Les anglicismes dans le sport en français et en espagnol : étude

Transcription

Les anglicismes dans le sport en français et en espagnol : étude
Education et Sociétés Plurilingues n°232-juin décembre 2007
Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport
Mélanie BERNARD
Numerosi sport, fin dalla loro origine, possiedono un vocabolario che comprende
numerosi anglicismi. Questo fenomeno, che non riguarda la lingua francese, esiste
anche nella lingua spagnola ed è dovuto al contatto tra le lingue. Basandoci su un
corpus di parole estratte dai giornali, abbiamo analizzato come si realizza nello sport
l’integrazione degli anglicismi nelle lingue francese e spagnola, studiando
principalmente quattro tipi di anglicismi e i loro comportamenti.
Abbiamo affrontato ugualmente un processo poco conosciuto, legato al contatto tra le
tre lingue, e che converrebbe approfondire: l’introduzione degli anglicismi nella
lingua spagnola attraverso l’intermediazione della lingua francese.
Muchos deportes, a causa de su origen, poseen un vocabulario que contiene múltiples
anglicismos. Este fenómeno, debido al contacto entre las lenguas, no sólo se presenta
en el francés, sino que existe también en el español y se debe al contacto entre las
lenguas. Con la ayuda de un corpus de palabras extraídas de periódicos, y enfocando
nuestro estudio principalmente a cuatro tipos de anglicismos y sus comportamientos,
hemos analizado la manera como se lleva a cabo la integración de dichos anglicismos
en el lenguaje deportivo en francés y en español, estudiando principalmente cuatro
tipos de anglicismos y su comportamiento. Nos hemos ocupado también de un
proceso poco conocido, inherente al contacto entre las tres lenguas y en el que valdría
la pena profundizar: la introducción de anglicismos en el español a través del francés.
Due to their origin, many sports possess a vocabulary that includes many anglicized
words. The phenomenon is not inherent to French, it also exists in Spanish and
mirrors the extensive contact that exists between the three languages. Based on a
study of newspaper articles, we analyze here how those “anglicisms” have been
integrated in the language of sports in both French and Spanish, isolating four sorts of
borrowings and how they behave in each language. We also look at a little-known
phenomenon, connected to that three-way contact: the introduction of English words
into Spanish with French playing the role of middle-man.
Selon une enquête de la Commission Européenne publiée en novembre
2003 (1), le sport est le troisième loisir des Européens, après la télévision et
la navigation sur Internet.
Le sport représente aujourd’hui une part importante de l’activité des
individus dans de nombreuses sociétés soit en tant qu’acteurs (par la
pratique) soit en tant que spectateur. Selon Thomas (1991: 3), «le sport est
un fait social total, qui d’une part, est le reflet de la société et qui, d’autre
part, participe à l’évolution et la transformation de celle-ci». Le fort
développement des activités sportives dans nos sociétés modernes a permis
aux termes propres à ce domaine de prendre une place de plus en plus
importante dans la langue commune et courante. La langue du sport est très
M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport
représentée dans les médias: la publicité use des métaphores sportives, les
sportifs eux-mêmes présentent des spots publicitaires (pensons par exemple
au footballeur Zinedine Zidane qui se met en scène dans une publicité pour
une compagnie d’assurance).
Le sport est un fait social, le langage également, d’où notre choix d’étudier
conjointement sport et langage et plus spécifiquement les anglicismes dans
le sport. Ian Pickup (1995) rappelle que:
«Les origines des compétitions sportives des temps modernes sont solidement
documentées et il est généralement admis que la Grande-Bretagne y a joué un rôle
dominant: non seulement les Britanniques ont ressuscité les sports que pratiquaient les
anciens, Grecs et Romains, mais ils en ont aussi créé de nouveaux, tels le football, le
rugby et le golf. Inévitablement, ceci a eu pour résultat, une fois que tel ou tel sport
avait été exporté avec succès, l’emprunt en français (et dans d’autres langues) du
vocabulaire spécialisé» (Pickup 1995: 8).
Stone (1957) confirme que le domaine sportif a favorisé l’introduction des
anglicismes dans la langue espagnole, et Belot (1992) assure lui aussi que
l’espagnol est redevable à l’anglais d’une grande part de sa terminologie
sportive.
Notre objectif dans cet article est double. Dans un premier temps, nous
rappellerons le contact qui s’est établi entre l’anglais, le français et
l’espagnol et qui a ainsi permis une introduction des anglicismes dans les
deux autres langues; puis dans un deuxième temps, nous étudierons, en
nous appuyant sur un corpus de 335 mots, et selon une typologie que nous
définirons, comment se réalise l’intégration des anglicismes dans chacune
des deux langues.
Le contact entre les langues
Les anglicismes représentent une trace des relations entre la France et
l’Angleterre et entre la France et les Etats-Unis; ils témoignent de la
familiarité des Français avec le monde anglo-saxon, la découverte d’un
pays étranger passant presque toujours par celle de sa langue. En effet, «les
relations qui s’établissent entre les deux peuples à partir du 16ème siècle ont
amené en français une vague d’anglicismes qui ne devait plus connaître
d’interruption» (Höfler 1982: V). La suprématie de l’Angleterre s’intensifie
au 19ème siècle avec la révolution industrielle et technologique et depuis,
nous constatons un développement des termes empruntés à l’anglais et une
présence de la langue anglaise dans de nombreux domaines. Walter (2001)
rappelle le rôle de l’anglais dans les domaines de la science, des
techniques, du cinéma, de l’informatique, de la mode et du sport.
Les anglicismes sont donc présents dans la langue française, c’est un fait
avéré et constaté, et comme l’écrit Maurice Pergnier (1988: 113), «qu’on
2
M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport
l’approuve ou qu’on le déplore, l’emprunt de mots anglais par la langue
française est devenu une des données importantes de l’histoire
contemporaine de notre langue».
Les anglicismes dans la langue espagnole témoignent eux aussi d’un
échange et d’un contact entre l’Espagne et l’Angleterre ou bien entre les
Etats-Unis et les pays d’Amérique du Sud. Dans sa thèse sur les
anglicismes lexicaux, Félix Páramo García (2003) traite des relations
culturelles entre l’Espagne et la Grande-Bretagne durant la seconde moitié
du 18ème siècle; on pourra se reporter à cet ouvrage pour plus de précisions
sur cette période. Pour une période plus récente, Lillo Buades (1997: 9)
indique que le principal apport anglo-saxon à l’Espagne est venu de
l’Angleterre, principalement dans les domaines de la navigation, du sport,
de la mode et de l’industrie, et ce, du 19ème jusqu’à la première moitié du
20ème siècle («En un principio, desde el siglo XIX y hasta la primera mitad
del siglo XX, el principal aporte anglosajón vino de Inglaterra y fue notable
en campos como la navegación, el deporte, la moda y la técnica
industrial»).
C’est dès le 17ème siècle que la suprématie économique de l’Angleterre s’est
affirmée en Europe. La France et l’Espagne n’y ont pas échappé et les
langues française et espagnole ont emprunté à leur voisine anglophone,
notamment dans le domaine du sport. Un historique des sports mettrait en
valeur le fait que les règles de la plupart des sports modernes ont été
établies par des locuteurs anglo-saxons, et que leur codification est donc
sujette à de nombreux emprunts à l’anglais.
Le mot même de «sport» est un anglicisme utilisé pour désigner une
activité physique qui a pour but la compétition, l’hygiène ou la simple
distraction. Le sens du mot «deporte» procède lui aussi d’un anglicisme.
Dans une conférence sur la langue espagnole dans le sport, Trapero (1994:
88) explique: «Es cierto que nuestro deporte actual es un calco sémantico
del inglés sport, para el significado ‘actividad lúdica, competitiva que
requiere un esfuerzo físico’» («Il est certain que notre sport actuel est un
calque sémantique de l’anglais sport pour le signifié d’‘activité ludique,
compétitive qui requiert un effort physique’», notre traduction).
Si les anglicismes tiennent une place importante dans le domaine du sport
quelle que soit la langue emprunteuse, tous les anglicismes ne sont pas
introduits dans les langues emprunteuses de la même façon. Afin de
comprendre comment se réalise l’intégration des anglicismes dans les
langues emprunteuses, nous avons analysé un corpus de 335 termes
empruntés à la langue anglaise, extraits de textes produits principalement
pendant la période des Jeux Olympiques d’Athènes en août 2004. Pour le
3
M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport
corpus français, les termes proviennent du journal L’Equipe; pour le corpus
espagnol, les termes proviennent soit d’un journal sportif (Marca ou As),
soit d’une rubrique sportive d’un journal d’information générale (El País
ou El Mundo).
Les types d’anglicismes
Nous avons voulu comparer la répartition des différents types
d’anglicismes empruntés par les langues française et espagnole dans le
domaine du sport et la manière dont se réalise leur intégration dans chaque
langue et vérifier ainsi l’hypothèse selon laquelle «l’invasion des
anglicismes auréolés du prestige de la puissance économique et de la
modernité américaines se fait souvent sous la forme de l’emprunt direct:
bikini, boom…» (Belot 1992: 62).
En nous aidant de la typologie de Mareschal (1988), nous avons proposé
(Bernard 2006) une classification des anglicismes en quatre types:
Les anglicismes intacts: une forme anglaise et son sens (ou un de ses sens)
sont importés en français ou en espagnol et adoptés tels quels avec le
référent qu’ils représentent:
basket-ball en français (jeu importé des Etats-Unis) ou match ball en
espagnol (qui désigne le point qui donne la victoire à l’équipe ou au joueur
qui l’a obtenu dans un match de tennis).
Les anglicismes tronqués: une forme anglaise et son sens sont empruntés
avec le référent qu’ils représentent mais le signifiant subit une troncation au
moment de son passage en français ou en espagnol, ou bien la troncation a
déjà eu lieu dans la langue anglaise:
cross (forme tronquée, en français et en espagnol, de cross country
running) ou, dans le football, corner (forme tronquée, en français et en
espagnol, de corner kick).
Les anglicismes de signifiant et les anglicismes introduits en espagnol par
l’intermédiaire du français: seule la forme est anglaise mais ni le sens ni le
référent ne sont empruntés à l’anglais:
en français dans le domaine sportif, recordman a le sens de «sportif qui
détient un record», cette expression a été créée à l’aide de morphèmes
appartenant à la langue anglaise mais elle n’existe pas dans cette dernière.
Elle a été importée en espagnol par l’intermédiaire du français et désigne
aussi en espagnol le sportif qui détient un record (on reviendra sur ce mot).
Les anglicismes francisés ou hispanisés qui peuvent être divisés en deux
sous-catégories:
4
M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport
•
les anglicismes francisés ou hispanisés par adaptation: un mot anglais est
importé avec son référent et intégré au système linguistique français ou espagnol
en subissant des adaptations graphiques et morphologiques ayant pour but de lui
donner un «air français» ou un «air espagnol»:
footballer est devenu par francisation «footballeur» et adrenalin est devenu par
hispanisation «adrenalina».
•
les anglicismes francisés ou hispanisés par dérivation: ils correspondent aux
mots dont la racine conserve la forme anglaise et sont dérivés à l’aide d’affixes
français ou espagnols:
en français, basketteur est dérivé du substantif tronqué anglais basket et du
suffixe de personne -eur; en espagnol, boxeador est dérivé du substantif anglais
box et du suffixe de personne -eador.
Résultats de l’analyse
Suivant cette typologie, une analyse détaillée de notre corpus de 335
anglicismes a permis de présenter les résultats suivants:
1) les plus nombreux dans les deux langues sont les anglicismes intacts, c’est-à-dire les
anglicismes empruntés sans aucune modification morphologique;
2) le second type par le nombre sont les anglicismes francisés ou hispanisés, c’est-à-dire
des anglicismes qui ont subi des modifications morphologiques ou graphiques qui leur
permettent de s’adapter dans les langues emprunteuses et de ne pas être considérés
comme des «intrus gênants» (Lenoble-Pinson 1991);
3) les anglicismes tronqués ne représentent qu’une faible proportion d’emprunts;
4) les types les moins importants numériquement dans notre corpus sont les anglicismes
de signifiant et les anglicismes entrés dans la langue espagnole par l’intermédiaire du
français (voir Tableau 1).
En français comme en espagnol, le type d’anglicismes le plus fréquent est
donc l’anglicisme intact, suivi par l’anglicisme francisé ou hispanisé. Il
serait intéressant de relever les anglicismes de ce même domaine dans
d’autres langues européennes plus ou moins proches les unes des autres
typologiquement, pour repérer leur comportement.
Tableau: Les types d’anglicismes en français et en espagnol
Rang
1
2
3
4
Types d’anglicismes
Anglicismes intacts
Anglicismes francisés & Anglicismes
hispanisés
Anglicismes tronqués
Anglicismes de signifiant en français
& Anglicismes entrés en espagnol par
l’intermédiaire du français
5
Français
N= 198
127 (64,1%)
Espagnol
N=137
73 (53,2%)
45 (22,7%)
44 (32,1%)
16 (8%)
11 (8%)
10 (5%)
9 (6,6%)
M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport
Nous remarquons cependant que la proportion des anglicismes hispanisés
est plus importante que la proportion des anglicismes francisés. Nous
attribuons cette différence au fait que l’espagnol est une langue plus
phonétique que la langue française et qu’il va donc y avoir en espagnol,
dans l’intégration des emprunts à la langue anglaise, une recherche
d’adaptation phonétique et orthographique afin que ces derniers ne soient
plus reconnus comme des emprunts mais bien comme des mots appartenant
à la langue espagnole.
Pour le type «anglicismes intacts», les lexies qui sont spécifiques au
domaine du sport sont en premier lieu des réalités allogènes qui ont été
introduites en même temps que le sport auquel elles se rapportent sans
modification du signifiant ou du signifié:
bunker, dans le domaine du golf, désigne une réalité spécifique à ce sport,
c’est un trou garni de sable servant d’obstacles dans un parcours. Le mot a
été adopté tel quel.
De plus, comme le rappelle Rodríguez González (1996), la traduction de
l’anglicisme s’avère quelquefois beaucoup plus longue que le mot anglais
et elle n’a pas toujours exactement le même signifié, d’où la conservation
du terme anglais:
«Take for instance caddie in golf, reality show in show-business, dumping in economic
jargon, to give just a few examples. Their translation into Spanish [or French] would
require lengthy and complex paraphrases which are generally included in the text as
accompanying explanations when the new terms first occur, but which turn out to be
‘inadequate’ for co-referential purposes.» (Rodriguez González 1996 : 110) («Prenons
par exemple caddie dans le domaine du golf, reality show pour le spectacle, dumping
dans le jargon économique, pour donner quelques modèles. Leur traduction en espagnol
[ou en français] exigerait de longues et complexes paraphrases qui accompagnent
généralement le texte quand les nouveaux termes apparaissent pour la première fois
mais qui s’avèrent être inadéquates dans un but co-référentiel.»)
Quant au type «anglicismes francisés ou hispanisés», il se réalise lorsque
l’intégration grammaticale et morphologique des anglicismes intacts est
achevée, et que les lexies créent des nouvelles familles de mots en utilisant
des affixes propres aux langues emprunteuse:
le substantif anglais break a créé des dérivés à l’aide de suffixes français: le
verbe «breaker» (qui signifie faire le break au tennis, c’est-à-dire gagner le
jeu alors que l’adversaire est au service) et le substantif «débreak» (qui
signifie récupérer le break au tennis);
le substantif anglais boycott, hispanisé en «boicot» a créé des dérivés à
l’aide de suffixes espagnols: le verbe «boicotear» et le substantif
6
M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport
«boicoteo». Ce terme est tout d’abord apparu en politique mais il est très
vite entré dans le vocabulaire sportif, tant ces deux domaines sont liés. Il
désigne le fait de cesser délibérément toutes relations avec un individu ou
un groupe de personnes, puis le fait de ne pas participer à une compétition
sportive.
Dans ce dernier exemple, nous soulignons une particularité de la langue
espagnole, par rapport à la langue française, dans l’adaptation graphique
des anglicismes et dans la création de nouvelles lexies en fonction de ces
adaptations graphiques. Ce fait a été souligné par Guerrero Ramos
(1995: 39):
«La tendencia del español a naturalizar los términos extranjeros es perceptible en el
fenómeno de le creación de una serie léxica a partir de una palabra importada. Así, en el
dominio del fútbol, a partir de gol, se ha creado golear, goleada, golazo, etc.» («La
tendance de l’espagnol à naturaliser les termes étrangers est perceptible dans le
phénomène de la création d’une série lexicale à partir d’un terme importé. Ainsi, dans le
domaine du football, à partir de gol, on a créé golear, goleada, golazo, etc.», notre
traduction).
Dans notre corpus, six mots adaptés à l’orthographe espagnole – boicot,
dribling, fútbol, gol, lider, tenis – ont créé des dérivés (boicoteo, driblador,
futbolista, goleador, liderato, tenista, etc.) à partir de la racine adaptée
graphiquement, alors que dans notre corpus français aucune lexie adaptée à
l’orthographe française n’apparaît avec des dérivés adaptés graphiquement.
Notre corpus révèle également un autre phénomène intéressant. En étudiant
les différents types d’anglicismes, nous constatons un processus peu connu
lié au contact entre les trois langues: l’introduction des anglicismes dans la
langue espagnole par l’intermédiaire de la langue française.
Français et espagnol
Les rapports établis entre la France et l’Espagne, grâce à leur proximité
géographique et à leur parenté linguistique, ont privilégié les échanges
entre les deux pays et leurs langues. Les hispanismes sont présents dans la
langue française, il suffit de penser au lexique de la tauromachie ou de la
gastronomie (corrida, matador, toréador, tomate, cacao, chocolat…).
L’emprunt s’est également réalisé en espagnol; les gallicismes y sont bien
représentés (chovinismo, peluche, argot…). Carnicer (1969: 161) rappelle
d’ailleurs que «la proximidad de Francia y la influencia ejercida por este
país en diferentes épocas de nuestra historia, hacen que la penetración del
francés en el castellano sea amplia y persistente» («La proximité de la
7
M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport
France et l’influence exercée par ce pays à différentes époques de notre
histoire, font que la pénétration du français dans la langue espagnole est
vaste et persistante», notre traduction).
A propos du phénomène de contact des langues, Alfaro (1970) note que
l’introduction des gallicismes a précédé celle des anglicismes dans la
langue espagnole mais il ne fait pas mention de ce processus très
intéressant commenté par Pratt (1980: 50), qui est l’introduction dans la
langue espagnole d’anglicismes par l’intermédiaire du français: «…una
razón por la que se sabe que el francés ha intervenido en la adopción en
español de una voz inglesa es que ésta haya adquirido algún rasgo
lingüístico ausente en inglés y nacido en francés » («…une raison pour
laquelle on sait que le français est intervenu dans l’introduction de lexies
anglaises est que ces dernières ont adopté certains traits linguistiques
absents en anglais et nés en français», notre traduction).
On constate en effet que certains anglicismes de signifiant, créés en
français à l’aide d’éléments anglais, sont à leur tour empruntés par la
langue espagnole.
Les anglicismes entrés dans la langue espagnole par l’intermédiaire du
français appartiennent pour la plupart au type d’anglicismes désigné
comme anglicisme de signifiant, c’est-à-dire qu’il s’agit de lexies dont
seule la forme est anglaise, ni le sens ni le référent n’étant empruntés à
l’anglais.
Il existe deux niveaux d’emprunt dans le type «anglicismes de signifiant»:
•
la lexie est empruntée directement à l’anglais mais avec un sens différent; par
exemple, le mot slip (forme anglaise) désigne en anglais une combinaison de
dame mais désigne en français un sous-vêtement masculin ou féminin;
Un speaker: du substantif anglais speaker, dérivé du verbe to speak
«parler» et du suffixe de personne -er. Il désigne en anglais l’orateur ou le
président de séance. En français et en espagnol, c’est une personne chargée
d’annoncer les résultats d’épreuves sportives (l’anglais possède
announcer):
«…le speaker l’atteste» (L’Equipe, jeudi 26-08-2004: 4 [athlétisme])
«Se acercó al poyete de salida y lo secó con calma, ajeno a la voz del
speaker, que presentaba uno a uno a los nadadores» (El Pais,
dimanche 15-08-2004: 44 [natation])
•
la lexie est créée en français avec des morphèmes empruntés à la langue
anglaise; il existe en français de nombreux anglicismes créés à l’aide du
substantif man (utilisé comme suffixe en français) ou du suffixe -ing (suffixe
servant en anglais à former des substantifs à partir de verbes). A ce propos,
8
M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport
Spence (1989: 329) parle d’ailleurs de faux anglicismes: «La création des mots
en -man qui n’existent pas en anglais, s’est effectuée à partir d’emprunts
existants […]. Ils sont donc à la fois «français» et «formés d’éléments anglais»,
et c’est parce que les formations n’ont pas d’équivalent en anglais qu’il est
nécessaire de parler de «faux anglicismes»…».
Un recordman: le substantif «record», emprunté à l’anglais record a créé
deux emprunts morphologiques, ce sont les substantifs recordman et
recordwoman. Ces derniers n’existent pas en anglais – il s’agit donc de
« faux anglicismes » ; l’anglais emploie la forme record holder pour
désigner le détenteur d’un record:
«Une histoire de touche comme celle qui décida du sort du 100 m papillon. Du
duel entre Ian Crocker, le recordman du monde, et Michael Phelps, l’ogre de
Baltimore, arbitré par l’Ukrainien Andreï Serdinov» (L’Equipe, samedi
21-08-2004: 13 [natation])
«La recordwoman du monde du marathon s’est préparée près de Séville dans la
forêt de Donana» (L’Equipe, mardi 17-08-2004: 13 [athlétisme])
Pour désigner le détenteur d’un record, l’espagnol possède «plusmarquista»
mais également les deux emprunts morphologiques «recordman» et
«recordwoman», empruntés au français:
«En casi 13 segundos se cifra la diferencia entre Bekele, actual recordman
mundial (12:37.35) y El Guerrouj, quien en junio del año pasado certificó
12:50.24» (Marca, samedi 28-08-2004: 20) [athlétisme])
«Es la nueva recordwoman de triple salto» (El Mundo, dictionnaire en ligne)
Un footing: du verbe to foot «aller à pied», l’expression footing n’existe pas
en anglais dans le sens de «marche ou course à pied en terrain libre».
Guilbert (1959: 281) confirme qu’«en français, a été créé sur le mot anglais
foot, pour désigner la marche de caractère sportif, le terme footing qui
n’existe pas en anglais» (l’anglais possède jogging).
«…il s’est lancé dans un footing…» (L’Equipe, dimanche 15-08-2004: 6
[athlétisme])
L’expression a été empruntée en espagnol par l’intermédiaire du français
avec la même définition «paseo higiénico que se hace corriendo con
velocidad moderada al aire libre»:
«De pequeña acostumbraba a acompañar a su padre, un fumador empedernido
que había encontrado en el footing la manera de aliviar el vicio» (El País,
dimanche 22-08-2004: 50 [athlétisme])
Le contact entre les trois langues: français, anglais, espagnol, participe
donc à l’enrichissement du français à un degré – le français emprunte des
anglicismes – et à celui de l’espagnol à deux degrés – l’espagnol emprunte
des anglicismes directement à l’anglais mais il emprunte également des
9
M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport
anglicismes au français. Ce processus mériterait d’être étudié en détail et
une recherche ultérieure (que nous comptons mener) pourrait lui être
exclusivement consacrée.
Conclusion
Les résultats de notre recherche montrent une nouvelle fois comment le
contact entre les langues contribue à leur enrichissement. Nous avons mis
en évidence la densité des anglicismes dans le domaine du sport dans les
deux langues emprunteuses que sont le français et l’espagnol. De plus, nous
avons pu relever des comportements semblables du français et de
l’espagnol sous bien des aspects en ce qui concerne les emprunts: les deux
langues utilisent les mêmes types d’anglicismes, et dans chacune d’elles la
répartition de ces types est tout à fait comparable.
Mais nous avons relevé également des différences, que nous avons tenté
d’expliquer en nous fondant sur les caractéristiques propres à chacune des
langues emprunteuses et aux contacts entre celles-ci: adaptations
graphiques des anglicismes en espagnol et création de nouvelles lexies en
fonction de ces adaptations; création en français de nouvelles lexies à partir
d’éléments empruntés à la langue anglaise et emprunt de «faux
anglicismes» par la langue espagnole.
Note
(1) http://europa.eu.int/comm/public_opinion/archives/ebs/ebs_197_fr.summ.pdf
10
M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport
RRéférences:
ALFARO, R. J. 1970. Diccionario de anglicismos. Madrid: Gredos.
BELOT, A. 1992. L’espagnol aujourd’hui: aspects de la créativité lexicale en espagnol
contemporain. Perpignan: Editions du Castillet.
BERNARD, M. 2006. Les anglicismes dans le sport en langue française: modes
d’intégration et aspects sociolinguistiques. Thèse de doctorat de linguistique,
sous la direction de Jeannine Gerbault, Université Bordeaux III.
CARNICER, R. 1969. Sobre el lenguaje de hoy. Madrid: Editions Prensa Española.
GUERRERO RAMOS, G. 1995. Neologismos en el español actual. Madrid:
Arco/Libros.
GUILBERT, L. 1959. Anglomanie et vocabulaire technique, Le Français moderne
XXVII: 272-295. Paris: Editions d’Artrey.
HÖFLER, M. 1982. Dictionnaire des anglicismes. Paris: Larousse.
LENOBLE-PINSON, M. 1991. Anglicismes et substituts français. Paris: Duculot.
LILLO BUADES, A. 1997. Nuevo diccionario de anglicismos. Madrid: Gredos.
MARESCHAL, G. 1988. Contribution à l’étude comparée de l’anglicisation en Europe
francophone et au Québec, In Le français en contact avec l’anglais en hommage
à Jean Darbelnet 21: 67-77. Paris: Didier.
PÁRAMO GARCÍA, F. 2003. Anglicismos léxicos en traducciones inglés-español
1750-1800. Léon: Universidad, secretariado de Publicaciones y Medios
Audiovisuales.
PERGNIER, M. 1989. Les anglicismes: danger ou enrichissement pour la langue
française. Paris: P.U.F.
PICKUP, I. 1995. Dictionnaire des sports Anglais-Français & Français-Anglais. Paris:
Ellipses.
PRATT, C. 1980. El anglicismo en el español peninsular contemporáneo. Madrid:
Gredos.
RODRÍGUEZ GONZÁLEZ, F. 1996. Functions of Anglicisms in contemporary
Spanish, Cahiers de Lexicologie 68/1 : 107-128.
SPENCE, N.C.W. 1989. Qu’est ce qu’un anglicisme?, Revue de linguistique romane 53:
323-334.
THOMAS, R. 1991. Histoire du sport. Paris: P.U.F.
TRAPERO, M. 1994. Del ‘depuerto medieval’ al ‘deporte’ actual. Cuestiones
semánticas, pp. 79-108 in El idioma español en el deporte. Gobierno de la Rioja:
Agencia EFE.
WALTER, H. 2001. Honni soit qui mal y pense : l’incroyable histoire d’amour entre le
français et l’anglais. Paris : Robert Laffont
11