Die Tageszeitung», l`indépendance au quotidien
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Die Tageszeitung», l`indépendance au quotidien
20 • NOUS SOMMES UN JOURNAL LIBÉRATION MARDI 15 AVRIL 2014 Le journal allemand, cousin de «Libé», a choisi un modèle coopératif et financé par les lecteurs. «Die Tageszeitung», l’indépendance au quotidien Par LES SALARIÉS DE «LIBÉRATION» ls ont la tête en l’air, les yeux rivés sur la façade est. Une caricature gigantesque les fait pouffer de rire: Kai Diekmann, le patron du Bild Zeitung, est doté d’un sexe géant en érection, grimpant le long des étages du siège de leur journal, Die Tageszeitung, alias la Taz. Tout en haut, un vœu de réconciliation: «Que la paix soit avec toi.» En 2002, le chef du tabloïd à 3 millions d’exemplaires – le plus diffusé d’Europe – avait porté plainte – et gagné – contre la Taz. Diekmann n’avait pas apprécié qu’on révèle qu’il avait tenté de se faire agrandir le pénis. A 200 mètres de là, depuis les fenêtres de l’immense tour en verre des éditions Axel Sprin- I ger, maison mère du Bild, le patron de presse le plus influent d’Allemagne a désormais une vue imprenable sur cette sculpture murale… De la satire, un goût certain pour tenir tête –et se moquer– des puissants : la soixantaine de «coopérateurs» de la Taz réunis ce dimanche matin retrouvent dans cette caricature l’ADN de leur quotidien, toujours pauvre, mais reconnu, issu de cette gauche soixante-huitarde dite aujourd’hui «alternative» et porte-parole des mouvements citoyens. Mais ce matin-là, ces coopérateurs – des lecteurs qui détiennent tous des parts du journal– sont venus pour autre chose. Ils suivent Karl-Heinz Ruch, le directeur général. Le groupe s’arrête sur un coin de parking et de terrain vague, à quelques centaines de mètres de l’endroit où le quotidien dro est installé depuis 1988. Le cofonpui dateur du titre joue dat les guides touristiques sur le site de la que «Taz Tower», futur «Ta bâtiment qui devra bât accueillir les 250 saacc lariés, dont 90 rédacteurs, et résoudre les problèmes d’espace qui se posent à l’équipe. Ruch doit convaincre ces lecteurs-bienfaiteurs qu’il faut remettre au pot: 6 millions d’euros pour boucler le financement d’un projet à 19 millions. NOUS SOMMES UN JOURNAL Chacun des 13 540 coopérateurs est invité à débourser au minimum 500 euros. A ceux qui sont présents, Ruch détaille longuement et avec force détails les choix d’architecture, l’organisation de la rédaction. Il doit répondre aux questions sur le chauffage, l’électricité, l’eau… Et nous, on écoute. MOUSTACHU. Il y a quelques mois, on a reçu un mail : «Le journal Libération est une voix importante de l’information dans la société post-Mai 68 et un journal qui, comme Die Taz, parle aux gens, n’est pas l’organe du gouvernement, quel que soit celui qui est au pouvoir en France.» Konny Gellenbeck, une des responsables de la coopérative, voulait «inviter une représentante ou un représentant de Libération à un événement durant le con- NOUS SOMMES UN JOURNAL LIBÉRATION MARDI 15 AVRIL 2014 PHOTO IMAGO STOCKPEOPLE • SUR LES INTERNETS w Twitter @nousjournal w Facebook facebook.com/ noussommesunjournal w Tumblr noussommesunjournal. tumblr.com w Mail noussommesunjournal @gmail.com 21 PRESSE ALLEMANDE CONTRE PRESSE FRANÇAISE Si la presse française reflète dans sa structure un état très centralisé, la presse allemande, elle, ressemble à son Etat fédéral. D’ailleurs, en Allemagne, on ne parle pas de presse quotidienne nationale, mais de presse suprarégionale. Une famille qui désigne les titres édités dans les grandes villes du pays, mais influents et lus au-delà: Süddeutsche Zeitung (Munich), Frankfurter Allgemeine Zeitung (Francfort), Die Welt et Tageszeitung (Berlin)… Le pays est également doté d’une solide presse hebdomadaire, comme l’influent Der Spiegel, spécialisé en investigation, ou Die Zeit –tous deux édités à Hambourg. Le seul titre à caractère national est le tabloïd Bild, premier quotidien européen, avec un peu moins de 3 millions d’exemplaires vendus par jour. Il n’y a pas de quotidiens gratuits d’information en Allemagne, résultat d’une stratégie concertée des éditeurs à la fin des années 90, qui ont créé des titres pour assécher le marché publicitaire. Dans la Presse en France et en Allemagne (1) Valérie Robert, maître de conférence à l’université Sorbonne-Nouvelle, rappelle que l’Allemagne compte 3,7 fois plus de titres quotidiens que la France. Malgré une diffusion bien supérieure, la presse allemande n’est pas épargnée par la crise: le Financial Times Deutschland et le Frankfurter Rundschau ont déposé le bilan fin 2012, Der Spiegel a mené un plan d’économies et supprimé des postes. (1) «La Presse en France et en Allemagne, une comparaison des systèmes», de Valérie Robert, Presses de la Sorbonne-Nouvelle, 2012, 184pp. EN E U Q S KIO N.FR) .LIBERATIO W W (W N IO E LIBÉRAT BOUTIQU ET SUR LA IE HORS-SÉR Le nd e e d mo on selb Bolson B 7€ W Wii Dessins inédits, photos, carnets, … rencontres ie ér Un hors-s es de 100 pag CH Un sac à dos griffé du logo de la Taz, à Berlin, en 2011. «Nous faisons de la Taz une marque forte, avec une commercialisation presque agressive, mais nous le faisons nous-mêmes parce que nous y croyons et qu’il en va de notre indépendance», dit la rédactrice en chef du quotidien. SACRIFICE. Quinze ans plus tard, la petite sœur allemande prend une autre voie que le grand frère français: quand Libération décide d’ouvrir son capital aux investisseurs, la Tageszeitung choisit en 1992 de passer du mode associatif à celui de coopérative. Pas question de se mettre dans la main d’un actionnaire unique dans une presse allemande faite de grands groupes d’édition. La parole est aux camarades-lecteurs qui ont mis de leurs économies et décident de la destinée de l’entreprise. La liberté passe aussi par la non-dépendance à une publicité, réduite dans les pages à presque rien et qui ne pèse que 2,5 millions annuels dans un chiffre d’affaires de 26 millions. Moins de 10%. «Les autres journaux ont pour principaux clients les annonceurs, nous, ce sont les lecteurs», affirme le président de la coopérative, Andreas Bull. En sacrifice, la paye reste maigre : les salaires sont compris entre 1 000 et 2800 euros nets par mois. Directrice de la rédaction incluse. La priorité, ce sont les plus de 50 000 abonnés au journal, dont un peu plus de 6 000 le sont uniquement au «e-papier», la version 100% numérique du titre. Ces lecteurs qu’on bichonne au Taz-café, au rez-de-chaussée de la rédaction, où l’on sert des sandwichs bio. A qui on vend la «marque», cette panthère noire ou rouge – ou simplement la trace de sa patte – sous forme de sacs, d’autocollants, de cartes postales, de chaussons aux pommes. Et surtout de café importé d’Afrique et garanti commerce équitable, écoulé à raison de 60 tonnes par an tout de même. Tout ça pour qu’ils se sentent membres de la Taz-communauté. Qu’ils s’abonnent, participent, deviennent coopérateur et fassent grossir le capital de l’entreprise. «Nous faisons de la Taz une marque forte, avec une commercialisation presque agressive, mais nous le faisons nous-mêmes parce que nous y croyons et qu’il en va de notre indépendance», sourit Ines Pohl. En 2013, l’entreprise a équilibré ses comptes, tout comme elle le fait la plupart du temps depuis plusieurs années. Grâce aux recettes du journal, qui comptent pour plus de 80% du chiffre d’affaires. Et à la participation active de ses lecteurs. • LUCIE JANS grès de Die Taz, afin de nous entretenir sur la situation actuelle.» Nos cousins allemands ont appris la crise qui secoue Libé. Lorsqu’un membre de la famille est en galère, on l’aide. A la Maison des cultures du monde, à Berlin, on est intervenu au milieu de débats sur «l’Europe et la solidarité». On a croisé Daniel Cohn-Bendit prenant un verre au soleil. A l’intérieur, les stands des fondations politiques marquées à gauche côtoyaient ceux d’Arte, du Monde diplomatique ou un atelier bande dessinée. Les coopérateurs – génération 68 ou leurs enfants post-étudiants– déambulent, prennent le café, écoutent les interventions, s’apprêtent à participer à une soirée cryptage de données informatiques. Plus de 2 000 personnes assistent à ce «Taz.lab» destiné à rapprocher le journal de ses coopérateurs. Et à en recruter de nouveaux. Puis, dans la salle du débat «Vive Libé!» on a retrouvé, à la gauche de la rédactrice en chef, Ines Pohl, un vieil oncle perdu de vue : Thomas Hartmann, cofondateur de Die Taz. En 1977, ce moustachu a passé six mois «comme apprenti» au Libé de Sartre et July, fondé quatre ans plus tôt. La jeune bande de militants allemands d’extrême gauche prend «modèle» pour son «quotidien», dont le premier numéro sort deux ans après le passage d’Hartmann à Paris. A l’époque, le journal allemand emprunte jusqu’aux «notes de la claviste» de Libé, ces commentaires parfois cinglants ajoutés aux articles des journalistes. • 7€ - BEL/LUX ROPOLITAINE FRANCE MÉT RT (CONT) /ITA/GR/PO 8 € - ALL/ESP 8 € - SUI 11 CHF - DOM 8 € - CAN 11.50 $CAN