SOCIETE ODONTOLOGIQUE DE PARIS REVUE D

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SOCIETE ODONTOLOGIQUE DE PARIS REVUE D
SOCIETE ODONTOLOGIQUE DE PARIS
REVUE D'ODONTOSTOMATOLOGIE n° 4 - 1999
PEDODONTIE
PROTHESE PEDIATRIQUE ANTERIEURE
Auteurs :
Catherine ARTAUD
Maître de Conférences des Universités - Praticien Hospitalier - UFR d’Odontologie - Université PARIS 7 Denis DIDEROT
Résumé :
La perte prématurée des dents antérieures chez le jeune enfant est fréquente, les moyens prothétiques
actuels permettent une réhabilitation fonctionnelle et esthétique qui doit intégrer les notions de croissance,
d'évolution et de transition qui sont si importantes en dentisterie pédiatrique.
INTRODUCTION
Lors de l'acquisition de la marche, de nombreux enfants sont victimes de traumatismes et, dans 96,1 % des
cas, le secteur incisif maxillaire sera concerné Les caries rampantes du syndrome du biberon vont induire
des fractures cervicales qui justifieront souvent des extractions. Certains syndromes malformatifs
comportent dans leur tableau clinique des agénésies touchant le secteur maxillaire antérieur en denture
temporaire aussi bien qu'en denture permanente En outre les phénomènes de croissance propres à la
tranche d'âge concernée vont provoquer des déformations si l'harmonie des arcades n'est pas rétablie, de
plus des problèmes psychologiques et phonétiques vont survenir en cas d'abstention thérapeutique.
Des moyens prothétiques simples, rapides à mettre en œuvre, et d'un coût modéré peuvent pallier ces
modifications architecturales et reconstruire le schéma corporel.
ETIOLOGIE
Entre deux et sept ans, un fort pourcentage d'enfants va subir des accidents ayant pour conséquence des
traumatismes alvéolo-dentaires : à cinq ans 31,4 % des garçons et 16,3 % des filles ont eu un traumatisme,
et les incisives, rempart naturel de la face, seront concernées dans la très grande majorité des cas (96 %
des cas) (14).
La plasticité de l'os alvéolaire temporaire, le ligament alvéolo-dentaire plus l'axe et les racines plus courtes
ont pour conséquence que les luxations de l'organe dentaire auront une fréquence plus grande que les
fractures des tissus durs (subluxation + luxation + intrusion + extrusion + expulsion = 54 % contre 22 % aux
diverses fractures). (1).
Il est important de connaître l'état d'édification des germes des dents permanentes pour déterminer l'âge
dentaire de l'enfant et poser l'indication du mainteneur d'espace.
En effet, si la racine du germe sous-jacent est édifiée aux deux tiers la pose d'une prothèse pédiatrique ne
se justifie plus.
La règle des tiers permet de prévoir l'âge dentaire de l'enfant et de personnaliser le diagnostic et le
pronostic des thérapeutiques en fonction de l'évolution et de la maturation de la dent sous-jacente (2).
Règle des tiers : après le début de la calcification de la couronne, il faut compter (4) :
* Trois ans pour l'édification coronaire totale.
* Trois ans pour l'édification radiculaire.
* Trois ans pour la fermeture apicale.
Lors de la perte d'une dent temporaire la position du germe change : il subit aussitôt un mouvement dans le
sens de l'éruption.
Deux cas peuvent se présenter :
* Si la formation de la couronne de la dent permanente n'est pas terminée au moment de la perte de la dent
temporaire, la cicatrisation, qui peut être osseuse ou fibromateuse, va rendre l'éruption plus difficile et elle
sera alors retardée ;
* Si la dent permanente a déjà édifié la moitié de sa racine, il y aura une éruption précoce.
Au niveau des dents antérieures, l'âge de deux ans est un tournant important : les caries temporaires font
leur mise en occlusion. Avant cette date, la perte des incisives non compensée va permettre la mésialisation
des dents adjacentes au site édenté. Le rétrécissement de ce segment sera d'autant plus important que le
nombre de dents perdues sera limité. Cette perte d'espace va entraver le positionnement harmonieux des
incisives permanentes. De plus, il y aura un risque de retard d'éruption de ces mêmes incisives perturbant
les séquences d'éruption des incisives permanentes maxillaires et mandibulaires, la conséquence d'un tel
décalage peut se manifester par une égression des incisives mandibulaires qui, ne rencontrant aucun
obstacle viennent buter sur la crête gingivale maxillaire.
Si la perte des organes dentaires intervient après l'éruption des canines temporaires le remplacement d'une
seule dent temporaire n'est pas toujours nécessaire (5) mais impose un contrôle régulier, tous les six mois,
de l'espace.
Si la modification du périmètre de l'arcade n'est pas systématique, il y aura le plus souvent un
réarrangement de l'espace sans perte évidente de place (11, 10), par contre, on pourra souvent voir
s'installer des praxies annexes ou des dysphonies.
Le maintien de l'espace peut se faire soit par prothèse amovible soit par prothèse amovo-inamovible
La prothèse pediatrique amovible
La prothèse amovible est souvent l'alternative la plus fiable pour remplacer plus d'une dent sur le même
quadrant.
Des plaques en résines, type plaque de Hawley, sont fréquemment utilisées car aisément adaptables. Elles
répondent parfaitement aux exigences des prothèses pédiatriques qui par définition sont transitoires.
Des crochets d'Adams portant sur les deuxièmes molaires temporaires vont assurer la rétention de la
prothèse, ils sont bien adaptés à la morphologie particulière des molaires temporaires et s'ajustent
facilement.
Les dents prothétiques sont le plus souvent des Bambino Tooth®, mais le choix des teintes est très limité
(deux !) et les formes sont très standardisées. On pourra être amené à modifier des dents prothétiques
permanentes de petite taille pour obtenir un meilleur rendu esthétique.
On doit adjoindre à ces prothèses un vérin médian pour suivre la croissance suturale (enfants de moins de
six ans). Si aucune action orthopédique n'est recherchée, on peut déposer la vis de ce vérin et ne garder
que le système de glissière (3). Certains auteurs préconisent de faire effectuer par les parents un quart de
tour de la vis du vérin tous les quarante-cinq jours (12).
Les inconvénients des prothèses pédiatriques amovibles résident dans leur encombrement important
(dysphonie), dans le risque de réactions allergiques muqueuses dues à la résine ou au dentifrice souvent
utilisé par les enfants pour nettoyer leur appareil.
Mais l'inconvénient majeur est leur caractère amovible qui constitue un risque certain d'être porté de
manière irrégulière, d'être prêté aux autres enfants, d'être perdu ou souvent détérioré, avec des réparations
fréquentes qui provoquent des interruptions du port avec la nécessité de réadaptations à chaque fois.
LA PROTHESE PEDIATRIQUE FIXEE
1) Les bridges collés conventionnels ne sont que rarement réalisés en dentisterie pédiatrique :
• Ils sont difficiles à réaliser chez le jeune enfant.
• L'adhésion des composites de collage est moindre au niveau des dents temporaires.
• Le décollement du dispositif expose l'enfant à son inhalation.
• Ils ne sont pas adaptables.
• Le coût est important.
2) La technique la plus utilisée est simple à mettre en œuvre : des bagues d'orthodontie nues (sans
attaches) sont choisies et soigneusement ajustées sur les deuxièmes molaires temporaires, puis le
laboratoire de prothèse va souder sur la face palatine un fil rond d'un diamètre de 0,9 mm sur lequel seront
fixées une ou plusieurs dents prothétiques.
Lors du scellement, l'emploi d'un ciment conventionnel au verre-ionomère relarguant du fluor est judicieux
car il assurera une prévention efficace contre les récidives de caries.
Pour éviter que le ciment ne s'égoutte lors de la pose, il est pratique de fermer la partie occlusale des
bagues avec une lamelle de cire rose ou un morceau de sparadrap
Pour réaliser cette prothèse, il faut tenir compte :
• De l'âge de l'enfant : avant six ans, il faut prévoir des « oméga » de compensation en regard des
premières molaires temporaires, pour permettre la croissance de la suture palatine médiane,
• Placer un « oméga » au niveau de la papille rétro-incisive permet de réaliser un diastème médian
esthétique
• Si l'enfant à l'habitude de sucer son pouce ou une tétine, il est sage d'utiliser un fil plus rigide afin de
prévenir l'enfoncement de la prothèse
Les techniques de brossage seront les mêmes qu'en denture naturelle.
Très souvent l'enfant oublie complètement sa prothèse qui devient une partie de son individu.
Des contrôles réguliers sont indispensables pour s'assurer de l'intégrité du ciment de scellement
Il est souhaitable de desceller la prothèse tous les six mois environ pour juger de visu de l'état de la
muqueuse sous la selle prothétique et vérifier que les dents supports de bagues ne présentent pas de
déminéralisation pré-carieuse. Avant de reposer la prothèse, on activera légèrement les divers dispositifs
destinés à suivre la croissance : par exemple on ouvrira les oméga.
De plus, ces contrôles périodiques permettent d'évaluer radiographiquement l'évolution des dents
permanentes successionnelles : si elles sont juxta muqueuses, on ne rescellera pas la prothèse, car
l'éruption serait perturbée et pourrait dévier provoquant, en outre, une irritation importante.
CONCLUSION
Les prothèses pédiatriques fixées sont un moyen simple, rapide et peu onéreux de compenser la perte
d'une ou plusieurs dents chez des enfants jeunes. Elles permettent de restaurer une esthétique convenable,
d'éviter l'apparition de praxies annexes et de dysphonies. Il est impressionnant de voir comment l'enfant
retrouve son sourire l'absence pathologique de dents antérieures peut modifier le comportement de l'enfant,
le rendre agressif, peureux et la demande de pose de prothèse peut venir de l'enseignant !
Toutefois, il est essentiel que le triangle parent-enfant-praticien établisse un consensus car :
- Les parents doivent exercer une surveillance constante de l'hygiène et des habitudes alimentaires (pas de
caramels, de chewing-gums et autres bonbons collants)
- L'enfant doit accepter ces contraintes et prévenir ses parents lorsque les bagues se descellent, enfin le
praticien sera attentif aux réactions de son jeune patient et toujours prêt à répondre à ses questions.
CAS CLINIQUES :
Fig1 - Chen Y. 5 ans : perte des incisives centrales temporaires par traumatisme.
Fig2 - Chen Y. : vue palatine de l'arc prothétique.
Fig3 - Chen Y. 6,5 ans : lors d'un contrôle, perte de la 51 prothétique et évolution de la 11.
Fig4 - Charlotte : reconstitution par arc palatin : vue sur le modèle mettant en évidence les courbures de
compensation (« omégas ») permettant la croissance : agénésies multiples.
Fig5 - Charlotte : prothèses maxillaire et mandibulaire en bouche.
Fig6 - Jason 4ans : hypophosphatasie entraînant une perte prématurée des incisives mandibulaires
prothèse mandibulaire sur le modèle.
Fig7 - Jason : le sourire : noter les lésions juxtagingivales des dents maxillaires caractéristiques des
hypophosphatasies.
Fig8 et Fig9 - Audrey après les avulsions.
Fig10 - Audrey, le sourire retrouvé.
BIBLIOGRAPHIE
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Copenhague, 1990.
2. BEYAERT J.C. La prothèse pédiatrique : nécessité et techniques de réalisation- 1990. Th : Chir. Dent. :
Univ. Paris VII, 1990
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Pour qui et pourquoi ? Actualités Odonto-stomat., 1991, 45, (174) : 279-293.
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molaire inférieure. Pedo. Fr., 1981, 15 : 97-112.
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fonctionnelle. Inform. Dent., Paris, 1988, 70, (43) : 4427-4429.
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12. PORTIER R. et SAMPERE G. Prothèse dentaire chez l'enfant : problèmes-indications-techniques.
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14. WELBURY R.R. Paediatric dentistry. Ed : Oxford University Press, Oxford, 1997.
PAEDIATRIC ANTERIOR PROSTHESES
Abstract :
The premature loss of anterior teeth in young children is a frequent occurrence. Present prosthetic means
allow a functional and cosmetic rehabilitation which should integrate the growth, evolution and transition
components that are so important in paediatric dentistry.
Keywords :
Paediatric prostheses - Deciduous teeth - Growth