Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone
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Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Collection recherche de la Fondation autochtone de guérison © Fondation autochtone de guérison, 2010 Publié par : Fondation autochtone de guérison 75, rue Albert, pièce 801, Ottawa (Ontario) K1P 5E7 Téléphone : (613) 237-4441 Sans frais : (888) 725-8886 Télécopieur : (613) 237-4442 Courriel : [email protected] Site internet : www.FADG.ca Conception graphique et mise en page par : Fondation autochtone de guérison Version électronique : ISBN 978-1-897285-97-8 L’utilisation du nom « Fondation autochtone de guérison » et du logo de la Fondation est enterdite. La Fondation encourage cependant la reproduction du présent document à des fins non commerciales. Ce projet de recherche a été financé par la Fondation autochtone de guérison (FADG), cependant les opinions exprimées dans ce rapport sont les opinions personnelles de l’auteur ou des auteurs. This document is also available in English. Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison 2010 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Liste des résumés Introduction.................................................................................................................................................................1 La délinquance sexuelle chez les Autochtones au Canada..............................................................................5 Profils de la santé mentale d’un échantillon d’Autochtones de la Colombie-Britannique survivants du régime canadien des pensionnats........................................................................................7 La violence familiale chez les Autochtones au Canada....................................................................................9 Peuples autochtones, résilience et séquelles du régime des pensionnats..................................................... 13 Syndrome d’alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du Canada : Examen et analyse des répercussions intergénérationnelles liées au régime des pensionnats........... 15 Violence contre les aînés au Canada............................................................................................................... 21 Traumatisme historique et guérison autochtone.......................................................................................... 23 Les guerriers-soignants : Comprendre les difficultés et la guérison des hommes des Premières nations — Un guide ressource......................................................................................... 25 Bref compte-rendu du régime des pensionnats pour les Inuits du gouvernement fédéral du Canada.... 27 Décolonisation et guérison : Expériences des peuples autochtones aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Australie et au Groenland............................................................................. 29 Retisser nos liens : Comprendre les traumatismes vécus dans les pensionnats indiens par les Autochtones................... 33 Rapport final – Fondation autochtone de guérison...................................................................................... 37 Histoire et expérience des Métis et les pensionnats au Canada.................................................................. 41 Comportements de dépendance chez les Autochtones au Canada............................................................. 43 Suicide chez les Autochtones au Canada....................................................................................................... 47 Projet de recherche sur le paiement forfaitaire compensatoire : le cercle se referme................................. 51 De la vérité à la réconciliation : Transformer l’héritage des pensionnats................................................... 55 La guérison autochtone au Canada : Études sur la conception thérapeutique et la pratique................... 61 Réponse, responsabilité et renouveau : Cheminement du Canada vers la vérité et la réconciliation....... 67 Pensionnats, prisons et VIH/sida au sein de la population autochtone du Canada : à la recherche de liens d’interdépendance................................................................................................ 71 Paiement d’expérience commune, composante de l’Accord de règlement elatif aux pensionnats indiens, et guérison : une étude qualitative exploratoire des incidences sur les bénéficiaires........................... 73 iii Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Introduction La Fondation autochtone de guérison a été établie en 1998 en tant que vecteur du financement des initiatives de guérison communautaires axées sur le traitement des répercussions de l’abus physique et sexuel commis dans les pensionnats indiens au Canada. Dans le cadre de l’accord de financement initial qui a été conclu le 31 mars 1998 entre le gouvernement du Canada et la Fondation autochtone de guérison (FADG), une partie des fonds attribués a été consacrée à la recherche associée au développement des connaissances nécessaires pour la conception/ la redéfinition, la mise en œuvre et l’évaluation de programmes pertinents et utiles, de même que pour les demandes d’information du public. La FADG s’est engagée à développer des capacités pertinentes et durables, à assurer de bonnes conditions d’efficacité pour la guérison des séquelles de l’abus physique et sexuel commis sous le régime des pensionnats, y compris les répercussions intergénérationnelles. Les objectifs de recherche que la FADG a fixés reconnaissent cet engagement de préconiser des pratiques ou méthodes de guérison au niveau communautaire qui s’attaquent aux effets des pensionnats. Dans cette perspective, la FADG a mené des efforts de recherche opérationnelle et de recherche appliquée considérés essentiels pour remplir sa mission consistant à préconiser la guérison au niveau communautaire des séquelles découlant des mauvais traitements subis dans les pensionnats. Ces objectifs de recherche visent à recueillir, analyser et à diffuser de l’information qui peut : • contribuer à la conception/redéfinition, à la mise en œuvre et à l’évaluation de programmes pertinents et utiles; • promouvoir la guérison holistique et identifier les meilleures pratiques ou pratiques prometteuses de guérison ressorties des projets communautaires; • fournir de l’information sur des questions de fond qui appuient les pratiques et accroissent le développement des capacités dans les collectivités autochtones; • contribuer à cet héritage national de la Fondation autochtone de guérison en matière de guérison; • favoriser un environnement public plus éclairé, plus favorable et solidaire. Consécutivement à l’établissement de ces objectifs de recherche, les thèmes suivants ont été identifiés en se basant sur des indicateurs choisis — taux d’abus physique et sexuel, de placement d’enfants, d’incarcération et de suicide. Les efforts de recherche se sont appliqués à : • déterminer les meilleures pratiques de guérison dans le traitement de délinquants sexuels, dans le traitement de la maltraitance physique et à étudier de quelle façon il y a un cycle intergénération de la violence (c.-à-d. le processus par lequel la violence se reproduit à travers des générations); • déterminer les besoins de guérison spécifiques des Inuits et des Métis touchés par les séquelles des pensionnats; • étudier, analyser ou approfondir ce qui constitue des répercussions intergénérationnelles; Introduction • remédier au manque de connaissances des programmes en cours qui répondent aux besoins les plus pressants; • mettre les projets financés à contribution dans le cadre d’un vaste effort de recherche visant à déterminer l’ampleur des problèmes dans leur région respective; • partager les résultats de recherche sur des approches de guérison communautaires culturellement pertinentes qui sont inspirées par les différences, les besoins, la géographie de leur milieu ou localité, ainsi que par des réalités autres se rattachant au processus de guérison; • combler les insuffisances de ressources et les connaissances manquantes qui ont trait à la victimisation, aux comportements des auteurs de maltraitance (délinquants), aux stratégies de guérison pertinentes et à ce qui constitue des pratiques de guérison considérées les meilleures et celles vues comme défavorables; • faire des recommandations touchant les besoins de guérison des enfants, des jeunes, des Aînés, des femmes, des hommes, des personnes incarcérées, homosexuelles/lesbiennes (dites « bi-spirituelles »), ayant des déficiences, enfin de tous ceux et celles dont le corps, la pensée, l’esprit et le cœur ont souffert en raison des répercussions des pensionnats; • évaluer le besoin de ressources additionnelles pour poursuivre les efforts du cheminement de guérison; • préconiser et faciliter la connaissance et la compréhension de la nature et des effets des séquelles des pensionnats, notamment des répercussions intergénérationnelles sur les victimes, les familles et les communautés; et • identifier des possibilités sur le type d’héritage ou de legs national que la Fondation autochtone de guérison pourrait laisser aux générations futures. La recherche entreprise par la FADG apporte son concours aux programmes de guérison communautaires à court terme et elle renforce la capacité à long terme dans le domaine de la guérison des collectivités autochtones. La voie de recherche que la FADG emprunte est fondée sur le savoir et l’expérience autochtones, la sagesse et la compétence que ce savoir représente. Cette approche requiert un processus participatif au moyen duquel les Autochtones déterminent la façon dont la FADG peut le plus efficacement possible répondre aux besoins de guérison. De plus, cette approche reconnaît la valeur de la guérison holistique, l’importance de nouer des partenariats avec d’autres prestataires de services et le besoin de collaboration interservices, interorganisationnelle ou intersectorielle pour atteindre les objectifs de recherche et d’évaluation. La division de la Recherche de la FADG a travaillé en association avec des partenaires à : • identifier l’information et la connaissance nécessaires pour l’établissement d’une programmation efficace; • concevoir et mettre en application des méthodes de collecte d’information pertinente; et Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison • présenter des résultats de recherche aux parties concernées ou intéressées de façon compréhensible et utile. Dans le but de réaliser ses objectifs en appliquant l’approche définie ci-dessus, la FADG s’est entourée de spécialistes autochtones et d’autres experts dans le domaine de recherche visé. Les sommaires suivants sont une compilation des principales études de recherche menées par ces spécialistes pour le compte de la FADG et publiées sous ses auspices. Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison La délinquance sexuelle chez les Autochtones au Canada Dr John H. Hylton avec le concours de Murray Bird Nicole Eddy Heather Sinclair Heather Stenerson 2002 Au Canada, l’agression sexuelle constitue un grave problème. En effet, la plupart des auteurs d’agression sont des hommes, alors que les victimes sont des femmes ou des enfants. Contrairement à la croyance populaire, dans la majorité des cas, les délinquants sexuels se révèlent être un membre de la famille, une connaissance ou un ami de la personne à l’égard de qui ils ont commis leur agression. Le risque d’être victime de violence varie également d’une collectivité à l’autre. Jusqu’à 600 000 infractions sont commises chaque année au Canada et 90 pour cent ou plus des crimes sexuels ne sont jamais signalés à la police. Même si le système judiciaire a sévi plus sévèrement contre les délinquants sexuels, on estime pourtant que seulement un délinquant sexuel sur 100 est appréhendé et condamné à la détention, la proportion pouvant être encore plus minime. Même ceux qui sont reconnus coupables d’infractions sexuelles très graves retournent dans leur milieu après avoir purgé une peine moyenne d’environ quatre ans. Par conséquent, l’impact du système judiciaire sur la problématique de l’abus sexuel continue d’être assez limité et risque fort de le rester. Les Autochtones sont surreprésentés dans l’ensemble du système correctionnel au Canada. Un grand nombre de commissions et d’enquêtes publiques ayant examiné les questions liées au système de justice autochtone au cours des trente dernières années ont fourni de nombreuses justifications de ce nombre élevé et elles les ont bien étayées au moyen de documents. Malgré la diminution dans la population en général des taux de criminalité et d’incarcération, les Autochtones continuent d’être incarcérés en nombre disproportionné; au Canada, ils représentent même un pourcentage toujours plus élevé de la population derrière les barreaux.En effet, au Canada, entre 20 pour cent et 25 pour cent des délinquants sexuels reconnus coupables sont Autochtones et les études avancent qu’il y aurait plus de 150 000 délinquants sexuels autochtones au Canada. Un petit nombre parmi ces délinquants sont les auteurs responsables d’un grand nombre d’infractions, parfois commises pendant de longues périodes de temps. Des tentatives antérieures de réformer le système judiciaire qui visaient à mieux répondre aux besoins et aux préoccupations des délinquants autochtones, de leur famille et de leur collectivité se sont avérées infructueuses. En fait, il n’est pas du tout manifeste que les sanctions pénales conventionnelles aient eu un effet de dissuation auprès de la majorité des délinquants autochtones ou qu’elles aient influé sur leur réadaptation. Le système judiciaire n’a généralement pas réussi à répondre aux besoins des victimes autochtones, ni aux aspirations des collectivités autochtones. Il ressort que les initiatives les plus prometteuses axées sur une meilleure accessibilité à des services efficaces et adaptés à la culture sont celles que les collectivités autochtones entreprennent elles-mêmes. La délinquance sexuelle chez les Autochtones au Canada Ces initiatives reconnaissent et tiennent compte du droit à l’auto-détermination des Autochtones et elles dotent leurs collectivités des possibilités et des ressources requises pour leur permettre de concevoir et de mettre en application leurs propres solutions. Le Canada est à l’avant-garde sur le plan mondial dans le domaine relativement nouveau de l’intervention auprès des délinquants sexuels. Cependant, il n’existe que quelques programmes et peu de données d’information sur leur efficacité. Même si les délinquants sexuels autochtones sont considérés encore plus désavantagés que les autres délinquants et que le nombre de cas d’infraction traités par le système judiciaire s’est accru, il n’y a étonnamment que peu de ressources de tout type en matière de services spécialisés d’intervention offerts au Canada. Le nombre de programmes intégrant une programmation adaptée à la réalité culturelle autochtone, de quelque nature qu’elle soit, est encore plus restreint. Il en résulte donc que la plupart des délinquants sexuels autochtones retournent dans leur milieu sans avoir bénéficié de traitement, encore moins d’un traitement adapté à leur réalité culturelle. Certes la rareté des programmes d’intervention spéciaux pour Autochtones constitue un grave problème, mais par ailleurs, on constate que les stratégies les plus significatives visant à lutter contre la délinquance sexuelle chez les Autochtones prennent leur impulsion à l’extérieur du système judiciaire. En réalité, même un redoublement des efforts visant à neutraliser, à dissuader ou à réadapter les délinquants sexuels autochtones a peu de chances d’influer d’une manière appréciable sur le taux de victimisation. Il faut plutôt apporter un appui substantiel aux solutions communautaires, notamment aux programmes d’intervention précoce, aux programmes de prévention du crime et aux programmes de justice réparatrice. Élaborer, établir des stratégies solides, concrètes, et à long terme dans le but de contrer la délinquance sexuelle chez les Autochtones nécessitera des efforts coordonnés de la part de nombreux partenaires. Les collectivités doivent être davantage informées, mais elles doivent aussi obtenir plus de ressources afin d’être en mesure de prendre en charge ce problème. De plus, il est essentiel d’investir dans le renforcement de la famille et de la collectivité. Dans le même ordre d’idée, il doit y avoir un réel engagement d’accroître les efforts et les ressources pour l’établissement de programmes adéquats et adaptés à l’intention des délinquants sexuels et des victimes. Il y a également nécessité de poursuivre des travaux de recherche afin de cerner de façon plus précise la portée de la délinquance sexuelle et de la victimisation et de faciliter l’élaboration et l’établissement de programmes visant à apporter des solutions concrètes et efficaces. Outre ces mesures à prendre, le développement des ressources humaines autochtones est crucial pour maximiser les capacités à traiter ces problématiques et à répondre aux besoins connexes des collectivités autochtones au Canada. Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Profils de la santé mentale d’un échantillon d’Autochtones de la Colombie-Britannique survivants du régime canadien des pensionnats Dr Raymond R. Corrado, Ph.D. Dr Irwin M. Cohen, Ph.D. Corrado Research and Evaluation Associates Inc. 2003 Ce projet de recherche a pour objet d’analyser le profil de maltraitance, ainsi que les profils de santé mentale et d’état de santé général, se rapportant à un échantillon composé de 127 Autochtones survivants du régime des pensionnats ayant été soumis à une évaluation clinique. Par suite de l’analyse de leurs dossiers, voici ce que ce rapport présente : les données démographiques et le profil des problèmes des Survivants des pensionnats et ceux de leur famille avant, pendant et après leur fréquentation du pensionnat; l’expérience vécue au pensionnat par les Survivants de l’échantillon; la prévalence et la comorbidité associées au syndrome de stress post-traumatique (SSPT) et à d’autres troubles mentaux; les besoins de traitement des Survivants des pensionnats. Dans le cadre de cette recherche, tous les sujets sont des Autochtones adultes, plaideurs ayant intenté une action en justice contre le gouvernement fédéral du Canada, l’Église unie du Canada, l’Église anglicane du Canada et/ou l’Église catholique en raison des abus dont ils ont été victimes alors qu’ils étaient des élèves au pensionnat. L’échantillon est composé en majeure partie d’hommes et la moyenne d’âge est de 48,5 ans. À leur entrée au pensionnat, les sujets étaient âgés en moyenne de 8,5 ans et, de façon générale, ils provenaient d’une famille complète. À leur sortie du pensionnat à l’âge de 15 ans, seulement une infime minorité d’entre eux sont retournés dans une famille unie. La plupart des sujets n’ont pas poursuivi leurs études après leur départ du pensionnat. Par ailleurs, un quart des dossiers étudiés indiquent que les sujets ont fréquenté des institutions post-secondaires. Quant aux antécédents liés à l’emploi, les sujets étaient répartis également entre ceux ayant occupé des emplois n’exigeant pas de formation ou d’études formelles et ceux ayant eu des emplois nécessitant une scolarisation et des études plus poussées. Bien que les limitations liées aux données aient généralement empêché de faire des comparaisons soutenables ou directes à travers des périodes de temps, notamment la période antérieure à la fréquentation du pensionnat, celle du séjour même au pensionnat et celle post-pensionnat, il semble y avoir eu une augmentation très marquée de la consommation d’alcool par des sujets entre la période ayant précédé la fréquentation du pensionnat et les périodes de temps subséquentes, un phénomène qui ne peut être uniquement attribué aux différences d’âge. Plus des trois-quarts des sujets ont déclaré avoir fait une consommation excessive d’alcool pendant la période post-pensionnat. Comme il fallait s’y attendre, le nombre de dossiers de cas fournissant de l’information sur l’abus physique, sexuel et émotionnel a augmenté d’une manière accablante pendant la période où les sujets fréquentaient les pensionnats et a diminué par la suite pendant la période postpensionnat. Cent pour cent des sujets ayant déclaré avoir été victimes d’abus pendant leur séjour au pensionnat ont indiqué qu’ils avaient été agressés sexuellement et près de 90 pour cent d’entre eux ont rapporté avoir été victimes de mauvais traitements physiques. Presque la moitié des dossiers ayant donné de l’information sur les antécédents criminels des sujets rapportent des condamnations découlant principalement d’actes d’agression physique ou de voies de fait Profils de la santé mentale d’un échantillon d’Autochtones de la Colombie-Britannique survivants du régime canadien des pensionnats et d’agressions sexuelles. Alors qu’il y a de nombreuses victimes mentionnées pour un bon nombre de ces incidents de nature criminelle, la plupart des voies de fait touchent des partenaires ou des membres de la famille, tandis que 31 pour cent de ces actes de violence impliquent des agents de police et 20 pour cent des étrangers. Dans trois-quarts des dossiers, on trouve de l’information sur la santé mentale des sujets. Deux cas seulement dans l’ensemble des sujets ne présentent pas de trouble mental. Comme troubles mentaux les plus communs, on fait mention du syndrome de stress post-traumatique (SSPT), de problèmes d’abus des substances psychoactives et de dépression majeure. Selon toute probabilité, la moitié des personnes chez qui on a diagnostiqué le SSPT présentaient une comorbidité avec d’autres troubles mentaux, y compris des troubles causés par l’abus des substances psychoactives, la dépression majeure et le trouble dysthymique. Seulement un petit nombre des dossiers ont mentionné la nouvelle, mais non officielle, catégorie clinique, c’est-à-dire le syndrome associé à la maltraitance dans les pensionnats. Ce syndrome associé aux répercussions de l’expérience vécue dans les pensionnats constitue un sous-type du SSPT qui s’applique dans le cas d’un sentiment profond de peur et de colère et d’une propension à l’abus d’alcool et de drogues. L’élaboration d’un code exhaustif s’appliquant à ce projet de recherche a constitué une première étape nécessaire du développement d’une base de données quantitatives systématiques se rapportant à la santé mentale, aux problèmes de santé et aux problèmes sociaux des Survivants du régime des pensionnats au Canada. Ce code permettra également de faire des comparaisons transnationales avec des Survivants des pensionnats dans d’autres pays. De plus, cet outil contribuera à faciliter chez les cliniciens une compréhension plus complète de la réalité des Survivants des pensionnats et à les aider dans l’établissement d’interventions thérapeutiques plus spécifiques. Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison La violence familiale chez les Autochtones au Canada Four Worlds Centre for Development Learning Michael Bopp, Ph.D. Judie Bopp, Ph.D. Phil Lane, Jr. 2003 La violence familiale et la maltraitance chez les Autochtones sont des comportements témoignant d’un mal social multifactoriel et non simplement d’un phénomène inacceptable qui s’insère dans le cadre des relations interpersonnelles, des relations intrafamiliales et communautaires, de même que dans celui de la dynamique sociale et politique autochtone. Ajoutons que la violence familiale se manifeste en tant que façon d’agir d’une personne dominante ou qui maîtrise et opprime les autres par la violence, la peur et toute une diversité de stratégies d’intimidation et de coercition. Il ne s’agit pas d’un événement ponctuel, ni d’une habitude ou d’une évolution, mais c’est le plus souvent un mal enraciné dans un cycle intergénération et il est presque toujours lié au besoin de guérison du traumatisme subi. La violence familiale chez les Autochtones est tolérée, ce qui lui permet de se perpétuer et de prendre de l’ampleur parce que la dynamique communautaire lui permet de le faire. Cela constitue un abus de confiance grave entre les victimes de violence et de maltraitance et la communauté dans son ensemble. Ce syndrome collectif prend ses racines dans l’expérience historique vécue par les Autochtones qui doit être bien comprise pour redonner à la famille et à la collectivité autochtones l’intégralité, la confiance et la sécurité. Dans le cadre de la recherche, voici ce qui est présenté comme facteurs de la violence familiale et de la maltraitance dans la communauté : l’absence de remords et de prise de responsabilité de ses actes, l’attitude et les croyances désobligeantes des hommes envers les femmes, les antécédents (ou histoire transgénérationnelle) de violence familiale, le degré de bien-être personnel et collectif, les services de soutien professionnel, le leadership communautaire, la politique gouvernementale ou d’intérêt public, le maintien de l’ordre et le système judiciaire, la pauvreté et le chômage, la sensibilisation et la vigilance au niveau communautaire, l’isolement géographique et l’isolement social, le climat moral et spirituel. Ces facteurs n’existent pas ou n’influent pas isolément, mais il s’agit plutôt d’un réseau de facteurs qui se renforcent mutuellement. Qui plus est, il n’y a pas deux collectivités semblables, de sorte que ces facteurs et d’autres facteurs se combinant pour influer sur le phénomène de la violence familiale et de l’abus dans une collectivité en particulier doivent être consciencieusement et soigneusement repérés, reconnus. Des facteurs de limitation prenant leur source à l’extérieur des collectivités autochtones entravent la capacité de celles-ci de travailler efficacement et systématiquement à l’élimination de la violence familiale et de l’abus. Ce sont les politiques et les programmes gouvernementaux de l’heure, la marginalisation des Autochtones dans la société en général et les tendances sur le plan national et mondial et la culture de masse. Toutes ces influences mettent les communautés autochtones à risque d’être perturbées par toute une série de problèmes sociaux associés à la violence familiale et à la maltraitance et, par conséquent, minent les valeurs et la dynamique qui les distinguent et les ont soutenues à l’époque traditionnelle. . Les interventions ou les mesures appliquées actuellement en matière de lutte contre la violence familiale et l’abus chez les Autochtones sont analysées et revues en se penchant sur la nature et la portée de quinze programmes communautaires ou régionaux, de même qu’en tenant compte des principales leçons dégagées La violence familiale chez les Autochtones au Canada de nombreuses années d’expérience du fonctionnement de maisons d’hébergement pour femmes battues, du counselling, des renvois et de bien d’autres types de services de soutien dispensés aux femmes et aux enfants vivant une situation de violence qui sont à la recherche d’un refuge. Certains de ces programmes font également la prestation de relations publiques et d’activités d’extension (prévention, action directe, etc.) dans les collectivités locales/environnantes. Bon nombre de ces programmes centrent leurs efforts sur des services d’intervention directe, de guérison et de réadaptation à l’intention des agresseurs ou auteurs d’actes de violence et beaucoup de ces refuges facilitent des démarches de guérison et des groupes de soutien destinés aux hommes. De plus, des services liés à la lutte contre la violence familiale et l’abus sont offerts par le biais des services juridiques, des services sociaux et des organismes de santé mentale. Un cadre général d’interventions visant à diminuer et ultérieurement à éliminer la violence familiale et l’abus généralisés dans les collectivités autochtones a été proposé. Dans ce cadre ou ce plan d’ensemble, la première série de mesures consiste à établir un système adéquat d’intervention communautaire. À cet égard, une étape importante est la mise sur pied d’une équipe d’intervention communautaire formée de représentants des organisations et du leadership communautaires, de même que de bénévoles de la communauté et de spécialistes possédant une vaste expérience en counselling. Le mandat confié à l’équipe d’intervention communautaire pourrait consister à assurer la sécurité, le rétablissement et le soutien à long terme des victimes et des membres de leur famille élargie, de même que le confinement, la surveillance et l’encadrement des agresseurs au moment où ils entreprennent leur démarche de guérison et leur réadaptation. Établir un protocole en collaboration avec les services judiciaires et les services sociaux dans le but d’intervenir dans des situations de violence familiale et d’abus est une autre étape cruciale. Finalement, un autre programme axé sur la guérison et la réconciliation communautaires doit être institué afin de répondre aux besoins des victimes et des agresseurs. Une deuxième catégorie d’interventions se rattache à la démarche de guérison orientée vers le traitement des causes fondamentales de la violence familiale et de l’abus. Ces efforts consistent à briser le cycle intergénération des traumatismes en aidant la génération actuelle des parents à prendre conscience des causes profondes de leur propre souffrance et à apprendre de quelle façon rompre le cycle de l’abus, tout en aidant les enfants aux prises avec des relations où il y a de la violence à obtenir des services thérapeutiques ciblés qui leur permettent de guérir des traumatismes qu’ils ont déjà subis. Il est également essentiel de mobiliser la communauté, de la rassembler autour d’une vision commune de guérison, et de briser dans les collectivités cette dynamique du pouvoir et de la domination qui entrave les efforts. La troisième catégorie d’interventions touche à la transformation nécessaire des systèmes familial et communautaire qui favorisent et assurent la continuité de la violence et de l’abus. Cette tâche requiert d’intervenir dans deux domaines clés. Premièrement, il faut identifier et répertorier les déterminants clés et la dynamique de la violence familiale et de l’abus et acquérir une connaissance et une compréhension justes de l’influence qu’exerce chaque déterminant dans le système communautaire en question. Le second domaine visé par ces efforts est lié à l’identification des principales capacités communautaires nécessaires pour opérer le changement relatif aux déterminants de la violence familiale et de l’abus, pour renforcer ces capacités et les appliquer de façon stratégique et méthodique dans le cadre de la démarche visant à modifier la situation et à neutraliser les déterminants clés. La quatrième et dernière catégorie d’interventions a trait à l’établissement de structures de soutien et de services visant la guérison à long terme et le développement communautaires. À cet égard, des 10 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison principes généraux sont présentés pour guider les efforts qui devraient être faits dans les collectivités autochtones en vue de l’établissement d’interventions globales de lutte contre la violence familiale et l’abus qui intégreraient les composantes suivantes : le dépistage et l’intervention précoces, les maisons d’hébergement et refuges d’urgence, la protection des victimes, notamment des enfants témoins d’actes de violence, la confrontation et le confinement des agresseurs, la guérison et le soutien à long terme des victimes et des agresseurs, l’information et les relations publiques orientées vers la prévention, le soutien et l’encadrement des ménages à risque, la démarche de guérison et de réconciliation auprès des familles élargies et l’intégration de l’initiative de lutte contre la violence familiale au mouvement de guérison communautaire. Parmi les questions importantes, qui sont du ressort externe à la collectivité autochtone, mais qui nécessitent d’être traitées dans l’optique de la démarche globale de guérison en matière de violence familiale et d’abus, il y a notamment : le financement, l’application de politiques d’intérêt public (gouvernementales), l’appui pour le développement d’une société civile autochtone et le statut des Autochtones dans la société en général. 11 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Peuples autochtones, résilience et séquelles du régime des pensionnats Madeleine Dion Stout Gregory Kipling 2003 La résilience, tout comme ses applications pratiques, fait l’objet d’études et de débats depuis les années 1970. Son concept est décrit la plupart du temps comme la capacité de rebondir après l’adversité et de reprendre une vie normale malgré une détresse émotive, mentale ou physique. Certains facteurs de risque, la pauvreté ou l’alcoolisme des parents par exemple, accroissent la probabilité d’un effet préjudiciable. Le risque peut résider en la personne ou la famille ou encore dans le milieu plus vaste. La vulnérabilité à l’impact négatif augmente de façon exponentielle à chaque facteur de risque supplémentaire. Ce sont des facteurs de risque superposés ou cumulatifs. Des facteurs de protection (p. ex., une intelligence supérieure à la moyenne ou des parents nourriciers) permettent de mieux neutraliser le risque et diminuent la vulnérabilité personnelle face à des conditions défavorables. Même si les enfants qui bénéficient d’une grande diversité de facteurs de protection ont en général de bonnes perspectives d’avenir une fois adultes, il est toujours difficile d’opposer des stratégies d’adaptation positives à des traumatismes importants ou permanents. Tourner le dos au passé et mettre fin à des réactions négatives en chaîne représentent de ce fait des étapes essentielles à franchir pour briser ce cycle des stratégies désastreuses. Dans un contexte plus théorique, les initiatives de renforcement de la résilience nécessitent une recherche longitudinale pour retracer les conséquences des habiletés mentales supérieures, de la compétence émotionnelle et de la santé physique sur la vie d’une personne. Les interventions ont de meilleures chances de réussir si les facteurs de risque « clés » sont isolés, les effets cumulatifs des facteurs de risque multiples identifiés et si les risques qui apparaissent plus tard dans la vie sont repérés. La culture et la résilience se croisent et aident à modeler des traditions, des croyances et des relations humaines. Les sociétés traditionnelles autochtones ont toujours fortement encouragé le développement de la résilience des enfants et des adolescents, mais une expérience coloniale oppressive a coupé les parents autochtones de tels ancrages culturels. Néanmoins, la résurgence des croyances et des pratiques autochtones, associée à des stratégies traditionnelles de promotion de la résilience, est à l’origine d’interventions prometteuses. Des enfants d’Indiens inscrits, de Métis et d’Inuits ont vécu des expériences diverses, tant en intensité qu’en durée, dans les pensionnats. Bien que les enfants d’Indiens inscrits aient toujours représenté la majorité des pensionnaires, de nombreux enfants métis ont été acceptés afin d’augmenter le nombre d’inscriptions dans les pensionnats. Parallèlement, le nombre d’enfants inuits placés dans les pensionnats a augmenté rapidement au cours des années 1950 en raison de la mise sur pied d’un réseau d’écoles dans le Nord. Malgré la divergence de moyens appliqués pour les inscrire, les enfants d’Indiens inscrits, de Métis et d’Inuits ont tous dû combattre des facteurs de risque liés à l’expérience des pensionnats, des effets néfastes qui se sont répercutés sur leurs descendants. Dans de nombreux cas des Survivants ont souffert de conséquences à long terme, en particulier la façon de se percevoir et d’interagir en raison du risque élevé associé aux régimes disciplinaires des écoles, aux châtiments corporels et à la séparation d’avec leur famille. Par contre, des Survivants ont fait état de certains facteurs de protection, notamment le soutien 13 Peuples autochtones, résilience et séquelles du régime des pensionnats préscolaire de leurs parents et de leur famille. Rendus à l’école, de nombreux enfants ont également su tirer profit des liens positifs qu’ils ont établis avec d’autres élèves ou avec des membres de leur parenté. Ils ont également acquis des forces grâce à des compétitions sportives, à la prière, aux croyances religieuses et aux réunions prévues avec leur famille. Le détachement, la réinterprétation, l’adaptation et la résistance ont été les stratégies les plus souvent adoptées dans les pensionnats, mais certaines attitudes et certains comportements acquis dans les pensionnats se sont avérés destructeurs pour de nombreux Survivants. Il n’en reste pas moins que leur résilience est évidente si l’on en juge par les démarches qu’ils ont entreprises pour surmonter les conséquences négatives. De nombreux anciens élèves ont trouvé de l’aide auprès des Aînés, des Alcooliques anonymes et des cercles de guérison. Ils ont également choisi de partager leurs souvenirs et leur histoire avec d’autres anciens élèves, de poursuivre leurs études, de réapprendre les langues autochtones et de suivre la voie de la spiritualité. Dans le but de promouvoir la résilience et la guérison, il est proposé de mettre en oeuvre des initiatives qui offrent des possibilités de formation ou éducatives, professionnelles ou de croyance personnelle dans les endroits où le nombre de Survivants est important. 14 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Syndrome d’alcoolisation fœtale chez les peuples autochtones du Canada : Examen et analyse des répercussions intergénérationnelles liées au régime des pensionnats Caroline L. Tait 2003 Au cours des trois dernières décennies, le syndrome d’alcoolisation foetale (SAF) et, de manière plus générale, l’ensemble des troubles liés à l’alcoolisation fœtale (ETAF) sont devenus de graves sujets de préoccupation en ce qui concerne la santé des Autochtones au Canada . Deux enjeux sont au coeur de cette préoccupation : d’une part, les effets dévastateurs que les toxicomanies ont eus sur les personnes, les familles et les communautés autochtones, et d’autre part, les difficultés que doivent surmonter celles-ci lorsqu’elles sont affectées par le SAF et l’ETAF. Le facteur contributif qui revient dans ces discussions est la consommation d’alcool par les femmes enceintes, puisque le SAF ou ETAF se retrouve seulement chez les enfants qui ont été exposés à l’alcool lors de la période in utero. Toutefois, en dépit du fait que l’exposition in utero à l’alcool reste un facteur déterminant, il y a tout de même la question faisant débat de savoir si cette consommation d’alcool durant la période in utero constitue une variable suffisante pour produire le SAF ou ETAF ou si ces effets surviennent en présence d’autres facteurs, par exemple, l’état général de santé physique et mentale de la femme enceinte, sa nutrition au cours de la grossesse et d’autres facteurs socio-historiques. Cependant, le rôle significatif que jouent ces facteurs secondaires sur le nouveau-né lorsque celui-ci a été exposé à l’alcool pendant la période in utero est assez probant. Un lien peut être fait avec le cycle intergénération des séquelles découlant de l’expérience vécue dans les pensionnats (en particulier les répercussions liées aux abus physiques et sexuels subis par les enfants ayant fréquenté les pensionnats), avec l’adoption massive des enfants autochtones dans les années soixante et soixante-dix et avec l’introduction de l’alcool dans les communautés autochtones par les Européens. Tous ces facteurs ont contribué collectivement au taux élevé de SAF et autres maladies qui lui sont reliées et qui affectent les communautés autochtones. Le syndrome d’alcoolisation foetale se démarque par ses particularités comme des retards de développement physique avant et/ou après la naissance, des dysfonctionnements du système nerveux central et des malformations craniofaciales typiques. La sévérité des anomalies peut varier grandement selon les personnes et les marqueurs spécifiques de ce syndrome comme les traits du visage; ces anomalies peuvent évoluer ou se manifester d’une façon différente chez une même personne. Depuis la première description du SAF parue dans les publications médicales, de grands progrès ont été faits pour définir plus clairement les critères spécifiques qui permettent de délinéer ce syndrome. Certains aspects clés soulèvent cependant encore la controverse, y compris les limites de ce diagnostic et les repères à utiliser pour définir celles-ci. Si l’on s’en tient à la littérature médicale, on constate que les critères diagnostiques varient d’une étude à l’autre. Lorsqu’on ajoute à ceci le fait que d’autres facteurs méthodologiques — par exemple la méthode de vérification du cas et la population recevable — on doit conclure que les estimations au sujet du SAF ou ETAF démontrent de grandes variations. Les effets liés à l’alcoolisme fœtal (EAF) étaient utilisés à l’origine pour décrire des problèmes cognitifs ou comportementaux chez les enfants exposés à l’alcool in utero, sans que l’on fasse mention des caractéristiques typiques du SAF. En ce qui concerne les EAF, ceux-ci étaient en général considérés moins sévères que 15 Syndrome d’alcoolisation fœtale chez les peuples autochtones du Canada : Examen et analyse des répercussions intergénérationnelles liées au régime des pensionnats le syndrome. Certains auteurs ont cependant souligné que les EAF incluent un dysfonctionnement du système nerveux central aussi sévère que celui du SAF. D’autres suggèrent que la précision apportée par le terme EAF — qui n’a d’ailleurs jamais été très exact — a été de plus en plus érodée à cause de la difficulté à mesurer l’exposition à l’alcool, associée aux obstacles inhérents à une quantification ou à une démarcation des problèmes cognitifs et comportementaux. Dans la plupart des régions du Canada, il est difficile pour un patient de recevoir une évaluation médicale pour les SAF/ETAF à cause d’un manque d’outils diagnostiques normalisés et du fait que de nombreux médecins canadiens n’ont pas de formation pour diagnostiquer ou orienter vers un spécialiste les cas de SAF/ETAF (ensemble des troubles liés à l’alcoolisation fœtale). La présence de facteurs prêtant à confusion — tels que les phénotypes spécifiques (traits faciaux typiques, taille, périmètre crânien) chez certains groupes autochtones ressemblant à ceux de personnes affectées par le SAF/ETAF — signifie qu’il existe un potentiel d’erreurs de diagnostic ou du risque de poser un diagnostic trop hâtif du SAF/ETAF dans les communautés autochtones. Les tests psychologiques normalisés pour le diagnostic du dysfonctionnement du système nerveux central peuvent ne pas convenir aux enfants autochtones dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais, ou qui vivent dans des communautés isolées. Les caractéristiques culturelles d’une communauté, de même que la prise en considération des autres facteurs locaux (intégration communautaire ou dysfonction), doivent faire partie de l’élaboration d’outils pertinents d’évaluation. Les études épidémiologiques semblent indiquer que le taux de syndrome d’alcoolisation foetale (SAF) et l’ensemble des troubles liés à l’alcoolisation foetale (ETAF), particulièrement chez les Autochtones en Amérique du Nord, peut augmenter. Par ailleurs, d’après les résultats de recherche disponibles, cette allégation, de même que les avis établissant que SAF et ETAF sont plus courants chez les groupes autochtones que chez les groupes non autochtones, sont sujets à caution. A titre d’exemple, les chercheurs ont sélectionné certaines collectivités autochtones pour faire partie de leur enquête, compte tenu que, selon eux, SAF et ETAF constituaient un problème grave de santé publique. De plus, même s’il n’y a que quelques études épidémiologiques sur SAF et ETAF chez les Autochtones au Canada, il y a encore moins d’études de recherche portant sur la prévalence de SAF et ETAF dans les populations non autochtones. Cette lacune rend difficile, sinon impossible, de faire une comparaison soutenable des taux de prévalence chez les Autochtones et les non Autochtones au Canada. Considérant la relation entre, d’une part, la continuation de génération en génération de l’abus des substances psychoactives et la grossesse et, d’autre part, le syndrome d’alcoolisation foetale et les autres anomalies congénitales liées à l’alcool, il est clair que le régime des pensionnats a été à l’origine du facteur de risque déterminant pour l’abus des substances psychoactives. Cependant, il est aussi à la source d’autres facteurs qu’on associe à l’abus d’alcool, notamment l’abus physique, émotionnel et sexuel dans l’enfance et à l’âge adulte, des problèmes de santé mentale et le dysfonctionnement familial. On peut aussi lier les répercussions laissées par les pensionnats à d’autres facteurs de risque dans le cas d’issue de grossesse défavorable chez des femmes qui font une consommation abusive d’alcool, comme un mauvais état de santé, un manque de scolarisation et la pauvreté chronique. Dans le contexte où on considère la relation transgénérationnelle entre le régime des pensionnats et le taux de fréquence contemporain de l’abus des substances psychoactives pendant la grossesse chez les femmes autochtones, la violence faite aux enfants est un facteur important. Des travaux de recherche indiquent que la violence envers les enfants est liée à bon nombre de problèmes de santé mentale, y compris à l’abus 16 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison d’alcool à l’âge adulte. Des études ont aussi montré que la gravité et la multiplicité des épisodes d’abus augmentent le risque de développement de ces problèmes. Il y a tout lieu de penser qu’au Canada et aux États-Unis la violence à l’égard des enfants dans certaines collectivités autochtones est de manière significative supérieure aux moyennes nationales. Certains comptes rendus de recherche indiquent que les femmes autochtones peuvent éprouver des niveaux élevés de certaine symptomatologie liée à l’abus sexuel subi durant l’enfance et à l’âge adulte, notamment des symptômes somatiques, des troubles mentaux, des troubles de sommeil, des difficultés sexuelles et une consommation excessive d’alcool. Les victimes autochtones d’abus et leur famille peuvent être confrontées à bon nombre de barrières qui les empêchent de signaler cette maltraitance. Qui plus est, il arrive qu’elles ne soient que très peu soutenues si elles décident de dénoncer l’abus dont elles sont victimes. Il est fort probable que leur agresseur ne soit pas poursuivi ou, s’il est mis en accusation, que la sentence ne soit pas équitable. Des études touchant la grossesse et l’abus de substances psychoactives n’ont pas réussi à traiter en profondeur la question de la violence, même si les femmes à risque de donner naissance à un enfant affecté rapportent un taux de fréquence élevée d’abus durant l’enfance et à l’âge adulte. Certaines études rapportent que, dans certains cas, les femmes sont soumises à une violence accrue pendant leur grossesse et que cette violence peut être liée à une issue de grossesse défavorable, notamment un nouveau-né présentant une insuffisance pondérale. La violence et la négligence à l’égard des enfants en institution surviennent dans un milieu fermé où les enfants sont placés sous la responsabilité d’un groupe de personnes qui contrôlent presque chaque aspect de leur vie. Dans ce milieu, les enfants sont particulièrement vulnérables parce qu’ils se trouvent isolés du réseau familial et qu’en général, ils n’ont que peu ou pas de moyens pour signaler les actes de violence dont ils peuvent être victimes. La Commission du droit du Canada a considéré le régime des pensionnats comme celui qui a porté le plus grave préjudice à un groupe d’enfants, comparativement à toute autre institution au Canada. Le régime des pensionnats était différent des autres institutions du fait qu’il visait à saper les bases d’une culture; pour cette raison, les enfants autochtones ont enduré des souffrances différentes de celles des enfants placés dans d’autres types d’institutions. Avant de pouvoir conclure que les enfants autochtones sont plus susceptibles d’être à leur naissance affectés du SAF et de l’ETAF, d’importantes questions doivent être traitées. Il faut plus de recherche pour analyser de quelle façon les facteurs démographiques, socioéconomiques et socioculturels peuvent être liés à un accroissement du risque de SAF et ETAF chez certains groupes autochtones. De plus, des études peuvent ne pas tenir compte des facteurs environnementaux et culturels, particulièrement si des minorités sont visées, ce qui peut résulter en une surreprésentation de personnes affectées et, par conséquent, en un taux de prévalence élevé. Bien que le SAF et l’ETAF sont un problème de santé grave, les Autochtones devraient se montrer critiques à l’égard des allégations avançant qu’ils sont à risque plus élevé d’être affectés du SAF et ils devraient être prudents dans l’attribution à l’ensemble des groupes autochtones du taux de prévalence relevé dans des collectivités à risque particulièrement élevé. Dans bon nombre de cas, les études sur la consommation d’alcool et la grossesse se sont concentrées sur les femmes autochtones en tant que sous-groupe en Amérique du Nord qui court le plus de risques de donner naissance à des enfants atteints des effets liés à l’alcool. Dans le cadre d’une recension des principales études, il semble toutefois évident que bon nombre de ces études — qui avancent l’idée que l’héritage ou « patrimoine génétique » des Autochtones constitue un facteur de risque du SAF et de 17 Syndrome d’alcoolisation fœtale chez les peuples autochtones du Canada : Examen et analyse des répercussions intergénérationnelles liées au régime des pensionnats l’ETAF — ont des problèmes d’ordre méthodologique. Plus précisément, des facteurs comme la pauvreté chronique et la marginalisation sociale semblent par contre être des variables beaucoup plus importantes pour le dépistage des femmes à risque que leur identité ethnique. Les femmes autochtones se retrouvent dans un groupe à risque parce qu’elles appartiennent au groupe le plus pauvre et le plus marginalisé au Canada, non pas parce qu’elles ont une culture ou identité ou hérédité autochtone. Il est cependant vrai que les femmes autochtones, lorsqu’il s’agit de la prestation des services de prévention et d’intervention pour les SAF /ETAF présentent certains défis. Bien que la documentation soit limitée à ce sujet, les services ciblant les femmes autochtones à risque élevé qui sont dispensés par des organisations autochtones ou mettent en application une solide composante traditionnelle et font appel à des prestataires de services autochtones sont considérés plus aptes à répondre efficacement aux besoins des femmes autochtones. De plus en plus, la participation des praticiens traditionnels et des Aînés est considérée comme une composante positive et souvent nécessaire dans le cadre de programmes ayant de bonnes pratiques. De nombreuses barrières et lacunes de services empêchent les femmes autochtones de recourir aux services de traitement de l’alcoolisme et de la toxicomanie et aux soins prénataux. Ces obstacles sont extrêmement variés : liste d’attente trop longue des centres de traitement, la peur que vit une mère à la perspective qu’on lui enlève son enfant à la naissance si elle admet qu’elle a besoin d’aide pendant sa grossesse. La situation géographique d’une communauté, la gamme des services disponibles, et le niveau d’intégration des services communautaires sont des facteurs contribuant à la possibilité d’une femme d’avoir accès ou non aux services prénataux et de traitement des toxicomanies. Certaines collectivités autochtones ont commencé à intégrer des pratiques traditionnelles liées à la grossesse et au rôle parental, à des stratégies de prévention avec la participation de praticiens traditionnels comme des sage-femmes. Les personnes autochtones affectées par l’alcoolisation fœtale peuvent être à risque de multiples atteintes environnementales susceptibles d’aggraver leur trouble ou effets invalidants, comme les nombreux placements (à répétition) en famille d’accueil, la pauvreté, le dysfonctionnement familial et la séparation à long terme des membres de la famille. Des collectivités autochtones peuvent aussi ne pas avoir accès à la gamme de services nécessaires pour répondre aux besoins des enfants affectés par l’exposition intrautérine à l’alcool. Ceci peut avoir pour résultat que ces enfants sont retirés de leur collectivité, en dépit du fait que les dispensateurs de soins sont en mesure d’assurer à l’enfant un environnement stable et un milieu de vie où on s’occupe de lui avec attention et affection. Les abus de substances, en particulier l’abus d’alcool, est un phénomène très répandu parmi ceux qui ont fréquenté les pensionnats. Ces toxicomanies (dépendance à l’alcool) ont été non seulement reconnues comme un phénomène relié aux expériences vécues dans les pensionnats, mais aussi comme un facteur entraînant d’autres incidences négatives sur la santé, ainsi que des problèmes d’autre nature susceptibles d’affecter aussi bien ce groupe que les générations subséquentes d’Autochtones. Bien qu’il n’existe aucune recherche ayant examiné de manière spécifique l’incidence de l’expérience des pensionnats sur les taux actuels de SAF ou de l’ETAF chez les peuples autochtones, le régime des pensionnats a contribué au taux élevé de consommation excessive d’alcool, non seulement parmi ceux qui ont fréquenté les pensionnats, mais aussi chez un nombre significatif de parents et de membres des communautés privés de leurs enfants par le régime des pensionnats. Le régime des pensionnats a eu des répercussions chez les générations autochtones subséquentes, y compris chez les femmes en âge d’avoir des enfants. Malgré les effets négatifs des pensionnats et des 18 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison manifestations d’autres formes de colonisation, il est à souligner que tous les anciens élèves des pensionnats n’ont pas réagi de la même manière à ce qu’ils ont vécu au pensionnat. Pour une raison ou une autre, certaines personnes et communautés s’en sont mieux tirées que d’autres. Cela explique les variations en matière de consommation d’alcool chez les Autochtones. Ceci devrait donc être considéré comme un problème affectant certaines personnes et sous-populations, plutôt qu’un problème affectant tous les Autochtones. Selon cette même perspective, en ce qui concerne le SAF et l’ETAF, il serait logique que la programmation et les services cherchent à cibler certaines populations à risque, plutôt qu’à cibler tous les groupes, sans égard à leur consommation réelle d’alcool. Il n’existe que peu d’écrits donnant de l’information sur les interventions ou mesures adoptées par les collectivités autochtones à l’égard des personnes affectées. Il est important de reconnaître la diversité des cultures et de l’historique des collectivités des Premières nations, des Métis et des Inuits, et également les différences entre l’héritage culturel de leurs nations distinctes, pour mieux comprendre de quelle façon ces collectivités interviennent en fonction du SAF/malformations congénitales liées à l’alcool. Les collectivités autochtones font face à des défis différents, suivant qu’elles sont situées dans des milieux ruraux ou urbains, le niveau d’importance de l’abus de substances psychoactives dans la communauté et l’étendue des autres problématiques auxquelles elles sont confrontées, y compris les problèmes liés à l’abus de substances pendant la grossesse et le risque du SAF/ETAF. Les collectivités autochtones, avec la participation des organisations politiques et professionnelles nationales, sont mieux équipées que les ministères de l’État pour cerner les priorités à être traitées dans les collectivités. Il est nécessaire d’entreprendre des recherches concernant des tests et contre-tests de la fiabilité et de la validité des classifications diagnostiques des SAF/ETAF et des outils d’évaluation afin de déterminer jusqu’à quel point ces classes peuvent identifier (et avec quelle constance) les personnes autochtones ayant des anomalies liées à l’alcoolisation fœtale pour toute leur vie. Ces tests et contre-tests pourraient englober une réévaluation indépendante (le clinicien ne connaît pas le diagnostic précédent) des clients à des intervalles variés au cours de leur vie, afin de vérifier s’ils entrent encore dans la classe de diagnostic d’origine. L’exemple de l’abus de substances en fonction de la grossesse, et du SAF/ETAF dans une perspective plus générale, montre de quelle façon les gouvernements fédéral et provinciaux continuent à établir des priorités en santé autochtone. Même si l’abus de substances psychoactives pendant la grossesse et le SAF/ETAF représentent des préoccupations de santé pour les Autochtones, il faut adopter une approche prudente en émettant notamment des critiques à l’endroit des études scientifiques et d’orientation programmatique et renforcer l’importance d’adopter une perspective qui situe la problématique dans un cadre historique et social global. 19 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Violence contre les aînés au Canada Claudette Dumont-Smith, RN BScN, MPA 2002 C’est un fait établi qu’il y a un manque de données statistiques globales sur la violence à l’égard des personnes âgées qui est manifestement sous-déclarée dans de nombreux pays — dont le Canada. Au Canada, la forme la plus courante de violence envers la population des personnes âgées est la violence psychologique, suivie de l’exploitation financière. Les mauvais traitements à l’égard des personnes âgées peuvent prendre diverses formes, ce qui pourrait comprendre l’abandon, la violence physique, la violence psychologique, l’exploitation financière ou économique, l’abus sexuel, la négligence et la violence spirituelle. Quant aux facteurs qui pourraient expliquer les causes de cette maltraitance faite aux personnes âgées, on fait mention de la dépendance et du stress; parmi les facteurs structuraux, il y aurait l’âge, le sexe, l’ethnicité et la classe sociale. Toutefois, la question de savoir si ces facteurs peuvent être contributifs à la violence faite aux aînés est très discutée; il reste que des spécialistes s’accordent pour dire que le stress et l’attitude de la société envers le vieillissement sont des facteurs contributifs. Dans l’ensemble de la population canadienne, les aînés représentent le groupe d’âge qui augmente le plus rapidement. Depuis 1981, le nombre d’aînés a augmenté du deux tiers pour atteindre près de quatre millions. En 1996, les personnes autochtones âgées de 55 ans ou plus âgées représentaient 8,3 pour cent de la population autochtone totale, soit 799 010 personnes. L’espérance de vie chez les personnes autochtones est plus courte que chez la population canadienne en général, ce qui explique pourquoi certaines instances gouvernementales et autres organisations font entrer dans la catégorie des aînés des personnes autochtones à partir de 55 ans. Il est anticipé que le nombre de personnes autochtones âgées de 65 ans et plus triplera entre 1996 et 2016. Cette projection ne tient pas compte des personnes qui atteindront l’âge de 55-65 ans et dont le nombre augmentera aussi. Donc, les personnes autochtones deviendront dépendantes à un âge plus précoce que leurs homologues non-autochtones. Tel que mentionné précédemment, il n’existe aucune donnée statistique au sujet de l’incidence et de la prévalence de la violence à l’égard des aînés au sein de la population autochtone. Cependant, comme la violence est plus élevée dans les communautés autochtones que dans l’ensemble de la population canadienne, les aînés autochtones sont potentiellement plus susceptibles de devenir victimes de violence à cause de divers facteurs, dont un mauvais état de santé, la perte de leur rôle traditionnel et du respect qui leur était accordé au sein de leur famille immédiate et élargie et le manque de services sociaux et de santé axés spécifiquement sur les aînés. Ces facteurs sont liés au processus de colonisation et aux stratégies et politiques élaborées afin d’assujettir les peuples autochtones, de leur retirer tout pouvoir et de les assimiler. L’une de ces politiques, qui continue d’avoir des répercussions négatives sur la santé générale et le bien-être des peuples autochtones, a été celle du régime des pensionnats. Les Survivants de ces institutions et leurs familles continuent de souffrir de nombreuses pertes associées aux effets de ces pensionnats, dont des pertes au niveau culturel, spirituel, familial et au niveau des pratiques et des modes de vie traditionnels. Par conséquent, les membres de la famille, en particulier les aînés, ont perdu le respect dont ils jouissaient auparavant et ils ont été ou sont encore à risque d’être victimes de violence et de négligence. 21 Violence contre les aînés au Canada Il faudra entreprendre des recherches sur la violence faite aux aînés si l’on veut cerner avec précision l’étendue du problème et élaborer des stratégies pouvant aider les aînés autochtones qui sont victimes de violence et de négligence. 22 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Traumatisme historique et guérison autochtone Cynthia C. Wesley-Esquimaux, Ph.D. Magdalena Smolewski, Ph.D. 2004 Les peuples autochtones ont subi un traumatisme et des effets posttraumatiques persistants depuis que les Européens sont arrivés au Nouveau Monde et qu’ils ont déclenché une série de contagions dans la population indigène. Ces infections ont dévasté le continent dans sa totalité, de l’hémisphère sud à l’hémisphère nord, pendant plus de quatre cents ans, tuant jusqu’à 90 pour cent de la population indigène continentale et traumatisant les peuples autochtones sur les plans physique, spirituel, affectif et psychique en leur infligeant un deuil profond et non résolu. La présente étude propose un modèle visant à décrire la transmission intergénérationnelle d’un traumatisme historique et examine les implications de la guérison dans le contexte autochtone contemporain. En réalité, cette étude visait à élaborer un vaste cadre historique du traumatisme autochtone, à partir du premier contact en 1492 jusque dans les années 1950, en se concentrant surtout sur la période suivant immédiatement le contact. Dans le sillage des travaux réalisés par Judith Herman (1997), Trauma and Recovery: The Aftermath of Violence, from domestic abuse to political terror, un nouveau modèle est proposé en rapport avec la transmission du traumatisme et la guérison, faisant état de la présence du syndrome de stress posttraumatique complexe ou endémique au sein de la culture autochtone, syndrome qui est le résultat direct de la transmission du traumatisme historique (TTH). Un éventail de disciplines, notamment l’histoire, l’anthropologie, la psychologie, la psychiatrie, la sociologie et la science politique, sont mises à contribution afin d’éclairer le modèle de transmission du traumatisme historique et de fournir des perspectives différentes et des renseignements concernant la manière dont ce traumatisme peut être perçu comme une source valide et persistante de maladies et de réactivité aux forces historiques et sociales dans les collectivités autochtones. L’universalisation intentionnelle de l’expérience historique des peuples autochtones est proposée à titre de moyen d’explication du fondement de l’apparition d’un noyau de deuil non résolu qui a continué d’affecter des générations successives d’Autochtones. Le processus d’universalisation du traumatisme est volontairement placé en opposition directe avec la particularisation de la culture et de la souffrance sociale des Autochtones. Les fondements de cette théorie reposent sur une analyse détaillée de documents historiques sur les maladies, la violence et le dépeuplement des Amériques survenus durant les épidémies d’influenza et de variole, entre 1493 et 1520, qui ont aussi déclenché des épidémies successives au moins jusqu’au XIXe siècle. On estime que de 90 à 95 pour cent de la population indigène est morte en l’espace de deux générations après le contact de 1492. Ces épidémies sont considérées comme le point de départ des vagues cumulatives de traumatismes et de deuils non résolus dans le psychisme autochtone qui se sont enfouis profondément dans la mémoire collective de la population autochtone. À titre d’exemples de ces vagues (traumatiques) attribuées à la colonisation, on fait référence à la transition culturelle (première période), à la dépossession culturelle (période intermédiaire) et à l’oppression 23 Traumatisme historique et guérison autochtone culturelle (dernière période). Ces exemples sont fournis à titre de preuves de la nature génocidaire de ce qui a été imposé aux peuples autochtones des Amériques, des malheurs qui leur sont arrivés. Des faits d’histoire connus du génocide qu’ont subi des Australiens, des Polonais et des Tasmaniens montrent la similitude avec les caractéristiques du génocide perpétré dans les Amériques. Un éventail de modèles de guérison et d’interventions thérapeutiques des Premières nations visant la guérison des collectivités autochtones en facilitant certains aspects du savoir et des valeurs traditionnelles autochtones, tels que l’équilibre, l’interdépendance, l’intradépendance et la transcendance, est étudié. Enfin, un nouveau modèle de traitement du traumatisme historique (TTH) est proposé en vue de favoriser une meilleure compréhension de l’étiologie de la diffusion sociale et culturelle qui a perturbé les collectivités autochtones durant tant d’années. Grâce à ce modèle, le traumatisme historique est compris comme une grappe d’événements traumatisants et comme une maladie en soi. Des souvenirs collectifs refoulés de ce traumatisme, ou une amnésie collective, sont transmis de génération en génération, tout comme le sont les modes ou mécanismes sociaux et comportementaux à la source d’une mauvaise adaptation qui sont les symptômes de nombreux troubles sociaux causés par le traumatisme historique. Il n’existe pas de réaction « unique » au traumatisme historique; il est plutôt question de divers troubles sociaux assortis de leurs grappes de symptômes respectifs. Le TTH perturbe les modes de comportement sociaux et culturels et les transforme en mécanismes d’adaptation mésadaptés, lesquels se manifestent par des symptômes de troubles sociaux. Autrement dit, le traumatisme historique entraîne de profondes ruptures dans le fonctionnement social qui peuvent s’étendre sur de nombreuses années, des décennies et même des générations. Le lien qui unit les peuples autochtones à leurs terres, à leur environnement naturel et spirituel, à leurs systèmes d’action sociale et culturelle, ainsi qu’à leurs pratiques économiques, est exploré de long en large pendant l’étude. L’une des principales considérations de l’étude a trait à l’interdépendance et à l’intradépendance des peuples autochtones et à la manière dont ce lien contribue non seulement à leur capacité de maintenir les valeurs culturelles et traditionnelles malgré les pressions exercées par les tactiques coloniales et assimilationistes, mais aussi à les rendre plus susceptibles de ressentir profondément le sentiment de deuil dans leur vie quotidienne. Par conséquent, la voix des Aînés et leurs perspectives sur la mémoire collective, la tradition et la guérison autochtones sont importantes pour bien saisir les liens qui existent entre le passé et le présent, ainsi que l’importance de maintenir les traditions vivantes dans les foyers et les coeurs des Autochtones. 24 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Les guerriers-soignants : Comprendre les difficultés et la guérison des hommes des Premières nations — Un guide ressource W.J. (Bill) Mussell 2005 Les populations décimées, la réduction des territoires assignés aux Indiens pour assurer la subsistance et des changements majeurs dans la composition familiale à la maison en raison du retrait des enfants emmenés au pensionnat et de l’introduction des habitations unifamiliales sont des forces majeures sur lesquelles les peuples des Premières nations n’ont eu aucun pouvoir. Les conséquences de ces expériences, en particulier la réduction des ressources humaines et matérielles dans leur vie, ont lourdement affecté le rôle des hommes. Beaucoup d’hommes des Premières nations ont subi des violences sexuelles et physiques alors qu’ils étaient enfants, adolescents ou adultes, au sein de leur famille, dans les pensionnats ou dans leur communauté. Le fait d’être victime de violence a de nombreux effets directs et invisibles, comme la toxicomanie, la dépression, les difficultés dans les relations interpersonnelles, sur le rôle de parent et des rapports sexuels protégés, etc. Dans certains cas, les hommes perpétuent le cycle de violence en blessant d’autres personnes. Le pouvoir et la sexualité exprimés de façon violente sont dommageables pour tous; c’est pourquoi il est nécessaire d’encourager un rétablissement dynamique au moyen de programmes de traitement, de cérémonies de guérison et de centres de santé. Assez peu d’entre eux ont cherché à obtenir de l’aide pour surmonter leur traumatisme et être capable de cheminer vers leur croissance et leur développement général. La plupart de ces hommes ne se sont pas rétablis et continuent à afficher des comportements qui témoignent de difficultés personnelles non résolues. L’objectif de ce guide est de fournir aux soignants, parents, aux dirigeants, consultants, conseillers, travailleurs de l’éducation, de la santé en milieu communautaire et du développement social un guide qui permette d’atteindre un plus grand nombre d’hommes des Premières nations et de les inciter à corriger les effets de la perte et du traumatisme dans leur vie. Il vise aussi à inciter plus de garçons, d’adolescents et d’hommes mûrs des Premières nations à surmonter leur réticence à tisser des liens avec d’autres personnes des deux sexes et d’origines culturelles différentes et à découvrir les joies de la croissance personnelle, de l’affection véritable et des retombées positives obtenues par l’appui et l’aide apportés aux autres de façon efficace. Cet outil permettra de travailler plus efficacement auprès des parents et autres soignants pour préparer les garçons et les jeunes hommes à la vie, leur transmettre les aptitudes requises pour trouver leur place et se ménager un espace vital dans différentes situations sociales, pour prendre leur santé en main, pour apprendre comment apprendre et être utile aux autres. Le guide fournit aussi des références bibliographiques utiles. Les enfants et les jeunes des pensionnats indiens n’ont pas été capables d’apprendre quoi que ce soit de leur histoire familiale et communautaire ou de leur culture. Les méthodes employées en classe n’ont pas été conçues pour aider à apprendre comment apprendre. On a plutôt mis l’accent sur la mémorisation de ce que l’enseignant transmettait comme des réalités ou des certitudes. À leur retour dans leur communauté, les relations qui font grandir et les outils qui facilitent le partage d’information leur étaient généralement inconnus. Les conditions pour la transmission de la culture aux jeunes qui étaient assurées par la famille et la communauté ont été impossibles à établir dans de telles circonstances. Des contraintes semblables ont limité la transmission de la culture entre la famille et les jeunes même après la fermeture des pensionnats indiens pour la plupart des enfants indiens inscrits au pays. L’apprentissage médiatisé ne pouvait se faire 25 Les guerriers-soignants : Comprendre les difficultés et la guérison des hommes des Premières nations — Un guide ressource et continue d’être un processus souhaitable qui n’est toujours pas totalement compris par la plupart des familles des Premières nations. Les rôles et les responsabilités des hommes et des femmes adultes des Premières nations se sont modifiés sous l’effet de l’institutionnalisation intergénérationnelle. La structure familiale a été davantage fracturée par le mode d’habitation moderne, de même que les chances de construction et de reconstruction des relations entre parents et enfants perturbées à cause des pensionnats ont été réduites vu les difficultés d’isolement social et de langue. Aux effets du séjour au pensionnat, on associe la perturbation des relations familiales, en particulier le droit des parents à transmettre leur identité à la génération suivante, la trahison de la confiance inhérente à l’oppression coloniale, le refus de communiquer et la souffrance silencieuse. Les façons de faire du monde occidental, caractérisées par une forte indication de supériorité masculine et de l’usage et de l’abus de pouvoir par les hommes, et parfois les femmes, ont fait leur chemin chez les Premières nations. Il semble que la discontinuité des rôles et des responsabilités des hommes se soit maintenue pendant si longtemps que le caractère distinctif masculin est devenu flou et même oublié. Certaines familles et communautés semblent définir la masculinité en faisant valoir le côté péjoratif de la féminité. En même temps, la plupart des Premières nations vivent selon des traditions, des habitudes et des croyances qui perpétuent la supériorité et les privilèges des hommes sans les responsabilités sociales et affectives qui sous-tendent la santé et le bien-être de la famille. De nos jours, la confusion règne au sujet de la masculinité au sein des Premières nations. Cette confusion est associée à la colonisation sur une période de quatre ou cinq générations — mise de côté des réserves, établissement d’une division bureaucratique du gouvernement responsable de l’administration, de pensionnats indiens et de pratiques modernes en matière de protection de l’enfance. Plus récemment, l’exposition à des images et à des valeurs facilement accessibles dans les médias a eu une influence négative et a proposé des modèles d’identification destructeurs. L’agression est fortement représentée dans les films, certains programmes télévisés, magazines et chansons populaires. Elle est également vécue directement par les jeunes des Premières nations dans leur communauté, parfois dans leur famille et en particulier entre frères et soeurs. Lorsqu’on leur dit que l’agressivité n’est pas acceptable et mauvaise, vu l’absence de modèles d’identification positifs, ils reprennent les comportements familiers. Un sentiment clair et positif de l’identité culturelle au sein d’institutions qui permet l’autorégulation collective, de même que de solides liens d’amour et de soutien mutuel sur le plan familial et communautaire, peuvent prémunir contre le désespoir, l’autodestruction et le suicide. La langue, la terre et l’héritage sont au cœur de la culture des peuples des Premières nations et devraient, par conséquent, être ciblés dans tout travail se rapportant à la souffrance, la guérison et la prévention. Une communauté est plus susceptible de guérir et de réussir à changer si les solutions sont fondées sur sa vision du monde, des pratiques traditionnelles et de « bonnes » moeurs culturelles. Les méthodes traditionnelles de soutien et de guérison comprennent le fait de raconter son histoire, les cercles de partage destinés à favoriser l’apprentissage intentionnel, les cercles de discussion, des jeux motivés, la participation à des cérémonies et des modèles auxquels s’identifier. Dans les communautés où l’on trouve différentes visions du monde, des efforts doivent être faits pour établir ce qu’elles ont en commun et pour s’en servir comme assise. Concentrer ses efforts sur l’établissement de valeurs ou de principes communs aide souvent la communauté à avancer dans la bonne direction. 26 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Bref compte-rendu du régime des pensionnats pour les Inuits du gouvernement fédéral du Canada David King 2006 De 1955 à 1970, le ministère du Nord canadien dirigeait le réseau d’éducation du Nord du gouvernement fédéral. Avant 1947, l’éducation était offerte par les Églises par l’entremise de leurs missionnaires grâce à l’aide financière du gouvernement fédéral. Une fois le programme de construction d’écoles de jour entamé, le gouvernement a cessé de fournir des fonds aux Églises pour la construction de nouvelles écoles, mais il a continué à leur en fournir pour la gestion de celles déjà en place. Cette situation a engendré de la concurrence et des hostilités entre les Églises. En 1970, la gestion du système d’éducation est devenue la responsabilité des gouvernements des Territoires du Nord-Ouest. Les jeunes Inuits et des Premières nations qui fréquentaient ces établissements demeuraient dans de petits ou de grands foyers situés à proximité de leur école; il y avait aussi des élèves qui fréquentaient l’école à temps partiel et ceux qui allaient à l’école pendant une hospitalisation. En 1955, moins de 15 pour cent des Inuits d’âge scolaire étaient inscrits à l’école; toutefois, la fréquentation des élèves inuits a atteint 75 pour cent dans la décennie qui a suivi. La faible fréquentation scolaire et la pression du gouvernement pour combler les places libres dans les écoles fraîchement construites ont sans doute donné lieu à des menaces de suspension des allocations familiales, dont la prestation a débuté en 1944, adressées aux familles inuites qui n’envoyaient pas leurs enfants à l’école. Le faible fréquentation laissait supposer que de nombreuses familles inuites n’étaient pas favorables à ce système. Avant que le gouvernement fédéral n’établisse un réseau d’éducation dans le Nord, seulement un Inuit adulte sur quinze savait lire l’anglais, bien que la plupart savaient lire leur propre langue en écriture syllabique. Le gouvernement fédéral croyait que les Inuits qui connaissaient l’anglais trouveraient du travail à mesure que l’économie du sud se développerait vers le nord. Par conséquent, les politiques fédérales ont mis l’accent sur l’enseignement de l’anglais, ignorant ou sous-estimant souvent l’inuktitut, le limitant à l’instruction religieuse et aux activités sociales. La plupart des enseignants des écoles du Nord venaient d’universités et de collèges de l’Alberta, mais aucun programme précis n’était établi; la matière enseignée et la façon de l’enseigner étaient laissées à la discrétion de chaque enseignant. Le gouvernement ne voulait pas que des Aînés inuits enseignent le savoir traditionnel dans ce système d’éducation et il n’existait pas de cours universitaires qui pouvaient instruire les enseignants au sujet des Inuits. L’alimentation dans les écoles comprenait une combinaison de mets traditionnels et occidentaux. Toutefois, en 1961, à cause du signalement de la diminution des troupeaux de caribous et du nombre croissant d’élèves, on a interdit la nourriture traditionnelle dans les écoles. Ce n’est qu’en 1995 que des allégations d’agression sexuelle ont été portées à l’attention du gouvernement national. À l’issue de 86 enquêtes, treize accusations d’agression sexuelle contre trois prêtres catholiques et 41 accusations contre des employés civils ont été déposées. Outre les sévices sexuels, d’autres sévices ont été infligés à des élèves inuits. On a signalé des cas de négligence, de fourniture d’alcool, de nourriture et de matériel pornographique pour attirer les élèves dans la chambre d’un membre du personnel, de grossesse chez les étudiantes, de prostitution et de propagation de maladies transmises sexuellement 27 Bref compte-rendu du régime des pensionnats pour les Inuits du gouvernement fédéral du Canada entre les élèves. Le gouvernement fédéral a pris des mesures pour protéger les élèves contre l’exposition à l’alcool en limitant les contacts entre eux et la collectivité. Quant aux maladies transmises sexuellement, aux grossesses et à la prostitution, le gouvernement a mené de nombreuses enquêtes et a prétendu que les cas signalés étaient sans fondement. En 1912, le gouvernement fédéral a séparé le territoire qu’on appelle aujourd’hui le Nord du Québec des Territoires du Nord-Ouest sans le consentement des Inuits. Étant donné qu’aucun gouvernement ne voulait assumer la responsabilité de l’éducation des Inuits du Québec, celle-ci a alors été endossée par l’Église anglicane et ses écoles de missionnaires. En 1935, le gouvernement du Québec s’est désisté de sa responsabilité financière envers les Inuits, obligeant le gouvernement fédéral a en assumé la responsabilité. Le gouvernement fédéral a donc continué d’assumer la responsabilité de l’éducation des Inuits jusque dans les années 1960, époque où le Québec a commencé à s’intéresser aux ressources économiques du Nord du Québec. Les écoles ont peut-être offert un enseignement rudimentaire, mais la disparition de la culture et des liens familiaux, la perte de l’estime de soi découlant du paternalisme et des préjudices imposés par le gouvernement et le personnel, de même que les sévices sexuels et physiques infligés par une minorité d’intervenants qui ont eu une incidence négative sur la vie de nombreux anciens pensionnaires, font partie de l’héritage qu’on leur a laissé. 28 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Décolonisation et guérison : Expériences des peuples autochtones aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Australie et au Groenland Linda Archibald 2006 Les sévices sexuels et physiques dont ont été victimes plusieurs générations d’enfants autochtones du Canada envoyés dans des pensionnats indiens relevant de la responsabilité du gouvernement, mais gérés par les Églises catholique romaine, anglicane, unie, presbytérienne et par d’autres autorités ecclésiastiques de 1892 à 1969 — sans oublier le fait d’être obligés de quitter leur famille, leur communauté et leur culture — ont laissé des blessures profondes qui ont été transmises de génération en génération. Malheureusement, le Canada n’est pas le seul pays à avoir tenté d’assimiler les peuples autochtones par l’intermédiaire du système d’éducation. Même si les politiques en matière d’éducation et les critères définis pour soustraire les enfants de leur milieu variaient d’un pays à l’autre, plusieurs milliers d’enfants autochtones aux États-Unis et en Australie ont été enlevés de leur famille et placés dans des pensionnats ou dans des écoles de mission. Le colonialisme a pris différentes formes en Nouvelle-Zélande et au Groenland, mais à en juger par la situation socioéconomique désavantagée et par l’état de santé précaire des populations autochtones comparativement à ceux des citoyens non autochtones, les conséquences du colonialisme ont été tout aussi dommageables. La colonisation a été décrite comme un processus social caractérisé par cinq étapes distinctes mais étroitement liées : le déni de la culture autochtone, la destruction de tous les symboles physiques de la culture, le dénigrement du système de croyances et des cérémonies des Autochtones, la dénaturation des gestes symboliques faisant en sorte que les vestiges de la culture ont été tolérés sous forme de manifestations folkloriques, et enfin, l’exploitation de certains aspects de la culture traditionnelle, comme la musique et les arts, qui refusent de disparaître. On peut distinguer au cours de l’histoire des États-Unis, de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie et du Groenland des caractéristiques et des permutations liées à ces différentes étapes du colonialisme — même si ces étapes ne se déroulent pas toujours de manière chronologique et si elles ne sont pas toutes perceptibles dans chacun des pays. La décolonisation est un processus qui comprend la reconnaissance du traumatisme historique et l’examen des répercussions tragiques de la colonisation. La théorie du traumatisme historique maintient qu’une personne peut être traumatisée par des événements qui ont eu lieu même avant sa naissance. Il existe donc un lien entre les événements historiques, les environnements sociaux, économiques et politiques et les expériences des personnes. Par conséquent, les méthodes thérapeutiques de guérison qui intègrent l’histoire des Autochtones seront plus efficaces pour s’attaquer aux causes premières du traumatisme. Parallèlement, un grand nombre de personnes ont besoin de soutien thérapeutique pour guérir de blessures personnelles, ou pour mettre fin à une dépression, à une toxicomanie ou aux effets d’abus sexuels et physiques dont elles ont été victimes. Les Autochtones qui ont subi la colonisation ont perdu leur culture, leur langue, leurs terres, leurs ressources, leur autonomie politique, leur liberté religieuse et, souvent, leur autonomie sur le plan personnel. Ces pertes ont probablement un lien direct avec l’état de santé et la situation économique et sociale précaires des peuples autochtones. Le fait d’aborder les besoins de guérison personnels et collectifs sous cet angle aide à déterminer le processus de guérison, un processus qui réunit les efforts sociopolitiques liés à la décolonisation et le processus de guérison personnel. 29 Décolonisation et guérison : Expériences des peuples autochtones aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Australie et au Groenland Les premières recherches et les travaux théoriques en vue de traiter les effets des traumatismes intergénérationnels et historiques ont été entrepris au cours de la dernière décennie. Ces recherches ouvrent la voie à de nouvelles façons d’aborder la guérison qui sont particulièrement efficaces dans le travail avec les Survivants des pensionnats et des écoles résidentielles. Le fait d’apprendre l’histoire de la colonisation, de faire le deuil des pertes subies et de rétablir les liens avec les cultures, les valeurs et les pratiques traditionnelles sont des étapes de plus en plus reconnues comme faisant partie du processus de guérison. Les peuples autochtones des États-Unis, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande ainsi que du Canada doivent tous régler des problèmes relatifs à des traumatismes historiques, autant du point de vue théorique que de la pratique thérapeutique. Cet aspect vient corroborer une première constatation de la Fondation autochtone de guérison, à savoir que l’information sur les pensionnats autochtones ne contribue pas seulement à enrayer le déni par rapport à la situation, mais elle agit aussi comme un catalyseur en aidant les personnes à s’engager sur la voie de la guérison. Une autre constatation est que les interventions de nature culturelle jouent un rôle vital par rapport à la santé et la guérison des personnes. Parallèlement, les approches panautochtones et le partage des traditions autochtones en matière de guérison entre les différentes cultures sont des phénomènes qui prennent de plus en plus d’ampleur. Même les cérémonies, qui étaient considérées comme étant particulières à une culture ou à un lieu géographique, font l’objet d’échanges et de partage entre les peuples. Il existe cependant un risque de tenir pour acquis que des programmes de guérison qui ont du succès dans un contexte donné peuvent être appliqués avec succès à un milieu social, culturel ou politique entièrement différent. En réalité, il n’existe pas d’approche unique pouvant être appliquée à l’ensemble des nations et des communautés. D’une part, on constate qu’il y a acquisition et partage de pratiques autochtones entre les différentes cultures et, d’autre part, on s’aperçoit qu’il y a de plus en plus de réticence à considérer les Autochtones comme des peuples ayant un ensemble de traditions et de pratiques homogènes. De manière générale, il faut consacrer les efforts nécessaires pour entretenir et soutenir la diversité culturelle qui existe présentement. À l’échelle des communautés, il est évident que les interventions de guérison appropriées sur le plan culturel sont le plus efficace lorsqu’elles sont étroitement liées aux pratiques, aux langues et aux traditions locales. Par ailleurs, l’urbanisation et les effets cumulatifs des politiques d’assimilation ont contribué à éloigner les peuples autochtones de leurs terres, de leur culture et, parfois, de leurs familles. Il faut élaborer des stratégies particulières pour répondre aux besoins des peuples autochtones qui n’ont pas de liens solides avec leur culture d’origine. Plusieurs programmes de guérison intègrent, adaptent et harmonisent l’approche traditionnelle et l’approche occidentale. Les cérémonies et les pratiques médicinales et de guérison traditionnelles sont incorporées au processus thérapeutique et, en même temps, les valeurs et la vision du monde des Autochtones forment le cadre de travail des programmes. Certaines valeurs fondamentales, comme la pensée holistique, l’équilibre et le lien avec la famille et l’environnement, font partie de la vision du monde de toutes les cultures autochtones; d’autres valeurs sont clairement enracinées dans les coutumes et les traditions locales. La grande variété de combinaisons des pratiques thérapeutiques utilisées prouve qu’on respecte vraiment des valeurs comme l’adaptabilité, la souplesse et l’innovation dans le processus de guérison. Une telle démarche correspond à l’approche holistique de la guérison qu’on retrouve dans tous les systèmes de valeurs des Autochtones. Pour les peuples autochtones, le concept de l’holisme englobe non seulement les aspects mental, physique, émotionnel et spirituel d’une personne, mais il intègre aussi 30 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison les relations avec la famille, la communauté et le milieu physique. De telles approches mettent au défi celles des gouvernements qui consistent en un cloisonnement du système financier par ministères (santé, éducation, logement, etc.), mais elles sont naturelles pour les fournisseurs de service autochtones. Une approche holistique constitue aussi un défi pour les médecins occidentaux qui font la distinction entre la santé mentale et la santé physique et qui ne tiennent pas compte de la dimension spirituelle. Il faut créer des outils de dépistage et d’évaluation qui tiennent compte de l’aspect culturel et qui constituent un complément à la vision du monde des Autochtones qui est holistique et relationnelle. Les traités qui sont reconnus et respectés par le gouvernement et qui sont intégrés dans la politique du gouvernement fournissent un terrain propice à la création de programmes de guérison élaborés, mis en oeuvre et contrôlés par les peuples autochtones. La preuve est établie en Nouvelle-Zélande qui fait référence au Traité de Waitangi dans sa politique gouvernementale. D’après l’expérience de l’Australie, le fait pour les gouvernements de ne pas reconnaître officiellement et ouvertement les droits des Autochtones et de ne pas accepter la responsabilité des politiques antérieures qui visaient l’assimilation des peuples autochtones constitue un obstacle en matière de guérison, sur le plan symbolique et en ce qui a trait à l’élaboration de politiques et de programmes visant à soutenir la guérison des personnes et des communautés. Aux États-Unis, les fluctuations de la politique entre les années 1930 et 1970 ont donné lieu à des périodes au cours desquelles des attitudes plus progressistes avaient cours à l’endroit de la culture autochtone, incluant des cérémonies et des pratiques religieuses. En outre, on mettait l’accent sur les activités parascolaires dans les écoles américaines, ce qui a permis aux équipes sportives, aux arts, à la musique, au théâtre et à la danse autochtones de s’épanouir. Le Canada et l’Australie avaient conclu des ententes avec les Églises relativement à la gestion de leurs institutions, mais la plupart des écoles américaines étaient gérées par le Bureau of Indian Affairs (BIA). Bien qu’il existe certainement des cas d’abus sexuel (aux États-Unis), cette question n’est pas soulevée par les anciens élèves de manière aussi persistante et aussi intense que dans le cas du Canada et de l’Australie. Une question reste nébuleuse, qui est de déterminer si les abus sexuels étaient moins courants dans les écoles administrées par le gouvernement que dans celles administrées par les Églises, ou si cette question ne fait pas encore partie du discours des Américains. Il faut poursuivre les recherches pour clarifier cette question et pour examiner s’il y a une relation entre la participation des représentants de l’Église aux activités des écoles et les cas d’abus sexuel. La pratique occidentale qui consiste à documenter les approches thérapeutiques, à les évaluer et à publier les résultats de ces études peut constituer un complément aux pratiques traditionnelles de guérison en fournissant d’autres moyens de transmettre les connaissances. Une telle démarche est particulièrement efficace lorsque les chercheurs et les auteurs des études sont des Autochtones. En Nouvelle-Zélande, par exemple, un nombre croissant de Maoris participent aux recherches et à la rédaction d’ouvrages portant sur la guérison. Cette situation indique qu’un nombre croissant de Maoris ont des qualifications professionnelles et, de plus, que les connaissances des Maoris sur la santé et la guérison sont de plus en plus reconnues. La participation des chercheurs autochtones locaux aux travaux de recherche et d’évaluation peuvent entraîner une plus grande responsabilisation envers la communauté, par exemple en matière de protection des connaissances traditionnelles et de réglementation sur la manière et le moment de transmettre ces connaissances, et sur les destinataires éventuels de ces connaissances. Certaines compétences issues du monde occidental, si elles sont appliquées de manière appropriée sur le plan culturel, sont particulièrement efficaces si le professionnel ayant reçu une formation occidentale est un ou 31 Décolonisation et guérison : Expériences des peuples autochtones aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Australie et au Groenland une Autochtone. La principale leçon à retenir sur les pratiques prometteuses en matière de guérison est qu’il est très important et très efficace d’intégrer des notions historiques et culturelles aux programmes holistiques fondés sur les valeurs et la vision du monde des peuples autochtones. 32 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Retisser nos liens : Comprendre les traumatismes vécus dans les pensionnats indiens par les Autochtones Deborah Chansonneuve 2005 Le présent manuel a été conçu comme outil d’apprentissage et de référence à l’intention de groupes et d’organismes qui offrent des services aux Autochtones. Il met l’accent sur le rétablissement après un traumatisme adressé aux Survivants de sévices subis dans un pensionnat ainsi qu’à leurs descendants touchés par les répercussions intergénérationnelles. Il sert à deux fins. Premièrement, il offre aux travailleurs de première ligne une approche fondée sur la culture pour la guérison d’un traumatisme spécifiquement rattaché au contexte des mauvais traitements subis dans des pensionnats. Deuxièmement, il s’agit d’un outil pédagogique visant à sensibiliser la population canadienne à la culture et à l’histoire des Autochtones. On estime que la population des Amériques avant le contact continu avec les Européens en l’an 1500 atteignait 112,5 millions de personnes qui parlaient environ 2200 langues selon toute vraisemblance. Dans ce qu’on appelle maintenant le Canada, la population aurait été de 500 000 à plus de 2 millions de personnes; l’agriculture, la poterie, ainsi que des systèmes sociaux et économiques complexes, existaient. Cette population comptait des centaines de nations, de tribus, de langues et de dialectes différents dans six principales régions culturelles : les Premières nations des régions boisées de l’est, les Premières nations iroquoises au sud-est de l’Ontario et au Québec, les Premières nations des Prairies, du Plateau, de la côte du Pacifique et des bassins des fleuves Mackenzie et Yukon. L’économie reposait principalement sur la pêche, la chasse et l’agriculture et les échanges commerciaux entre les nombreuses tribus autochtones, incluant les Inuits. Les premiers Européens venus en Amérique ont fait le commerce avec les nombreuses tribus et ont même adopté des pratiques agricoles et dans la préparation des médicaments. Quoique le « métissage » remonte au premier contact avec les Européens, ce n’est qu’au début du dix-huitième siècle qu’une identité métisse distincte a fait son apparition, au moment où le commerce de la fourrure a été bien établi. La notion européenne de la discipline des enfants n’existait pratiquement pas dans les cultures autochtones. Les enfants apprenaient les comportements appropriés en suivant l’exemple des adultes ou en faisant l’expérience des conséquences de leur mauvaise conduite. Le refus ferme des parents d’appliquer l’adage qui aime bien châtie bien est devenu plus tard une excuse utilisée par l’Église pour enlever des enfants à leur famille et à leur communauté afin de les civiliser. Des pensionnats ont été établis dans toutes les provinces et tous les territoires, à l’exception de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick, afin d’assimiler les enfants « indiens » à la société canadienne. Pendant plus d’un siècle, le retrait des enfants autochtones de leur famille et leur enfermement dans des pensionnats ont eu lieu sous l’autorité d’agents des sauvages et ont été exécutés par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Les parents, les familles ou les communautés n’avaient aucun recours contre cette procédure. Dans les pensionnats et les externats, les enfants inuits, métis et des Premières nations étudiaient dans une langue étrangère et étaient punis s’ils parlaient leur langue et pratiquaient leurs coutumes. Ils devaient manger des mets étrangers, porter des vêtements auxquels ils n’étaient pas habitués et rendre de nouvelles formes de culte dans des lieux qui étaient, au mieux, froids, impersonnels et sans confort, et, au pire, implacablement cruels et inhumains. 33 Retisser nos liens : Comprendre les traumatismes vécus dans les pensionnats indiens par les Autochtones Bon nombre de générations d’enfants inuits, métis et de Premières nations ont passé la plus grande partie de leur enfance dans des pensionnats. Les sévices et la négligence qu’ils y ont subis ont marqué leur vie adulte, ainsi que celle de leurs descendants, dont les familles continuent à souffrir de ce même type de maltraitance. À l’âge adulte, de nombreux Survivants des pensionnats se sont encore trouvés à lutter seuls contre leur douleur, leur colère et leur peine découlant d’un traumatisme non résolu. Ceux qui ont essayé de s’en sortir en se mariant ou en trouvant un(e) partenaire se sont souvent sentis dépassés par les obligations complexes de la vie intime, de leur vie parentale et familiale, n’ayant acquis aucune compétence et n’ayant aucune préparation pour y faire face. Certains ont également été de nouveau victimes de violence familiale, ou sont eux-mêmes devenus agresseurs de leur partenaire, leurs enfants ou leurs parents. Les Autochtones sont surreprésentés dans tous les groupes à risque associés à des problèmes sociaux et économiques pouvant être évités, comme l’itinérance, la pauvreté, la toxicomanie, la violence, les maladies chroniques et des maladies comme la tuberculose, le VIH/SIDA et le diabète. Pourtant, les fournisseurs de programmes de prévention et d’intervention n’ont pas réussi à attirer les Autochtones vers leurs services. Une raison qui explique ce fait est le lot d’attitudes paternalistes et préjudiciables qui persiste à l’endroit des Autochtones dans la société dominante. Le maintien de ces attitudes est directement lié au manque de connaissances au sujet de la culture et de l’histoire des Autochtones et il fait ressortir le besoin urgent de formation fondée sur la culture et de ressources pédagogiques. C’est pourquoi les services sont devenus fortement fragmentés et ultra spécialisés. Des services qui manquent de coordination laissent de nombreux clients autochtones de nouveau traumatisés par la grande quantité de renseignements qu’ils doivent fournir pour de nombreuses procédures d’admission et d’évaluation, sans trouver le respect, la compassion et le soutien pratique dont ils ont besoin si instamment. Bien que la gamme de services offerts par et pour les Autochtones s’élargisse, ceux-ci manquent souvent de ressources nécessaires pour répondre pleinement à la hauteur des besoins identifiés. Le système éducatif canadien ne tient pas compte de l’apport important des Autochtones à la société bien reconnu aujourd’hui; c’est cette conception et compréhension communes de la vie, des forces, des coutumes et des croyances des Autochtones avant le contact avec les Européens qui est l’élément crucial pour saisir pleinement la portée des répercussions des stratégies d’assimilation comme celle des pensionnats. Une plus grande connaissance de l’histoire préeuropéenne pourrait peut-être empêcher que les Autochtones soient définis uniquement en termes de victimes des colonisateurs, ce qui constitue uniquement une petite partie du passé historique des premiers habitants de ce territoire. Ce sont les politiques du gouvernement canadien qui ont d’abord mené à l’établissement des pensionnats et ensuite à la politique désignée scoop des années 1960 au cours desquelles des milliers d’enfants inuits, métis et de premières nations ont été forcés d’aller en foyers nourriciers ou placés en adoption. C’est à tous ces rouages administratifs et politiques qu’on attribue la responsabilité des sévices infligés aux enfants et leur famille — des sévices qui, dans bien des cas, étaient bien plus graves que les conditions de vie initiales dont les enfants devaient être protégés selon les autorités. Le traumatisme peut être un événement unique ou une série d’expériences continues qui se produit au cours de la vie d’une personne, de même qu’il peut se reproduire au fil des générations. La connaissance des théories contemporaines sur le syndrome de stress post-traumatique dans le contexte de l’ethnogénocide et du traumatisme historique peut aider à trouver un thème commun aux efforts de traitement des Survivants autochtones pour leur traumatisme attribuable aux sévices subis dans les pensionnats. La vision autochtone du maintien de la santé et de l’équilibre des personnes et des organisations pendant la 34 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison démarche de guérison d’un traumatisme est très appropriée. Le travail avec les victimes de traumatismes a une influence profonde sur la santé physique, émotionnelle, mentale et spirituelle des travailleurs et des aidants de première ligne. Comme les travailleurs autochtones de première ligne sont souvent touchés personnellement par le traumatisme associé à des sévices subis dans un pensionnat et leurs répercussions intergénérationnelles, l’autogestion des soins est essentielle à la prestation de services efficaces. Trois secteurs requièrent une attention particulière aux répercussions de ce travail; il s’agit du contre-transfert, de l’épuisement professionnel et du traumatisme vicariant ou indirect. Les conseillers et les travailleurs de première ligne autochtones doivent avoir des notions de ces répercussions afin qu’ils puissent intégrer à leur travail des stratégies efficaces d’auto-soins. Bien que la colonisation ait interrompu la transmission des pratiques et des enseignements traditionnels, les Autochtones du monde entier font maintenant des pas de géant en vue de les rétablir et de les faire revivre. Les conseillers et les thérapeutes non autochtones doivent être disposés à chercher les conseils d’Aînés autochtones et d’anciens respectés, et à adresser les clients autochtones à des services adaptés à leur culture. 35 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Rapport final – Fondation autochtone de guérison Marlene Brant Castellano (Volume I : Un cheminement de guérison : Le rétablissement du mieux-être) Kishk Anaquot Health Research (Volume II: Mesurer les progrès : Évaluation des programmes) Linda Archibald (Volume III: Pratiques de guérison prometteuses dans les collectivités autochtones) 2006 Entre les décennies 1800 et 1900, plus de 130 écoles industrielles, pensionnats et foyers scolaires dans le Nord financés par le gouvernement mais administrés par les Églises, ayant pour clientèle les enfants autochtones, ont fonctionné au Canada. Un grand nombre de ces enfants de premières nations, métis et inuits qui ont fréquenté ces établissements ont été victimes de mauvais traitements physiques, d’abus sexuels et d’autres actes de violence. Ils ont vécu de nombreuses pertes, dont celle de leur enfance, du soutien de leur famille et de leur communauté, la perte de leur langue et de leur culture. Ces effets néfastes qu’ont laissés les pensionnats ont été ressentis dans chaque segment des sociétés autochtones. Les collectivités ont été durement affectées par la désintégration sociale, économique et politique. Les fondements mêmes des langues ancestrales ont été sapés et l’existence de celles-ci est encore menacée. Les familles ont été séparées; la vie de nombreux anciens élèves des pensionnats a été détruite. Beaucoup d’entre eux en raison de leur séjour au pensionnat ont été privés de la possibilité d’acquérir des compétences parentales et ont ainsi perdu la capacité de transmettre ces compétences liées à l’exercice du rôle de parent dans la famille et la société à leurs propres enfants. De plus, ils ont souffert de la destruction de leur identité autochtone, d’avoir été privés de liberté personnelle et d’intimité; ils n’ont pas non plus échappé aux souffrances causées par les souvenirs des abus, les séquelles des traumatismes qu’ils ont subis, de même que celles de la pauvreté et la négligence. En 1996, le rapport final de la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA) a insisté sur la priorité à accorder au traitement des séquelles laissées par les pensionnats. Le 7 janvier 1998, la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien d’alors, l’honorable Jane Stewart, a fait une Déclaration de réconciliation et a dévoilé la réponse du gouvernement au rapport de la CRPA intitulée Rassembler nos forces – le plan d’action du Canada pour les questions autochtones. Cette réponse confirmait l’octroi d’une subvention unique de 350 millions de dollars visant le traitement des séquelles laissées par les abus physiques et sexuels commis dans les pensionnats. Pour donner suite à ces décisions, la Fondation autochtone de guérison (FADG) a été établie le 31 mars 1998. À titre d’organisation autochtone, administrée par des Autochtones, cette corporation sans but lucratif a reçu un mandat de 11 ans, consistant à gérer le fonds de guérison de 350 millions de dollars et à appuyer les initiatives de guérison communautaires. Ces initiatives doivent s’attaquer aux répercussions des abus physiques et sexuels subis sous le régime des pensionnats indiens du Canada, y compris les répercussions intergénérationnelles, et préconiser la réconciliation entre les Autochtones et les Canadiens. Un autre engagement de 40 millions a été en 2005 prévu au budget pour permettre à la FADG d’appuyer les projets de guérison pour un autre deux ans et poursuivre leurs efforts de sensibilisation du public aux questions touchant la démarche de guérison. Les projets de guérison financés par la FADG proviennent de groupes et de personnes de premières nations, métis et inuits qui résident dans des réserves et à l’extérieur des réserves, dans des collectivités rurales ou éloignées et urbaines. Les types d’activités facilités par ces projets financés par la FADG sont 37 Rapport final – Fondation autochtone de guérison divers, ont un long rayon d’action et comprennent entre autres des services de guérison, des services communautaires, du développement de compétences sociales (dynamiques de la vie), de la prévention et de la sensibilisation, de même que des activités traditionnelles, de la formation et des rencontres de Survivants. Au fil de ses efforts de recherche et d’évaluation des incidences de ses projets dans les communautés, la FADG a recensé environ 86 000 Survivants encore vivants, dont 80 pour cent sont des personnes de premières nations, 9 pour cent des Métis, 5 pour cent des Inuits et 6 pour cent des personnes de premières nations non inscrites. Il s’agit là d’estimations faites par extrapolation, notamment grâce à des relevés indiquant que 204 564 ont participé aux projets financés par la FADG et 49 095 aux projets de formation (aussi financés par la FADG), dont 33 pour cent seulement ayant pris part auparavant à des activités de guérison. Du nombre total de participants, il ressort que 37 pour cent de ces personnes ont des besoins spéciaux, dont un traumatisme grave incluant un problème d’alcoolisme, un comportement suicidaire et ainsi de suite. L’évaluation a permis de déduire qu’il fallait un minimum de 36 mois pour passer à travers les processus d’identification des besoins, de diffusion de l’information ou sensibilisation permettant de joindre les gens, du démarrage de la guérison thérapeutique; on se doit de relever qu’il y a moins du tiers de l’ensemble des projets ayant bénéficié du financement de la FADG qui ont pris 36 mois ou une période plus longue. En examinant le nombre estimé de participants, il est ressorti que 56 pour cent des projets financés par la FADG n’ont pas été en mesure de répondre aux besoins de guérison et 36 pour cent ont tenu une liste d’attente. En conclusion, on a évalué qu’il faudrait une somme de 140 855 595 millions de dollars pour satisfaire aux besoins identifiés des projets, y compris les frais connexes. Au macro-niveau, les répercussions intergénérationnelles ont fragilisé et compromis l’existence même des langues, cultures, spiritualité, traditions et systèmes de croyance autochtones; la perte de la famille et des membres de la communauté à cause de la guerre et de la maladie; la perte de l’autonomie politique, des terres et des ressources; la perte des enfants subie à cause des pensionnats, de même que leur maltraitance généralisée, violence physique et sexuelle, dont ils ont été victimes dans ces pensionnats, sont toutes considérées comme des causes profondes à l’origine de l’état lamentable de la santé physique, économique et sociale des Autochtones. La guérison est un processus à long terme et elle s’opère par étapes. L’incidence des activités financées par la FADG dans les communautés, notamment les activités de sensibilisation et d’augmentation de la compréhension des séquelles des pensionnats, du renforcement de la capacité des équipes et de l’accroissement du nombre de participants engagés dans la guérison, a permis de constater que 20 pour cent des communautés viennent à peine de commencer leur démarche de guérison, qu’environ 66 pour cent d’entre elles ont atteint quelques-uns de leurs objectifs et 14 pour cent ont réussi à réaliser plusieurs de leurs objectifs; il reste tout de même beaucoup de travail à faire. Parmi les conditions ayant influé tant sur les besoins de guérison que sur les retombées positives découlant des efforts accomplis, on a relevé l’apport du vécu de la personne, de ses forces, de ses ressources, de sa motivation et de ses relations au sein de la famille; les conditions sociales, politiques et économiques au niveau de la communauté; la culture, les traditions, la langue, l’histoire, les ressources et la gouvernance de la communauté; l’importance de l’appui des dirigeants à la guérison; et la capacité dont dispose la communauté, à ses possibilités d’accéder à des guérisseurs et des thérapeutes qualifiés. Cinquante-sept pour cent des participants ont dit à la FADG qu’ils avaient modifié leurs objectifs au fil de leur participation aux activités financées par la FADG. Comme changements effectués, les quatre les plus souvent mentionnés sont le fait d’avoir amélioré leur prise de conscience, leurs relations interpersonnelles, 38 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison leurs connaissances et la revalorisation de leur culture (autochtone). La majorité d’entre eux se sont sentis mieux et avaient une autoperception plus positive en raison de leurs forces retrouvées, d’un renforcement de l’estime de soi et de leur capacité à faire face à leur traumatisme, à prendre des mesures. D’après les études, il faudrait en moyenne 10 ans à une communauté pour multiplier les contacts et faire connaître leur projet, pour mettre un terme au déni, assurer la sécurité et faire participer leurs membres à la guérison thérapeutique. L’évolution de la démarche de guérison et sa durée varient suivant le degré de sensibilisation de la communauté, la réceptivité des personnes à s’engager dans la démarche, la disponibilité d’une infrastructure organisationnelle et l’accessibilité d’un personnel qualifié. Grâce aux réponses obtenues à l’aide des questionnaires (sondages ou enquêtes), il y a eu indication que l’atteinte des objectifs de guérison a été le mieux facilitée au moyen de services dispensés par des praticiens autochtones et une participation prolongée à des séances de counselling et à des activités thérapeutiques. Les projets financés par la FADG ont exercé et exercent un rôle pivot en constituant des partenariats avec des organismes de services et des organismes communautaires, en identifiant et en comblant des lacunes dans la prestation de services et en faisant participer des Survivants et d’autres personnes touchées par les répercussions intergénérationnelles des séquelles des pensionnats. L’histoire du traumatisme et de désagrégation dont les effets ont été ressentis de génération en génération dans de nombreuses dimensions de la vie des Autochtones a déterminé les besoins de guérison. Les pratiques de guérison prometteuses reconnaissent ce contexte historique et commun des besoins et établissent des approches qui intègrent trois éléments essentiels : la vision du monde et les valeurs des Autochtones, l’assurance de la sécurité personnelle et culturelle et la capacité que les personnes et les communautés autochtones ont de prendre en charge leurs efforts de guérison. Comme méthodes clés ressorties des pratiques de guérison prometteuses, on fait mention de la reconquête de leur histoire, les interventions culturelles et la guérison thérapeutique qui s’inspire de la fusion innovatrice des méthodes de guérison traditionnelles et des thérapies de type occidental. Les personnes cheminent vers la guérison soutenues par leurs forces individuelles ou freinées par leur vulnérabilité. Le milieu communautaire exerce un rôle d’influence en facilitant ou en entravant la progression de la démarche. Les guérisseurs, les aidants et les conseillers autochtones ont toujours préconisé la guérison holistique, mais l’intensité et l’ampleur des besoins de guérison découlant du traumatisme historique et de la maltraitance subie dans les pensionnats ont submergé les réseaux d’aide ou d’entraide informels. Par ailleurs, les programmes offerts par les organismes externes sont fragmentés et la plupart ont souvent des mandats restreints qui contrecarrent les efforts de mise en application de la guérison holistique. L’exemple le plus frappant de cet obstacle est l’exclusion des activités culturelles dans les critères d’obtention de financement pour des programmes de santé et de guérison, à part quelques exceptions. La recherche sur les pratiques de guérison prometteuses étaye par des éléments probants que les activités culturelles sont valables et justifiées, qu’elles sont des interventions de guérison fructueuses. Il y a des données probantes appuyant et démontrant largement le bien-fondé du financement d’initiatives fondées sur la culture et dirigées par la communauté qui sont axées sur la guérison du traumatisme individuel et collectif découlant des séquelles des pensionnats. À des degrés divers, ce traumatisme historique paralyse toute capacité et sape la résilience des personnes, des familles, des collectivités et des nations autochtones. L’expérience vécue dans les pensionnats est une composante majeure de cet héritage, mais elle n’est pas la seule; il y a eu de nombreuses attaques successives contre la continuité culturelle et contre l’identité des personnes qui ont suscité le besoin de guérison. De nombreux témoignages 39 Rapport final – Fondation autochtone de guérison ont amplement démontré que la démarche de guérison facilitée par des Autochtones, comprenant des Survivants des pensionnats, a plus de retombées positives en redonnant un sens à la vie, à réinstaurant des relations, des réseaux d’appui, l’esprit d’initiative, dans la vie des gens perturbée par la violence et les abus. Étant donné les risques associés à des changements opérées sur le plan personnel, il devient essentiel d’assurer un appui continu à la démarche de guérison, de sorte que les personnes engagées ont accès à des thérapeutes qualifiés et sensibles pouvant servir de modèle et de guide dans le développement d’une personnalité saine. 40 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Histoire et expérience des Métis et les pensionnats au Canada Larry N. Chartrand Tricia E. Logan Judy D. Daniels 2006 Jusqu’à ce que l’Église catholique commence à instruire les enfants métis de la région de la rivière Rouge au début des années 1800, l’éducation des Métis ne fut pas systématique. Avant cette époque, l’éducation institutionnelle était rare et, pour qu’ils puissent en bénéficier, les enfants étaient envoyés au Canada ou en Europe par leurs pères européens. C’est l’Église catholique qui contrôlait en grande partie l’éducation et, se fondant sur les valeurs et les croyances européennes, elle décidait du programme d’études. Ce n’est que dans les années 1960 que les communautés métisses ont commencé à demander que leurs programmes d’études soient plus pertinents et mieux adaptés à la culture et au style de vie métis ainsi qu’à leurs aspirations futures. Il existe plusieurs témoignages selon lesquels un très grand nombre de Métis auraient fréquenté les pensionnats. Les statistiques disponibles révèlent qu’au moins 9 pour cent des enfants qui fréquentaient les pensionnats s’identifiaient comme Métis. Dans la première période de la colonie, il arrivait souvent que les autorités religieuses acceptent les Métis dans les pensionnats pour diverses raisons et que les autorités gouvernementales ne soulèvent que peu d’objections. Aussi longtemps qu’on les considérait comme des Indiens d’un point de vue culturel, il était logique que les Métis fréquentent les pensionnats pour qu’ils puissent être assimilés à la société. Les élèves et le personnel considéraient les Métis comme des étrangers. Ils étaient vus et traités comme un groupe à part. Il n’y avait pas de politique uniforme sur la fréquentation des Métis, ce qui fait que la façon dont ils étaient traités dans les pensionnats n’était pas uniforme non plus. Les perceptions des caractéristiques raciales, la pauvreté, la religion, le rang social et les attributs culturels pouvaient tous avoir une influence sur la qualité de l’éducation qui était offerte à un élève métis. L’enfant métis était jugé en fonction de la couleur de sa peau, de sa communauté, de ses liens de parenté et de son état de santé à son arrivée au pensionnat. Selon la situation, le personnel et les administrateurs pouvaient considérer qu’un enfant métis était supérieur ou inférieur à un enfant indien. Cependant, au fur et à mesure que le gouvernement fédéral a commencé à appliquer sa politique officielle relative aux droits des Métis, on s’est montré de moins en moins tolérant à l’égard de la présence des Métis dans les pensionnats. Puisque les droits des Métis avaient été abolis et que ces derniers n’étaient pas considérés légalement comme Indiens, le gouvernement fédéral, qui finançait les pensionnats, n’en assumait plus la responsabilité. Les Métis n’eurent plus le droit de fréquenter les pensionnats. Bien entendu, il y eut des exceptions, même après l’entrée en vigueur de la politique gouvernementale sur l’admission des Métis dans les pensionnats. Certains organismes confessionnels, qui ne recevaient pas de fonds du gouvernement fédéral, établirent des écoles pour les Métis, telle que l’école Saint-Paul en Saskatchewan. De plus, d’autres organismes confessionnels acceptèrent des Métis dans les pensionnats indiens lorsqu’il y avait des places disponibles ou qu’ils avaient décidé d’ignorer la politique gouvernementale officielle. Néanmoins, dans les années 1930, la plupart des Métis ont été exclus du système d’éducation institutionnel en raison de 41 Histoire et expérience des Métis et les pensionnats au Canada cette politique gouvernementale officielle. Jusqu’à ce que l’éducation institutionnelle devienne courante et gratuite pour tous les citoyens, sans aucune forme de discrimination, il arriva fréquemment que les Métis ne soient pas acceptés dans les écoles provinciales pour des raisons sociales, économiques et racistes. Les répercussions des pensionnats sur les enfants métis qui les ont fréquentés furent semblables aux répercussions qu’ont eues ces écoles sur les enfants indiens. Dans certains cas, les Métis qui fréquentaient les pensionnats pouvaient être traités d’élèves de « catégorie inférieure » puisque les Églises ne recevaient pas pour ces élèves de soutien financier. Dans bien des cas, les témoignages des Métis révèlent qu’ils n’étaient pas mieux ni moins bien traités que leurs camarades de classe des Premières nations, mais permettent de conclure que leur expérience a été unique. Les pensionnats fréquentés par des Métis présentaient des caractéristiques particulières en ce qui concerne l’admission, la libération, le traitement des élèves et l’emplacement. Bien sûr, toutes ces expériences et ces témoignages personnels ne sont pas des histoires qui ont pris fin au moment de la fermeture des pensionnats. En effet, les générations actuelles de Métis subissent encore aujourd’hui les répercussions intergénérationnelles de ces pensionnats. Soulignons le courage de la génération de Survivants métis qui ont décidé de prendre la parole et de raconter leurs expériences. Chaque compte rendu ouvre des portes sur des aspects inconnus de cette histoire collective et permet d’explorer différentes caractéristiques de la nation métisse et de la façon dont elle a composé avec l’héritage des pensionnats. En prenant la place unique qui leur revient dans ce triste héritage des pensionnats, ces personnes rendent service aux prochaines générations de Métis qui voudront savoir ce qui s’est passé. 42 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Comportements de dépendance chez les Autochtones au Canada Deborah Chansonneuve 2007 Les comportements de dépendance sont une façon de faire face à la souffrance psychologique ou de la maîtriser. La fréquentation des pensionnats a gravement et brutalement porté atteinte aux liens d’attachement que des générations d’enfants autochtones avaient à l’égard de leur famille et de leur communauté, ceux-ci se retrouvant dans des institutions d’indifférence et de froideur parmi des étrangers. De ce nombre d’enfants, ceux qui ont manifesté leur crainte et leur anxiété à cause de cette séparation ont été au mieux punis et, au pire, complètement ignorés. Les effets psychologiques et sociaux de l’enlèvement par la force des enfants autochtones de leur famille se sont transmis de génération en génération. Des Survivants et leurs descendants rapportent la difficulté qu’ils éprouvent à former des liens d’attachement fondés sur la confiance avec d’autres personnes, ce qui a énormément contribué à l’ampleur des comportements de dépendance dans les collectivités autochtones. Bien des Survivants victimes d’abus dans les pensionnats ont été pris au piège des dépendances à l’alcool et aux drogues ou de comportements compulsifs comme ceux liés à l’alimentation, à la sexualité, aux jeux d’argent, afin de neutraliser leurs souvenirs douloureux ou de retrouver des sentiments de pouvoir et de contrôle et de mieux vivre avec leur traumatisme. Deux de ces mécanismes d’adaptation associés aux comportements de dépendance sont la dissociation et la ré-activation. Dans l’histoire du Canada, aucun autre groupement de population n’a subi une attaque contre les droits de la personne aussi délibérée, aussi générale et prolongée, que celle dont les Autochtones ont fait l’objet. Pourtant, malgré la reconnaissance croissante des préjudices causés dans le passé, bien des Canadiens ignorent encore toute la portée de ces injustices ou des répercussions profondes qu’elles ont entraînées. Les origines de l’abus de l’alcool peuvent être décelées dans les débuts de l’histoire canadienne, dès le dix-septième siècle, au moment où les commerçants de fourrures européens ont introduit l’alcool. Avant cette importation, les Autochtones ne connaissaient pour ainsi dire pas l’ivresse, ni les actes de violence. Parallèlement à l’introduction de l’alcool, les nouvelles pratiques commerciales ont eu des conséquences très graves sur le régime alimentaire traditionnel; peu à peu, les aliments naturels, sains, obtenus rapidement grâce à la chasse, à la cueillette et à l’agriculture, ont été remplacés par des aliments préparés d’avance. Le gouvernement du Canada, par le biais de ses politiques comme la Loi pourvoyant la civilisation graduelle des Indiens (1869), la Loi sur les Indiens (1867) et l’établissement des pensionnats a cherché délibérément à anéantir toutes traces de la culture autochtone, notamment les langues, les croyances, les coutumes et les traditions spirituelles. Les actes posés dans le cadre de ces politiques continuent d’avoir des conséquences profondes sur tous les membres des Premières nations, les Inuit et les Métis. La consommation excessive d’alcool et des drogues illicites est considérée comme le problème le plus fréquent ou constant dans les collectivités autochtones. Chez les Autochtones, les décès dus à la consommation d’alcool sont deux fois supérieurs à ceux de la population générale et le nombre de décès causé par les drogues illicites est approximativement trois fois plus élevé. De plus, on mentionne qu’un jeune autochtone sur cinq fait usage des solvants; de ce nombre, 1 jeune sur 3 était âgé de moins de 43 Comportements de dépendance chez les Autochtones au Canada 15 ans et plus de la moitié parmi eux avait commencé l’inhalation de solvants avant l’âge de 11 ans. La dépendance principale ou le problème le plus important en matière d’abus des substances psychoactives dans le cas des clients des centres de traitement du PNLAADA est l’alcool. D’autres drogues comme les stupéfiants et les hallucinogènes sont aussi relevées. Les Inuits identifient l’abus de l’alcool et des drogues, la violence familiale et la maltraitance, de même que le comportement suicidaire, comme les problèmes de santé mentale dont la prévalence est la plus élevée. Les accidents et les empoisonnements sont les principales causes de décès chez les enfants jusqu’à l’âge adulte (représentant 40 pour cent des décès chez les garçons). Le suicide et l’auto-mutilation représentaient 38 pour cent des décès chez les jeunes et 23 pour cent chez les adultes âgés de 20 à 44 ans. D’autres études révèlent que le taux de fréquence d’accidents et d’empoisonnements chez les Premières nations est quatre fois plus élevé que celui de la population en général; elles laissent supposer que ces taux élevés d’hospitalisation et de décès attribuables aux accidents, aux empoisonnements et au suicide sont tous directement liés à la consommation excessive d’alcool et d’autres drogues psychoactives. Quant aux jeunes autochtones, ils sont de deux à six fois plus susceptibles d’être aux prises avec chaque type de problèmes liés à l’alcool que leurs camarades non autochtones. De plus, ils commenceront à prendre des substances psychoactives (tabac, solvants, alcool et cannabis) à un âge beaucoup plus précoce que les jeunes non autochtones. La prévalence de consommation de médicaments à des fins non médicales (des surdoses) représente 48 pour cent des cas d’Autochtones ayant recours à des services de traitement de dépendances; de ce nombre, 74 pour cent consomment des benzodiazépines et plus de 60 pour cent sont des consommateurs de polymédication d’ordonnance. Le taux de tabagisme parmi les personnes de première nation est de 62 pour cent, presque trois fois supérieur au taux national qui est d’environ 23 pour cent. Les Inuit ont le plus fort taux de tabagisme, se situant à 72 pour cent. En combinant le taux de tabagisme chez les Premières nations et les Inuit, qui commencent à fumer avant l’âge de 16 ans, on obtient un taux de 60 pour cent. Même si le tabagisme a en général diminué depuis les deux dernières décennies, le pourcentage des décès et des maladies liés au tabagisme reste très élevé, particulièrement chez les Autochtones. Les populations de premières nations dans les réserves ont un taux de fréquence de 40 pour cent plus élevé d’accidents vasculaires cérébraux et de 60 pour cent plus élevé de maladies cardiaques que la population générale du Canada. Une des causes majeures de décès, le cancer du poumon, est prévalente chez les femmes inuites qui ont le taux le plus élevé du monde. Le problème de jeu compulsif est beaucoup plus élevé chez les Premières nations et les Inuits que chez les personnes de la population générale. La sexomanie semble être commune chez les personnes qui sont aux prises également avec d’autres troubles addictifs ou comportements de dépendance comme l’abus de drogues, les hommes et les femmes étant assujettis à cette dépendance, de même que les homosexuels et les hétérosexuels. Beaucoup de spécialistes et d’intervenants de première ligne du domaine qui oeuvrent dans les collectivités autochtones pensent que les taux démesurément élevés de problèmes relationnels et de conflits familiaux ont pour origine le même type de dépendance qui caractérise les autres modes de comportement de dépendance. Le faisceau de données et de témoignages fait de plus en plus ressortir que la programmation la plus efficace en prévention et en intervention centrée sur les dépendances qui s’adresse aux Autochtones repose sur la sagesse des enseignements traditionnels i nuits, métis et de premières nations articulés par une approche holistique axée sur un mode de vie sain. En effet, le système des croyances autochtone a beaucoup à offrir comme enseignement d’une méthode englobante de rétablissement parce qu’il met l’accent sur 44 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison tous les aspects liés au mieux-être qui sont d’importance égale et interreliés, comprenant les dimensions physique, affective, mentale et spirituelle; l’équilibre, à la base du mieux-être, est le cheminement de toute une vie; et la santé personnelle est une composante de la santé des familles, des collectivités, des nations et de l’environnement au complet. Dans le contexte des comportements de dépendance, une approche autochtone commence par la prémisse que chaque dimension de la personne doit être traitée pour s’assurer qu’elle se sente mieux à long terme. Le taux de réussite à long terme de la réadaptation ou de la guérison axée sur les dépendances, sans égard aux groupes de population, n’a jamais été encourageant. En revanche, vu la perspective différente, nouvelle et holistique en promotion de la santé de l’approche autochtone, la porte s’ouvre sur des promesses réelles, non seulement dans le cadre des programmes autochtones, mais également pour les programmes de prévention et de guérison partout ailleurs. Rétablir la santé holistique, l’équilibre, au sein de la population autochtone nécessite également des améliorations importantes sur le plan des conditions socioéconomiques qui influent sur la santé. 45 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Suicide chez les Autochtones au Canada Laurence J. Kirmayer Gregory M. Brass Tara Holton Ken Paul Cori Simpson Caroline Tait 2007 Le suicide est un événement profondément troublant qui remet en question notre conception du sens et de la valeur de la vie, qui suscite beaucoup de souffrances et une profonde perplexité chez la famille et les amis des personnes ayant mis fin à leur vie. Même si le suicide n’est qu’un des indicateurs de la souffrance individuelle et collective, il faut lui accorder une attention spéciale en raison de sa gravité et de son irrévocabilité. Les Autochtones au Canada sont aux prises avec un taux de suicide beaucoup plus élevé que celui de la population générale. En effet, chez les Canadiens, le taux global a diminué, alors que, dans certaines populations et collectivités autochtones, ce taux n’a cessé d’augmenter depuis les deux dernières décennies. Le taux de suicide global dans les collectivités de Premières nations est deux fois plus élevé que dans la population canadienne en général; chez les Inuit, il est encore plus élevé – de 6 à 11 fois supérieur à celui de la population générale. Pour les Autochtones, le suicide témoigne de la détresse des jeunes. De 10 ans à 29 ans, les jeunes autochtones dans les réserves sont 5 à 6 fois plus à risque de mourir de suicide que leurs semblables faisant partie de la population générale. Un tiers de l’ensemble des décès chez les jeunes autochtones est attribuable au suicide. Même si la différence entre les sexes est moins importante que celle dans la population non autochtone, les hommes risquent davantage de mourir de suicide que les femmes, mais celles-ci font plus souvent des tentatives de suicide. Malgré le fait qu’il y ait une préoccupation généralisée au sujet de ces données alarmantes, un manque d’information sur le suicide chez les Autochtones, de la source du problème, ainsi que sur les interventions efficaces pour l’empêcher, continue d’exister. Le suicide est un comportement ou un acte, non pas un trouble mental distinct. Comme tout comportement, il résulte de l’interaction de nombreux facteurs d’ordre personnel, historique et contextuel différents. Le suicide peut être associé à un grand nombre de problèmes personnels et sociaux et il a de multiples causes déterminantes qui surgissent d’un réseau complexe de circonstances interagissantes au niveau personnel et social. Il y a des facteurs de risque qui accroissent la probabilité d’un comportement suicidaire et des facteurs de protection susceptibles de la réduire. Font partie de ces facteurs de risque et de ces facteurs de protection, les milieux physique et social; la constitution, le tempérament ou les expériences de développement de la personne en cause; les relations interpersonnelles; la consommation abusive d’alcool et de substances psychoactives; les idées suicidaires et les tentatives de suicide précédentes; des troubles psychiatriques coexistants. Ces facteurs individuels qui ont une incidence sur le suicide chez les Autochtones ne sont pas différents de ceux qu’on retrouve dans d’autres populations et dans d’autres collectivités, mais la prévalence et l’interpénétration de ces facteurs diffèrent dans le cas des 47 Suicide chez les Autochtones au Canada collectivités autochtones en raison de leur histoire de colonisation et de leurs interactions ultérieures avec les institutions sociales et politiques de la société canadienne. Les facteurs de risque associés au suicide chez les jeunes autochtones sont semblables à ceux liés au suicide dans la population typique des jeunes gens. On relève parmi ces facteurs la dépression, le désespoir, le manque d’estime de soi ou une image négative de soi-même, la consommation abusive de substances psychoactives (particulièrement l’alcool), le suicide d’un membre de la famille ou d’un ami, des antécédents personnels d’abus physique ou sexuel, une histoire de violence familiale, de négligence de la part des parents, d’un manque de soutien parental, de relations difficiles avec des pairs ou d’isolement social et d’une piètre performance à l’école. Deux modes de comportement imbriqués témoignant d’une vulnérabilité au suicide ressortent de la documentation existante : une dépression grave est un facteur contributif clé dans le cas de nombreux suicides; des situations de crise dans la vie, de l’abus de substances psychoactives et des traits de caractère personnel marqués d’impulsivité violente (desseins agressifs) peuvent avoir joué un rôle important dans bien des suicides, surtout chez les jeunes. Quant aux facteurs de protection, ils contribuent à assurer une résilience personnelle; ce sont notamment des facteurs comme l’harmonie et la cohésion de la famille, la participation aux activités familiales, une bonne communication et le fait que la personne en cause se sent bien comprise par chaque membre de la famille, a de bonnes relations avec ses pairs et réussit bien à l’école. Être bien renseigné sur ces facteurs donne des moyens permettant l’identification des jeunes de la communauté qui sont exposés à un risque plus grand de se suicider. En offrant des services de santé mentale, en se mobilisant pour assurer du soutien social et en augmentant la participation communautaire pour ces jeunes et leur famille, on devrait pouvoir diminuer le risque de suicide. Également, des interventions précoces auprès des familles et des collectivités dans le but d’assurer le développement sain des enfants en bas âge (des bébés) et des enfants en général peuvent réduire la prévalence de troubles de la personnalité et d’autres problèmes de santé mentale qui deviennent beaucoup plus difficiles à traiter chez les adolescents ou chez les adultes. Même si une grande partie de la documentation sur le suicide dans la population en général est appropriée ou applicable à l’expérience vécue par les Autochtones, des considérations spécifiques d’ordre culturel, historique et politique peuvent toutefois contribuer à la prévalence plus élevée et nécessiter de repenser les modèles et les hypothèses issus du courant de pensée général. Bien saisir le rôle que ces facteurs sociaux à grande échelle exercent s’avère par conséquent crucial pour parvenir à cerner les agents contributifs les plus importants au suicide dans le cas d’une population ou d’une collectivité autochtone spécifique, ou celui d’une personne en particulier.Le stress de l’acculturation et de la marginalisation a été maintes et maintes fois décrit comme un facteur de risque lié au suicide chez l’adolescent autochtone. La marginalisation culturelle et les problèmes concomitants relatifs à la formation de l’identité peuvent rendre un jeune autochtone vulnérable, même en l’absence de dépression clinique. Ces processus liés au stress causé par la marginalisation et l’acculturation ne portent pas simplement atteinte aux différences individuelles dans l’adaptation, mais ils sont aussi des agents grandement déterminés par des forces sociales et politiques hors du contrôle de la personne. Les répercussions du régime des pensionnats (indiens) et d’autres mesures systématiques de suppression culturelle et d’assimilation forcée peuvent transparaître aux niveaux de l’expérience individuelle, des systèmes familiaux, des collectivités et des nations ou de populations toutes entières. Chacun de ces 48 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison niveaux a son propre mécanisme pouvant transmettre des effets négatifs à travers des générations. Chaque niveau possède aussi sa propre façon de réagir : par la résilience, la revitalisation et le renouveau. Les causes historiques des problèmes actuels doivent être reconnues et résolues pour qu’il y ait développement d’interventions efficaces susceptibles de transformer les cycles intrafamiliaux et intergénérationnels de souffrance. En effet, il y a des données probantes indiquant le bienfait des programmes ou interventions qui interdisent l’accessibilité à des moyens pouvant mener au suicide; donnent à l’école de l’information qui permet d’acquérir des habiletés d’adaptation, d’apprendre de quelle façon on peut reconnaître et identifier les personnes à risque et comment les diriger vers des services de counselling ou de santé mentale; forment des jeunes à l’entraide par les pairs, à être « des aidants naturels »; forment d’autres personnes avec qui les jeunes peuvent être en contact fréquemment (des enseignants, des infirmières/infirmiers, des prestataires de soins de santé primaires, des membres du clergé, des parents) afin qu’ils soient capables de reconnaître les jeunes à risque et de les renvoyer à des services spécialisés; mobilisent la communauté pour que les responsables établissent des programmes de prévention du suicide, mettent sur pied une équipe d’intervention en situation de crise, du soutien à la famille et des activités qui rassemblent les jeunes et les Aînés pour que ces derniers leur transmettent leurs connaissances et leurs valeurs culturelles; et s’assurent que les médias de masse présentent le suicide et les autres problèmes communautaires de façon judicieuse. Quant aux personnes déjà considérées à risque de suicide ou souffrant d’autres problèmes de santé mentale, il est crucial de s’assurer qu’elles aient accès à des services de santé mentale compétents, adaptés. Selon la gravité du problème, les services visés englobent la psychiatrie, la psychologie, le counselling, l’entraide par les pairs, ainsi que d’autres formes d’aide et de guérison proprement autochtones. Les familles et les amis affligés par un suicide devraient également obtenir du counselling et d’autres formes de soutien disponibles. Par ailleurs, comme les jeunes dans les collectivités autochtones sont bien évidemment les plus affectés par le suicide, les mesures se doivent de porter principalement sur les jeunes, de leur accorder priorité. Cela étant dit, toute intervention visant à atténuer les souffrances et à réconforter, à assurer le bien-être des parents et des proches du jeune, fera du bien également au jeune concerné et contribuera à prévenir le suicide. Compte tenu de la limitation des connaissances au sujet des efforts en prévention du suicide et de ce qui fonctionne bien, la recherche doit continuer à exercer un rôle important. En fait, la recherche de mesures favorisant la participation peut contribuer directement à la prévention du suicide en renforçant la capacité des collectivités. Pour parvenir à ces effets bénéfiques, la recherche doit être menée en collaboration avec les communautés pour en assurer la pertinence et la correspondance entre ce qu’elle vise et les besoins et les perceptions de la localité. 49 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Projet de recherche sur le paiement forfaitaire compensatoire : le cercle se referme Madeline Dion Stout Rick Harp 2007 De 1831 à 1998, au moins 130 écoles industrielles, pensionnats et internats, y compris des foyers scolaires, étaient en activité dans tous les territoires et dans toutes les provinces (excepté trois d’entre elles : le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve). En 1991, on a évalué entre 105 000 et 107 000 le nombre d’Autochtones encore en vie ayant fréquenté un pensionnat. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à environ 86 000. Des données récemment avancées indiquent qu’environ 287 350 Autochtones ont subi des répercussions intergénérationnelles. Cela signifie qu’au moins 373 350 personnes ont vu leur vie profondément affectée par les pensionnats. On a proposé quatre options de paiements forfaitaires (PF) aux Survivants à titre de compensation pour la souffrance qu’ils ont endurée dans les pensionnats. La première option garantissait les PF par des procès civils et criminels intentés par des Survivants contre le gouvernement du Canada et les Églises. Ce processus, amorcé dans les années 1990, a été critiqué par certains Survivants comme étant restrictif, long, épuisant émotionnellement et financièrement, et loin d’être gratifiant. La deuxième option, le Mode alternatif de règlement des conflits (MARC), a été conçue comme une solution moins formelle, moins compliquée et plus rapide que les tribunaux. Cependant, elle ne traitait que des sévices physiques et sexuels et imposait des lignes directrices d’indemnisation strictes pour les différents types de sévices. Tout comme pour les procès, les Survivants empruntant la voie du MARC devaient prouver le bien-fondé de leurs réclamations. La troisième option, l’Accord de règlement relatif aux pensionnats indiens récemment négocié, comprend le processus de Paiement d’expérience commune (PEC) qui, s’il est accepté, offrirait une indemnité forfaitaire à tous les Survivants. À l’aide de la formule « 10 + 3 », chaque Survivant encore en vie au 30 mai 2005 recevrait 10 000 $ pour la première année (ou partie de la première année) de fréquentation d’un pensionnat et 3 000 $ supplémentaires pour chaque année suivante. La dernière option, le Processus d’évaluation indépendant (PEI), qui fait également partie de l’Accord, vise à remplacer le MARC et promet de traiter les réclamations liées aux sévices perpétrés dans les pensionnats dans une période de 9 mois. En vertu de l’Entente de principe annoncée par le gouvernement fédéral le 20 novembre 2005, entente finalisée sous l’appellation de Convention de règlement relative aux pensionnats indiens et conclue le 8 mai 2006, environ 86 000 anciens élèves des pensionnats s’attendent à recevoir en moyenne un montant de 28 000 $ en compensation sous forme de PEC, ce qui comprend un paiement anticipé de 8 000 $. Cette vague de paiements représentera un gros afflux d’argent soudain dans les communautés autochtones au Canada. Afin d’anticiper les PF imminents, la FADG a lancé le Projet de recherche sur les paiements forfaitaires compensatoires. Ce projet a pour objet de faire une étude des répercussions qu’ont eues les paiements d’indemnités passés sur les Survivants, sur leur famille et sur leur collectivité. Le projet comprenait deux phases : une analyse documentaire et un sondage auprès des principaux informateurs. La première phase du projet de recherche a révélé qu’il existe très peu de données sur les répercussions des paiements forfaitaires 51 Projet de recherche sur le paiement forfaitaire compensatoire : le cercle se referme sur les personnes, même sur les utilisations positives et négatives de ces importantes sommes d’argent. L’analyse documentaire et l’analyse du sondage soulignaient l’urgence du besoin d’élaborer une stratégie pour dispenser un soutien efficace, culturellement approprié et accessible aux bénéficiaires d’un paiement forfaitaire. Durant la seconde phase, 117 entrevues de terrain ont été menées dans des sites de l’ouest et du nord-ouest du Canada auprès de bénéficiaires et de non-bénéficiaires d’un PF. Sur les 117 personnes interrogées, 80 pour cent étaient des Survivants, dont 36 pour cent avaient reçu un PF. La rétroaction reçue des bénéficiaires et des non-bénéficiaires d’un PF interviewés a fait ressortir tout un éventail de répercussions communautaires provenant de ces paiements. Ces répercussions ont commencé avec le processus de demande, perçu de façon négative par la majorité des personnes interrogées, qui se sont plaintes de son coût excessif et de sa durée. Si une minorité de personnes ont trouvé le processus de PF bénéfique et positif, la plupart l’ont considéré comme injuste financièrement et épuisant émotionnellement. Cependant, lorsque les sommes sont versées, de nombreux bénéficiaires transforment leur paiement forfaitaire en une occasion financière positive permettant d’aider leur famille, d’acheter des biens nécessaires, d’éponger des dettes et d’investir. Du point de vue négatif, les bénéficiaires ont remarqué que les PF conduisent souvent à des augmentations inquiétantes de problèmes tels que l’abus de drogues et d’alcool, des pressions de la famille pour obtenir de l’argent et l’emprise de prédateurs financiers. La réception d’un PF ravive également des souvenirs de pensionnats négatifs pour les Survivants. Certains non-bénéficiaires ont lié l’état de préparation au versement du paiement forfaitaire et la santé générale des Survivants pour expliquer la façon dont les Survivants réagissent à la réception du PF. Bien qu’on ait identifié des répercussions constructives, la plupart des non-bénéficiaires ont vu le paiement forfaitaire d’un œil critique, faisant état de l’aggravation de la vulnérabilité des Survivants en général, mais surtout chez les personnes âgées, les femmes, les personnes malades ou les sans-abri. Ce projet de recherche propose un cadre de travail stratégique visant des interventions plus poussées dans le cas du versement des PF et il commence par une discussion sur les questions intersectorielles suivantes : la catégorie, l’âge, le sexe, la religion, l’emplacement géographique, la culture, le traumatisme historique, les mauvais traitements envers les aînés, les ressources et le financement, et la recherche. Le cadre de travail s’appuie sur quatre principes stratégiques : le premier, les droits et l’autonomie du Survivant sont primordiaux, exige que les initiatives liées aux PF respectent toujours le droit fondamental des Survivants à prendre leurs propres décisions; le deuxième, les Survivants eux-mêmes sont leurs meilleurs alliés, incite les collectivités à faire participer les Survivants à toutes les initiatives; le troisième, la famille tient une place légitime, signifie que les interventions devraient d’un point de vue idéal être adaptées aux membres de la famille immédiate du bénéficiaire du paiement forfaitaire et les y faire participer; le quatrième, la collectivité, catalyseur naturel, renforce le fait que lorsque les réponses sont vraiment formulées par la collectivité et pour elle, elles alimentent et renforcent un sentiment d’appropriation et de responsabilité locales vis-à-vis des politiques et des programmes. Afin de stimuler des mesures à court, moyen et long terme, et de sensibiliser à ces mesures, ce projet de recherche avance cinq objectifs stratégiques : réformer les efforts consacrés à la guérison, restructurer la santé, renforcer la sécurité, inverser les crises et redéfinir les capacités. Afin de réformer les efforts de guérison, il sera important de favoriser la guérison de la collectivité et étudier et évaluer les changements au fil du temps. Ainsi donc, il faudra bien surveiller le rôle pivot et unique du secteur bénévole/non gouvernemental dans les collectivités autochtones et rester ouvert à la possibilité pour le secteur privé de participer aux initiatives de guérison et à l’exploration de notions fondamentales telles que l’engagement civique, le capital social et la cohésion sociale, ainsi qu’à la relation 52 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison de ces dimensions avec des solutions d’inspiration locale. Il sera essentiel de prioriser les études d’impact et les évaluations, ainsi que de former les travailleurs de première ligne à déceler rapidement les risques et les répercussions des paiements forfaitaires et de s’assurer de la collaboration des personnes ayant de l’expérience en interventions efficaces. Pour restructurer la santé, deux interventions stratégiques devront être lancées : promouvoir des interventions globales axées sur la santé et lier la santé à la richesse. Par ailleurs, les disparités en matière de santé, la santé mentale, les dépendances et les compétences culturelles doivent être prises en compte pour que la santé soit traitée de façon holistique et dans l’optique du continuum des services. Les enseignements des Aînés concernant l’autonomie, la productivité et l’utilisation de l’argent doivent faire partie intégrante de la culture afin que les Survivants, leur famille et leur collectivité en bénéficient à long terme. La santé peut être perçue comme une ressource économique pour laquelle il est possible de porter plainte en raison des séquelles laissées par les pensionnats qui ont mis en péril le statut socioéconomique des Survivants, de leur famille et de leur collectivité. Par conséquent, le besoin se fait sentir de mobiliser des services d’aide monétaire et financière pour donner de la formation, ainsi que de promouvoir des occasions économiques et éducatives permettant aux Survivants d’accroître dans leur propre intérêt l’argent reçu. Renforcer la sécurité donne lieu aux interventions stratégiques suivantes : atténuer les risques pour les plus vulnérables et utiliser au mieux les médias. Les paiements forfaitaires peuvent intensifier les problèmes, tels que la violence domestique, les fraudes et les escroqueries, et les mauvais traitements envers les aînés, ce qui contribue à augmenter le recours à la GRC. L’une des fonctions importantes des collectivités est de préserver le bien-être financier des groupes à risque (qui comprennent les aînés, les femmes, les jeunes, les sans-abri et les handicapés) ainsi que celui des enfants, et de ceux qui décident de s’exclure de l’accord, et de leur offrir un refuge où ils seront en sécurité le cas échéant. Les mauvais traitements envers les aînés devront être réglés en priorité, ainsi que l’élaboration d’initiatives de sensibilisation et de prévention des blessures et des handicaps. Les campagnes d’information dans les médias du service public, en recourant autant que possible aux langues autochtones, peuvent contribuer à minimiser les répercussions négatives des paiements forfaitaires, notamment les escroqueries et les fraudes, en incitant au dialogue et à l’espoir. Il sera également important de concevoir des messages médiatiques pour sensibiliser les enfants et les jeunes aux séquelles laissées par les pensionnats et aux paiements forfaitaires. Pour inverser les crises, le chemin à suivre est de se concentrer sur la gestion des crises et de mieux comprendre le poids écrasant de la prise de décision des Survivants. Des plans, des protocoles et des pratiques d’intervention en situation de crise devront être établis. Les Survivants devront pouvoir avoir accès à des mécanismes de soutien comme des cercles de la parole et des programmes et centres de traitement spécialisés. En outre, ils devront apprendre les rudiments des techniques de négociation, de la résolution de problème et de la gestion de la colère. Redéfinir les capacités veut qu’on vise à utiliser les alliances existantes et travailler avec les soutiens communautaires appropriés et prêts à servir. En donnant aux Survivants les moyens d’agir sur leurs propres priorités dans une situation où les ressources humaines sont vraiment limitées, les PF leur permettent une réelle participation à la prestation de leurs propres soins qui seront complétés par un réseau et un soutien communautaires. Les familles et les jeunes sont des soutiens communautaires essentiels parce qu’ils minimisent les répercussions négatives des PF et en maximisent les avantages. 53 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison De la vérité à la réconciliation : Transformer l’héritage des pensionnats Édité par Marlene Brant Castellano Linda Archibald Mike DeGagné 2008 Vérité et réconciliation sont des mots nouveaux qui sont entrés dans le vocabulaire des Canadiens pour exprimer nos vues sur l’histoire et l’avenir de notre pays. L’histoire générale du Canada, celle qui fait l’unanimité chez les personnes de descendance européenne, est un récit grandiose portant sur les pionniers et les vagues d’immigrants qui ont contribué à l’établissement d’une nation pacifique dans un vaste territoire sauvage. Toutefois, les Autochtones du Canada — Premières nations, Inuits et Métis — relatent des récits bien différents au sujet des origines anciennes, une vérité historique sauvegardée grâce à leurs légendes; ils parlent des migrations qui se sont étendues sur presque tout le continent, des réseaux de commerçants et des signatures de traités, de même que des conflits sporadiques pour établir des limites territoriales entre les nations, de grandes mutations qui prédisaient de quelle façon leur vie serait changée par les nouveaux arrivants dans leur territoire. Des expériences différentes font envisager la vérité sous des perspectives différentes. C’est pourquoi des histoires et des visions du monde distinctes comme toile de fond peuvent exister sans heurt, côte à côte, jusqu’à ce qu’elles s’interpénètrent et qu’elles soient à un moment donné amenées à négocier une compréhension commune. Des relations tendues et des confrontations entre les premiers habitants et les nouveaux venus se sont manifestées périodiquement au pays depuis les premiers contacts et ces dissensions ont conduit à la parution et à la signature de documents historiques visant à concilier nos différences. Parmi ces documents, figurent la Proclamation royale de 1763, enchâssée dans la Loi constitutionnelle de 1982, et les nombreux traités de paix et d’amitié qui, à l’époque moderne, ont force exécutoire en raison des arrêts de la Cour suprême. « La question relative à la revendication territoriale » continue d’être un enjeu clé à la source de contestations, de litiges et de manifestations à travers le Canada. La revendication du titre autochtone est associée à l’occupation effective des territoires traditionnels et à l’obtention d’avantages provenant des ressources pour subvenir aux besoins essentiels, mais aussi ce titre nie la théorie de terra nullius, c’est-à-dire la prétention que l’Amérique du Nord au moment de sa découverte par les Européens était une terre inoccupée, libre d’accès, que les populations civilisées pouvaient occuper et cultiver sans considération des peuples déjà en place. Les Autochtones ont ainsi été vus comme des peuples vivant dans la nature, ne possédant ni gouvernement, ni biens. Ces théories historiques qui ont servi de fondement à la colonisation des terres et à l’autorité coloniale sur les peuples ont cherché à justifier la croyance que les terres seraient mieux utilisées, c’est-à-dire seraient plus productives sous un régime de propriété privée, et que les populations autochtones auraient une situation plus avantageuse si elles étaient intégrées à des milieux civilisés. Dans le cas des adultes autochtones, il a été considéré que le recours à des mesures énergiques pour réaliser les objectifs coloniaux dirigés en fonction de la civilisation constituerait de vains efforts. C’est pourquoi on a privilégié la politique de l’établissement des pensionnats parce qu’en prônant l’éducation, 55 De la vérité à la réconciliation : Transformer l’héritage des pensionnats on pouvait refaçonner l’identité et la conscience des enfants de Premières nations, inuits et métis. La persistance de ce courant de pensée articulé autour de la supériorité coloniale ressort clairement du fait que, dans les pensionnats, toute manifestation identitaire liée à l’utilisation d’une langue autochtone, à la spiritualité et au mode de vie autochtones, était sévèrement punie, compte tenu qu’on cherchait plutôt à inculquer une identité eurocanadienne aux enfants autochtones; cette politique a été maintenue pendant toute la durée des pensionnats, de 1831 à 1970. Les effets dévastateurs de ce programme d’ingénierie sociale ont été révélés au public dans le cadre des audiences, des travaux de recherche, et du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA). La recommandation de la CRPA en 1996 concernant la demande d’une enquête publique visant à examiner les origines, les intentions et les incidences des politiques liées aux pensionnats, à faire la lumière sur les abus, à recommander des mesures correctrices et à commencer le processus de guérison a pris plus d’une décennie à se réaliser. Comme premier pas, il y a d’abord eu la Déclaration de réconciliation du gouvernement fédéral et le fonds dédié à l’appui de la guérison communautaire. Entre-temps, le mouvement engendré par les actions en justice intentées pour allégations de violence psychologique/morale et culturelle, tout comme de violence physique et sexuelle, s’est amplifié rapidement pour atteindre treize milles Survivants des pensionnats. Ces poursuites en justice et décisions judiciaires se sont avérées bien coûteuses pour les Survivants, les Églises et le gouvernement; on prévoyait que les coûts humain et financier seraient insoutenables si on procédait par la voie des tribunaux. Plusieurs Églises impliquées dans le fonctionnement des pensionnats ont été contraintes à indemniser les victimes en vertu d’une ordonnance, mais elles ont tout de même présenté aussi des excuses sincères. L’Assemblée des Premières nations a poursuivi avec diligence son plaidoyer en faveur de la réparation et elle a effectué des recherches au niveau international afin d’avoir des arguments solides pour démontrer la légitimité de mesures de réparation s’appliquant à l’ensemble des Survivants, y compris la compensation, de même que leur faisabilité. L’Accord de règlement relatif aux pensionnats indiens est un règlement judiciaire sanctionné en 2006 par les représentants légaux des Survivants, par les Églises et le gouvernement fédéral et mis en application en septembre 2007. L’Accord de règlement assure un paiement comptant aux Survivants encore vivants en 2005 ou à la succession dans le cas des personnes décédées, de même qu’il comporte un processus d’évaluation indépendant et individuel pour le règlement de cas d’actes de violence ou d’abus graves, la mise en place d’activités commémoratives, le prolongement sur cinq ans du financement accordé à la Fondation autochtone de guérison visant l’appui à des initiatives de guérison communautaires, ainsi que l’établissement de la Commission de témoignage et réconciliation dont le mandat d’une durée de cinq ans cadre avec bon nombre des recommandations de la CRPA. La composante du mandat de la Commission de témoignage et réconciliation se rapportant à la recherche de la vérité est fondée sur la reconnaissance des préjudices causés par la suppression de l’histoire, de la culture et de l’identité des Premières nations, des Inuits et des Métis, par l’enlèvement forcé des enfants de leur milieu familial et communautaire en vue de leur resocialisation. Le processus de guérison que l’on veut entamer par le biais d’un partage de la vérité touche les familles, les communautés, les nations, et bien sûr les personnes elles-mêmes. Pour les Autochtones, l’espoir que suscite la Commission de témoignage et réconciliation réside dans le fait que les vérités (et témoignages) et faits historiques établis d’après leur point de vue et liés à ce tragique chapitre seront désormais admis et inscrits dans l’histoire officielle du Canada pour être communiqués aux générations successives de Canadiens. 56 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison La réconciliation — rétablir dans le cas de relations rompues une volonté de collaboration — constitue le deuxième volet du mandat de la Commission de témoignage et réconciliation. Au cours de ses activités pendant la dernière décennie, la Fondation autochtone de guérison (FADG) a eu des rencontres avec de nombreuses personnes talentueuses, dévouées, qui ont consacré leur vie et leurs efforts à promouvoir la justice et la réconciliation dans leurs relations interpersonnelles, communautaires et sociétales au Canada et à l’étranger. La FADG a été incitée à lancer une invitation à un groupe représentatif de ces personnes émérites pour qu’elles réfléchissent au message qu’elles voudraient transmettre aux commissaires nouvellement nommés de la Commission de témoignage et réconciliation du Canada et qu’elles soumettent leur exposé aux fins de publication. De plus, les membres du conseil d’administration de la FADG et des jeunes autochtones ont aussi offert de faire part de leur point de vue aux commissaires. Le présent recueil comprend quatre sections : Section 1 : Partage de la vérité est constitué d’une composante historique bien établie. Fred Kelly rassemble, sous des perspectives différentes, l’expérience et la prise de conscience d’un jeune garçon au pensionnat tentant de comprendre les contradictions du monde où il vit, celle d’un adulte devenu dirigeant politique et participant à des débats d’orientation politique et celle d’un Aîné se ralliant à la spiritualité traditionnelle et à la possibilité d’une réconciliation avec les personnes ayant causé préjudice aux enfants et aux populations autochtones. Brian Rice et Anna Snyder traitent de l’histoire des relations entre les Autochtones et la société canadienne en pleine évolution. Ils donnent un aperçu du rôle des commissions de vérité et de réconciliation et les défis uniques que pose le rétablissement des relations dans une société post-coloniale d’immigrants. Tricia Logan raconte son apprentissage en tant que jeune métisse à la recherche de preuves et de témoignages de l’expérience des pensionnats chez les Métis des Prairies malgré le fait que ces institutions aient démontré de l’indifférence et de l’inconstance dans la tenue et la conservation de registres/de données d’information. John Amagoalik fait état avec passion des efforts des Inuits pour communiquer leur vérité à la société dominante qui persiste à promouvoir une réalité différente. Il soutient que la conciliation doit précéder la réconciliation. Dans la dernière partie de cette section, Stan McKay écrit selon le point de vue d’un Survivant des pensionnats et d’un chef religieux qui a passé une grande partie de sa vie à tenter d’établir des ponts entre les sociétés autochtones et non autochtones. Section 2 : Persistance de l’héritage adopte un ton différent; des textes révélant comment les préjudices subis dans le passé sont reproduits dans des circonstances contemporaines. Beverley Jacobs et Andrea Williams présentent l’initiative de l’Association des femmes autochtones du Canada dont le but est de porter à l’attention le cas de centaines de femmes autochtones disparues et assassinées au Canada, soulignent les efforts de recherche du projet Soeurs par l’esprit qui relient la victimisation des femmes autochtones aux politiques ayant marginalisé les femmes et érodé leur rôle, ce qui les a exposées à l’exploitation et à la violence. Rupert Ross, procureur de la couronne adjoint ayant de longs états de service dans le Nord-Ouest de l’Ontario, présente un tableau bouleversant des secrets entourant les élèves victimes d’abus dans leur enfance devenus eux-mêmes des agresseurs, de ce qu’ont vécu les membres des familles traumatisés par l’enlèvement et la longue absence de leurs enfants qui, par contrecoup, commettent des actes de violence envers ceux-ci à leur retour, de même que l’émergence dans certaines collectivités de toute une génération d’enfants perturbés n’ayant jamais été exposés à des modèles de relations familiales empathiques et pro-sociales. Rupert Ross fait ressortir avec un optimisme prudent les retombées positives des initiatives de guérison communautaires qui s’appuient sur les valeurs traditionnelles. Cindy Blackstock rassemble des preuves indiquant le grand nombre de cas d’enfants des Premières nations 57 De la vérité à la réconciliation : Transformer l’héritage des pensionnats séparés de leur famille, une fréquence si élevée qu’actuellement le nombre d’enfants confiés aux services de protection de l’enfance dépasse le nombre des élèves dans les pensionnats à leur apogée. Elle fait un vibrant plaidoyer en faveur de la réorientation des approches en matière de protection de l’enfance, appuyée par des ressources financières adéquates, afin de s’assurer que la génération suivante ne fera pas l’objet d’une autre déclaration de regrets émise par des gouvernements/institutions. Partageant une réflexion émouvante sur la résilience, Madeleine Dion Stout nous fait part de moments et d’images qui nourrissent son esprit, des souvenirs émanant de ses années d’enfance au pensionnat, et qui continuent d’exercer leur action sur son évolution et son rôle d’adulte et de grand-mère. Section 3 : Exploration des chemins vers la réconciliation présente des analyses de concepts et des exemples de cas liés à des initiatives de réconciliation dans le monde et au Canada. Jennifer Llewellyn s’inspire de son expérience auprès de la Commission de vérité et de réconciliation de l’Afrique du Sud et de groupes consultatifs des Nations Unies pour formuler des principes de justice réparatrice et leur application visant à établir des liens entre la vérité et la réconciliation. Robert Joseph, un professeur maori, traite du concept semblable qui est celui de la justice de conciliation; il fait une analyse approfondie de nombreuses formes de déni qui entravent la reconnaissance des préjudices causés et qui tempèrent les exigences d’ordre moral liées à la réconciliation dans les sociétés démocratiques. Quant à Brad Morse, il fait un examen stimulant qui incite à réfléchir au rôle des regrets et des excuses exprimés avec sincérité en vue d’une réconciliation dans un contexte de préjudices historiques. Il fait mention des mesures correctives appliquées au Canada dans le cas de réparation à l’égard des Japonais, des Chinois et d’autres segments de la population canadienne. En outre, il établit le bien-fondé de regrets sincères qui peuvent atténuer le risque de responsabilités (ou d’obligation de réparer) au lieu de l’augmenter, à l’opposé de ce que l’avis juridique général laisse entrevoir. John Bond apporte à ce recueil d’articles le fruit de son expérience australienne; il décrit la réaction populaire des citoyens australiens au rapport Bringing Them Home [Ramenez-les à la maison] qui a fait état de l’enlèvement d’enfants d’ascendance autochtone métisse de leur famille pour les placer dans des institutions et dans des foyers d’accueil. Il soutient qu’il est essentiel de donner suite aux regrets exprimés en améliorant les services répondant aux besoins fondamentaux des personnes et en comblant la disparité de l’espérance de vie de la population en cause. Debra Hocking fait partie de cette génération perdue en Australie qu’on désigne sous « stolen generation » [génération volée]. Elle a été retirée de sa famille et a été victime d’abus en foyer nourricier. Debra est devenue chef de file et porte-parole dans le domaine de la défense des droits de la personne et de la réconciliation chez les Autochtones; elle a été honorée par les Nations Unies et par son pays d’origine la Tasmanie. Dans son article, elle décrit la bataille qu’elle a livrée contre la bureaucratie pour rétablir des liens avec sa famille et retrouver son identité, ce qui l’a amenée à rencontrer des Aînés qui lui ont enseigné à être compatissante. Section 4 : Cheminement de l’esprit commence par tracer le parcours de la réconciliation personnelle découlant d’un passé douloureux qui mène à la prise de mesures pour guérir l’aliénation des Autochtones envers la société canadienne. Garnet Angeconeb, un Anishinaabe, a été un des premiers Survivants à rompre le silence et à dévoiler l’abus sexuel qui avait cours dans les pensionnats. Il relate le cheminement qu’il a fait depuis sa jeunesse, ayant subi la séparation, le refoulement de ses souvenirs et de ses sentiments, la divulgation et finalement l’aboutissement au pardon. David Joanasie est un jeune inuk qui fait ressortir la chance qu’il a eue d’avoir été élevé dans l’appréciation de sa culture et d’être capable de parler couramment sa langue d’origine. Selon lui, les compensations financières ont peu d’effets sur la guérison et la réconciliation. Quant à Bill Mussell, un éducateur Sto:lo, champion de la promotion de la santé mentale, il explique de quelle façon l’attachement profond chez une personne à sa culture et 58 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison à sa famille constitue une protection contre les répercussions d’influences déstabilisantes de la société environnante. Il souligne qu’un des piliers essentiel pour la réconciliation est celui du respect à l’égard du savoir autochtone et des façons d’apprendre des Autochtones qui doit être prôné dans les programmes d’études élémentaires et secondaires. David MacDonald est un participant de longue date aux pourparlers entre l’Église unie et la communauté des Autochtones. Il présente une liste d’excellentes idées d’actions collectives visant à rassembler et à réconcilier, à éliminer les stéréotypes et à régler les désaccords qui nous séparent. Maggie Hodgson, une autre Survivante, a été au premier rang du renouveau culturel et du mouvement de guérison depuis un quart de siècle. Elle mentionne l’érosion et l’élimination des cérémonies comme causes principales de la démoralisation actuelle. Son appel à l’action est principalement adressé à ses homologues des Premières nations pour qu’ils reconquièrent leurs cérémonies, de même que la responsabilité de faire des choix éthiques. Finalement, Marlene Brant Castellano, membre de l’équipe éditoriale, s’inspire des efforts de recherche de la Fondation autochtone de guérison (FADG) et du Rapport final de 2006 du premier mandat de la FADG pour articuler une approche holistique de la réconciliation. À l’aide de la représentation graphique pour faire ressortir les concepts clés, elle établit des parallèles entre les démarches de guérison aux niveaux individuel et communautaire, de même que les étapes de la reconnaissance, de la réparation (des torts) et de la guérison qui nous amènent à la réconciliation. Elle indique que, dans le cas de la réconciliation, la transformation aboutissant à un état de « complétude », de réalisation de soi, et d’habilitation s’accomplit en demandant et en accordant le pardon dans un climat d’entente, de confiance mutuelle. 59 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison La guérison autochtone au Canada : Études sur la conception thérapeutique et la pratique Édité par James B. Waldram 2008 Cinq programmes de guérison communautaires financés par la FADG ont été choisis dans le cadre d’études de cas visant l’élaboration de modèles et métaphores de la guérison et de la santé mentale applicables dans les collectivités autochtones. Les objectifs visaient à offrir un outil constructif et vraiment utile pour l’établissement de futurs programmes, à établir une conception commune des notions et des méthodes ou des cheminements appliqués à la guérison dans les collectivités autochtones, à contribuer à l’avancement des conceptions théoriques rattachées à la démarche de guérison, ainsi qu’au développement de méthodologies de recherche pertinentes parce qu’elles facilitent la transférabilité des résultats. Malgré l’adoption généralisée du discours lié à la guérison par les Autochtones et les autres, ce qu’on signifiait par « guérison » correspondait à un processus imprécis, variable et, par nature, souple ou adaptable. De plus, il semblait bien inspiré et logique que, pour étudier l’incidence des programmes de guérison, on se devait d’être éclairés sur la façon dont les clients et les thérapeutes/guérisseurs avaient compris ce concept clé et sur la façon qu’ils l’avaient appliqué pour encadrer leurs expériences et de voir si la guérison avait des significations différentes selon les divers types de programmes visés et en fonction de régions distinctes faisant partie de la présente étude. Les cinq programmes choisis sont issus de régions rurales, éloignées, urbaines du Canada, allant d’est en ouest, d’un centre urbain à une région subarctique et arctique, en Colombie-Britannique, au Nunavut, en Saskatchewan, au Manitoba et au Nouveau-Brunswick. Dans certains cas, il s’agit de centres de traitement en établissement où les clients suivent un traitement comportant la nécessité de rester au centre; d’autres sont des établissements offrant des services ambulatoires et même une halte-accueil pour une clientèle de passage. Pour certains, il s’agit de milieux communautaires où il y a, dans une certaine mesure, une uniformité de l’héritage culturel, tandis que d’autres centres de traitement dispensent des services culturels à une clientèle provenant d’horizons culturels diversifiés. Deux groupes cibles ont été identifiés dans le cadre de cette recherche : d’abord, des clients participant au moment de l’étude aux programmes de guérison et, ensuite, le personnel des programmes (thérapeutes, guérisseurs) engagés dans la prestation de programmes thérapeutiques. Un thème important qui ressort des études de cas est celui de l’hétérogénéité de culture, d’âge et de sexe au sein de la clientèle desservie par ces programmes. Il est digne d’intérêt de souligner que les chercheurs ont constaté que peu de participants à la recherche étaient d’anciens élèves des pensionnats; cependant, l’héritage du régime des pensionnats a laissé des effets profonds sur les composantes sociales, culturelles, psychologiques marquant la personnalité des personnes concernées. Les gens continuent à souffrir en raison des séquelles persistantes de ces pensionnats, subissant le contrecoup au sein de leur famille et de leur communauté, ou encore des répercussions intergénérationnelles, à cause des comportements dysfonctionnels transmis par les parents ou les grands-parents qui les ont fréquentés. S’attaquer à cet héritage complexe, c’est exactement la raison d’être de ces programmes. 61 La guérison autochtone au Canada : Études sur la conception thérapeutique et la pratique Le manque d’expériences culturelles autochtones dans le cas de beaucoup d’entre eux s’explique par l’héritage que les pensionnats ont laissé, de même que par les placements en milieu substitut. Ces personnes ne sont pas « sans culture » comme le laissent supposer les nombreux témoignages et opinions répandues sur l’expérience autochtone; plus exactement, il ressort qu’elles ont eu très peu ou aucune expérience en milieu culturel autochtone, particulièrement au cours des premières étapes de leur développement. Des programmes thérapeutiques efficaces doivent être en mesure de répondre aux besoins d’un grand nombre d’Autochtones : des personnes d’héritages culturels différents; des personnes n’ayant jamais vécu en milieux culturels autochtones, aussi bien que des personnes qui y sont plongées; des personnes qui ne parlent pas leur langue autochtone comme celles qui la parlent couramment; des personnes n’ayant pas de connaissance des traditions spirituelles que les programmes de cette nature mettent au premier plan, tout aussi bien que des personnes ayant ce bagage; également des personnes de croyance chrétienne cheminant côte à côte avec celles pratiquant la spiritualité autochtone et les autres qui ne prennent part à aucune croyance spirituelle. Le fait que bon nombre des projets examinés dans le cadre de notre recherche étaient ouverts à des clients de différentes traditions culturelles autochtones renforce l’idée qu’un modèle unique, simple, uniformisé, ne tient pas la route. Toutefois, il se dégage des similitudes importantes du profil de la clientèle relevées dans les cinq programmes. Une grande partie des clients participant à la recherche sont aux prises avec des problèmes d’alcool et d’abus des substances psychoactives, de violence interpersonnelle, d’itinérance, de maladies physiques, de criminalité, ainsi que des dysfonctionnements concomitants dans leurs relations sociales en raison de leur comportement; il reste tout de même que chaque client en soi s’avère unique. Ce qui se dégage des études de cas, c’est la nécessité inhérente d’assurer la flexibilité et l’éclectisme dans l’élaboration de modèles de traitement. Grâce à l’application de la Roue de médecine (ou Cercle d’influences), d’une vaste gamme de modalités thérapeutiques d’inspiration culturelle populaire (ou traditionnelle), ces programmes fonctionnaient « à la carte », sans contrainte, afin de répondre aux besoins changeants de leurs clients. Ces programmes ont largement emprunté aux paradigmes du traitement biomédical et psychothérapeutique et ils ont réalisé l’intégration de ces orientations aux paradigmes autochtones. Diverses formes de spiritualité autochtone, telles qu’elles sont comprises et acquises dans leur milieu communautaire, sont intégrées à tous les programmes. À titre d’exemple, alors que les sessions de thérapie individuelle et de thérapie de groupe sont courantes, de même les sueries sont d’application commune. L’information peut être dispensée sous forme d’ateliers, de séminaires, de conférences/exposés, mais il y a aussi des moyens plus subtils comme celui d’avoir recours aux enseignements traditionnels transmis par des Aînés au sein du cercle sacré ou pendant la cérémonie de la suerie. Observation intéressante, l’éclectisme dont il est question dépasse le simple emprunt de moyens épistémologiques et de techniques provenant de sources thérapeutiques non autochtones; dans de nombreux cas, nous avons en effet trouvé qu’un programme avait aussi puisé des approches thérapeutiques ou spirituelles d’autres groupes autochtones. C’est pourquoi même un programme thérapeutique traditionnel peut donner lieu à l’intégration de pratiques autochtones qui, à travers l’histoire, n’étaient pas connues dans la région où se situe le programme en cause. Ces « emprunts » ont des conséquences intéressantes pouvant influer sur de futures interprétations de la « traditionalité », mais surtout, ils font ressortir les ethos polyvalents et pragmatiques innés qui régissent ces programmes de traitement : une attitude générale correspondant à « peu importe l’outil, du moment qu’il fonctionne » qui pousse les prestataires de services à ne pas se sentir liés ou contraints par des modèles de traitement définis de manière trop précise ou formellement culturel ou biopsychosocial. Cette attitude pourrait être considérée comme 62 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison un élargissement de ce que les écologistes culturels ont interprété comme une ouverture culturelle très ancienne particulière aux groupes autochtones : un désir d’emprunter et d’intégrer de bonnes idées puisées auprès d’autres sans être préoccupés à outrance par la contamination culturelle et la traditionalité. L’éclectisme se manifeste par la richesse et la diversité des expériences du personnel préposé au traitement. Bien qu’il existe un courant d’affinité envers un personnel autochtone, ce qui importe est la capacité d’avoir de l’empathie et la compétence, dont la description est variable, mais elle évoque aussi une exigence à l’égard du personnel qui se doit d’avoir des connaissances spécialisées et d’être expérimenté. Le modèle de traitement appliqué dans bien des cas estompe la distinction entre le guérisseur et le client, compte tenu que les personnes affectées au traitement sont parfois elles-mêmes engagées dans leur parcours personnel de guérison et elles retirent des effets thérapeutiques en oeuvrant auprès des clients. Comme quoi, le personnel non autochtone affecté au traitement exerce un rôle important dans ces programmes thérapeutiques étant donné que l’« identité autochtone ou aboriginalité » comme règle per se n’est qu’un des critères considérés importants par les clients. Cependant, dans tous les cas, il y a toujours du personnel autochtone, très souvent un conseil d’administration ou de direction principalement formé d’Autochtones. Dans d’excellentes circonstances, un personnel affecté au traitement diversifié du point de vue culturel et professionnel peut oeuvrer efficacement, des Aînés travaillant en association avec des psychologues et des intervenants sociaux de formation universitaire. Il n’y a pas de modèle de meilleure pratique unique en fonction du traitement psychothérapeutique des Autochtones; plus exactement, il existe des modèles remaniés localement qui semblent donner des résultats positifs pour les clients susceptibles de participer. Les idées de flexibilité et d’éclectisme définissent peut-être le cadre d’une meilleure pratique. Il n’y a eu aucune tentative pour quantifier les résultats obtenus par l’application d’une méthode de référence du type biomédecine, à double insu; plus exactement, les practiciens et les clients évoquent des changements comportementaux et des changements d’attitude subjectifs comme indications de résultats positifs. Étant donné qu’un très grand nombre de gens considèrent la guérison comme le cheminement de toute une vie, les changements observés sont subtils, perceptibles seulement par les proches de la personne concernée et, donc, normalement invisibles dans le cadre d’une évaluation clinique de l’efficacité thérapeutique. Le manque d’approches méthodologiques valables ou pertinentes pour traiter de la question de l’efficacité de ces types de programmes ne devrait pas servir de motif pour l’éliminer; il faudrait plutôt qu’on envisage cette problématique comme une incitation à concevoir une nouvelle approche. La méthode actuelle d’évaluation repose sur des appréciations qualitatives en fonction de chaque cas. C’est au prix de grands efforts que le personnel arrive quotidiennement à répondre aux besoins d’une très vaste clientèle en dépit de ressources financières très limitées. En bout de ligne, malheureusement, la question de savoir si ces programmes fonctionnent bien risque de détourner l’attention du processus thérapeutique dans lequel les clients et les thérapeutes se sont engagés. Ces programmes fonctionnent bien pour autant que les personnes s’y étant engagées continuent à percevoir leur expérience comme positive, constructive. Étant donné qu’il n’existe pas de « solution miracle » pour le traitement d’un traumatisme psychosocial, ce simple fait devrait suffire à confirmer que ces programmes accomplissent une tâche importante. Les approches appliquées dans ces programmes, considérées comme des approches autochtones en fait d’orientation, sont généralement conceptualisées en fonction de leur « traditionalité », c’est-à-dire une conception commune que ces approches sont issues de traditions anciennes de guérison qui ont été transmises au fil du temps et qui maintenant permettent d’affronter des problèmes mentaux, physiques et 63 La guérison autochtone au Canada : Études sur la conception thérapeutique et la pratique sociaux très contemporains. La question de savoir ce qu’est une pratique traditionnelle est aussi complexe que la question de l’efficacité et une recherche trop approfondie pour retrouver des liens explicites avec le passé peut détourner du fait le plus important, que l’idée même de la traditionalité, dans le contexte contemporain, constitue un lieu sûr du point de vue affectif pour des personnes perturbées qui peuvent relier leur peine au passé, à des faits historiques. Si les clients disent que la Roue de médecine (ou Cercle d’influences) est un modèle de guérison traditionnel ancien, son origine réelle importe peu et elle est sans rapport avec son application par les programmes de guérison, étant donné que ceux-ci le considèrent en tant que représentation symbolique du mode de vie holistique prôné comme un enseignement traditionnel autochtone positif. Dans le discours, tant du côté du public que celui des spécialistes, l’idée de guérison est devenue omniprésente. Les thérapeutes et les clients pensaient que la guérison comme concept était difficile à articuler, en partie parce que la plupart des gens ne croient pas qu’il y a un besoin de l’articuler et/ou il n’y a tout simplement jamais eu de demande à cet égard. La guérison s’est avérée changeante dans sa signification, variable, souvent imprécise et floue, de même qu’idiosyncrasique. La guérison est un processus actif, non passif; c’est une démarche qu’on fait, et non une démarche de la pensée que quelqu’un fait pour nous. En ce sens, la guérison nécessite des efforts personnels, un investissement continu et elle exige de s’y donner à fond avec détermination. D’abord et avant tout, il faut que la personne s’engage. Personne ne peut opérer la guérison pour nous ou faire en sorte qu’on guérisse. Par-dessus tout, on insiste sur la capacité d’action personnelle autonome ou sur la gestion de soi. La principale métaphore décrivant la guérison est celle d’un cheminement ou d’un parcours, orienté directement vers la guérison, qui présente de multiples défis. Il est fréquent qu’on s’écarte du chemin de la guérison; même ces défaillances sont prévues par les prestataires de traitement. Il n’y a pas de honte à faire une rechute, à essuyer un revers; ces reculs temporaires ne sont pas considérés comme des échecs, mais la personne concernée est plutôt invitée à poursuivre son cheminement au moment où elle se sent prête à le faire. Personne ne parvient à être complètement guéri. Personne ne parle, dans cette optique, de guérison complète comme on le fait en biomédecine en utilisant ce concept. Même les personnes qui sont en démarche de guérison depuis de nombreuses années, devenues elles-mêmes thérapeutes, ont toujours du mal à continuer leur parcours. La guérison est en définitive le rétablissement de relations sociales harmonieuses et saines, alors que celles-ci étaient perturbées et chaotiques. La personne, en raison de comportements ouvertement asociaux et autodestructeurs, s’est retranchée de sa famille, de ses amis, de sa communauté, voire même de son héritage culturel. Le motif qui incite une personne à entreprendre un processus de guérison est souvent, d’après nos observations, le désir de s’amender et d’être acceptée de nouveau au sein du réseau social. C’est pourquoi la guérison fait référence à une forme de socialité autochtone qui diminue cette tendance à l’apitoiement sur soi-même et qui incite plutôt à aborder les problèmes et les solutions individuels d’un point de vue général, collectif. Cette conception ne nie pas les dynamiques historiques ou l’héritage des pensionnats qui sont à l’origine des conditions ayant entraîné les malaises sociaux et psychologiques; plus exactement, elle aide les gens à mieux comprendre pourquoi ils ont des problèmes, de manière à pouvoir percevoir en même temps que, même victimes d’oppression, ils conservent la capacité d’action nécessaire pour opérer des changements et améliorer leur sort. 64 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison L’environnement holistique de la programmation a encouragé une interaction bidirectionnelle entre les thérapeutes et les clients : les thérapeutes se sont trouvés engagés comme patients, apprenant de leurs clients, alors qu’ils continuaient leur propre parcours de guérison; quant aux clients, ils se retrouvaient simultanément thérapeutes apportant leurs expériences de vie perturbée comme outil de réflexion facilitant l’autoguérison des thérapeutes. La beauté de cette synergie ressort des chapitres de cet ouvrage et, de ce fait, met en évidence de quelle façon ces programmes de guérison diffèrent fondamentalement de nombreuses approches psychothérapeutiques non autochtones qui implicitement ou explicitement appliquent des distinctions bien déterminées entre les thérapeutes et les clients. 65 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Réponse, responsabilité et renouveau : Cheminement du Canada vers la vérité et la réconciliation Édité par Gregory Younging Jonathan Dewar Mike DeGagné 2009 Depuis la publication en 2008 de l’ouvage de la Fondation autochtone de guérison (FADG) De la vérité à la réconciliation : Transformer l’héritage des pensionnats bien des événements marquants se sont produits. En février 2008, les Canadiens ont suivi avec attention le premier ministre australien Kevin Rudd présenter des excuses officielles pour les torts causés dans le passé par des gouvernements australiens successifs envers la population indigène. Il a reconnu tout particulièrement la situation tragique qu’ont vécue des milliers d’enfants des « générations volées » enlevés de force de leur famille. Par ailleurs, il n’y a eu aucun engagement concernant une compensation. Entre-temps, au Canada, on versait une compensation sous forme de paiement d’expérience commune, de même qu’on faisait circuler l’information sur la composante touchant la compensation subséquente versée à titre individuel et le processus d’évaluation indépendant répondant à des demandes d’indemnité pour abus physique et sexuel. Dans la foulée de ces mêmes ententes, la Commission de témoignage et réconciliation (CTR) liée aux pensionnats indiens était instituée et lancée le 1er juin 2008. Une semaine et demie plus tard, soit le 11 juin 2008, le gouvernement du Canada présentait des excuses officielles. C’est ainsi qu’à l’été 2008, la FADG a décidé de commander une deuxième série d’articles d’auteurs autochtones et non autochtones du Canada et de l’étranger afin de continuer à faire progresser le discours sur la vérité et la réconciliation, particulièrement concernant les nombreuses questions à la fois exigeantes et stimulantes soulevées. Cependant, des événements imprévisibles sont survenus depuis cette décision. Le 20 octobre 2008, seulement quelques mois après le lancement de la CTR et la nomination de ses membres faite en grande pompe, le juge Harry LeForme résigne de ses fonctions de président de la CTR, suivi par la démission des commissaires Jane Brewin Morley et Claudette Dumont-Smith. Subséquemment, la CTR a commencé une période qu’on pourrait désigner « de latente ». Bon nombre parmi nous ont su que des Survivants sont décédés dans les mois qui ont suivi le lancement de la CTR et la présentation ultérieure des excuses du gouvernement; faisant suite à toutes ces déclarations, les communautés ont donc été forcées d’attendre, encore une fois, des réponses à leurs questions. Bon nombre des auteurs présentés dans ce tome ont de la même façon joué un rôle au niveau communautaire, dans leur propre collectivité, parfois en préconisant, mais parfois aussi en remettant en question, les mesures anticipées par toutes les parties pour la réconciliation. Tout au long de cet ouvrage, cet engagement est manifeste et il ressort dans l’identification des grandes questions, des enjeux, dans le partage des idées, dans la formulation de recommandations, dans le fait de relever des défis et dans la remise en questions du statu quo. Tout comme le premier tome, on y voit une progression et un dynamisme, des possibilités, mais aussi des défis à relever. Ce recueil d’articles est présenté en trois sections. 67 Réponse, responsabilité et renouveau : Cheminement du Canada vers la vérité et la réconciliation Section 1 : L’histoire parmi nous présente un solide volet historique en faisant valoir la place de l’histoire dans la vie d’aujourd’hui. Jose Kusugak décrit de façon vivante son expérience au pensionnat et celle de son frère qui ont été enlevés de leur foyer pour y être ensuite retournés; en conclusion, il présente un point de vue approfondi sur les bons et les mauvais moments. Dans le prolongement de la présentation des excuses de 2008, René Dussault porte un regard nouveau sur le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA) et sur la stratégie approfondie envisagée sur 20 ans qui propose de rétablir la santé sociale, économique et politique des Autochtones dans la perspective de repenser leur relation avec le reste du Canada. Sophie Pierre raconte l’histoire de St. Eugene Mission Resort et la détermination de la communauté de combattre, d’infléchir les séquelles des pensionnats, du moins celles laissées par une institution en particulier, pour les orienter vers une transformation positive dans l’intérêt de la communauté et des futures générations. James Igloliorte, quant à lui, raconte l’histoire des Inuits du Labrador, ainsi que d’une présentation d’excuses différente et moins bien connue; il situe leur expérience sous l’éclairage plus général de la réconciliation. Susan Crean traite de la nécessité de s’approprier de notre histoire pour vraiment participer aux efforts de réconciliation. Elle souligne son amitié avec l’écrivain métis Howard Adams et son identité anglo-canadienne, de même que sa relation avec la Rebellion du Nord-Ouest au moment où son grand-oncle a participé à la bataille contre Louis Riel à Duck Lake. Ces rappels visent à mettre en évidence l’histoire à l’intérieur de sa propre histoire. Quant à Rita Flamand, elle traite du fait qu’elle a grandi dans la culture Michif; elle retrace son expérience à l’école de jour, met l’accent sur les similarités et les distinctions importantes de l’expérience métisse au contact des pensionnats, de l’Église et de l’État et de leur influence. Elle réclame la reconnaissance de la « véritable histoire des Métis ». Ian MacKenzie, en s’inspirant de sa situation comme membre fondateur du Centre for Indian Scholars, écrit que le temps est maintenant à la guérison, préconisant l’articulation entre le christianisme et les religions traditionnelles des Premières nations. Pour Drew Hayden Taylor, la satire est un remède d’une grande efficacité. Il adopte l’approche de l’humour pour traiter de la présentation des excuses du premier ministre; il nous invite à examiner certaines dimensions complexes touchant les excuses et le pardon. De plus, il indique quelle direction nous prenons tous à partir de maintenant. En ce qui a trait à Mick Dodson, il présente la perspective des Aborigènes de l’Australie concernant l’expression d’excuses et de regrets dans son pays, insiste sur la nécessité de régler les problèmes en suspens et de mettre fin à des bouleversements récents; il termine en traitant d’un fait nouveau qui peut très bien constituer une autre étape fondamentale de l’évolution. Section 2 : Réconciliation, Restitution, Rhétorique — atteste au moins de façon allitérative une ressemblance avec le titre du présent tome présentant la répétition de trois R, ce qui dégage un sens porteur d’espoir et d’actions, mais aussi des façons de procéder et des problèmes à envisager. Heather Igloliorte traite de l’art et des artistes inuits, de même que du pouvoir de l’art visuel pour se faire comprendre malgré les fossés linguistiques, culturels et générationnels. Elle soutient que l’art donne la possibilité aux artistes de raconter ces histoires à un large public et d’appuyer le renforcement et le nouveau dynamisme du processus de réconciliation national. Richard Wagamese parle de ce qu’il a vécu en étant pris en charge par les organismes de protection de la jeunesse et des répercussions intergénérationnelles des pensionnats. Il insiste sur l’importance de la réconciliation au niveau personnel, de l’expérience vécue par des gens qui luttent contre le ressentiment, la haine et la colère et retrouvent un sentiment de paix, de même que la nécessité pour la Commission d’entendre ces vérités. Peter Harrison traite à son tour de l’ampleur du défi auquel est confronté la CTR qui est appelée à composer avec l’ignorance à son niveau le plus 68 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison bas en dissipant les mythes concernant l’histoire des politiques, ainsi que le paysage actuel des accords de règlement et des compensations. Scott Serson réétudie le rapport de la CRPA, mais il se concentre principalement sur la réponse du gouvernement, Rassembler nos forces : le plan d’action du Canada pour les questions autochtones, en faisant ressortir ses quatre objectifs : le renouvellement des partenariats; le renforcement de l’exercice des pouvoirs; l’établissement d’une nouvelle relation financière et l’appui pour des communautés, des personnes et des économies fortes. Il invite le lecteur à d’abord examiner les déclarations et les actions du Canada depuis 1998 et ensuite à se pencher sur la réconciliation et l’équité financière. Taiaiake Alfred soutient que les mesures prises dans le passé n’ont contribué en rien à aider les Autochtones à recouvrer leurs forces et leur dignité et elle plaide pour un discours de la restitution visant à réparer les actes criminels de la colonisation. Waziyatawin aussi situe les pensionnats dans le contexte d’un grand projet colonial et elle réclame des solutions plus globales. Elle préconise des étapes concrètes permettant de s’occuper et de traiter des crimes comme le vol des terres, le génocide, l’épuration ethnique et la colonisation dans le territoire du Dakota, le Minisota Makoce. David Hollinsworth évalue de façon éclairée la présentation des excuses faite en Australie et il demande à ce pays d’agir pour assurer des mesures de réparation et de guérison véritables à toutes les personnes ayant subi des préjudices en raison des politiques et des pratiques antérieures. Roland Chrisjohn et Tanya Wasacase abordent toute la rhétorique des excuses présentées par le Canada, ainsi que le mandat de la CTR, alléguant que la commission de témoignage et réconciliation, dans le cadre de ses travaux, ne contribuera pas à faire la justice, même si celle-ci réussit à remplir son mandat. Section 3 : L’Histoire de demain s’ouvre par les propos du Révérend Fred Hiltz, primat de l’Église anglicane du Canada, à Ottawa, Ontario, le 2 mars 2008 au moment de la tournée En souvenir des enfants : Tournée préparatoire Vérité et Réconciliation des chefs autochtones et d’Église en vue de préparer le processus de vérité et de réconciliation. Il s’est exprimé ainsi : [traduction] « Comme Églises, nous avons tellement de choses pour lesquelles nous devons être vraiment désolés » et nous engager à agir conformément aux regrets exprimés. Valerie Galley soutient qu’un engagement d’ouverture à la réconciliation doit englober un engagement à faire renaître et à protéger les langues autochtones. Mari Tanaka présente sa perspective comme nouvelle immigrante au Canada et elle écrit qu’elle vient d’être informée au sujet des pensionnats (indiens); elle enchaîne en parlant des répercussions sur sa vie qu’a eues son expérience personnelle du pensionnat alors qu’elle cherchait à développer sa propre identité à la fois en tant que canadienne et japonaise. Erin Wolski présente le cadre d’analyse comparative entre les sexes, culturellement significatif, de l’Association des femmes autochtones du Canada comme outil que la CTR devrait étudier et appliquer compte tenu qu’il vise à répondre aux besoins des femmes autochtones et à représenter leur vécu ou leur parcours unique. Natalie A. Chambers témoigne de son expérience en tant qu’immigrante vivant dans une réserve et elle lance un appel à d’autres immigrants de s’engager dans une profonde réflexion, un auto-examen, comme première étape du processus permettant de bien comprendre le rôle exercé par les colonisateurs dans le passé, afin que tous ensemble nous puissions croire en un avenir meilleur pour les futures générations. John Ralston Saul identifie quatre barrières qui font obstacle à la poursuite de la réconciliation que les Canadiens doivent surmonter collectivement s’ils veulent y arriver. Finalement, Gregory Younging décrit sa propre expérience intergénérationnelle des pensionnats et le lien à cet égard qu’il attribue à sa mère et à son travail, ainsi qu’à ses propres travaux universitaires et activités d’activiste. 69 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Pensionnats, prisons et VIH/sida au sein de la population autochtone du Canada : à la recherche de liens d’interdépendance J. Kevin Barlow Réseau canadien autochtone du sida 2009 Les pensionnats n’ont pas seulement été marqués par le sentiment de solitude que de nombreux enfants autochtones ont éprouvé alors qu’ils étaient séparés de leurs parents et de leur communauté. La fréquentation de ces établissements a entraîné des changements néfastes et profonds, constatés par de nombreux Survivants et collectivités autochtones, du fait que des générations entières ont été touchées par des répercussions désastreuses et qu’elles ont subi des pertes cumulatives par suite des actes de violence dont les anciens élèves des pensionnats ont été victimes dans ces établissements-là. Les types de mauvais traitements les plus dévastateurs ont été les abus physiques et sexuels. En ajoutant les effets de la perte de la langue et de la culture, on peut facilement comprendre la gravité des atteintes dont un grand nombre de personnes ont souffert. Des deuils et pertes multiples, une situation socioéconomique précaire et des problèmes de consommation abusive de substances psychoactives sont tous des facteurs qui, pour bien des Autochtones, contribuent à ralentir leur démarche de guérison. Alors que bon nombre de collectivités autochtones commencent à se hisser hors de leur passé sombre, il n’en reste pas moins que des défis importants sont à relever pour réussir à préserver la langue, la culture et les forces traditionnelles, tout en cherchant à s’adapter au monde moderne. De plus, de nouvelles menaces sanitaires comme le VIH/sida, l’hépatite C ou l’usage de drogues injectables entrent de plus en plus en jeu, surtout en milieu carcéral où on trouve les taux d’infection les plus alarmants. Comme les pensionnats, les prisons sont des milieux complètement institutionnalisés. Trop nombreux sont les Autochtones qui, aujourd’hui encore, passent une grande partie de leur vie dans des établissements où ils n’exercent que peu, voire pas de contrôle sur leur propre vie. Au moins une étude a démontré qu’il était possible et vraisemblable que les séquelles des pensionnats aient contribué à la propagation de VIH/sida parmi certains segments de la population autochtone, peut-être plus indirectement que directement. Il est commun, tant chez les femmes que chez les hommes toxicomanes, faisant usage de drogues injectables, d’être victimes d’abus physique et sexuels. Plusieurs de ces usagers viennent de familles en difficulté et ayant eu une enfance perturbée, où des facteurs contributifs communs sont de la violence physique, psychologique, mentale et sexuelle, ce qui confirme le lien entre des familles dysfonctionnelles et des enfances troublées et une vie adulte aux comportements d’autodestruction. Ce mode de comportement auto-destructeur qu’est l’usage de drogues injectables peut être la source de risques élevés d’infection à VIH. Des relations sexuelles non protégées, qu’elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles, d’autant plus s’il y a usage de drogues injectables, sont considérées à l’origine de nombreux cas d’infections à VIH/sida. Bien que les Autochtones ne représentent qu’un petit pourcentage de l’ensemble de la population canadienne, ils comptent pour environ un cinquième du total des détenus incarcérés dans des établissements provinciaux et fédéraux. Par ailleurs, le nombre de cas connus de VIH ne représente qu’un faible pourcentage de la population des établissements correctionnels, mais la proportion de détenus 71 Pensionnats, prisons et VIH/sida au sein de la population autochtone du Canada : à la recherche de liens d’interdépendance fédéraux atteints de l’hépatite C est de l’ordre de 25 pour cent. Étant donné que la population carcérale compte un nombre disproportionné d’Autochtones et que les taux de prévalence du VIH, de l’hépatite C et de co-infection y sont beaucoup plus élevés que dans le reste de la population, il y a tout lieu de croire que les taux sont particulièrement élevés parmi les détenus autochtones. Il apparaît toutefois que ces infections sont plus répandues dans les prisons canadiennes, ainsi que parmi la population autochtone, tant au sein qu’à l’extérieur du système correctionnel canadien. La littérature laisse entendre qu’il est nécessaire de se pencher davantage sur l’étendue réelle du problème posé par le VIH/sida, l’hépatite C et la co-infection parmi la population autochtone. Il reste évidemment beaucoup à faire et les efforts doivent être menés de manière cohérente, pragmatique et novatrice pour répondre aux besoins en matière de traitement et de soin de tous les Autochtones atteints du VIH/sida ou de l’hépatite C et ainsi empêcher que ces maladies ne se propagent davantage. 72 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison Paiement d’expérience commune, composante de l’Accord de règlement relatif aux pensionnats indiens, et guérison : une étude qualitative exploratoire des incidences sur les bénéficiaires Gwen Reimer Amy Bombay Lena Ellsworth Sara Fryer Tricia Logan 2010 La présente étude fait état de la façon dont les Survivants ont été touchés par le paiement d’expérience commune (PEC), une composante de l’Accord de règlement relatif aux pensionnats indiens conclu en 2007. Il s’agit d’une étude de recherche qualitative ayant deux objectifs principaux : 1) recueillir des données expérientielles et obtenir des Survivants bénéficiaires du PEC des précisions au sujet des incidences que le PEC a eues sur eux et sur leur engagement dans la guérison; 2) recueillir leurs impressions ou commentaires sur l’apport des services de soutien, si ceux-ci ont contribué à leur venir en aide au cours du processus de compensation. C’est à partir des entrevues faites auprès de 281 Survivants de premières nations, métis et inuits au Canada qu’on en est arrivé aux constatations présentées dans cette étude. L’information obtenue a été conceptualisée à partir d’une analyse environnementale ayant pour base un examen des services du gouvernement visant les bénéficiaires ou titulaires de l’Accord de règlement, de même qu’à partir d’entrevues menées auprès du personnel des projets financés par la FADG dans les communautés où les informateurs clés ont été interviewés. Autant que possible, les résultats ont été quantifiés afin de déterminer la hiérarchisation des incidences, réactions et opinions (par ordre de grandeur). Les principales constatations de cette étude sont : • La plupart des participants avaient reçu le PEC au moment de l’entrevue; 20 pour cent ont confirmé avoir reçu le plein montant et 32 pour cent n’avaient reçu qu’un montant partiel. • Quarante pour cent des participants ont trouvé le processus du PEC difficile ou exigeant; 26 pour cent ont dit que le processus de demande avait été ardu, pénible, tant du point de vue logistique que du point de vue émotionnel; 20 pour cent ont fait ressortir que la longue période d’attente pour les besoins du traitement de la demande et du paiement avait suscité beaucoup d’anxiété et de confusion. • Un tiers des participants a dit que la demande du PEC avait été facile à faire et sans complications. Il s’agissait principalement de demandeurs âgés de moins de 60 ans, parlant couramment, lisant et écrivant le français ou l’anglais, dans des collectivités où l’aide de Service Canada était offerte, où les projets financés par la FADG dispensaient de l’assistance pour remplir la demande. • Un quart des participants étaient engagés dans le processus de réexamen de la demande au moment de l’entrevue. Ces participants se sont trouvés aux prises avec la difficulté de raconter de nouveau leur histoire et d’essayer de prouver leurs allégations quant aux années de fréquentation d’un pensionnat dans l’espoir que le gouvernement valide leur expérience. Ces Survivants ont dit avoir eu l’impression 73 Paiement d’expérience commune, composante de l’Accord de règlement relatif aux pensionnats indiens, et guérison : une étude qualitative exploratoire des incidences sur les bénéficiaires qu’on les traitait de menteurs, ajoutant que ce n’était pas de leur faute si des dossiers ou des registres avaient été perdus. • Des participants ont été très critiques à l’égard de l’omission de certains établissements scolaires, de foyers scolaires et foyers de groupe de la liste d’institutions reconnues. Dans les communautés, on ne s’explique pas les décisions concernant la non admissibilité de certains établissements scolaires. En effet, on s’est interrogé sur les raisons du refus des demandes de Survivants métis parce qu’ils étaient des élèves « de jour » ou externes, bien qu’ils aient fréquenté un pensionnat reconnu; on s’est demandé aussi pourquoi de nombreux enfants inuits ayant pensionné dans des foyers scolaires ont été refusés du fait que ces foyers ne sont pas sur la liste. • En général, les participants se sont ralliés pour dire que le processus de compensation a paru incohérent, les abandonnant aux mains d’une organisation extérieure ayant de l’ascendant encore une fois sur un aspect de leur vie. • Dans le cas de 10 pour cent du groupe de l’étude, le fait d’avoir vécu une expérience négative pendant la demande du PEC et du processus de réexamen a influé sur leur décision de ne pas faire la demande du processus d’évaluation indépendant (PEI) et de ne pas participer aux activités liées à la Commission de témoignage et réconciliation (CTR). • Plus du tiers du groupe de l’étude a confié que le processus du PEC avait déclenché des émotions négatives ou des rappels d’images traumatisants. Beaucoup ont expliqué que le processus du PEC avait fait remonter des souvenirs pénibles, douloureux, et rouvert de vieilles plaies. Ils ont décrit des réactions diverses à ces souvenirs allant de sentiments de malaise et de solitude, à des réactions de panique et de dépression, parfois menant à des comportements autodestructeurs. • Plus de Survivants ont parlé d’incidences positives qu’ont eues ces paiements que ceux en ayant décrit des incidences négatives; cependant, cette fréquence ne devrait pas être confondue avec la magnitude. Les incidences négatives décrites par les participants ont été profondément dévastatrices dans le cas de nombreux Survivants, leur famille, et dans des communautés, ce qui l’a emporté largement sur tout avantage matériel positif de ces paiements. Le message général ressorti des témoignages de Survivants faisant état d’incidences négatives a été que la décision de conclure un accord en arrêtant le versement d’une compensation pécuniaire individuelle a été erronée et insuffisante, aggravée par un manque de planification de la part des responsables de la mise en application du versement du PEC; il aurait fallu se préparer pour les déclics (psychologiques), les réactions d’autodestruction et les comportements prédateurs ou rapaces. Quant aux témoignages des Survivants ressortant des incidences positives, ils transmettent une tendance à distinguer les questions portant sur la guérison de celles se rapportant à l’argent et, par conséquent, à simplifier leur perception de la compensation en la considérant comme un avantage présumé bénéfique du point de vue matériel. De plus, un taux assez élevé de satisfaction ou d’incidences positives chez des participants ayant reçu la compensation dans les six mois précédant l’entrevue laisse supposer que cette satisfaction émanant de l’argent du PEC a été en grande partie éphémère. • Presque la moitié du groupe de l’étude a dit que le fait de recevoir la compensation a été une expérience à la fois positive et négative. Foncièrement, ce dualisme a qualifié le PEC de positif parce qu’il permet 74 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison d’alléger le fardeau financier et d’offrir des possibilités de partager avec sa famille ou de se procurer des articles nécessaires ou désirés, mais par contre, il a suscité aussi une perception négative parce que ces bénéfices ne l’emportent pas sur le sentiment d’injustice causé par la formule « 10 plus 3 » pour la compensation, ni qu’ils atténuent la souffrance provoquée par les émotions et les souvenirs du traumatisme découlant des années passées au pensionnat. • La majorité des Survivants du groupe de l’étude a demandé ou voulu un soutien de quelque nature que ce soit pendant le processus du PEC; il pouvait s’agir d’aide pour remplir les formulaires de demande ou de counselling ayant trait au traitement d’émotions et de souvenirs traumatisants déclenchés par le processus. Le thème dominant de leurs commentaires au sujet des services et des soutiens a été l’importance qu’a revêtue l’assistance offerte au niveau communautaire. Plus de 40 pour cent des participants ont rapporté que l’accessibilité de services pendant le processus de demande a été problématique. Plus de 10 pour cent ont fait des commentaires sur le manque d’aide pour le processus du PEC dans leur communauté et 7 pour cent n’étaient pas au courant qu’il y ait eu une aide quelconque offerte pendant le processus du PEC. • Plus de quarante pour cent du groupe de l’étude ont dit qu’ils s’en étaient remis à des soutiens non spécifiquement conçus pour le PEC, comme les membres de leur famille, des amis et/ou des ressources dans leur localité, notamment le Centre d’amitié, le bureau de la bande, le bureau de revendications territoriales ou le centre de santé communautaire, pour obtenir de l’aide au cours du processus du PEC. Seize pour cent se sont appuyés uniquement sur leur famille et leurs amis principalement du fait qu’ils ne faisaient pas confiance aux services locaux et à leur capacité d’assurer la confidentialité et l’anonymat. C’était particulièrement le cas des collectivités plus petites, éloignées et semi-isolées. • Un quart des participants a dit qu’ils s’étaient adressés aux services gouvernementaux. Le soutien accordé par Service Canada pour les besoins de la demande a été considéré utile dans le cas où ces services ont été offerts dans la communauté des demandeurs ou si ceux-ci résidaient près d’un bureau de Service Canada. Des participants se sont montrés critiques des services offerts par le Centre de réponse du PEC; la plupart de ceux ayant dit avoir essayé les numéros d’aide sans frais n’ont reçu que peu ou aucune aide, se sont sentis intimidés ou frustrés par les téléphonistes ou ont eu l’impression que le service n’était pas sensible à la portée émotionnelle du processus du PEC pour les Survivants. • Bon nombre de participants ont décrit les bienfaits et l’assistance obtenus des projets de guérison communautaires financés par la FADG; quelques-uns ont ajouté qu’on devrait assurer la continuité à long terme de ces programmes. Des participants ont dit que l’approche des projets financés par la FADG est principalement bénéfique, fructueuse, du fait qu’elle est axée sur le traitement du traumatisme causé par le pensionnat. Également, du fait que le personnel des projets est autochtone et/ou Survivant et que des activités traditionnelles autochtones et des pratiques de mieux-être sont mises de l’avant, cela constitue un élément d’une très grande importance dans la guérison des séquelles des pensionnats. • Une analyse environnementale des soutiens et services offerts aux Survivants pendant le processus du PEC indique que les projets financés par la FADG ont en général appuyé les Survivants par tous les moyens possibles, leur dispensant même des services dépassant les limites du mandat du projet. Les commentaires des Survivants sur le manque de services confirment l’augmentation de 75 Paiement d’expérience commune, composante de l’Accord de règlement relatif aux pensionnats indiens, et guérison : une étude qualitative exploratoire des incidences sur les bénéficiaires la demande de services de guérison depuis l’Accord de règlement, ce qui, selon les prestataires de services communautaires, semble indiquer que l’aide ou l’accompagnement en matière de guérison ne répond actuellement qu’à une infime partie ou partie émergée de l’iceberg. Des énoncés de cette nature correspondent aux résultats d’une évaluation récente des activités des projets depuis l’Accord de règlement confirmant que la guérison des séquelles liées aux pensionnats vient à peine de commencer. • Presque les deux tiers des participants étaient engagés dans la guérison sous une forme ou une autre. Des Survivants ont dit être engagés dans la guérison et d’autres non, mais ils ont tous rapporté un taux similaire d’incidences positives et négatives de la compensation. Des Survivants cheminant déjà vers la guérison avant l’Accord de règlement ont été davantage portés à dire que le processus du PEC et l’argent favorisaient la guérison d’une façon ou d’une autre, et, à tout le moins, que c’était un petit pas en avant dans leur cheminement personnel de guérison. À l’opposé, des participants ayant indiqué ne pas être engagés dans la guérison ont été enclins à dire que le PEC n’avait rien changé ou que le processus et l’argent avaient été préjudiciables ou avaient nui à leur bien-être. • Presque la moitié des participants à l’étude a dit que la compensation n’avait rien apporté à leur bienêtre. Ces Survivants étaient principalement d’avis qu’il n’y a pas de lien entre l’argent et la guérison et qu’aucun montant compensatoire ne peut remplacer ce qu’ils ont perdu. • En général, les participants ont défini la guérison comme la recherche de moyens destinés à traiter directement les problèmes émanant des séquelles des pensionnats afin de soulager leur souffrance ou de pouvoir composer au quotidien avec les souvenirs émotionnels traumatisants déclenchés par le processus du PEC, de pouvoir tourner la page sur le passé. Pour y arriver, on cherche l’apaisement en faisant le deuil des personnes décédées au pensionnat, en se libérant des dépendances ou en développant la confiance pour pouvoir se confier à quelqu’un et se libérer de sa souffrance. Plusieurs ont défini la guérison en faisant référence à des méthodes de guérison traditionnelles, occidentales (contemporaines) ou complémentaires/alternatives, ou en recherchant un équilibre personnel et la force spirituelle. • Environ un quart des participants a dit que le processus du PEC avait dans une certaine mesure favorisé la guérison principalement par ce qu’il symbolisait : la compensation a été une reconnaissance tangible des torts causés par le régime des pensionnats; il a permis aux Survivants de prendre conscience qu’ils ne sont pas des cas isolés et de les inciter à se confier et à parler de leur expérience; il a aussi donné le sentiment d’acceptation de ce qui a été perdu. La signification symbolique du PEC a été généralement associée aux excuses officielles présentées par le gouvernement. • Presque 20 pour cent des participants ont dit que le processus du PEC et l’argent ont été un recul dans leur cheminement de guérison. Pour ces Survivants, le PEC a représenté une période très négative dans leur vie et il les a laissés dans un état pire qu’avant. Ils ont exprimé de l’amertume et du ressentiment à l’égard de cette formule inadéquate du « 10 plus 3 », de la colère en raison de critères d’admissibilité qui ont privé bien des Survivants vivants de la compensation, de même qu’un sentiment de deuil suscité par ce grand nombre de Survivants décédés avant l’application de l’Accord de règlement. 76 Recueil des documents de recherche de la Fondation autochtone de guérison • Environ un tiers des participants ont traité du PEC et de la compensation à partir de perspectives qui tiennent compte des répercussions intergénérationnelles du régime des pensionnats. Ces Survivants ont dit que le PEC était bien insuffisant par rapport aux effets directs et indirects des abus physiques et sexuels ayant été commis dans les pensionnats qui ne peuvent pas être compensés; également, ils ont dit qu’il était illogique d’accorder une compensation individuelle du fait que l’expérience des pensionnats n’est pas un phénomène individuel. Il s’agit d’une expérience qui a marqué les familles et les communautés et qui est transgénérationnelle. Les problèmes issus de cette transmission d’une génération à l’autre, qu’on relève le plus souvent, sont liés à l’aliénation de la famille, ce qui a eu pour conséquence le manque de compétences parentales; cependant, les participants ont dit que le processus du PEC avait favorisé la communication entre eux et avec leurs enfants et les échanges sur les séquelles des pensionnats. 77 Fondation autochtone de guérison 75, rue Albert, pièce 801, Ottawa (Ontario) K1P 5E7 Téléphone : (613) 237-4441 Sans frais : (888) 725-8886 Bélinographe : (613) 237-4442 Courriel : [email protected] Site internet : www.FADG.ca Aider les autochtones à se guérir eux-mêmes