yaksa Pole
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yaksa Pole
yaksa productions www.yaksa.fr [email protected] Les adhérents de l’association Yaksa productions ont écrit des textes inspirés par les œuvres de Fiona POLE et Monique CHABBERT qui sont actuellement exposées au Faubourg Bonnefoy dans le cadre de la Triennale Européenne de l’estampe contemporaine (exposition du 8 juin au 8 juillet 2010). Nous les remercions chaleureusement pour leur contribution ! FIONA POLE Départ, valises, elle a déjà préparé sa valise, il faudra voyager léger, presque rien à emporter. Dernier essayage elle hésite, elle s’habille, se déshabille, se regarde dans le miroir. Elle ne peut pas tout emporter. Elle choisit sa robe bleue. Son passeport en poche, commence alors l’attente. Elle s’assied sur le fauteuil jaune du salon, seul meuble qu’elle regrettera. Elle est nerveuse. Les minutes se prennent pour des heures. Qu’est-ce qu’il fait ? Pourquoi lui rendre l’attente encore plus difficile. Dans sa tête elle est déjà partie, elle est déjà ailleurs et pourtant elle est toujours là. Elle se lève prend sa valise, attend près de la porte. Elle retourne dans sa chambre, aperçoit la robe rouge et pleure. Elle a l’impression de l’abandonner, de se trahir. Enfin on frappe à la porte, elle va partir. Essayer d’oublier tout ça. Ne jamais oublier. Marie Ouvrir la porte d’entrée de la maison fermée depuis des mois, sans trembler. Ouvrir les fenêtres, les volets. Laisser entrer la lumière, le soleil, la chaleur. Dans l’entrée, des vêtements suspendus sur le portemanteau forment une légère bosse. Un chapeau acheté en Irlande, déformé est accroché par-dessus un imperméable, sous lequel des bottes de motard crottées, attendent d’être nettoyées. Sur une console sont posés 2 casques de moto, l’un, laqué noir personnalisé par une panthère, et l’autre, un petit casque en cuir avec une visière fendue et rayée. Des traces boueuses de chaussures d’hommes et de femmes, tellement reconnaissables par leurs empreintes si particulières en 2 morceaux, l’une large sous la plante du pied, l’autre étroite sous le talon. Des traces terreuses de pattes de chiens et de chats sont inscrites sur le sol jusque dans la cuisine où la table en bois foncé est grise de poussière. Des miettes de pain sont là, oubliées par les souris. Il flotte dans la maison une odeur douce et sucrée de tabac blond. Il y a de la poussière mais aucune trace de moisissure. Je regarde le miroir. Mon cœur se serre. Le mot écrit avec un rouge à lèvres et la trace du baiser laissé par mes lèvres en guise de signature, sont à peine effacés, visibles sous la poussière. Dans le salon, un blouson en cuir aux manches râpées est jeté sur le dossier d’un fauteuil, les coussins du canapé sont aplatis et gardent la forme de son corps. J’ouvre la porte de la chambre les draps sont encore froissés. Rien n’a bougé. Dans la salle de bain, son eau de toilette est si présente que je ferme les yeux. Toutes ses affaires sont là, mousse à raser, rasoir, peigne, brosse sur laquelle sont accrochés ses cheveux. Son peignoir de bain est posé sur le rebord de la baignoire. Je saisis son pull marine, confortable mais informe, aux coudes percés, qu’il aimait particulièrement. Je le sens, le renifle, les yeux fermés, pour en percevoir toutes les effluves. Chaque odeur me blesse, me transporte, me foudroie. J’étouffe. Je sors m’aérer. . … La maison a été fermée, telle qu’elle, depuis sa disparition et son empreinte est partout. Josselyne yaksa productions www.yaksa.fr [email protected] FIONA POLE Je tourne sur moi-même pour compter, dans ce si petit périmètre, les traces de ton passage. Tu es passée…il y a si peu de temps. Tout, autour de moi en témoigne : les empreintes de pas régulières dans le chemin boueux, me conduisent à la cabane. J’y reconnais une semelle usée par les kilomètres parcourus. Je reste sur le seuil, la porte entrebâillée. Mes yeux s’habituent petit à petit à l’obscurité. Dans un renfoncement, un vieux canapé à moitié éventré. Tu t’y es allongée et le poids de ton corps a déformé les coussins. Une vieille commode poussiéreuse se dessine dans la pénombre. J’ose enfin m’approcher. Sur le marbre, tes doigts ont tracé des routes imaginaires, sentiers énigmatiques. Mes doigts prennent le relai des tiens et cheminent suivant leur propre itinéraire. Et tout à coup, mon cœur chavire. En une respiration, ton odeur que j’essaie de retenir : mélange subtil de tabac et d’épices, un brin poivré…A peine identifiée, déjà évaporée… Ce parfum qui me transporte vers des contrées secrètes connues de nous seules … ma mémoire s’affole, les souvenirs se bousculent, tantôt lame de fond, tantôt petite houle, tantôt nets et précis, tantôt diffus et flous. Je m’accroche encore aux derniers effluves mais tu es déjà loin et moi je reste ici. Sophie Immobile au milieu de la pièce, tu attends que j’entreprenne ta transformation. Ton corps vierge de toute trace appelle mon inspiration. Je démarre par quelques légers coups de scalpels pour délimiter les différentes zones d’intervention. De minuscules gouttelettes rouges carmin perlent aussitôt contrastant avec le blanc immaculé de ta peau. Le tableau est en cours. A l’aide d’une plume, je caresse, j’effleure ton torse, tes bras et tes jambes. La réaction est immédiate : chair de poule. Je profite de cet instant pour ancrer un tampon gravé d’un code barre. Je l’applique sur ta nuque, je l’applique sur ton épaule gauche, rien ne peut plus m’arrêter, tu m’appartiens vraiment. Avec un large pinceau, je te badigeonne du bleu du ciel de la tête aux pieds. Tes orteils semblent s’agiter au contact des poils : chatouille exquise ou sadique torture. Au milieu de la pièce, ton corps paraît maintenant auréolé d’une douce lumière. De mes ongles affutés, je griffe ton visage à l’horizontale… Scarifications tribales, envie d’ailleurs. Je suis épuisée, vidée de toute énergie. J’abandonne. Sophie