Les anglicismes dans le sport en français et en espagnol : étude
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Les anglicismes dans le sport en français et en espagnol : étude
Education et Sociétés Plurilingues n°232-juin décembre 2007 Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport Mélanie BERNARD Numerosi sport, fin dalla loro origine, possiedono un vocabolario che comprende numerosi anglicismi. Questo fenomeno, che non riguarda la lingua francese, esiste anche nella lingua spagnola ed è dovuto al contatto tra le lingue. Basandoci su un corpus di parole estratte dai giornali, abbiamo analizzato come si realizza nello sport l’integrazione degli anglicismi nelle lingue francese e spagnola, studiando principalmente quattro tipi di anglicismi e i loro comportamenti. Abbiamo affrontato ugualmente un processo poco conosciuto, legato al contatto tra le tre lingue, e che converrebbe approfondire: l’introduzione degli anglicismi nella lingua spagnola attraverso l’intermediazione della lingua francese. Muchos deportes, a causa de su origen, poseen un vocabulario que contiene múltiples anglicismos. Este fenómeno, debido al contacto entre las lenguas, no sólo se presenta en el francés, sino que existe también en el español y se debe al contacto entre las lenguas. Con la ayuda de un corpus de palabras extraídas de periódicos, y enfocando nuestro estudio principalmente a cuatro tipos de anglicismos y sus comportamientos, hemos analizado la manera como se lleva a cabo la integración de dichos anglicismos en el lenguaje deportivo en francés y en español, estudiando principalmente cuatro tipos de anglicismos y su comportamiento. Nos hemos ocupado también de un proceso poco conocido, inherente al contacto entre las tres lenguas y en el que valdría la pena profundizar: la introducción de anglicismos en el español a través del francés. Due to their origin, many sports possess a vocabulary that includes many anglicized words. The phenomenon is not inherent to French, it also exists in Spanish and mirrors the extensive contact that exists between the three languages. Based on a study of newspaper articles, we analyze here how those “anglicisms” have been integrated in the language of sports in both French and Spanish, isolating four sorts of borrowings and how they behave in each language. We also look at a little-known phenomenon, connected to that three-way contact: the introduction of English words into Spanish with French playing the role of middle-man. Selon une enquête de la Commission Européenne publiée en novembre 2003 (1), le sport est le troisième loisir des Européens, après la télévision et la navigation sur Internet. Le sport représente aujourd’hui une part importante de l’activité des individus dans de nombreuses sociétés soit en tant qu’acteurs (par la pratique) soit en tant que spectateur. Selon Thomas (1991: 3), «le sport est un fait social total, qui d’une part, est le reflet de la société et qui, d’autre part, participe à l’évolution et la transformation de celle-ci». Le fort développement des activités sportives dans nos sociétés modernes a permis aux termes propres à ce domaine de prendre une place de plus en plus importante dans la langue commune et courante. La langue du sport est très M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport représentée dans les médias: la publicité use des métaphores sportives, les sportifs eux-mêmes présentent des spots publicitaires (pensons par exemple au footballeur Zinedine Zidane qui se met en scène dans une publicité pour une compagnie d’assurance). Le sport est un fait social, le langage également, d’où notre choix d’étudier conjointement sport et langage et plus spécifiquement les anglicismes dans le sport. Ian Pickup (1995) rappelle que: «Les origines des compétitions sportives des temps modernes sont solidement documentées et il est généralement admis que la Grande-Bretagne y a joué un rôle dominant: non seulement les Britanniques ont ressuscité les sports que pratiquaient les anciens, Grecs et Romains, mais ils en ont aussi créé de nouveaux, tels le football, le rugby et le golf. Inévitablement, ceci a eu pour résultat, une fois que tel ou tel sport avait été exporté avec succès, l’emprunt en français (et dans d’autres langues) du vocabulaire spécialisé» (Pickup 1995: 8). Stone (1957) confirme que le domaine sportif a favorisé l’introduction des anglicismes dans la langue espagnole, et Belot (1992) assure lui aussi que l’espagnol est redevable à l’anglais d’une grande part de sa terminologie sportive. Notre objectif dans cet article est double. Dans un premier temps, nous rappellerons le contact qui s’est établi entre l’anglais, le français et l’espagnol et qui a ainsi permis une introduction des anglicismes dans les deux autres langues; puis dans un deuxième temps, nous étudierons, en nous appuyant sur un corpus de 335 mots, et selon une typologie que nous définirons, comment se réalise l’intégration des anglicismes dans chacune des deux langues. Le contact entre les langues Les anglicismes représentent une trace des relations entre la France et l’Angleterre et entre la France et les Etats-Unis; ils témoignent de la familiarité des Français avec le monde anglo-saxon, la découverte d’un pays étranger passant presque toujours par celle de sa langue. En effet, «les relations qui s’établissent entre les deux peuples à partir du 16ème siècle ont amené en français une vague d’anglicismes qui ne devait plus connaître d’interruption» (Höfler 1982: V). La suprématie de l’Angleterre s’intensifie au 19ème siècle avec la révolution industrielle et technologique et depuis, nous constatons un développement des termes empruntés à l’anglais et une présence de la langue anglaise dans de nombreux domaines. Walter (2001) rappelle le rôle de l’anglais dans les domaines de la science, des techniques, du cinéma, de l’informatique, de la mode et du sport. Les anglicismes sont donc présents dans la langue française, c’est un fait avéré et constaté, et comme l’écrit Maurice Pergnier (1988: 113), «qu’on 2 M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport l’approuve ou qu’on le déplore, l’emprunt de mots anglais par la langue française est devenu une des données importantes de l’histoire contemporaine de notre langue». Les anglicismes dans la langue espagnole témoignent eux aussi d’un échange et d’un contact entre l’Espagne et l’Angleterre ou bien entre les Etats-Unis et les pays d’Amérique du Sud. Dans sa thèse sur les anglicismes lexicaux, Félix Páramo García (2003) traite des relations culturelles entre l’Espagne et la Grande-Bretagne durant la seconde moitié du 18ème siècle; on pourra se reporter à cet ouvrage pour plus de précisions sur cette période. Pour une période plus récente, Lillo Buades (1997: 9) indique que le principal apport anglo-saxon à l’Espagne est venu de l’Angleterre, principalement dans les domaines de la navigation, du sport, de la mode et de l’industrie, et ce, du 19ème jusqu’à la première moitié du 20ème siècle («En un principio, desde el siglo XIX y hasta la primera mitad del siglo XX, el principal aporte anglosajón vino de Inglaterra y fue notable en campos como la navegación, el deporte, la moda y la técnica industrial»). C’est dès le 17ème siècle que la suprématie économique de l’Angleterre s’est affirmée en Europe. La France et l’Espagne n’y ont pas échappé et les langues française et espagnole ont emprunté à leur voisine anglophone, notamment dans le domaine du sport. Un historique des sports mettrait en valeur le fait que les règles de la plupart des sports modernes ont été établies par des locuteurs anglo-saxons, et que leur codification est donc sujette à de nombreux emprunts à l’anglais. Le mot même de «sport» est un anglicisme utilisé pour désigner une activité physique qui a pour but la compétition, l’hygiène ou la simple distraction. Le sens du mot «deporte» procède lui aussi d’un anglicisme. Dans une conférence sur la langue espagnole dans le sport, Trapero (1994: 88) explique: «Es cierto que nuestro deporte actual es un calco sémantico del inglés sport, para el significado ‘actividad lúdica, competitiva que requiere un esfuerzo físico’» («Il est certain que notre sport actuel est un calque sémantique de l’anglais sport pour le signifié d’‘activité ludique, compétitive qui requiert un effort physique’», notre traduction). Si les anglicismes tiennent une place importante dans le domaine du sport quelle que soit la langue emprunteuse, tous les anglicismes ne sont pas introduits dans les langues emprunteuses de la même façon. Afin de comprendre comment se réalise l’intégration des anglicismes dans les langues emprunteuses, nous avons analysé un corpus de 335 termes empruntés à la langue anglaise, extraits de textes produits principalement pendant la période des Jeux Olympiques d’Athènes en août 2004. Pour le 3 M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport corpus français, les termes proviennent du journal L’Equipe; pour le corpus espagnol, les termes proviennent soit d’un journal sportif (Marca ou As), soit d’une rubrique sportive d’un journal d’information générale (El País ou El Mundo). Les types d’anglicismes Nous avons voulu comparer la répartition des différents types d’anglicismes empruntés par les langues française et espagnole dans le domaine du sport et la manière dont se réalise leur intégration dans chaque langue et vérifier ainsi l’hypothèse selon laquelle «l’invasion des anglicismes auréolés du prestige de la puissance économique et de la modernité américaines se fait souvent sous la forme de l’emprunt direct: bikini, boom…» (Belot 1992: 62). En nous aidant de la typologie de Mareschal (1988), nous avons proposé (Bernard 2006) une classification des anglicismes en quatre types: Les anglicismes intacts: une forme anglaise et son sens (ou un de ses sens) sont importés en français ou en espagnol et adoptés tels quels avec le référent qu’ils représentent: basket-ball en français (jeu importé des Etats-Unis) ou match ball en espagnol (qui désigne le point qui donne la victoire à l’équipe ou au joueur qui l’a obtenu dans un match de tennis). Les anglicismes tronqués: une forme anglaise et son sens sont empruntés avec le référent qu’ils représentent mais le signifiant subit une troncation au moment de son passage en français ou en espagnol, ou bien la troncation a déjà eu lieu dans la langue anglaise: cross (forme tronquée, en français et en espagnol, de cross country running) ou, dans le football, corner (forme tronquée, en français et en espagnol, de corner kick). Les anglicismes de signifiant et les anglicismes introduits en espagnol par l’intermédiaire du français: seule la forme est anglaise mais ni le sens ni le référent ne sont empruntés à l’anglais: en français dans le domaine sportif, recordman a le sens de «sportif qui détient un record», cette expression a été créée à l’aide de morphèmes appartenant à la langue anglaise mais elle n’existe pas dans cette dernière. Elle a été importée en espagnol par l’intermédiaire du français et désigne aussi en espagnol le sportif qui détient un record (on reviendra sur ce mot). Les anglicismes francisés ou hispanisés qui peuvent être divisés en deux sous-catégories: 4 M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport • les anglicismes francisés ou hispanisés par adaptation: un mot anglais est importé avec son référent et intégré au système linguistique français ou espagnol en subissant des adaptations graphiques et morphologiques ayant pour but de lui donner un «air français» ou un «air espagnol»: footballer est devenu par francisation «footballeur» et adrenalin est devenu par hispanisation «adrenalina». • les anglicismes francisés ou hispanisés par dérivation: ils correspondent aux mots dont la racine conserve la forme anglaise et sont dérivés à l’aide d’affixes français ou espagnols: en français, basketteur est dérivé du substantif tronqué anglais basket et du suffixe de personne -eur; en espagnol, boxeador est dérivé du substantif anglais box et du suffixe de personne -eador. Résultats de l’analyse Suivant cette typologie, une analyse détaillée de notre corpus de 335 anglicismes a permis de présenter les résultats suivants: 1) les plus nombreux dans les deux langues sont les anglicismes intacts, c’est-à-dire les anglicismes empruntés sans aucune modification morphologique; 2) le second type par le nombre sont les anglicismes francisés ou hispanisés, c’est-à-dire des anglicismes qui ont subi des modifications morphologiques ou graphiques qui leur permettent de s’adapter dans les langues emprunteuses et de ne pas être considérés comme des «intrus gênants» (Lenoble-Pinson 1991); 3) les anglicismes tronqués ne représentent qu’une faible proportion d’emprunts; 4) les types les moins importants numériquement dans notre corpus sont les anglicismes de signifiant et les anglicismes entrés dans la langue espagnole par l’intermédiaire du français (voir Tableau 1). En français comme en espagnol, le type d’anglicismes le plus fréquent est donc l’anglicisme intact, suivi par l’anglicisme francisé ou hispanisé. Il serait intéressant de relever les anglicismes de ce même domaine dans d’autres langues européennes plus ou moins proches les unes des autres typologiquement, pour repérer leur comportement. Tableau: Les types d’anglicismes en français et en espagnol Rang 1 2 3 4 Types d’anglicismes Anglicismes intacts Anglicismes francisés & Anglicismes hispanisés Anglicismes tronqués Anglicismes de signifiant en français & Anglicismes entrés en espagnol par l’intermédiaire du français 5 Français N= 198 127 (64,1%) Espagnol N=137 73 (53,2%) 45 (22,7%) 44 (32,1%) 16 (8%) 11 (8%) 10 (5%) 9 (6,6%) M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport Nous remarquons cependant que la proportion des anglicismes hispanisés est plus importante que la proportion des anglicismes francisés. Nous attribuons cette différence au fait que l’espagnol est une langue plus phonétique que la langue française et qu’il va donc y avoir en espagnol, dans l’intégration des emprunts à la langue anglaise, une recherche d’adaptation phonétique et orthographique afin que ces derniers ne soient plus reconnus comme des emprunts mais bien comme des mots appartenant à la langue espagnole. Pour le type «anglicismes intacts», les lexies qui sont spécifiques au domaine du sport sont en premier lieu des réalités allogènes qui ont été introduites en même temps que le sport auquel elles se rapportent sans modification du signifiant ou du signifié: bunker, dans le domaine du golf, désigne une réalité spécifique à ce sport, c’est un trou garni de sable servant d’obstacles dans un parcours. Le mot a été adopté tel quel. De plus, comme le rappelle Rodríguez González (1996), la traduction de l’anglicisme s’avère quelquefois beaucoup plus longue que le mot anglais et elle n’a pas toujours exactement le même signifié, d’où la conservation du terme anglais: «Take for instance caddie in golf, reality show in show-business, dumping in economic jargon, to give just a few examples. Their translation into Spanish [or French] would require lengthy and complex paraphrases which are generally included in the text as accompanying explanations when the new terms first occur, but which turn out to be ‘inadequate’ for co-referential purposes.» (Rodriguez González 1996 : 110) («Prenons par exemple caddie dans le domaine du golf, reality show pour le spectacle, dumping dans le jargon économique, pour donner quelques modèles. Leur traduction en espagnol [ou en français] exigerait de longues et complexes paraphrases qui accompagnent généralement le texte quand les nouveaux termes apparaissent pour la première fois mais qui s’avèrent être inadéquates dans un but co-référentiel.») Quant au type «anglicismes francisés ou hispanisés», il se réalise lorsque l’intégration grammaticale et morphologique des anglicismes intacts est achevée, et que les lexies créent des nouvelles familles de mots en utilisant des affixes propres aux langues emprunteuse: le substantif anglais break a créé des dérivés à l’aide de suffixes français: le verbe «breaker» (qui signifie faire le break au tennis, c’est-à-dire gagner le jeu alors que l’adversaire est au service) et le substantif «débreak» (qui signifie récupérer le break au tennis); le substantif anglais boycott, hispanisé en «boicot» a créé des dérivés à l’aide de suffixes espagnols: le verbe «boicotear» et le substantif 6 M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport «boicoteo». Ce terme est tout d’abord apparu en politique mais il est très vite entré dans le vocabulaire sportif, tant ces deux domaines sont liés. Il désigne le fait de cesser délibérément toutes relations avec un individu ou un groupe de personnes, puis le fait de ne pas participer à une compétition sportive. Dans ce dernier exemple, nous soulignons une particularité de la langue espagnole, par rapport à la langue française, dans l’adaptation graphique des anglicismes et dans la création de nouvelles lexies en fonction de ces adaptations graphiques. Ce fait a été souligné par Guerrero Ramos (1995: 39): «La tendencia del español a naturalizar los términos extranjeros es perceptible en el fenómeno de le creación de una serie léxica a partir de una palabra importada. Así, en el dominio del fútbol, a partir de gol, se ha creado golear, goleada, golazo, etc.» («La tendance de l’espagnol à naturaliser les termes étrangers est perceptible dans le phénomène de la création d’une série lexicale à partir d’un terme importé. Ainsi, dans le domaine du football, à partir de gol, on a créé golear, goleada, golazo, etc.», notre traduction). Dans notre corpus, six mots adaptés à l’orthographe espagnole – boicot, dribling, fútbol, gol, lider, tenis – ont créé des dérivés (boicoteo, driblador, futbolista, goleador, liderato, tenista, etc.) à partir de la racine adaptée graphiquement, alors que dans notre corpus français aucune lexie adaptée à l’orthographe française n’apparaît avec des dérivés adaptés graphiquement. Notre corpus révèle également un autre phénomène intéressant. En étudiant les différents types d’anglicismes, nous constatons un processus peu connu lié au contact entre les trois langues: l’introduction des anglicismes dans la langue espagnole par l’intermédiaire de la langue française. Français et espagnol Les rapports établis entre la France et l’Espagne, grâce à leur proximité géographique et à leur parenté linguistique, ont privilégié les échanges entre les deux pays et leurs langues. Les hispanismes sont présents dans la langue française, il suffit de penser au lexique de la tauromachie ou de la gastronomie (corrida, matador, toréador, tomate, cacao, chocolat…). L’emprunt s’est également réalisé en espagnol; les gallicismes y sont bien représentés (chovinismo, peluche, argot…). Carnicer (1969: 161) rappelle d’ailleurs que «la proximidad de Francia y la influencia ejercida por este país en diferentes épocas de nuestra historia, hacen que la penetración del francés en el castellano sea amplia y persistente» («La proximité de la 7 M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport France et l’influence exercée par ce pays à différentes époques de notre histoire, font que la pénétration du français dans la langue espagnole est vaste et persistante», notre traduction). A propos du phénomène de contact des langues, Alfaro (1970) note que l’introduction des gallicismes a précédé celle des anglicismes dans la langue espagnole mais il ne fait pas mention de ce processus très intéressant commenté par Pratt (1980: 50), qui est l’introduction dans la langue espagnole d’anglicismes par l’intermédiaire du français: «…una razón por la que se sabe que el francés ha intervenido en la adopción en español de una voz inglesa es que ésta haya adquirido algún rasgo lingüístico ausente en inglés y nacido en francés » («…une raison pour laquelle on sait que le français est intervenu dans l’introduction de lexies anglaises est que ces dernières ont adopté certains traits linguistiques absents en anglais et nés en français», notre traduction). On constate en effet que certains anglicismes de signifiant, créés en français à l’aide d’éléments anglais, sont à leur tour empruntés par la langue espagnole. Les anglicismes entrés dans la langue espagnole par l’intermédiaire du français appartiennent pour la plupart au type d’anglicismes désigné comme anglicisme de signifiant, c’est-à-dire qu’il s’agit de lexies dont seule la forme est anglaise, ni le sens ni le référent n’étant empruntés à l’anglais. Il existe deux niveaux d’emprunt dans le type «anglicismes de signifiant»: • la lexie est empruntée directement à l’anglais mais avec un sens différent; par exemple, le mot slip (forme anglaise) désigne en anglais une combinaison de dame mais désigne en français un sous-vêtement masculin ou féminin; Un speaker: du substantif anglais speaker, dérivé du verbe to speak «parler» et du suffixe de personne -er. Il désigne en anglais l’orateur ou le président de séance. En français et en espagnol, c’est une personne chargée d’annoncer les résultats d’épreuves sportives (l’anglais possède announcer): «…le speaker l’atteste» (L’Equipe, jeudi 26-08-2004: 4 [athlétisme]) «Se acercó al poyete de salida y lo secó con calma, ajeno a la voz del speaker, que presentaba uno a uno a los nadadores» (El Pais, dimanche 15-08-2004: 44 [natation]) • la lexie est créée en français avec des morphèmes empruntés à la langue anglaise; il existe en français de nombreux anglicismes créés à l’aide du substantif man (utilisé comme suffixe en français) ou du suffixe -ing (suffixe servant en anglais à former des substantifs à partir de verbes). A ce propos, 8 M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport Spence (1989: 329) parle d’ailleurs de faux anglicismes: «La création des mots en -man qui n’existent pas en anglais, s’est effectuée à partir d’emprunts existants […]. Ils sont donc à la fois «français» et «formés d’éléments anglais», et c’est parce que les formations n’ont pas d’équivalent en anglais qu’il est nécessaire de parler de «faux anglicismes»…». Un recordman: le substantif «record», emprunté à l’anglais record a créé deux emprunts morphologiques, ce sont les substantifs recordman et recordwoman. Ces derniers n’existent pas en anglais – il s’agit donc de « faux anglicismes » ; l’anglais emploie la forme record holder pour désigner le détenteur d’un record: «Une histoire de touche comme celle qui décida du sort du 100 m papillon. Du duel entre Ian Crocker, le recordman du monde, et Michael Phelps, l’ogre de Baltimore, arbitré par l’Ukrainien Andreï Serdinov» (L’Equipe, samedi 21-08-2004: 13 [natation]) «La recordwoman du monde du marathon s’est préparée près de Séville dans la forêt de Donana» (L’Equipe, mardi 17-08-2004: 13 [athlétisme]) Pour désigner le détenteur d’un record, l’espagnol possède «plusmarquista» mais également les deux emprunts morphologiques «recordman» et «recordwoman», empruntés au français: «En casi 13 segundos se cifra la diferencia entre Bekele, actual recordman mundial (12:37.35) y El Guerrouj, quien en junio del año pasado certificó 12:50.24» (Marca, samedi 28-08-2004: 20) [athlétisme]) «Es la nueva recordwoman de triple salto» (El Mundo, dictionnaire en ligne) Un footing: du verbe to foot «aller à pied», l’expression footing n’existe pas en anglais dans le sens de «marche ou course à pied en terrain libre». Guilbert (1959: 281) confirme qu’«en français, a été créé sur le mot anglais foot, pour désigner la marche de caractère sportif, le terme footing qui n’existe pas en anglais» (l’anglais possède jogging). «…il s’est lancé dans un footing…» (L’Equipe, dimanche 15-08-2004: 6 [athlétisme]) L’expression a été empruntée en espagnol par l’intermédiaire du français avec la même définition «paseo higiénico que se hace corriendo con velocidad moderada al aire libre»: «De pequeña acostumbraba a acompañar a su padre, un fumador empedernido que había encontrado en el footing la manera de aliviar el vicio» (El País, dimanche 22-08-2004: 50 [athlétisme]) Le contact entre les trois langues: français, anglais, espagnol, participe donc à l’enrichissement du français à un degré – le français emprunte des anglicismes – et à celui de l’espagnol à deux degrés – l’espagnol emprunte des anglicismes directement à l’anglais mais il emprunte également des 9 M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport anglicismes au français. Ce processus mériterait d’être étudié en détail et une recherche ultérieure (que nous comptons mener) pourrait lui être exclusivement consacrée. Conclusion Les résultats de notre recherche montrent une nouvelle fois comment le contact entre les langues contribue à leur enrichissement. Nous avons mis en évidence la densité des anglicismes dans le domaine du sport dans les deux langues emprunteuses que sont le français et l’espagnol. De plus, nous avons pu relever des comportements semblables du français et de l’espagnol sous bien des aspects en ce qui concerne les emprunts: les deux langues utilisent les mêmes types d’anglicismes, et dans chacune d’elles la répartition de ces types est tout à fait comparable. Mais nous avons relevé également des différences, que nous avons tenté d’expliquer en nous fondant sur les caractéristiques propres à chacune des langues emprunteuses et aux contacts entre celles-ci: adaptations graphiques des anglicismes en espagnol et création de nouvelles lexies en fonction de ces adaptations; création en français de nouvelles lexies à partir d’éléments empruntés à la langue anglaise et emprunt de «faux anglicismes» par la langue espagnole. Note (1) http://europa.eu.int/comm/public_opinion/archives/ebs/ebs_197_fr.summ.pdf 10 M. Bernard, Le français et l’espagnol face aux anglicismes dans le sport RRéférences: ALFARO, R. J. 1970. Diccionario de anglicismos. Madrid: Gredos. BELOT, A. 1992. L’espagnol aujourd’hui: aspects de la créativité lexicale en espagnol contemporain. Perpignan: Editions du Castillet. BERNARD, M. 2006. Les anglicismes dans le sport en langue française: modes d’intégration et aspects sociolinguistiques. 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