Le saviez-vous ? Titre de film et protection d`une marque

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Le saviez-vous ? Titre de film et protection d`une marque
Le saviez-vous ? Titre de film et
protection d’une marque
Date de publication : 10/04/2015 - 18:41
Chronique juridique, par Claire Saint-Laurent et Sandrine Jasserme (Avocats) - La reproduction
de marques dans les films a toujours suscité de nombreuses interrogations : doit-on obtenir
l’accord des titulaires de la marque ? Existe-il une tolérance ? L’enjeu est encore plus
fondamental lorsque cette marque figure dans le titre du film lui-même. Les derniers débats
autour de l’affaire Jappeloup en attestent !
Les exemples de titres de films reproduisant une marque se multiplient. Peut-être parce que de
plus en plus, la recherche du titre doit permettre d’atteindre un large public, ou au moins lui
"parler" en reprenant des éléments, des expressions notoires, connues, et donc parfois
protégées.
Un nombre toujours croissant de films sont l’adaptation de "franchises" préexistantes, qu’il
s’agisse de bandes dessinées (Astérix), de jouets (Légo), de jeux vidéo (Assassin Creeds)… les
titres de ces franchises préexistantes sont quasiment toujours protégés en tant que marque, par
leur ayants droit, l’enjeu économique étant majeur.
Dans ce cas, la règle est simple : le film est l’adaptation d’une œuvre préexistante, désignée par
une marque, le producteur doit acquérir le droit d’utilisation de cette marque en même temps que
les droits d’adaptation audiovisuelle de l’œuvre d’origine. Le producteur est donc généralement
titulaire d’une autorisation exclusive ou non, d’utiliser cette marque dans le titre de son film.
Mais il se peut que le film soit une adaptation audiovisuelle d’une œuvre préexistante tombée
dans le domaine public (ce qui suppose que le producteur n’est pas tenu d’acquérir les droits
d’adaptation audiovisuelle de l’œuvre préexistante), mais dont le titre bénéficie toujours d’une
protection au titre du droit des marques.
Il se peut également que le titre du film reproduise de façon plus ou moins fortuite tout ou partie
d’une marque protégée indépendamment de toute adaptation d’une œuvre préexistante (par
exemple, "tout peut arriver", "Trois zéro/3 0" …) ou bien désigne un objet ou un personnage
existant, c’est le cas de Jappeloup.
Dans ces deux derniers cas, l’utilisation d’une marque comme titre d’une œuvre audiovisuelle
doit-elle impérativement faire l’objet d’une autorisation préalable du titulaire de la marque ?
La jurisprudence, dans plusieurs affaires, a fourni une réponse à cette question en autorisant la
coexistence d’une marque et d’un titre de film :
Cette jurisprudence a été consacrée par un arrêt de la CA Paris, 14ième ch., 7 mars 2003): La
marque 1,2,3/0 avait été déposée afin de désigner et protéger certains produits, en particulier des
calendriers. Lors de la sortie du film Trois Zéros, le propriétaire de ladite marque a assigné les
producteurs du film en contrefaçon de leur marque. Les juges ont considéré que la marque Trois
zéro/3 0 peut être utilisée dans le titre d’un film, "qui ne peut être assimilé à un produit ou un
service protégé par le droit des marques au sens des articles L.713-2 du CPI et L.713-3 du CPI"
dès lors qu’ "il ne peut exister aucun risque de confusion entre un calendrier, qui est un produit,
et un film, qui est une œuvre de l’esprit".
La décision rendue tout récemment par le TGI de Paris (septembre 2014) concernant le titre du
film Jappeloup a confirmé cette position :
Il en ressort que :
- Le titre et la marque ont une même fonction d’identification mais qui porte sur des objets
distincts :
o La marque identifie des produits et services,
o Le titre identifie une œuvre, et ce quand bien même l’œuvre audiovisuelle est souvent contenue
dans un produit (par exemple dans un DVD, mais dans ce cas le titre désigne l’œuvre, à savoir le
film, et non pas le support qui le contient, à savoir le DVD).
o Il en résulte que le titre ne porte pas atteinte à la fonction essentielle de la marque, qui est de
garantir au consommateur la provenance du produit.
o Dès lors, le titre sort du champ de protection de la marque.
Ainsi, même si la jurisprudence a pu en décider autrement dans certains cas particuliers, lorsque
le titre du film ne porte pas atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir au
consommateur la provenance du produit, et qu’en conséquence, il n’y a pas de confusion entre le
produit et le film, alors l’utilisation de la marque en tant que titre sort du champ de protection de la
marque, qui n’est pas absolu.
Il n’en va pas de même lorsque le titre reproduit une marque et que tous deux désignent un
produit similaire : concernant le titre d’une revue (CA Paris, 18 décembre 2012) : les juges ont
considéré que le titre d’une revue consacrée à l’environnement reproduisait illicitement le titre de
la marque "L’annuaire Vert" désignant une compilation alphabétique de références de
professionnels se consacrant à la nature et à l’écologie. En effet, dans ce cas précis, le titre
"L’annuaire Vert" désignait non seulement l’œuvre mais aussi la revue. Aussi, dès lors que le titre
désigne un produit, en l’espèce la revue, il assure lui-même la fonction de marque, ce dont il
résulte qu’il porte atteinte à la marque déposée.
Il faut également noter que le choix d’un titre reproduisant à dessein une marque connue, sans
lien évident avec le film mais dans le seul but de bénéficier de la notoriété de cette marque serait
tout à fait condamnable et pourrait tomber sous le coup de la contrefaçon ou la concurrence
déloyale.
Pour d’autres exemples dans le même sens :
- CA Paris, 4eme ch. 25 janvier 2006, la marque "Tout peut arriver" peut être reproduite comme
titre d’un film, car il n’y a pas de contrefaçon, "faute pour ce titre d’être utilisé à titre de marque et
d’induire le public en erreur sur son origine",
- CA Paris, 54eme ch. 28 mai 2008 : "Le Monde des choristes" peut être reprise dans le titre
d’un film "peu important que cette œuvre soit matérialisée dans un DVD".
Claire Saint-Laurent et Sandrine Jasserme (Cabinet Taylor Wessing)