachée a un journal intime (c’est sa
belle-famille qu’elle filme) et le projet artistique. Quelques poils de barbe, donc, a la fois dérisoires et tabous – et une injonction : ne filme pas ! c’est un blasphème ! Mais la
caméra, pourtant jamais suspecte de voyeurisme, enregistre : elle saisit les reliques, les prières, les visites des « Guides » religieux.
Tout Kurdish Lover est la : montrer ce qu’on ne doit pas montrer. Comme si la lumière dure et limpide qui baigne la beauté rocailleuse et accidentée du Kurdistan faisait office
de révélateur. La mise a mort d’une brebis, un amoureux transi sur Skype, un beau-frère macho impayable en loser sentimental, des vieilles roublardes et truculentes qui
bavassent, un ermite porté sur la chose : autant de vignettes a des années-lumière de la carte postale exotique ou du naturalisme naïf. Au fil de ces saynètes a géométrie
variable (les unes cocasses, les autres tumultueuses) qui émaillent le quotidien de la famille d’Oktay, l’amant kurde, Clarisse Hahn rend au cinéma sa vocation primitive de
dévoilement.
On pense parfois a Jean Rouch pour cette facon de faire trembler les frontières entre docu et fiction (mention spéciale a la « Vieille », la mère d’Oktay, matriarche
romanesque madrée et bigger than life), a Frederick Wiseman pour la finesse de la captation des courants et des tensions internes a un groupe. Mais Kurdish Lover porte la
patte indélébile de Clarisse Hahn, cinéaste aux multiples casquettes qui, a coté d’une Valérie Mréjen, fait partie de ces Protée contemporains qui s’épanouissent a
l’intersection des médiums. Mais celle qui est aussi vidéaste et photographe ne tombe jamais dans le piège de la dispersion. De Boyzone (un work-in-progress sur la
masculinité) a Hôpital (approche sensible et rigoureuse d’un service de gériatrie), elle a toujours montré le corps tel qu’on ne le voit pas, ou mal. C’est le cas aussi dans
Kurdish Lover, avec par exemple cette scène comme on n’a pas le souvenir d’en avoir vu beaucoup : une Vieille qui s’applique des sangsues, puis la cuvette qui se remplit
d’écarlate. Une scène qui relève du petit miracle de cinéma, qui saisit un bloc brut de réalité crue sans l’esthétiser en catimini mais en produisant une véritable émotion
esthétique…
Et, avec la meme maîtrise, Kurdish Lover fait affleurer ce que nos sociétés urbaines, occidentales mettent trop souvent sous le boisseau d’une bienheureuse ignorance :
l’imbrication étroite de la vie et de la violence. Pendant qu’on dépèce une brebis fraîchement égorgée, les discussions vont bon train : la mort, la brutalité sont comme
aspirées dans le flux du quotidien et de ses préoccupations. Difficile de ne pas y percevoir l’écho de ce qui pèse sur le hors-champ du film : cette guerre interminable qui
saigne le Kurdistan, bouleverse les vies de ses habitants a qui on refuse la création d’un Etat. Une guerre qui appartient désormais inextricablement a la trame du quotidien…
Mais il y a d’autres guerres, tout aussi cruciales mais plus universelles – celle des sexes, par exemple. Encore une fois, Clarisse Hahn prend a rebrousse-poil les idées
paresseuses et montre ce qu’on ne voit d’habitude pas lorsqu’on parle des « sociétés traditionnelles » : la domination des femmes dans la sphère privée. Dans Kurdish Lover,
les hommes peuvent bien endosser toute la panoplie du macho (lunettes noires, bière et clope), ils ne sont que de petites choses fragiles et pathétiques entre les mains des
femmes – dont meme la langue est une langue de charretiers, réjouissante et rabelaisienne.
Kurdish Lover est un fascinant travail de révélation de l’invisible. Fascinant et radical, puisqu’en saisissant hommes, femmes, lieux et rituels, il donne carrément a voir un
fantome : le Kurdistan, ce « pays qui n’existe pas ».
Damien Aubel, juillet 2012

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