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"Biographie sans Antoinette"
La chronique de Fabienne Pascaud
Thierry Lhermitte (…) contrevenant courageusement à sa réputation d'acteur comique,
prend le risque d'une bouleversante et énigmatique tragi-comédie du suisse Max Frisch,
Biographie sans Antoinette.
Quelle poignante interrogation sur l'existence que cette Biographie sans Antoinette, où Kürmann,
professeur en comportementalisme, essaie vainement de reconstruire son destin. Architecte de
formation, Max Frisch (1911-1991) n'a-t-il pas conçu son oeuvre comme un incessant jeu de
formes et d'apparences, un puzzle infernal où l'identité des personnages est constamment remise
en question, où les héros, sans fin, s'interrogent sur les mille facettes, les mille couches d'un moi
fragmentaire et incertain. Au soir de sa vie, rongé par un cancer, Kürmann, donc, convoque un
metteur en scène-démiurge (savoureux Eric Prat) pour remodeler, rebâtir comme il croit le
souhaiter le fil d'une vie qu'il juge ratée. Sauf qu'il refait presque les mêmes gestes, les mêmes
erreurs, cède aux mêmes faiblesses, à la même folle passion : celle de l'insaisissable Antoinette,
son épouse (magiquement campée par Sylvie Testud), dont on sait peu de choses, si ce n'est
qu'elle aime deux hommes à la fois sans en éprouver la moindre honte. Thierry Lhermitte et
Sylvie Testud prêtent infiniment de grâce et d'étrangeté à cette quête illusoire d'un possible
renouvellement de soi. Comme si chacun restait à jamais enfermé en lui-même, condamné à luimême, à sa finitude. Que seul pouvait l'en délivrer, peut-être, l'hypothétique amour de l'autre.
Fabienne Pascaud
Telerama n° 3017 - 10 novembre 2007
03.11.2007
Thierry Lhermitte et Sylvie Testud: drôle de couple
Thierry Lhermitte , d’ordinaire, fait le zigoto, le clown comique, un métier très honorable. On
se souvient notamment du « Père Noël est une ordure » ou du « Dîner de cons ». Il a eu envie de
changer
de
registre,
et
le
fait
de
manière
non
moins
honorable.
Donc le voici, aux cotés de la fée Sylvie Testud dans « Biographie sans Antoinette » de Max Frisch,
auteur suisse allemand plus proche de Brecht que de Zidi, et marqué par Pirandello, c'est-à-dire
scrutant les troubles jeux du « Je ». Au cœur de la pièce de Frisch, il y aussi la responsabilité, ou
l’impuissance de l’homme devant ses actes : Max Frisch a connu deux guerres, la première, il
était tout petit ( il est né en 1911), la seconde, il l’a vécue et fut un anti-fasciste notoire.
Tout cela pour dire qu’ici Thierry Lhermitte a maille à partir avec le rôle, complexe, d’un
dénommé Kürmann, éminent professeur et comportementaliste qui a un rêve au fond très
partagé : et si on pouvait revenir en arrière, sans rien changer de son caractère, mais tout de ses
actes ? Et si par exemple il pouvait revivre cette soirée, où, il y a sept ans, Antoinette décida à
deux heures du matin de s’attarder sur son canapé. Elle est devenue sa femme. Il aimerait bien,
pense t-il, ne pas l’avoir retenue ce soir là. Epaulé par une script et un assistant ( Ariane Moret,
Sava Lolov) un metteur en scène (Eric Prat) l’aide dans sa reconstitution, comme lors d’un
crime ( d’ailleurs, peut-être Kürmann en a-t-il commis au moins un dans sa vie). Au fil de cette
reconstitution, passent l’ami d’enfance auquel une boule de neige a crevé un œil, une première
épouse mal aimée, et suicidée, l’amant de la seconde, un ami communiste, et aussi ce mal
d’estomac qui le ronge, d’un cancer. Et si finalement ce fameux soir là, c’était Antoinette qui
décidait de partir, à deux heures du matin ?
Thierry Lhermitte est bien, sa voix surtout frappe, formidablement posée, détachant clairement
les mots. Et jamais il ne la fait dans le genre pince sans rire. Mais le feu follet de ce bon spectacle
du théâtre privé (La Madeleine), c’est Sylvie Testud, crinière blonde de vamp, boule de charme,
d’énergie, de mystère. Et puis, ce n’est pas si souvent qu’on joue Max Frisch.
Odile Quirot
Si c’était à refaire
C’est d’abord une jubilation qui nous plonge au cœur de situations dont on voudrait qu’elles
réussissent. Cette pièce précieuse et malgré tout pleine de fantaisie, nous renvoit à nous-mêmes, à
nos propres problèmes dans lesquels on a du mal parfois à survivre. Thierry Lhermitte dessine un
personnage toujours dépassé par les événements, ne contrôlant rien, même pas lui-même… Et
c’est surtout Sylvie Testud qui arrache la pièce d’un quotidien presque banal. Par sa seule
présence, fragile, tendue, toujours en perdition, elle donne aux situations les plus convenues des
airs de tragi-comédie. Elle porte en elle la beauté d’une passion réfrénée. L’intelligence de son jeu,
sa disparition dans son personnage sont éblouissants.
Jean Louis Pinte
Un charme vertigineux
Il y a du psychodrame en « Biographie sans Antoinette », un jeu de rôles…sauf que les comédiens
ne « jouent » pas. Ils sont dans la sincérité, ces personnages et de là vient leur tourment, là prend
source leur souffrance.
Hans Peter Cloos, qui met en scène d’une main précise mais en choisissant aussi une fluidité des
rythmes, a réuni une distribution très intéressante. Un quintet très aigu se joue des pleins et des
déliés du texte. Il y a un metteur en scène manipulateur qui se prétend bienveillant. Eric Prat est
formidable. Ses assistants sont fins, justes, très convaincants. Ariane Moret et Sava Lolov,
excellents.
C’est Thierry Lhermitte que l’on est heureux de retrouver au théâtre qui a la responsabilité
délicate d’être cet homme qui pourrait peut-être vivre ou revivre… Il est dense et léger, à la fois
très présent et comme s’échappant. Une très personnelle et convaincante interprétation. Sylvie
Testud est Antoinette, elfe papillonnant, menteuse merveilleuse, lumineuse et désarmante comme
il convient.
Armelle Heliot
Pariscope
Ce spectacle brillament mis en scène par Hans Peter Cloos est mené avec beaucoup de talent et
de dérision par Thierry Lhermitte et Sylvie testud. Dans un jeu précis, plein de nuances, ils
donnent beaucoup de corps, d’humour à ces personnages pris dans le « tourbillon de la vie ».
Le Figaro Magazine
UN JEU SUBTIL ET BRILLANT
D E
P H I L I P P E
T E S S O N
Biographie : un jeu, de l'écrivain suisse Max Frisch, est une pièce originale et séduisante qui a
toujours intéressé voire fasciné les gens de théâtre curieux d'aller au-delà de la réalité. Qu'on nous
pardonne d'en livrer les clés, au risque de priver le spectateur de l'effet de surprise, mais au moins
notre lecteur saura-t-il où il va mettre les pieds, dans un univers qui n'est pas commun, où
l'imaginaire joue un rôle éminent et où la relation avec le temps est étrangement bousculée. C'est
ce qui fait l'intérêt de la pièce, dont l'argument, la construction et l'écriture sont d'une intelligence
subtile.
Une réplique de l'oeuvre en résume parfaitement le sens. Elle est dans la bouche du personnage
qui conduit le jeu, que Frisch nomme le metteur en scène, et qui est en quelque sorte le grand
architecte de la vie, le démiurge de nos destins (excellemment interprété par Eric Prat).
S'adressant au personnage central, qui est dans l'échec amoureux, il dit : « Vous disiez que si vous
pouviez encore recommencer votre vie, vous sauriez exactement ce que vous feriez de différent... » Voilà posée la
problématique de la pièce : que ferait-on dans telle situation donnée si l'on pouvait recommencer
sa vie ? Un rêve, non ? Un rêve qui renvoie au cri douloureux de Tchekhov dans Les Trois Soeurs :
Sa démonstration, Frisch la rapporte à une situation amoureuse : un homme épris d'une femme
instable. Dans l'esprit de cette adaptation et celui de notre temps, Hans Peter Cloos a donné à sa
mise en scène un ton de légèreté, une coloration de charme très réussis. Il fallait donc deux
acteurs stars. Modernes, brillants, élégants. Lui, c'est Thierry Lhermitte. Il est parfait dans la
retenue douloureuse, dans la fragilité, dans cette espèce d'état démuni où l'inconstance de la
femme laisse l'homme amoureux. Elle, c'est Sylvie Testud. Elle est belle, éblouissante, fraîche,
nerveuse, insolente, sûre d'elle. Quel éclat ! Son entrée en scène est un chef-d'oeuvre.

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