Bulletin de veille - Volume 2 - Numéro 3

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Bulletin de veille - Volume 2 - Numéro 3
Volume 2 – Numéro 3 – Octobre 2013
Bulletin de veille
du Curateur public du Québec.
Sommaire
Le vieillissement des adultes ayant une déficience
intellectuelle en Irlande ............................................. 2
La lutte contre la maltraitance des personnes
vulnérables (États-Unis, Canada et Royaume-Uni)..... 5
Le nouveau dispositif de protection de la Norvège ..... 8
Création d’un Curateur public en Irlande ................. 12
Trois nouvelles du Japon .......................................... 17
Avis au lecteur
Les points de vue exprimés
dans les articles et rapports
recensés ne représentent
pas nécessairement l'opinion du Curateur public du
Québec.
Pour faciliter l’accès aux
textes sur les dispositifs de
protection des personnes
inaptes des pays étrangers,
les résumés peuvent aussi
comprendre des précisions
concernant ces dispositifs.
Le vieillissement des adultes
ayant une déficience intellectuelle en Irlande
Alors que le Québec terminait la dernière phase de la
« désinstitutionnalisation » de ses citoyens atteints
de troubles mentaux ou de déficience intellectuelle,
dans les années 1990, l’Irlande commençait la sienne, avec la parution d’un rapport confirmant l’expérience de plusieurs pays qui démontre que les personnes vivant dans la communauté plutôt qu’en institution ont une meilleure qualité de vie et sont plus autonomes (1). À ce moment-là, plus de 4 000 Irlandais, majoritairement des adultes avec une déficience
intellectuelle, étaient hébergées dans des résidences
spécialisées accueillant plus de 10 personnes.
Une vingtaine d’années plus tard la situation ne s’est
guère améliorée. De 1999 à 2008, les milieux institutionnels ont enregistré davantage d’admissions que
de sorties : 620 adultes ayant une déficience intellectuelle en étaient partis, alors que 690 y étaient admis (2). En 2011, quelque 32 % des déficients intellectuels adultes étaient hébergés dans des résidences
offrant une assistance continue, tandis que les autres
vivaient à domicile (3).
La stratégie irlandaise de désinstitutionnalisation de
2011 prévoit la fermeture définitive de toutes les institutions dans un délai de sept ans. L’Irlande (population : 4,7 millions) compte quelque 26 000 personnes
ayant une déficience intellectuelle.
Le vieillissement des personnes ayant
une déficience intellectuelle
C’est dans ce contexte de désinstitutionnalisation des
personnes ayant une déficience intellectuelle en Irlande que la première étude d’envergure sur le vieillissement de ces citoyens a été réalisée. En effet, la
recherche de Mary McCarron et son équipe est considérée comme novatrice pour plusieurs raisons :
Elle permet de mesurer les changements sur une
période de 10 ans.
1. Irlande, Department of Health, Review Group on Mental
À l’échelle internationale, c’est la première fois
qu’une telle recherche est menée simultanément
avec une étude longitudinale sur le vieillissement
de la population en général.
La recherche permet de faire une comparaison
avec les études longitudinales sur le vieillissement
réalisées aux États-Unis et au Royaume-Uni (4).
Elle fournit des données sociodémographiques,
économiques et sanitaires sur un échantillon représentatif de personnes qui vieillissent avec une
déficience intellectuelle en Irlande.
Enfin, elle joue aussi un rôle de modèle auprès de
la communauté européenne.
Sources : Mary McCarron et al., Growing Older
with an Intellectual Disability in Ireland 2011, Dublin, University of Dublin, 2011, 188 p.
Irlande, Health Service Executive, Time to Move
from Congregated Settings: A strategy for Community Inclusion, Dublin, 2011, 174 p.
Handicap Services, Needs and abilities: A Policy for the
Intellectually Disabled, Dublin, 1990, 65p.
2. Irlande, Time to Move from Congregated Settings, 2011,
p. 47-48.
3. Irlande, Department of the Environment, Community
and Local Government, National Housing Strategy for
People with a Disability 2011-2016, Dublin, 2011, p. 47.
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4. Health and Retirement Study (HRS), aux États-Unis,
depuis 1992, et English Longitudinal Study of Ageing
(ELSA), depuis 2002.
Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013
Une banque de données unique
La banque de données nationale sur la déficience intellectuelle ( National Intellectual Disability Database) de
l’Irlande a été créée en 1995 dans le cadre de la désinstitutionnalisation, dans le but d’assurer que des services
adéquats soient offerts aux personnes atteintes et à leur famille.
Chaque région administrative compte un coordonnateur, qui collabore avec un comité composé de représentants
de tous les établissements impliqués dans la prestation de services (écoles, services de santé et services sociaux). Ce comité assure l’arrimage avec les bases de données locales, valide les données et offre des conseils,
notamment au coordonnateur.
Les données sont ensuite acheminées au comité national chargé d’en produire la version finale, alors considérée
comme un recensement de la population ayant une déficience intellectuelle. Pour garantir la fiabilité des données recueillies, seulement trois catégories d’entre elles sont compilées : des informations démographiques de
base, les services effectivement donnés et les besoins de services futurs.
L’échantillon comprend 753 personnes adultes ayant
une déficience intellectuelle, dont l’âge varie de 41 à
90 ans. Elles ont été recrutées au moyen de la base
nationale de données sur la déficience intellectuelle
(voir l’encadré) qui couvre l’ensemble du territoire de
la République d’Irlande. Ce groupe représente près
du dixième de la population visée.
Il s’agit d’un complément de la vaste étude longitudinale irlandaise sur le vieillissement (Irish Longitudinal
Study on Ageing) réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 8 200 adultes de 50 ans ou plus jouissant d’une bonne qualité de vie (1).
Hébergement
Dans l’échantillon de l’étude, 45 % des participants
vivent dans des centres résidentiels, 35 % dans
des résidences de groupe, alors que 11 % vivent
dans leur famille (parents ou fratrie) et 5 % habitent seuls.
La forte participation des personnes vivant dans
les centres résidentiels permettra aux chercheurs
de suivre cette population pendant le processus de
désinstitutionnalisation qui s’amorce.
Scolarité
27 % des participants n’ont jamais fréquenté
l’école.
46 % ont fait leurs études primaires.
13 personnes ont terminé leur secondaire (moins
de 0,6 %).
4 personnes sont diplômées (0,2 %).
Réseau familial et social
Plus du quart (28 %) des participants rencontrent
peu les membres de leur famille, soit une fois ou
moins par année, alors que 8 % n’ont aucun
contact avec eux.
Plus de la moitié des personnes ayant une déficience intellectuelle légère (53 %) ont toutefois
des contacts réguliers avec leur famille, lesquels
baissent à 40 % chez celles qui ont une déficience
intellectuelle grave.
Les contacts diminuent avec l’âge : 47 % chez les
50-64 ans contre 33 % chez les 65 ans ou plus.
Une proportion importante (42 %) des participants
n’ont pas de contacts téléphoniques avec leur famille, alors que le tiers en ont sur une base hebdomadaire.
Plus des trois quarts n’utilisent pas les médias sociaux.
Plus du tiers ne rencontrent pas d’amis.
La plupart des personnes ayant une déficience intellectuelle ont indiqué avoir des activités de loisir
préférées (un passe-temps).
Plus de 80 % ont besoin de l’aide d’éducateurs ou
de compagnons pour participer à des activités sociales.
La majorité d’entre elles ont un membre du personnel aidant comme confident et comme moteur
de participation sociale.
Près du tiers des participants ont voté aux dernières élections générales en Irlande.
1. Irish Longitudinal Study on Ageing (TILDA), depuis
2009.
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Santé
Un participant sur trois rapporte avoir des difficultés à se faire comprendre par les professionnels
de la santé.
Les réponses des participants indiquent que 60 %
d’entre eux sont en surpoids ou obèses.
La consommation d’alcool et de tabac est moins
fréquente chez eux que dans le reste de la population.
Les chutes sont aussi fréquentes chez les quinquagénaires atteints d’une déficience intellectuelle que
chez les 75 ans ou plus du reste de la population
irlandaise.
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Plus de la moitié des participants rapportent
n’avoir jamais reçu de brochures sur la santé qui
soit facile à lire.
Finances personnelles
82 % des participants sont prestataires de l’aide
sociale (disability allowance).
Environ la moitié d’entre eux indiquent qu’ils ne
peuvent pas gérer leurs finances.
Environ 7 % occupent un emploi rémunéré.
− Préparé par Malcolm St-Pierre, DPSR
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La lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables
(États-Unis, Canada et Royaume-Uni)
En Australie, le Curateur public à la personne de
l’État de Victoria, le Public Advocate, manifeste depuis plusieurs années un intérêt marqué envers la
lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables. Il a d’ailleurs réalisé en 2010 une étude qui a
incité le gouvernement à demander une enquête parlementaire sur le traitement que le système judiciaire
accorde aux personnes ayant une déficience intellectuelle ou un problème de santé mentale (1). Le Curateur public est aussi à l’origine d’un guide sur le traitement des signalements concernant la violence, la
maltraitance et l’abus des personnes vulnérables (2).
Cette préoccupation s’explique en partie par l’étendue du mandat du Curateur public à la personne. En
plus de ses responsabilités à l’égard des curatelles à
la personne, il gère un programme de visites sans
préavis dans les centres d’hébergement de l’État de
Victoria ainsi qu’un programme d’accompagnement
des personnes vulnérables arrêtées ou interrogées
par la police. Les visiteurs et les accompagnateurs
sont tous des bénévoles qu’il forme et encadre (3).
Le responsable du développement des politiques au
Curateur public, John Chesterman, s’est ainsi intéressé aux méthodes employées pour lutter contre la
maltraitance à l’extérieur de l’Australie. Il a rencontré
en 2013 plus de 30 professionnels des services sociaux, du système judiciaire, des autorités municipales, de la police et des curateurs publics de l’État de
Washington, de la Nouvelle-Écosse, de l’Écosse et de
l’Angleterre.
La préoccupation de John Chesterman repose sur un
problème réel: il a souvent observé que des personnes vulnérables passent entre les mailles des services
sociaux et judiciaires de l’État de Victoria, notamment
lorsqu’il n’y a ni urgence médicale ni preuve évidente
d’un crime. Entre les deux options possibles – une
curatelle ou l’inaction des autorités – la curatelle
s’impose très fréquemment. Chesterman cherche
alors à déterminer des mesures qui seraient moins
intrusives que l’ouverture d’une curatelle.
1. Victoria, Office of the Public Advocate (OPA), Violence
against people with cognitive impairments, Melbourne,
2010, 32p.; Victoria, Parliament, Law Reform Committee, Inquiry into Access to and Interaction with the Justice System by People with an Intellectual Disability and
their Families and Carers, Sydney, 2013, 418 p.
2. OPA et al., Interagency Guideline for Addressing Violence, Neglect and Abuse, Melbourne, 2013, 6 p.
3. OPA, Become a Community Visitor, 2010, 2 p.; OPA, Independent Third Person Program, 2009, 2 p.
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À cet égard, il cite la Convention des Nations Unies
relative aux droits des personnes handicapées qui reconnaît le droit de celles-ci à la capacité juridique (4).
Les mesures d’assistance devraient être « proportionnées et adaptées à la situation de la personne
concernée ».
L’auteur a centré son étude sur le rôle des divers organismes publics, sur la place qu’occupent les curatelles
et sur la présence de mesures alternatives, moins
privatives de droits. En voici quelques faits saillants.
État de Washington
L’État de Washington (population : 7 millions) a particulièrement intéressé John Chesterman en raison de
son service de protection des adultes qui a traité en
2012 environ 19 000 signalements provenant notamment de professionnels du secteur public et parapublic. Les signalements sont traités en quelques
heures ou quelques jours, selon le niveau de risque
qu’ils présentent. Les agents du service de protection
rencontrent les personnes visées ainsi que celle qui
est soupçonnée d’abus; ils sont assistés par des policiers dans environ 5 % des cas.
Quelque 2 000 allégations d’abus sont confirmées
chaque année, dont certaines qui sont transmises à
la police. Les autres sont rejetées ou fermées faute
de preuve. Le service de protection peut aider la personne concernée à obtenir les services requis ou, si
elle est inapte, à faire une demande directement aux
services sociaux ou à préparer une requête en ouverture d’un régime de protection. Chesterman souligne
que la police et les procureurs publics affichent une
détermination marquée d’agir dans les cas d’abus financier.
Les auteurs d’abus confirmés sont informés des
conclusions de l’enquête et leur nom est inscrit dans
un registre (ouvert en 2003, le registre d’abus compte environ 4 000 noms). Ce registre facilite les enquêtes sur les antécédents des candidats à des
emplois impliquant un contact avec des personnes
vulnérables.
Source : John Chesterman, Responding to violence,
abuse, exploitation and neglect: Improving our protection of at-risk adults, Canberra, Churchill Fellowship, juillet 2013, 91 p.
4. Organisation des Nations Unies, Convention relative aux
droits des personnes handicapées, 2007.
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Nouvelle-Écosse
Angleterre
La Nouvelle-Écosse (population : 1 million) a un service de protection des adultes vulnérables axé sur la
lutte contre la maltraitance. Les abus financiers sont
actuellement exclus du domaine visé par la Loi sur la
protection des adultes, mais un récent projet de loi
vise à les y inclure (1).
En Angleterre (population : 53 millions), les services
de santé sont organisés à l’échelle nationale alors
que les services sociaux sont gérés localement. Cette
organisation à deux étages ne semble pas présenter
d’obstacle à une intervention efficace dans les situations d’abus ou de maltraitance.
Le service traite environ 1 300 signalements par année. En cas de besoin, ses agents peuvent communiquer avec les responsables des services sociaux et
présenter une demande à la place de la personne
vulnérable en cause. Si cette dernière s’y objecte,
une ordonnance du tribunal est requise. Chesterman
remarque que chez lui, en Australie, seul un curateur
peut requérir des services pour autrui.
Chesterman souligne les relations étroites qu’entretiennent les enquêteurs et les responsables des services sociaux, ce qui a pour effet qu’une personne
inapte obtient rapidement les services requis. Un responsable unique est désigné pour chaque enquête et
la priorité est donnée à la sécurité de la personne
vulnérable.
Par ailleurs, le tribunal de la famille de la NouvelleÉcosse possède des pouvoirs étendus. Il peut, par
exemple, rendre des ordonnances pour faire évaluer
la capacité mentale d’une personne ou pour ordonner
son hébergement dans une résidence appropriée. Il
peut aussi interdire à des tiers tout contact avec la
victime présumée.
Chesterman remarque également que tout NéoÉcossais possédant de l’information à l’effet qu’un
adulte a besoin d’être protégé, qu’elle soit ou non de
nature confidentielle ou privilégiée, doit la signaler au
service de protection des adultes (2).
Écosse
Un nouveau système de protection des adultes a récemment été introduit en Écosse (population :
5,3 millions) (3). Les autorités municipales (responsables des services sociaux) peuvent mener des enquêtes, y compris au domicile d’un adulte vulnérable,
et les tribunaux locaux peuvent rendre des ordonnances concernant son évaluation médicale, son hébergement et le maintien de contacts avec des tiers
soupçonnés d’abus. Son consentement préalable est
toutefois généralement requis.
Cependant, certains professionnels que Chesterman a
rencontrés lui ont souligné que la protection réellement accordée dépend des ressources financières
disponibles. En raison des coupes budgétaires importantes au Royaume-Uni depuis 2008, ils se demandent si la nouvelle loi a changé quelque chose au
cours des dernières années.
1. Nouvelle-Écosse, Adult Protection Act (amended) 2013,
2013. À la fin d’août 2013, le projet de loi n’était pas encore en vigueur.
2. Chesterman, Responding to violence…, 2013, p. 42.
3. Écosse, Adult Support and Protection (Scotland) Act
2007.
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Toutefois, l’absence d’une législation visant spécifiquement la protection des adultes vulnérables signifie
que certains cas, notamment ceux d’auto-négligence
(ou syndrome de Diogène), peuvent passer à travers
les mailles. Un projet de loi est actuellement à l’étude
en Angleterre (4) pour créer un service municipal de
protection des adultes.
Quant au Curateur public anglais, il limite ses enquêtes aux signalements concernant les personnes représentées (environ 45 000 curatelles aux biens et
600 curatelles à la personne).
La responsabilité civile en Angleterre
Chesterman s’est aussi intéressé au régime anglais
de responsabilité civile qui s’applique à la prise de
décisions informelle en l’absence d’un représentant
légal. Dans la mesure où un aidant naturel ou un professionnel prend une décision pour une personne
inapte qu’il croit être dans le meilleur intérêt de cette
dernière, il bénéficie d’une exception à la règle de
responsabilité civile (5). Les aidants sont donc moins
craintifs de prendre des décisions de façon informelle.
Des professionnels de Londres ont à trois reprises indiqué à Chesterman que cette disposition a pour effet
de réduire le nombre de requêtes en ouverture d’une
curatelle (6).
Notons que le projet de loi irlandais sur la réforme
des curatelles de juillet 2013 circonscrit aussi la responsabilité civile des aidants naturels et des professionnels de la santé (7).
4.
5.
6.
7.
Royaume-Uni, Care Bill, 2013, juillet 2013, art. 42 à 47.
Royaume-Uni, Mental Capacity Act 2005, article 5.
Chesterman, Responding to violence…, 2013, p. 64.
Irlande, Assisted Decision-Making (Capacity) Bill, 2013,
article 53.
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Les leçons tirées
Chesterman remarque que les services de protection
des adultes des pays qu’il a visités sont plus centralisés que ceux de l’État de Victoria, mais il ne croit pas
que cette dimension soit la plus importante. Selon lui,
un système efficace de protection des personnes vulnérables, qu’il soit centralisé ou décentralisé, devrait :
assurer que la police et les procureurs publics possèdent l’expertise nécessaire pour mener des enquêtes et intenter des poursuites, notamment en
matière d’abus financier;
permettre aux citoyens de signaler leurs inquiétudes concernant le bien-être d’une personne vulnérable sans nécessairement déposer une plainte officielle à la police;
habiliter un organisme public ou parapublic à exercer un pouvoir d’enquêter dans les centres d’hébergement;
autoriser les tribunaux à rendre des ordonnances
(d’évaluation, d’hébergement, d’interdiction de
contact, etc.);
éviter autant que possible l’ouverture de curatelles
(considérées comme trop privatives de droits);
assurer que les professionnels impliqués dans la
protection des adultes vulnérables se rencontrent
régulièrement et coordonnent leurs efforts.
L’auteur présente aussi plusieurs recommandations
touchant les services offerts dans l’État de Victoria.
Avant tout, il croit que les pouvoirs d’enquête du
Curateur public à la personne – son employeur – devraient être renforcés, car cet organisme est particulièrement bien placé pour mener de telles activités et,
le cas échéant, pour demander l’intervention des services sociaux. Cette façon de faire, qu’il appelle la
démarche d’intervention positive, fonctionne très bien
en Écosse.
Chesterman croit également que les tribunaux de
l’État de Victoria devraient pouvoir rendre des ordonnances de protection, comme c’est le cas dans l’État
de Washington, en Nouvelle-Écosse et en Écosse,
pour circonscrire le recours à des curatelles à la personne. Selon lui, une curatelle pour les affaires personnelles ne devrait être ouverte que si des décisions
importantes doivent être prises dans l’immédiat ou si
la situation présente des risques graves (1). Plus
concrètement, il propose que les tribunaux de Victoria soient autorisés à rendre des ordonnances pour
donner accès au domicile d’une personne inapte,
pour l’évaluer et la placer dans un centre d’hébergement s’il y a lieu, pour autoriser une demande de
services et pour interdire le contact de la personne
avec le ou les individus qui sont soupçonnés d’abus.
Un tel pouvoir d’ordonnance apporterait un degré de
souplesse qui manque aujourd’hui à la réponse judiciaire dans l’État de Victoria.
Finalement, Chesterman suggère que l’État lance une
campagne de sensibilisation du public, peut-être sur
le modèle de la compagne écossaise Agir contre la
maltraitance (2), et introduise un guichet unique pour
recevoir les signalements.
− Préparé par André Bzdera, DPSR
1. Chesterman, Responding to violence, abuse, exploitation
and neglect, p. 83.
2. Voir le site Web Act Against Harm.
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Le nouveau dispositif de protection de la Norvège
Une nouvelle loi norvégienne sur la curatelle est entrée en vigueur le 1er juillet 2013. La Norvège (population : 5,1 millions) devient ainsi le dernier pays
scandinave à réformer son dispositif de protection,
après le Danemark en 1993, la Suède en 1995 et la
Finlande en 1999.
Ces lois témoignent de l’influence de la tradition sociale-démocrate scandinave et de la préoccupation de
ces pays envers la protection des droits fondamentaux des personnes vulnérables. La Norvège est aussi
un des premiers pays à repenser entièrement son
dispositif de protection suivant l’adoption par les Nations Unies de la Convention relative aux droits des
personnes handicapées en 2006. La Norvège peut
ainsi servir d’exemple aux autres pays.
Des disparités dans le traitement des mandats de
protection persistent toutefois entre les pays scandinaves. La Finlande a adopté une loi sur les mandats
de protection en 2007 alors que le Danemark et la
Suède n’ont pas de règles précises pour les encadrer.
La nouvelle loi norvégienne introduit le « mandat de
protection future », inspiré en partie de l’expérience
finlandaise. Elle encadre également les tutelles des
biens du mineur (qui ne sont pas abordées ici).
Ce survol de la réforme norvégienne s’appuie principalement sur un texte de Torstein Frantzen, professeur de droit de l’Université de Bergen, et sur un
rapport du gouvernement de la Norvège sur le projet
de réforme et sa mise en œuvre.
La réforme de la curatelle norvégienne
Depuis les années 1920, la curatelle norvégienne visait les personnes ayant une déficience intellectuelle,
une maladie mentale ou une maladie dégénérative.
À cette liste, la nouvelle loi sur la curatelle ajoute la
toxicomanie et le jeu pathologique.
De plus, elle prévoit que les mesures de protection
soient utilisées au minimum, adaptées aux besoins
des individus et aussi respectueuses que possible de
leur autonomie. L’intégrité des personnes se voit ainsi
protégée. Il s’agit d’un progrès considérable si l’on
considère que l’ancienne loi adoptait une approche
uniforme : la curatelle ne pouvait pas être modulée.
Un curateur peut être nommé pour gérer les affaires
financières ou les affaires personnelle d’un citoyen
inapte, ou les deux à la fois. Seuls les pouvoirs nécessaires lui sont confiés et la mesure peut avoir une
durée limitée.
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Curatelle d’assistance
En premier lieu, le nouveau dispositif comporte une
curatelle sans privation de capacité juridique, ce que
nous pouvons appeler la curatelle d’assistance : la
personne inapte conserve ainsi sa pleine capacité juridique. Elle doit donner son consentement à la nomination du curateur et à l’étendue de ses pouvoirs,
sauf si elle n’est pas en mesure de comprendre de
quoi il s’agit.
Curatelle de représentation
En deuxième lieu, le dispositif comporte une curatelle
avec retrait de la capacité juridique, ce que nous
pouvons appeler la curatelle de représentation. La
personne inapte en est alors privée partiellement ou
totalement. On ne peut cependant la lui retirer que si
elle présente des risques importants pour sa personne ou pour son patrimoine.
Remarquons que le législateur norvégien emploie le
même vocabulaire pour désigner ces deux mesures :
curatelle (vergemål) et curateur (verge).
Sources : Torstein Frantzen, « Vorsorgeauftrag
und Patientenverfugung in Norwegen » [Mandats
durables et directives anticipées en Norvège], dans
Vorsorgevollmacht und Erwachsenenschutz in Europa, Bielefeld, Gieseking, 2011, p. 87-96.
Norvège, Ministère de la Justice et de la Police, Vergemålsreformen: Sluttrapport fra forprosjektet [Réforme de la curatelle : rapport final sur le projetpilote], Oslo, 2011, 53 p.
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La ratification de la
Convention relative aux droits des
personnes handicapées
La Norvège a attendu l’entrée en vigueur de sa
nouvelle loi sur la curatelle avant de ratifier la
Convention des Nations Unies relative aux droits des
personnes handicapées, car, selon le gouvernement, l’ancienne loi de 1927 – qui privait des citoyens de leur capacité juridique – violait l’article 12
de cette convention (1).
Bien que le nouveau dispositif de protection norvégien prévoie lui aussi que la capacité juridique puisse être retirée à des personnes inaptes, cela est désormais l’exception. Lors de la ratification de la
convention, la Norvège a donc déclaré :
« […] qu’elle considère que la Convention autorise
le retrait de la capacité juridique ou de l’accompagnement pour l’exercice de la capacité juridique,
et/ou la mise sous tutelle obligatoire, dans les cas
où ces mesures sont nécessaires, en dernier recours
et sous réserve de certaines garanties. » (2)
Les autorités tutélaires
Le nouveau dispositif centralise les fonctions relatives
aux curatelles que les municipalités de la Norvège assumaient jusqu’alors. Les quelque 430 autorités tutélaires municipales sont remplacées par des autorités
tutélaires régionales (lokal vergemålsmyndighet), soit
une pour chacune des 19 préfectures du pays.
Une autorité tutélaire régionale peut ouvrir des curatelles d’assistance. Elle offre de la formation à tous
les nouveaux curateurs selon la nature de leurs responsabilités et les conseille dans leur travail. Elle doit
aussi surveiller leur administration en validant leurs
comptes financiers. Elle doit également valider les
rapports annuels que doivent préparer les curateurs
professionnels, quoique leur contenu ne soit pas précisé dans la réglementation (3).
Les curateurs qui représentent leur conjoint sont toutefois assujettis à une surveillance allégée et les autorités tutélaires peuvent étendre cet allègement à
ceux qui cohabitent avec un parent qu’ils représentent (4). L’autorité tutélaire régionale joue également
un rôle direct dans la gestion des patrimoines importants.
Une autorité tutélaire centrale (sentral vergemålsmyndighet) s’assurera de la conformité de l’application de la loi dans l’ensemble du pays, notamment en
donnant des directives administratives aux autorités
tutélaires régionales et au moyen de guides et de
cours de formation qui seront offerts à leur personnel.
Les tribunaux
Les autorités tutélaires régionales et les tribunaux
peuvent décréter les curatelles d’assistance. Cependant, seul un tribunal peut priver quelqu’un de sa
capacité juridique en ouvrant une curatelle de représentation. La formation et la surveillance des curateurs nommés par le tribunal relèvent de la compétence de l’autorité tutélaire régionale.
Les tribunaux priorisent autant que possible le traitement des requêtes en ouverture de curatelles. Selon les circonstances, ils peuvent tenir l’audition au
palais de justice, à l’hôpital ou dans l’établissement
où réside la personne concernée (5).
La transition
La mise en œuvre de la réforme a nécessité près de
trois ans de préparation. Le gouvernement norvégien
prévoyait la mutation de quelque 100 employés municipaux aux nouvelles autorités tutélaires régionales
ainsi que l’embauche de 70 nouveaux préposés. Les
autorités tutélaires des petits comtés auront de quatre à cinq employés et celle d’Oslo, environ 38. Le
budget annuel initial devait s’élever à environ
40 millions $ (6). L’effectif de l’autorité tutélaire centrale sera d’environ 15 personnes.
Le gouvernement prévoyait aussi la création d’un système informatique central en vue du transfert des
quelque 50 000 dossiers de personnes représentées
détenus par les municipalités. Pour l’instant, il est difficile de distinguer les dossiers des mineurs de ceux
des majeurs, ou encore les ressources humaines et
financières consacrées à chaque groupe (7).
1. Norvège, Ministère des Affaires étrangères, Samtykke til
ratifikasjon av FN-konvensjonen av 13. desember 2006
om rettighetene til mennesker med nedsatt funksjonsevne [Le consentement à la ratification de la Convention des N.-U. relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006], 2012, p. 25.
2. Organisation des Nations Unies, Convention relative aux
droits des personnes handicapées [ratifications], New
York, 2013, p. 6 (version du 27 septembre 2013).
3. Norvège, Vergemålsforskriften [règlement sur la curatelle], 2013, article 2.
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4. Norvège, Lov om vergemål [Loi sur la curatelle], 2010,
art. 44 et 47; Norvège, Vergemålsforskriften, article 23.
5. Norvège, Lov om vergemål, article 71.
6. Norvège, MJP, Vergemålsreformen [Réforme des curatelles], Oslo, 2011, p. 21. En dollars canadiens.
7. En 2010, les autorités tutélaires municipales adminis-
traient le patrimoine d’environ 18 600 mineurs. Norvège,
MJP, Vergemålsreformen, 2011, p. 40. On peut supposer
qu’il y a 31 400 adultes sous curatelle.
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La rémunération des curateurs
Les conjoints et les membres de la famille n’ont pas
normalement droit à une rémunération, payée par la
personne représentée, mais la réglementation prévoit
que les curateurs réguliers et professionnels peuvent
être rémunérés selon la nature de leurs tâches (1).
Les curateurs réguliers sont des volontaires qui représentent une ou quelques personnes inaptes de
leur communauté, sans qu’elles aient un lien de parenté avec eux. Les professionnels gagnent leur vie
avec leurs activités de curateur. L’autorité tutélaire
régionale peut exceptionnellement autoriser une
compensation horaire.
Si les revenus d’une personne sont inférieurs au niveau de la pension minimale (2) et que son patrimoine n’excède pas 8 500 $, la préfecture assure la rémunération de son curateur (3).
Le préfet, ou l’autorité tutélaire régionale, peut avoir
recours aux services de curateurs professionnels pour
assister ou représenter des personnes inaptes. Ces
curateurs ne font pas partie du personnel permanent
de la préfecture et doivent détenir un certificat de
bonne conduite émis par les autorités policières.
La gestion du patrimoine
Le curateur liquide les biens de la personne sous
curatelle et les dépose dans un compte bancaire ouvert dans une des institutions désignées par l’autorité
tutélaire centrale (4). La nouvelle loi ne prévoit plus
la possibilité de placer les avoirs de la personne sous
curatelle dans des valeurs mobilières.
Par ailleurs, sur demande de l’autorité tutélaire régionale, la banque lui transmet la liste des transactions
effectuées au nom de la personne inapte.
Si un mineur ou un adulte possède un patrimoine important, la gestion de son compte bancaire est assumée directement par l’autorité tutélaire régionale.
1. Curateurs réguliers (alminnelig verge) et curateurs professionnels (faste verge).
2. La pension minimale norvégienne correspond à la pen-
sion de la sécurité de la vieillesse et au supplément de
revenu garanti du Canada. Sa valeur exacte varie selon
le statut civil de la personne âgée.
3. Norvège, Lov om vergemål, article 30; Norvège, Vergemålsforskriften, article 19.
4. Jusqu’en juin 2013, les anciennes autorités tutélaires des
plus grandes villes norvégiennes pouvaient créer des
fonds communs et ainsi faire profiter les personnes représentées d’un taux de rendement supérieur.
Page 10.
Rémunération des curateurs réguliers
et professionnels, selon le domaine visé
(en dollars canadiens)
Domaine
Curateur Curateur Curateur
familial régulier professionnel
Affaires
financières
0$
640 $
1 280 $
Affaires
personnelles
0$
360 $
810 $
Affaires fin. et
personnelles
0$
725 $
1 710 $
Rémunération
horaire
0$
34 $
68 $
Source : Norvège, Vergemålsforskriften, article 16.
Taux de change au 6 septembre 2013 : 1,0 couronne
norvégienne = 0,17 $ canadien.
Cependant, si le droit d’administrer son patrimoine
n’a pas été retiré à un majeur, celui-ci doit consentir
à ce qu’elle assume cette responsabilité (5).
Le seuil à partir duquel l’autorité tutélaire régionale
intervient passe d’environ 13 000 $, selon l’ancienne
loi, à environ 28 000 $ en 2013 (6). Cela représente
deux fois le « montant de base », qui sert à établir
diverses prestations sociales en Norvège et que le
gouvernement indexe régulièrement. Si la valeur liquide du patrimoine excède deux millions de couronnes (340 000 $), l’argent doit être réparti entre deux
ou plusieurs institutions afin de profiter de la garantie
maximale accordée aux dépôts bancaires (7).
Avant la réforme de 2013, les autorités tutélaires
municipales administraient environ 13 milliards de
couronnes (2,2 milliards $) au nom des majeurs sous
curatelle (8).
5. Norvège, Lov om vergemål, article 48.
6. Norvège, Vergemålsforskriften, article 26. Au 1er mai
2013 : le montant de base « folketrygdens grunnbeløp »
s’élevait à 82 122 couronnes.
7. Norvège, MJP, Vergemålsreformen, 2011, p. 40-41.
8. Norvège, MJP, Vergemålsreformen, 2011, p. 39-40. À ce
montant (2,2 milliards $, ou 13 milliards de couronnes),
il faudrait ajouter 3,8 G $ (22,3 milliards de couronnes)
pour l’ensemble du patrimoine des mineurs sous
l’administration des autorités tutélaires municipales
avant la réforme. La hausse du seuil d’intervention
(de 13 000 à 28 000 $) devrait faire baisser les sommes
sous administration des autorités tutélaires régionales.
Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013
La représentation par le plus proche parent
Le législateur norvégien a aussi introduit une nouvelle disposition (nærståendes representasjonsrett) qui habilite
le plus proche parent à représenter une personne devenue inapte dans la gestion de ses affaires financières
courantes, dont le paiement du loyer, d’hypothèques, de factures et de taxes. La loi prescrit l’ordre de préséance :
l’époux ou le conjoint de fait, les enfants, les petits-enfants et, en quatrième position, le père et la mère. Un parent désigné doit s’abstenir d’agir si un autre parent de la personne se situe plus proche dans l’ordre de préséance.
L’époux ou le conjoint de fait d’une personne sous curatelle ayant déjà accès au compte bancaire de cette dernière pourra être conforté par cette nouvelle disposition. Cependant, souligne Frantzen, celle-ci pourrait fort bien
rester lettre morte en l’absence de règles précises pour l’encadrer. Autrement, les institutions bancaires hésiteront à accorder un accès aux comptes.
Une telle représentation légale d’office n’est pas exclusive à la Norvège. L’Espagne, l’Autriche et la Suisse ont
des règles semblables, quoique l’étendue des pouvoirs financiers et l’ordre des proches parents ne sont pas les
mêmes. En Norvège, un mandat de protection future a préséance sur la représentation par le plus proche parent.
Sources : Frantzen, « Vorsorgeauftrag … », p. 90; Norvège, Lov om vergemål, article 94; Michael Ganner,
Stand und Perspektiven des Erwachsenenschutzes in rechtsvergleichender Sicht [La protection des adultes à la
lumière du droit comparé], dans Perspektiven und Reform des Erwachsenenschutzes, Göttingen, Universitätsverlag Göttingen, 2013, p. 54.
Le mandat ordinaire
Dans l’ancien droit norvégien, la valeur juridique d’un
mandat (ou procuration) était incertaine lorsque le
mandant devenait inapte. La nouvelle loi précise
qu’un tel mandat perd alors son effet, à une exception près : les autorisations de paiement automatique, notamment pour le loyer, l’hypothèque, l’électricité, le téléphone et les taxes demeurent valides (1).
Auparavant, l’institution bancaire pouvait remettre
ces paiements en question lorsqu’elle apprenait que
le client était devenu inapte.
Le mandat de protection future
Le législateur norvégien a également introduit le
mandat de protection future (fremtidsfullmakt) qui
permet, tout comme la curatelle, à une ou à plusieurs
personnes de représenter quelqu’un ayant une maladie mentale, une déficience intellectuelle ou une maladie dégénérative. Il doit être préparé par écrit en
présence de deux témoins. Le mandataire désigné ou
un proche parent ne peut pas être un des témoins.
Le mandat de protection future prend généralement
effet quand le mandant devient inapte à s’occuper
des affaires indiquées dans le document. Le mandataire décide du moment précis de l’entrée en vigueur
du mandat en avisant le mandant et son conjoint ou,
en l’absence d’un conjoint, son plus proche parent (2). Aucune homologation judiciaire ou administrative n’est requise. Le mandant peut toutefois stipuler que son inaptitude doit être confirmée par l’autorité tutélaire régionale avant l’entrée en vigueur de son
mandat (3). Normalement, un certificat médical suffirait. Un tel certificat pourrait aussi faciliter ses démarches auprès des institutions bancaires.
À la demande du mandant, de ses proches parents
ou de son médecin, l’autorité tutélaire régionale peut
intervenir pour modifier ou annuler un mandat de
protection future si elle a raison de croire qu’il ne
convient plus à la situation. L’autorité tutélaire peut
aussi obliger le mandataire à rendre compte de ses
actions.
En raison du rôle accordé aux proches parents pour
la gestion des affaires financières courantes (voir
l’encadré), Frantzen se demande si le mandat de protection future sera beaucoup utilisé en Norvège.
− Préparé par André Bzdera, DPSR
2. Norvège, Lov om vergemål, article 78.
3. La proposition de réforme du comité d’experts de 2004
1. Norvège, Lov om vergemål, articles 20 et 93.
Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013
ne contenait pas cette possibilité. Selon Frantzen, le législateur norvégien s’est inspiré de loi finlandaise de
2007 sur le mandat de protection qui contient une disposition semblable. Frantzen, « Vorsorgeauftrag und Patientenverfugung in Norwegen », p. 94, note 27.
Page 11.
Création d’un Curateur public en Irlande
La République d’Irlande a un dispositif
de protection des personnes inaptes de
type britannique, basé sur le common
law. À plusieurs égards, il ressemble à
ceux en vigueur dans certaines provinces canadiennes mettant l’accent sur la
protection du patrimoine. La nomination
d’un représentant pour la protection de
la personne demeure alors l’exception.
En juillet 2013, le gouvernement irlandais soumettait au Parlement un projet
de loi sur la prise de décisions assistée
pour des personnes inaptes. Il vise ainsi
à adapter son dispositif de protection
traditionnel aux nouvelles normes internationales en matière de protection des
droits de la personne. Les solutions proposées peuvent donc être d’un grand intérêt pour les pays de
tradition britannique.
Le gouvernement irlandais prévoit trois mesures : assistance, codécision et représentation. De plus, le
mandat de protection actuel, qui concerne les affaires
financières, sera élargi au domaine des soins et du
bien-être du mandant. Dans un deuxième temps, le
gouvernement s’engage à présenter un amendement
législatif qui encadrera l’utilisation de la directive anticipée pour les soins.
Vers une réforme
Des travaux antérieurs avaient préparé le terrain à
l’avènement de cette réforme du dispositif de protection irlandais (voir l’encadré à page suivante). La législation actuelle, la Loi sur les aliénés, qui date de
1871, est taxée de paternaliste en raison de son modèle de prise de décisions basé sur la recherche du
« meilleur intérêt de la personne ». Les curateurs et
les professionnels de la santé et des services sociaux
décident, à la place de la personne, ce que devait
être son meilleur intérêt.
La terminologie législative est aussi considérée préjudiciable envers les personnes handicapées, car des
termes tels que idiots, faibles d’esprit et aliénés n’ont
plus leur raison d’être aujourd’hui. Face aux avancées
médicales, technologiques et sociales, la législation
devrait être modernisée.
Selon le ministre de la Justice, la réforme des curatelles est également nécessaire pour que l’Irlande puisse ratifier la Convention des Nations Unies relative
Page 12.
aux droits des personnes handicapées (1). Les parlementaires, qui avaient
étudié la question en 2012, sont du
même avis : « Nous devons écarter le
paternalisme et reconnaître pleinement
la volonté et les préférences de la
personne tel que stipulé par l’article
12(4) de la Convention des Nations
Unies. » (2)
La réforme
Afin d’adapter la loi à la diversité des
situations individuelles, le législateur
prévoit des interventions visant à minimiser le plus possible la restriction
des droits des personnes. Il propose
trois types de prise de décisions : l’assistance, la codécision et la représentation.
Une personne dont la capacité est ou pourrait être
remise en question pourra en désigner une autre à
titre d’assistant ou de codécideur pour l’aider dans sa
prise de décisions. Le tribunal devra homologuer toute entente de codécision avant qu’elle puisse entrer
en vigueur. Si la personne n’a pas la capacité requise
pour agir conjointement avec un codécideur, le tribunal pourra lui désigner un représentant. Enfin, un aidant naturel ou un préposé de la santé ou des services sociaux pourra agir informellement à ce titre si
une personne inapte n’est pas autrement assistée ou
représentée.
Sources : Irlande, Department of Justice and
Equality, Assisted Decision-Making (Capacity) Bill
2013, Dublin, 2013, 140 p.
Suzanne Doyle et Eilionóir Flynn, « Ireland’s ratification of the UN convention on the rights of persons
with disabilities: challenges and opportunities »,
British Journal of Learning Disabilities, 4:1 (2013),
p. 171-80. Disponible via Wiley.
1. Irlande, Department of Justice and Equality, Minister
Shatter and Minister Lynch Announce Publication of the
Assisted Decision-Making (Capacity) Bill 2013, Dublin,
2013. D’autres lois devront aussi être modifiées.
2. Irlande, Oireachtas [Parlement], Joint Committee on
Justice Defence and Equality, Report on hearings in relation to the Scheme of the Mental Capacity Bill, Dublin,
2012, p. 7. Les parlementaires citent également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
(l’Affaire Chtoukatourov c. Russie du 27 mars 2008).
Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013
La capacité mentale d’une personne serait donc évaluée en fonction de la décision à prendre et de ses
habiletés cognitives à comprendre les choix possibles
et leurs implications selon le contexte. L’évaluation de
la personne devra se faire dans son milieu de vie. Les
fluctuations de ses capacités pourront être considérées lors du choix des mesures à prendre afin
d’encourager sa participation. Pour la nomination
d’un représentant, la cour demandera un rapport
médical et un autre sur les circonstances motivant la
demande (1).
Assistance (par mandat)
Le projet de loi prévoit qu’une personne puisse choisir quelqu’un de confiance pour l’assister dans sa prise de décisions en établissant une entente d’assistance. L’assistant aura pour fonction :
de conseiller la personne concernée en lui expliquant les informations relatives à la décision à
prendre;
d’évaluer, de déterminer et de communiquer la volonté et les préférences de la personne;
de s’assurer que les décisions du mandant soient
fidèlement respectées.
L’assistant aura le droit de recevoir des renseignements personnels sur le mandant s’ils sont nécessaires à la prise de décisions.
Codécideur (par mandat avec
homologation judiciaire)
Un individu pourra aussi préparer une entente de codécision qui prendra effet lorsque le tribunal imposera une « ordonnance de codécision ». L’entente ne
peut être modifiée ou annulée que par le tribunal.
En l’absence d’une entente de codécision déjà préparée et signée par la personne concernée, le tribunal
pourra nommer un codécideur dans la mesure où elle
possède la capacité de préparer une telle entente et
qu’un de ses proches se porte volontaire pour agir à
titre de codécideur. L’entente de codécision pourra
inclure autant les soins et le bien-être que les affaires
financières de la personne.
La longue marche vers la réforme (2)
2003
Document de consultation de la Commission
de réforme du droit (CRD) Le droit et les aînés
2005
Document de consultation de la CRD La ca-
2008
Avant-projet de loi du gouvernement sur la
capacité mentale
2012
Rapport parlementaire sur l’avant-projet de
loi
Projet de loi sur la prise de décisions assistée
pacité juridique des adultes vulnérables
2006 Rapport de la CRD Le droit et les personnes
vulnérables
2013
avait pu prendre la même et si cette décision n’était
pas dommageable à elle-même ou à autrui. Dans les
autres cas, le codécideur pourra apposer son veto.
Le codécideur aura le droit d’obtenir les renseignements personnels du mandant. Il devra aussi soumettre un rapport annuel au Curateur public.
Représentant (nomination par le
tribunal)
Si une personne n’a pas la capacité voulue pour préparer ou approuver une entente de codécision, le tribunal pourra rendre une ordonnance ponctuelle, afin
de prendre la meilleure décision dans les circonstances (3), ou nommer un représentant.
Le représentant sera normalement un proche de la
personne inapte, mais si aucun n’est disponible, le
tribunal devra choisir un des trois candidats que le
Curateur public proposera. L’étendue et la durée des
pouvoirs accordés au représentant devront dans la
mesure du possible être limitées. Ces pouvoirs pourront inclure autant les soins et le bien-être de la personne que ses affaires financières. Le tribunal pourra
nommer plus qu’un représentant en spécifiant s’ils
doivent décider conjointement ou séparément.
Le codécideur et le mandant partageront le droit de
prendre des décisions et, le cas échéant, les deux
devront signer conjointement les documents nécessaires. Toutefois, le codécideur devra acquiescer
à une décision du mandant si une personne raisonnable
2. Law Reform Commission, Consultation Paper on Law
1. Irlande, Department of Justice and Equality, Assisted
3. L’ordonnance ponctuelle irlandaise (décision-making or-
Decision-Making (Capacity) Bill 2013, Dublin, 2013, p. 44
(article 30).
Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013
and the Elderly, 2003, 236 p.; LRC, Consultation Paper
on Vulnerable Adults and the Law: Capacity, 2005,
232p.; LRC, Vulnerable Adults and the Law, 2006,
193 p.; Irlande, Department of Justice, Equality and Law
Reform, Scheme of Mental Capacity Bill 2008, 2008,
95 p.; Irlande, Oireachtas, Joint Committee on Justice
Defence and Equality, Report on hearings in relation to
the Scheme of the Mental Capacity Bill, 2012, 739 p.
der) sera semblable à la « one-off decision » de la Cour
de protection en Angleterre et au Pays de Galles.
Page 13.
Lexique irlandais
Bureau du greffier de la cour
Curateur public
Entente d’assistance
Entente de codécision
Mandat de protection durable
Médiation sociale
Ordonnance de codécision
Ordonnance ponctuelle
Ordonnance de représentation
Représentant informel
−
−
−
−
−
−
−
−
−
−
Wards of Court Office
Public Guardian
Decision-making assistance agreement
Co-decision-making agreement
Enduring powers of attorney
Advocacy
Co-decision-making order
Decision-making order
Decision-making representative order
Informal decision-maker
Le tribunal pourra confier l’administration de l’ensemble ou d’une partie du patrimoine de la personne représentée au Curateur public, qui sera alors tenu de
prendre en considération l’avis d’au moins deux
membres de sa famille.
teur public procédera à l’homologation s’il n’a pas reçu d’avis d’opposition des intéressés. En cas
d’objection sérieuse, il pourra demander au tribunal
de trancher. Le mandataire pourra présenter un certificat pour soutenir ses prétentions.
Le remboursement des dépenses du représentant
pourra provenir du patrimoine de la personne représentée. Le tribunal pourra autoriser une rémunération, tirée de ce patrimoine, si le représentant agit à
titre de professionnel. Il pourra aussi exceptionnellement autoriser des représentants volontaires ou familiaux à être ainsi rémunérés.
Dès la présentation de sa demande d’homologation,
le mandataire désigné pourra prendre des décisions
financières courantes ou concernant le bien-être du
mandant si elles ne peuvent pas être reportées, si la
nature et le contenu du mandat le prévoient.
Tout comme le codécideur, le représentant devra
soumettre un rapport annuel au Curateur public.
Personnes inéligibles
Nul ne peut devenir codécideur ou représentant s’il a
été déclaré coupable d’une infraction concernant la
personne inapte ou sa famille, s’il est un failli non
libéré ou s’il est inéligible à occuper un poste
d’administrateur dans une société. Le propriétaire de
la résidence où habite la personne inapte, ainsi que
son conjoint et ses employés, sont également exclus
– sauf s’ils sont des parents de la personne inapte.
Si un codécideur ou un représentant devient par la
suite inéligible, sa nomination cesse d’avoir effet.
Mandataire
Le projet de loi irlandais reprend le mandat de protection des affaires financières du mandant et y ajoute le domaine des soins et du bien-être. Plusieurs de
ses aspects témoignent de la préoccupation de limiter
les risques pour les mandants.
Le mandataire devra s’adresser au Curateur public
pour demander l’homologation du mandat en même
temps qu’il informera le mandant et ses proches de
sa requête. Après un délai de cinq semaines, le CuraPage 14.
Par la suite, le mandataire devra présenter au Curateur public un rapport annuel fournissant des renseignements sur les dépenses qu’il aura faites au nom
du mandant et sur toute somme qu’il aurait reçue à
titre de remboursement ou de rémunération. Le ministre responsable pourrait établir des règles concernant le format du mandat, des dispositions obligatoires, les procédures d’homologation, le contenu du
rapport annuel et, le cas échéant, la rémunération du
mandataire.
Si le mandant a la capacité requise, il pourra en tout
temps révoquer son mandat. Un mandat en faveur
d’un conjoint deviendrait caduc en cas de divorce ou
de séparation de plus de 12 mois, sauf si le mandant
précise le contraire.
Représentant informel
Les proches aidants et des professionnels de la santé
pourraient être considérés comme des représentants
informels dans la mesure où la personne inapte ne
serait plus en mesure de prendre des décisions et
n’était pas déjà assistée ou représentée par quelqu’un d’autre.
Un représentant informel pourrait prendre des décisions concernant le bien-être ou les soins médicaux
de la personne inapte. Il n’engagerait pas sa responsabilité civile s’il respecte les principes énoncés dans
le projet de loi et ne fait pas preuve de négligence.
Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013
Le représentant informel aurait droit au remboursement des frais qu’il aurait engagés et, s’il avait un accès direct à l’argent de la personne inapte, il pourrait
se rembourser directement. Il devrait, cependant,
conserver les pièces justificatives.
Si le représentant est également le conjoint de la
personne inapte, ses prérogatives deviendraient caduques en cas de divorce ou de séparation de plus
de 12 mois.
Curateur public
Le gouvernement prévoit, enfin, le remplacement du
Bureau du greffier de la cour par un curateur public
nommé par le Service des tribunaux irlandais (dirigé
par un conseil d’administration composé majoritairement de juges). Le Curateur public serait notamment
chargé de la surveillance des assistants, des représentants et des mandataires ainsi que du traitement
des signalements concernant leurs actions.
Le Curateur public ne deviendra pas le représentant
légal des personnes inaptes. Il devra, par contre,
constituer des listes de candidats qualifiés pour devenir visiteur ou représentant.
Le Curateur public pourra désigner des visiteurs pour
faire des évaluations et des investigations dans le milieu de vie des personnes concernées. Seuls ceux qui
ont une formation médicale pourraient consulter leur
dossier médical. Ces visiteurs seraient, en quelque
sorte, les yeux et les oreilles du Curateur public.
Si aucun proche n’est disponible pour agir à titre de
représentant, le tribunal pourrait demander au Curateur public de lui fournir les noms de personnes qualifiées pour le devenir. Il pourrait s’agir de volontaires
ou de professionnels.
Un regroupement de 15 d’entre eux a proposé, au
début de 2012, une série de principes fondamentaux
qui devraient sous-tendre la nouvelle législation (2).
Ils ont recommandé trois niveaux de soutien :
le soutien à la prise de décisions, notamment à
l’aide de la médiation sociale et de guides dans
une forme facile à lire,
la prise de décisions assistée, avec le concours des
proches, et
la prise de décisions substituée, en dernier ressort.
Ainsi, il faut autant que possible respecter « la volonté et les préférences » de la personne, tel que stipulé
à l’article 12 de la Convention relative aux droits des
personnes handicapées.
La réaction au projet de loi n’est cependant pas uniformément positive. Par exemple, Eilionóir Flynn, auteure d’un livre sur la Convention relative aux droits
des personnes handicapées, s’inquiète de la place
qu’occupe encore la prise de décisions substituée
dans le nouveau schéma législatif irlandais. Le codécideur pourrait apposer son veto sur des actions que
la personne concernée souhaite (3).
De plus, elle remarque que le projet de loi confère
beaucoup de pouvoirs aux représentants informels
sans que ces derniers soient obligés de rendre compte de leurs actions. Cette critique peut paraître étrange aux yeux des Nord-Américains, mais en matière
des soins médicaux en Irlande, le consentement pour
autrui n’est pas formellement établi en droit (4). Si
un patient irlandais est inapte et que sa volonté n’est
pas connue, le personnel médical doit s’adresser au
tribunal (5).
− Préparé par Malcolm St-Pierre
et André Bzdera, DPSR
Le projet de loi ne prévoit pas qu’une rémunération
d’un représentant soit payée par les fonds publics
lorsque la personne concernée possède un patrimoine et a des revenus modestes.
Le Curateur public devra aussi tenir des registres et
préparer un guide, ou « code de pratique », à l’usage
des personnes impliquées dans les mesures d’assistance et de représentation.
Conclusion
Globalement, le projet de loi est bien accueilli, car il
correspond dans ses grandes lignes aux recommandations des principaux organismes de défense des
droits des personnes handicapées de l’Irlande (1).
Bill – Lunacy Act 1871 finally replaced, Dublin, 17 juillet
2013.
2. Essential Principles: Irish Legal Capacity Law, Dublin,
2012, 8 p.
3. Eilionóir Flynn, Assisted Decision-Making (Capacity) Bill
2013 Finally Published, juillet 2013.
4. Le consentement pour autrui est prévu à l’article 15 du
Code civil du Québec.
5. Le droit à l’intégrité corporelle a une portée très large en
1. Par exemple, Inclusion Ireland, Inclusion Ireland wel-
comes long awaited Assisted Decision-Making (Capacity)
Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013
Irlande depuis la décision de la Cour suprême dans
l’affaire Ryan v. The Attorney General de 1964.
Page 15.
Trois nouvelles du Japon
Le dispositif de protection des personnes inaptes du
Japon (population : 127 millions) n’a pas été modifié
par le législateur depuis la réforme de 2000, mais il
arrive que les juges contribuent à son évolution. La
Cour suprême du Japon est aussi responsable de la
compilation de statistiques sur le traitement des requêtes en ouverture de régimes de protection, car il
n’existe pas de curateur public ou d’organisme public
central chargé de l’accompagnement et de la surveillance des représentants légaux.
Trois récents développements soulignent le rôle joué
par les tribunaux japonais :
un tribunal de première instance a invalidé la disposition de la loi électorale qui retire le droit de vote aux personnes sous curatelle;
la Cour suprême publie désormais le nombre de
régimes en vigueur au Japon;
les tribunaux ont créé un nouveau mécanisme qui
vise à sécuriser le patrimoine des mineurs et des
personnes représentées.
Le droit de vote restauré
Selon l’article 11 de la Loi électorale, les personnes
sous curatelle (kôken) ne pouvaient pas participer
aux élections. Depuis quelques années, des universitaires et des organisations de défense des droits critiquaient cet état de fait, et plusieurs citoyens avaient
intenté des procédures légales visant à l’invalider.
Mme Takumi Nagoya, qui est à l'origine de la contestation judiciaire, a donc pu voter aux élections sénatoriales du 23 juillet 2013. Atteinte du syndrome de
Downs, elle est représentée depuis 2007 par son père en raison de ses difficultés à gérer ses finances
personnelles. Avant l’ouverture de la curatelle,
Mme Nagoya votait régulièrement aux élections générales. Quelque 136 000 Japonais ont ainsi retrouvé leur
droit de vote.
La cause été suivie de très près par les médias et une
pétition de 400 000 signatures appuyait la requête de
Mme Nagoya. Le juge a aussi annoncé sa décision
dans un langage facile à comprendre.
Nombre de régimes de protection
en vigueur au Japon, 2010-2012
Régime de
protection
Curatelle
Tutelle
Régime
d’assistance
2010
2011
2012
117 020
126 765
136 484
15 589
17 917
20 429
6 225
6 930
7 508
Source : SGCS, 2013, p. 11.
164 421 régimes de protection
En mars 2013, le tribunal de première instance de
Tokyo a déclaré que cette disposition était contraire à
la Constitution (1). Sans tarder, le gouvernement et
les principaux partis politiques de l’opposition se sont
mis d'accord pour modifier la loi électorale afin que
les personnes sous curatelle puissent voter dès les
élections sénatoriales de juillet 2013.
Depuis plusieurs années, la Cour suprême du Japon
compile et diffuse des données sur le nombre de requêtes en ouverture de régimes de protection que
traitent les tribunaux japonais. En 2012, il s’agissait
de 34 700 requêtes, donnant lieu à l’ouverture de
près de 31 500 régimes (curatelles, tutelles et régimes d’assistance).
En attendant le changement législatif, le gouvernement a néanmoins porté l’affaire en appel pour empêcher que la décision judiciaire ne prenne trop rapidement effet et mette en péril la validité d’autres
élections organisées sous l’égide de la même loi électorale. Cette décision a été fortement critiquée, mais
l’entrée en vigueur quelques semaines plus tard de
l’amendement législatif a mis fin au litige.
Dans son rapport statistique de 2012, la Cour suprême a publié, pour la première fois, des données sur
le nombre de régimes d’assistance et de protection
en vigueur depuis 2010 (voir le tableau).
1. Nagase Osamu, Deprivation of voting rights ruled un-
constitutional in Japan, Genève, IDA, 2013; Makoto Arai,
«Adult Guardianship System and the Right to Vote»,
The Japan News, 27 mai 2013.
Page 16.
Sources : Nagase Osamu, Deprivation of voting
rights ruled unconstitutional in Japan, Genève, IDA,
2013, 2 p.
Secrétariat général de la Cour suprême (SGCS),
成年後見関係事件の概況 - 平成24年1月~12月
[Sommaire des régimes de protection, janvierdécembre 2012], Tokyo, 2013, 13 p.
Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013
Au 31 décembre 2012, elle estime que 136 500 curatelles, 20 400 tutelles et 7 500 régimes d’assistance
étaient en vigueur au Japon.
Dans l’introduction de ce rapport statistique, elle souligne cependant qu’il s’agit de chiffres approximatifs.
En effet, il n’existe pas de registre centralisé des régimes de protection au Japon. Ce sont les tribunaux
locaux qui font la collecte initiale des données.
Comparaison Japon-Québec
Le Japon et le Québec ont chacun trois régimes de
protection : la curatelle, la tutelle et l’assistance. Le
dispositif de protection du Japon est en vigueur depuis 2000 alors que celui du Québec a été introduit
10 ans auparavant, en 1990.
Le Japon connaît un vieillissement accéléré de sa population et le pays a même amorcé en 2008 une période de décroissance démographique. En 2013, environ 24 % des Japonais avaient 65 ans ou plus. Ce
taux ne s’élève qu’à 16 % au Québec.
En 2013, le Japon a encore proportionnellement
moins de régimes de protection que le Québec (curatelles et tutelles) mais le double du nombre de régimes d’assistance (voir le graphique) (1).
Le Japon affiche cependant un taux de croissance
beaucoup plus élevé. Depuis 2010, le nombre de régimes de protection au Japon augmente d’environ
8,8 % par année alors que le taux québécois s’élève
à seulement 2,4 %.
Sécuriser le patrimoine des personnes
représentées
Les tribunaux japonais sont également à l’origine
d’un nouveau mécanisme visant à aider les représentants légaux à bien protéger le patrimoine des personnes représentées. Depuis le début de 2012, on
propose la « fiducie tutélaire de soutien », autant
pour le patrimoine des personnes inaptes que pour
celui des mineurs.
Les curateurs et tuteurs conservent la responsabilité
de gérer les dépenses courantes des personnes protégées, mais l'excédent est placé dans une fiducie
gérée par un tiers, généralement une institution financière.
En cas de besoin, le tribunal peut autoriser le retrait
de fonds additionnels de la fiducie pour des dépenses
exceptionnelles, notamment si elles concernent des
soins que la personne représentée requiert (2).
Environ 100 fiducies tutélaires de soutien ont été
créées en 2012. La valeur moyenne du patrimoine
protégé s'élève à 43 millions de yen (450 000 $) (3).
Le rapport statistique de la Cour suprême ne distingue pas les fiducies bénéficiant à des personnes inaptes de celles qui ont été créées pour des mineurs.
− Préparé par André Bzdera, DRSR
2. Association japonaise des fiduciaires, 後見制臨場信託
[Fiducies tutélaires de soutien], Tokyo, 2012, p. 3.
1. SGCS, 2013, p. 11; Curateur public du Québec, Statistiques, 2013.
Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Octobre 2013
3. SGCS, 2013, p. 12. Taux de change au 27 septembre
2013 : 100 yens japonais = 1,05 $ canadien.
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Le Bulletin de veille
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Curateur public du Québec ▪ Bulletin de veille ▪ Mars 2013