La surpopulation, cancer des prisons françaises

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La surpopulation, cancer des prisons françaises
ACTU
La surpopulation,
cancer des prisons françaises
Le candidat Nicolas Sarkozy affirmait dans sa réponse aux États généraux
de la condition pénitentiaire en janvier 2007 qu’« être condamné à une
peine de prison, ce n’est pas être condamné à être maltraité par d’autres
détenus, à ne plus avoir de contacts avec sa famille, à vivre dans une
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cellule surpeuplée, à se sentir acculé au suicide ». Au 1 novembre 2011,
64 % des personnes incarcérées sont détenues dans une prison surpeuplée.
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Le taux d’occupation moyen est de 128 % dans les maisons d’arrêt .
Les prisons ne désemplissent plus. Depuis l’« affaire de Pornic »
en janvier 2011 et les instructions du ministère de la Justice aux
Parquets qui s’en sont suivies, le nombre de personnes détenues
er
atteint des pics historiques : elles sont 65 262 au 1 décembre
2011, soit une hausse de 6,2 % cette année. Avec des conséquences directes sur les conditions de vie et de travail en détention : la moitié des établissements ou quartiers ont une densité
supérieure ou égale à 100 %.
Sitôt construites, sitôt remplies
Censées apporter un remède à la surpopulation, les nouvelles
prisons sont d’emblée affectées par le phénomène. La maison
d’arrêt de Lyon-Corbas, mise en service en mai 2009, accueille
882 détenus pour 690 places en novembre 2011. « 50 % [d’entre
eux] sont en attente de leur jugement, […] présumés innocents,
[et] les autres sont des condamnés à de courtes peines », relevait le député André Gérin dans son courrier au ministre de la
Justice après sa visite de l’établissement le 10 février 2011.
« Nous sommes au cœur de tout ce qui concourt à la surpopulation carcérale en France et qui nous a valu, à plusieurs
reprises, la condamnation de la Cour européenne des droits
de l’Homme », conclut-il. En décembre 2011, la maison d’arrêt
de Coulaines près du Mans héberge quant à elle 490 détenus
pour 401 places 2, soit un taux d’occupation de 122 %. « Prison
de demain » vantée par François Fillon lors de son inauguration
en novembre 2009, elle est « entrée dans la triste normalité du
paysage français », soulignait le 24 mars Samuel Pelé, secrétaire local du syndicat UFAP. Deux semaines plus tôt, « une grève
de l’obéissance » avait été observée par des détenus évoquant
notamment « l’isolement ressenti et vécu dans ce béton glacé ».
Secrétaire local de la CGT-pénitentiaire, Arnaud Marrau qualifie
cette prison neuve de « poudrière », avec une hausse importante
des conflits entre personnes détenues.
Une personne détenue au centre pénitentiaire de Rennes-Vezin,
ouvert en mars 2010, écrit en novembre 2011 : « On nous a assuré que nos conditions de détention seraient nettement meilleures
que dans l’ancienne prison Jacques Cartier et il est vrai que nous
avons des douches en cellule et que nous avons obtenu des cellules individuelles. Mais depuis juillet 2011, nous nous retrouvons à trois détenus dans une cellule de 9 m² (une personne sur
le lit et les deux autres par terre, sur des matelas plein de poussière). On n’arrive plus à respirer, ni à préserver notre intimité. Il y
a de plus en plus de tensions entre détenus et avec les surveillants. » Dans le quartier maison d’arrêt de cet établissement, dix
cellules du service médico-psychologique régional (SMPR) ont
même été réquisitionnées par l’administration pénitentiaire le
1er novembre, sur les trente dont les soignants disposent pour les
hospitalisations de jour. Le quartier de 480 places a vu le nombre
de personnes détenues passer de 456 à 567, soit une hausse de
près de 25 % entre janvier et novembre 2011. L’occupation des
cellules du service de psychiatrie entraîne « une cohabitation de
patients et de non-patients dans un même espace », remettant
« fortement en cause le secret médical et la confidentialité des
soins », s’insurge le docteur Henry, chef de service du SMPR de
Rennes.
Des atteintes à la dignité qui se banalisent…
Promiscuité, tensions, indisponibilité du personnel. Au
1er décembre, 594 personnes détenues dormaient sur un matelas posé à même le sol, contre 220 il y a un an (soit une augmentation de 170 %). Autant de conséquences observées à la
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« Est-ce que le but est de
nous entasser comme des
animaux ? »
Courrier de mai 2011 d’une personne détenue à la maison
d’arrêt de La Roche-sur-Yon
« A mon arrivée en 2009, j’ai été contraint de coucher sur
un matelas au sol dans une cellule de 9 m² où nous étions
quatre et ceci pendant plus d’un mois. Durant l’année 2011,
nous nous sommes une nouvelle fois retrouvés à quatre
dans une cellule de 9 m². Afin de dénoncer ces conditions
inhumaines de détention, j’ai, avec l’aide de mon avocate, déposé un recours devant le tribunal administratif de
Nantes. Nous avons obtenu gain de cause contre le ministre
de la Justice. Aujourd’hui encore et malgré ce recours, cette
situation vient de se renouveler. Est-ce que le but de cette
maison d’arrêt est d’entasser les êtres humains comme des
animaux ? Les lourdes difficultés d’hygiène liées à la surpopulation et la vétusté, les odeurs, le manque de lumière
naturelle, la promiscuité, l’impossible circulation de l’air
ne sont plus tolérables. La capacité d’accueil de la maison
d’arrêt est de 40 et nous sommes presque 110. Si vous refusez de coucher sur un matelas au sol, on vous menace de
quartier disciplinaire. Il n’y a pas assez à manger pour tout
le monde : certains gardiens, pour ne pas que l’on se plaigne
auprès des détenus qui distribuent les repas, préfèrent faire
eux-mêmes le service pour éviter les conflits ».
maison d’arrêt de Nantes, qui a vu son nombre d’occupants
augmenter de plus de 15 % durant les trois premiers mois de
l’année. Début avril, la situation était qualifiée d’« intenable »
par le représentant régional de la CGT-pénitentiaire. « On est
obligé de mettre des matelas par terre, il n’y a pas suffisamment
de lits. Cela pose plein de problèmes : conflits entre détenus,
problèmes de cohabitation. Au final, on n’a ni le temps ni les
moyens de s’occuper des condamnés à des peines lourdes et
de mener un travail de fond pour les insérer dans la prison, puis
de préparer leur réinsertion », déplore Alexis Grandhaie.
Les quartiers pour mineurs ne sont pas épargnés. Le 20 septembre, le syndicat UFAP dénonçait « la surpopulation chronique
du quartier des mineurs [du centre pénitentiaire de Perpignan] et
les problèmes qui en découlent (bagarres, temps d’activités des
détenus réduit…) ». Rappelant que « pour les mineurs, l’encellulement individuel est obligatoire » et dénonçant des « cas de
gale » dans ce quartier, le syndicat faisait alors état de « 4 cellules doublées ». Il s’inquiétait également du « retour d’une quin2
zaine de matelas au sol (soit 3 détenus par cellule de 9 m ) » au
quartier hommes. Le 23 novembre, le même syndicat déplorait
l’absence de séparation entre les femmes mineures et majeures
détenues à la maison d’arrêt de Strasbourg. Signalant qu’une
femme, incarcérée la veille, dormait sur un matelas à même le
sol, le syndicat dénonçait une « situation intolérable », portant
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atteinte « à la dignité humaine ». A la maison d’arrêt de Saintes,
établissement de 80 places qui a vu le nombre de personnes
hébergées passer de 80 à 120 entre janvier et novembre, « la
situation se dégrade très vite » selon Christophe Beaulieu, délégué régional Force Ouvrière. Il dénonce « un établissement qui
cherche [à obtenir] la labellisation RPE mais qui continue de
mélanger les prévenus et les condamnés ». Et de décrire une
« prison surpeuplée et oubliée », dont « l’état de délabrement va
rapidement impacter sur l’hygiène et la sécurité », et qui ne fera
l’objet d’aucun investissement, sa fermeture étant programmée
pour 2017 3.
Outre-mer : alerte rouge
La situation en Outre-mer atteint son paroxysme : la densité
moyenne des établissements pénitentiaires y est de 128 %,
contre 112 en métropole au 1er octobre. « Ce qui a été observé
lors de la visite inopinée, par quatre contrôleurs, du centre pénitentiaire de Nouméa, appelé Camp Est, en Nouvelle-Calédonie,
du mardi 11 au lundi 17 octobre 2011, par son ampleur, relève
d’une violation grave des droits fondamentaux », alerte JeanMarie Delarue, utilisant de manière exceptionnelle une procédure d’urgence en publiant ses observations dès le 6 décembre 4.
Il décrit un établissement pénitentiaire où « les personnes
détenues sont entassées dans des cellules insalubres où elles
subissent une sur-occupation atteignant 300 % dans le quartier
de la maison d’arrêt ». Cette dernière est « composée de cellules
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de 12 m où cohabitent jusqu’à six personnes ». « Les activités
[qui y sont] proposées sont quasi-inexistantes », « les personnes
détenues n’ont pas accès au téléphone », « il est impossible de
prendre rendez-vous pour les parloirs », « l’accès aux soins est
très difficile ». Dans les cellules, « l’intimité n’est pas assurée »,
la chaleur « est vite éprouvante », « les grilles d’aération sont
souvent obstruées afin d’empêcher les rats de rentrer », « les
remontées d’égouts fréquentes empestent l’atmosphère », des
matelas sont posés à même « un sol crasseux et humide où circulent des rats et des cafards ».
C’est également en Outre-mer que des établissements pour
peine sont surpeuplés, ce qui reste exceptionnel en métropole4. Au 1er novembre 2011, 547 personnes, dont 402 en
Outre-mer, étaient incarcérées en surnombre dans des établissements pour peine. Une situation semble-t-il ignorée du
ministère de la Justice, qui affirme qu’« en France, seules les
maisons d’arrêt peuvent connaître une situation de surpopulation. Les établissements pour peine ne connaissent pas ce
phénomène car le nombre de personnes affectées sur ces sites
correspond au nombre de places disponibles » 5. En Polynésie,
le centre de détention de Faa’a-Nuutania (246 détenus pour 61
places) affichait un taux record de sur-occupation de 403 % en
novembre 2011. Les personnes détenues s’accordent à décrire
cette prison comme « insalubre et invivable ». Le quartier centre
de détention de Ducos en Martinique atteint pour sa part une
densité de 125 %. Le rapport d’activités de l’établissement
mentionne d’ailleurs pour chaque quartier un nombre de places
théoriques, de lits installés et de détenus ! Le quartier maison
d’arrêt-hommes comportait ainsi 137 places théoriques, 259 lits
installés et 320 détenus au 1er janvier 2011. Un rapport réalisé
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© Michel Gasarian
par deux sénateurs en avril 2011 signale que dans ce quartier,
« des cellules individuelles peuvent comporter jusqu’à quatre
lits ». Ils indiquent avoir été « particulièrement frappés par le
climat violent généré par le phénomène de surpopulation carcérale, qu’ils n’ont pas perçu ni au centre de Rémire-Montjoly
en Guyane ni dans les deux établissements de Guadeloupe » 7.
Le quartier « accueil » n’est pas épargné, avec 15 places théoriques, 59 lits installés et 47 détenus. Une situation dénoncée
par l’UFAP dans une lettre au garde des Sceaux d’avril 2011 :
« Sachez qu’il séjourne actuellement plus de 50 détenus pour 15
places dans ce qui s’appelle “quartier arrivant”. » Des quartiers
arrivants censés se conformer aux Règles pénitentiaires européennes, tout au moins dans leur traduction à la française…
Samuel Gautier
1. 118 établissements ou quartiers sur 245 ont une densité supérieure ou égale
à 100 %. DAP, statistiques mensuelles de la population écrouée et détenue en
France, 1er nov. 2011.
2. Chiffre fourni par la direction de l’établissement au 7 décembre 2011.
3. En visite à Saint-Jean d’Angély le 5 mai, Michel Mercier, garde des Sceaux,
a confirmé la construction d’un nouvel établissement pénitentiaire de 336
places sur le site de l’ancien camp militaire de Fontenet, pour compenser les
fermetures programmées des prisons de Saintes et de Rochefort.
4. « Recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté
prises en application du deuxième alinéa de l’article 9 de la loi du 30 octobre
2007 et relatives au centre pénitentiaire de Nouméa (Nouvelle-Calédonie) »,
JORF n° 0282 du 6 décembre 2011.
5. Au 1er novembre 2011, les centres de semi-liberté de Corbeil, Gagny, Lyon, le
centre pour peines aménagées de Villejuif et le quartier centre de détention de
Nantes étaient sur-occupés en métropole.
6. Réponse du garde des Sceaux, à la question écrite n° 110109 du député de
Meurthe-et-Moselle Christian Eckert concernant la surpopulation dans les
établissements pénitentiaires français, JORF du 25 octobre 2011.
7. Rapport d’information n°410 (2010-2011) de MM. Christian Cointat et Bernard
Frimat, fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 avril 2011.
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