Donc c`est non, d`Henri Michaux

Transcription

Donc c`est non, d`Henri Michaux
Chronique
Donc c'est non, d'Henri Michaux
Dans ses diverses lettres de refus rassemblées par Jean-Luc Outers, Henri Michaux cultive, non sans une
certaine incorrection, l’art de dire non, et exprime sans ambages sa vision d’une poésie exigeante et
intense.
Reconnu de son vivant comme un des poètes
les plus importants de sa génération - l’entrée
dans la Pléiade lui fut même proposée par
Claude Gallimard -, Henri Michaux resta pourtant
toute sa vie hostile à tous les critiques,
journalistes ou jurys de prix littéraires qui
voulaient saluer son œuvre et surtout mettre en
avant sa personne. Rejetant systématiquement
toute demande d’interview, annonçant dès le
milieu de sa carrière qu’il n’accepterait jamais
aucun prix, exigeant de ne jamais apparaître en
photo dans les ouvrages qui lui furent
consacrés, Michaux s'opposa toujours à “cette
mode inepte de tout mettre en spectacle” et se
tint jusqu’à sa mort à un seul principe : l’ œuvre,
seule, dans sa plus pure expression, devait
retenir l’attention.
Par conséquent, il eut à écrire au cours de sa
vie un nombre conséquent de lettres pour
refuser les projets d’admirateurs zélés et autres
universitaires enthousiastes. Colloques,
conférences, numéros de revues spécialisées,
mises en scène et mises en musique sont
systématiquement, strictement et virulemment
interdits. Jean-Luc Outers rassemble dans Donc c’
est non une centaine de lettres de refus de
Michaux, classées par ordre chronologique.
On pourrait se lasser de lire tous ces refus,
mais Michaux est d’une créativité remarquable,
même dans ce qui devrait être un exercice
convenu. Il est parfois à la limite de l’
impolitesse voire de la grossièreté quand il répond à certains importuns : si les amis, collaborateurs
réguliers ou éditeurs ont droit à quelques formes, d’autres sont éjectés sans autre forme de procès. De l’
hypocrisie mielleuse à la colère homérique en passant par l'expression de la plus pure consternation,
toutes les nuances sont représentées et chaque lettre est une surprise et un régal.
Dans ses notes de bas de page, Jean-Luc Outers donne parfois des éléments de contexte et cite des
extraits de lettres d’autres correspondants de Michaux qui viennent compléter les informations sur telle
ou telle demande. On découvre ainsi, à quelques reprises, les tentatives de René Bertelé, l’éditeur et
ami de Michaux, d’atténuer un peu les refus cassants de l’auteur. Certains sont de petits bijoux de
diplomatie, comme celle adressée au comédien et metteur en scène Jacques Echantillon suite à son
adaptation de l’Espace du dedans :
“L’expérience que vous avez pu réaliser est donc terminée et elle a été intéressante pour
vous. Mais ce n’est pas celle qu’aurait souhaité l’auteur ; et ses amis ont eu, en général, la
même impression. C’est pourquoi il pense qu’il vaut mieux que le spectacle en question ne
soit pas repris dans la cave où il a été créé, ni nulle part ailleurs.”
Les rares lettres conservées des correspondants de Michaux (qui détruisait l’essentiel du courrier qu’il
recevait) sont pour la plupart celles d’admirateurs qui crient leur passion pour l’ œuvre du poète - avant
de faire telle ou telle proposition de traduction, d’étude, d’adaptation. L’une d’elle, adressée au “Cher
Maître”, est une avalanche de compliments - presque trop dégoulinants - qui ferait sans doute fondre n’
importe quel auteur. Mais pas Michaux qui, s’il reconnaît que cette lettre “commence bien”, rejette
sèchement la proposition de son correspondant de porter à la scène une traduction en flamand du
recueil Plume. Le refus est plus délicat qu’ailleurs : on sent que Michaux se force à mettre les formes ;
“Vous n’avez pas lu mes livres depuis trente ans sans comprendre ce que je sens”, écrit-il, comme pour
proposer une porte de sortie à ce gentil fâcheux. On ne peut qu’imaginer, en riant un peu à ses dépens,
la mine déconfite que dut faire celui qui débutait sa lettre pleine de ferveur en clamant : “il n’est nul
écrivain - vivant ou mort - qui tienne dans ma vie la place que vous tenez et cela depuis 1936”...
Dans d’autres lettres enfin, plus développées que les autres, Michaux explique les raisons de ses refus
successifs. A chaque fois, c’est une partie de la vision littéraire de l’auteur qui se révèle, faisant de Donc
c’est non une sorte d’art poétique a minima, en condensé. Certains passages, remarquables, donnent à
comprendre à quel point Michaux fut un auteur exigeant, conscient de sa valeur mais toujours prêt à
remettre sur le métier l’ouvrage. Parfois, sa posture semble être le signe d’un élitisme mal placé,
comme lorsqu’il refuse toute réédition de ses textes, surtout s’il s’agit de les faire entrer dans une
collection de poche : on s’étonne, tout de même, que Michaux aille jusqu’à refuser de voir son lectorat s’
agrandir, préférant réserver son œuvre à quelques heureux élus.
Le plus souvent, cependant, sa pensée radicale en impose, lorsqu’il se fait défenseur d’une poésie qui
se suffit à elle-même, sans que des fioritures lui soient adjointes ni que d’interminables introductions ou
présentations permettent de mieux la comprendre. A un metteur en scène voulant monter une pièce
autour de quelques poèmes, il répond :
"Mes poèmes et tout spécialement Poésie pour pouvoir, Je rame et Agir, je viens, sont déjà
parlés. Une voix intérieure les dit et fortement. Qui ne l’entend pas ne l’entendra jamais,
quel que soit le moyen employé. Au contraire, il en sera plus loin."
Cette idée d’une œuvre qui ne nécessite aucune intercession, aucune intervention extérieure, aucune
explication hors d’elle-même (et surtout pas, ce que Michaux semble exécrer au plus haut point, des
indications biographiques qui n’entretiennent pas le moindre rapport, selon lui, avec sa poésie),
impressionne. Curieux objet éditorial, Donc c’est non donne ainsi non seulement à admirer l’intégrité et
le courage de Michaux, mais convainc également qu’il serait bon de (re)lire cette œuvre défendue ici de
manière si singulière. Sans doute était-ce le principal objectif de Jean-Luc Outers. Tant pis pour
Michaux qui n’avait “nulle, nulle envie de plus de public.”
Sélection de références
On en parle... Dans le Magazine Littéraire
" On parlera d'élitisme. C'est pourtant bien d'autre chose qu'il s'agit :
conserver leur nature à ses écrits. Une attitude si intraitable exprime rien
moins qu'une vision du monde, un art de vivre, une sensibilité poétique,
une fidélité à soi. Grâce à Micheline Phankim, son amie et ayant droit,
l'oeuvre d'Henri Michaux est désormais largement accessible, son
fantôme dût-il en souffrir, sans que ses poèmes en soient faussés."
(Pierre Assouline)
Sur Diacritik
"Toujours est-il que ce à quoi l’écrivain le
plus ordinaire aspire et qui fait plus ou
moins vendre ses livres est ici
impitoyablement refusé. Il faut bien dire
qu’un tel rejet du « carnaval médiatique »
force l’admiration. « Si je lui avais
proposé mon projet, note Outers non
sans humour, nul doute que j’aurais
rejoint la liste des éconduits qui se
consolent sur le bord de la route en lisant et en relisant la lettre qu’ils ont reçue à la fois comme une
caresse et comme une gifle. Il y a des gifles qui font du bien. » (p. 21)" (Jacques Dubois)
Sur En attendant Nadeau
"On ne saurait trop recommander la lecture du livre roboratif et cocasse
où Jean-Luc Outers réunit près de cent exemples de fins de nonrecevoir opposées par ce représentant exceptionnel du nonconformisme belge – qui fut, au goût de quelques-uns, l’un des plus
grands poètes français du XXe siècle – aux compliments le plus souvent
intéressés des quémandeurs." (Maurice Mourier)
Publié
le
04/05
/2016
LITTÉRATURE
Tags
:
Cyril Tavan
Fonction
:
poésie
A propos de l'auteur
Bibliothécaire - Littérature française contemporaine et littérature
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