ZAT in Placebo - Joël Vacheron
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ZAT in Placebo - Joël Vacheron
Intérieur 05 6/06/03 18:42 Page 7 >Texte Joël Vacheron La tirade paranoïaque que déclame Orwell dans son ouvrage futuriste «1984» prend une consonance de plus en plus manifeste dans la réalité contemporaine. Bien que nous ne soyons pas encore totalement immergés dans une société de contrôle – l’ensemble des dispositifs techniques permettant, de façon implicite ou non, la surveillance et le contingentement – réduisent de manière déterminante les sphères d’autonomie à l’intérieur de nos sociétés. Créer des zones d’autonomie qui fonctionneraient selon leurs propres règles, c’est le projet que développe Hakim Bey à travers le principe des TAZ. A mesure que se développent des discours prosélytes et standardistes sur les bienfaits de la globalisation, la place pour la simple conception de modes de vie et de pensées disparates et autonomes se font aussi rares que les neurones de Johny Halliday. Faut-il dès lors se laisser engloutir par une couverture uniforme qui homogénéiserait nos existences jusqu’à les rendre aussi palpitantes que celles d’une rangée de bovidés regardant passer un train derrière leur clôture? Faut-il flipper sur la dépossession progressive de nos espaces de liberté? Allons-nous devenir de simples androïdes lobotomisés aux activités prédéterminées? A vous de voir. Mais il reste évident que des pirates du XVIIIe siècle jusqu’aux free parties du XXe, l’histoire est jonchée d’exemples qui démontrent que des groupes d’individus ont réussi à créer des poches de liberté à l’intérieur desquelles ils pouvaient vivre selon leurs désirs du moment. C’est cette capacité profondément créative à pouvoir toujours détourner la banalité du train-train quotidien que tente de réveiller Hakim Bey lorsqu’il nous parle des Zones Autonomes Temporaires (TAZ: Temporary Autonomous Zone). P LA C E BO – 0 5 Intérieur 05 6/06/03 18:42 Page 8 A comme Autonomie. Toujours chez les pirates, Nassau aux Bahamas est une réalisation concrète d’un «état» autonome. La terre et les activités quotidiennes y étaient gérées en commun, les représentants élus pour de courtes durées et les butins partagés de façon totalement égalitaire. La mixité des races et l’abandon des critères de sang attira d’innombrables miséreux qui fuyaient les «avantages» de l’impérialisme du Nouveau Monde comme l’esclavage, la servitude, l’intolérance et les tortures du travail forcé. A tel point que l’on dit même que certains équipages de l’époque explosaient de joie lorsqu’ils voyaient arriver des pirates. Balançant leurs supérieurs par dessus bord, ils partaient rejoindre sans aucune lutte le camp de ces «bandits sociaux». 0 6 – P L A CE B O Z comme Zone. Il n’existe aucun plan a priori permettant de définir quelle forme peut prendre cette zone. Car c’est avant tout par le biais de la pratique, par la multitude d’expériences circonstanciées et de situations particulières qu’elle peut émerger de manière aléatoire. C’est pourquoi – généralement – une TAZ ne se définit pas, ni ne se planifie... Elle se vit! On peut tout de même utiliser métaphoriquement l’exemple des pirates et des corsaires du XVIIIe siècle pour illustrer cette idée. En effet, ces derniers avaient créé un réseau de navigation à l’échelle du globe qui était constellé d’îles et d’enclaves secrètes qui leurs servaient de points de chute durant leurs longues pérégrinations. Certaines de ces îles – que l’on ne trouvait sur aucune carte officielle – abritaient des petites communautés «vivant délibérément hors-la-loi et bien déterminées à le rester, ne fût-ce que pour une vie brève, mais joyeuse». Ce mode de vie marginal et festif nécessitait une forme de tactique de la disparition, en ce sens qu’un des impératifs pour que ces zones survivent tenait dans l’adage que «pour vivre heureux, il faut vivre caché». T comme Temporaire. Les poches de liber té que sont les TAZ ont comme élément essentiel leur contingence génératrice. Elles ne se constituent jamais pour durer, car elles sont «une opération qui libère une zone (de terrain, de temps, d’imagination, d’espace) puis se dissout, avant que l’Etat ne l’écrase, pour se reformer ailleurs dans le temps ou l’espace». Ainsi, dès que la TAZ est nommée, représentée, médiatisée, elle doit disparaître, pour resurgir ailleurs, à nouveau invisible. En ce sens, elle est nomade non seulement au sens physique d’un déplacement dans l’espace, mais également au sens psychique. Par cette idée, Hakim Bey entend relever «la vision du monde post-idéologique et multi-perspectiviste» des sociétés contemporaines qui nous donne la capacité de voir, pour la première fois, comme au travers des yeux d’un insecte où chaque facette reflète un tout autre monde. Dès lors, cette pluralité à provoquer l’émergence «de gitans, de voyageurs psychiques poussés par le désir et la curiosité, détachés de tout temps et de tout lieu, à la recherche de la diversité et de l’aventure...». Bref, toute une frange d’individus, de bandes, qui refusent la sédentarité et l’homogénéisation du monde moderne pour aller «chasser et cueillir» dans des contrées parallèles. Intérieur 05 6/06/03 18:42 Page 9 Dans nos sociétés technologisées, ce nomadisme psychique prend des formes particulièrement novatrices. Le Web offre non seulement un support logistique à la TAZ, mais il lui permet également d’exister. Ainsi, de manière sommaire, on peut dire que la TAZ «existe» aussi bien dans le «monde réel» que dans l’espace d’information. A l’instar des warez – dans leur conception initiale non mercantile, ils permettent le downloading gratuit de programmes qui ne sont quelquefois pas encore sortis sur le marché – le réseau permet l’émergence de sites pirates qui tirent leur force de l’impossible localisation et du caractère éphémère de leur apparition. Ce caractère fluctuant et «soluble» des informations sur le net permet également la transmission de communications clandestines, qui profitent largement à la mise sur pied de festivités prohibées telles que les free parties et autres Technivals dont les «novönomades» sont très friands. Les nouveaux réseaux d’information, par le biais de codes cryptés balancés sur des infolines et reliés par le net, ont ainsi permis aux parties sauvages de l’underground techno de prendre une ampleur énorme, et pas forcément bénéfique pour l’esprit initial des ces rassemblements, durant ces dernières années. Les bandes qui déclenchent ces fêtes chaotiques ont la particularité de vivre dans des roulottes. Cette non-fixité leur permet principalement de bénéficier d’une mobilité extraordinaire pour cheminer à travers l’Europe et également de détourner les législations étatiques. Du fait que la police n’a pas le droit de déloger des caravanes avant dix jours si celles-ci ne troublent pas l’ordre public. Résultat, des fêtes véritablement sauvages rassemblant une meute de technophiles du voyage durant plusieurs jours et plusieurs nuits. Une TAZ concrète peut émerger. Car la fête doit demeurer un élément majeur des zones d’autonomies temporaires, en ce sens qu’elle «est toujours «ouverte» parce qu’elle n’est pas «ordonnée»; elle peut être planifiée, mais si rien ne se passe, elle échoue. La spontanéité est un élément crucial». De plus, elle reste éminemment sociale puisqu’elle nécessite le face-à-face et une certaine convivialité pour exister. Une zone hors du temps et de l’espace prend forme rythmée par les seuls beats explosifs d’une sono pourrave. Loin des chichis futiles des clubs institutionnalisés, des travellers déchaînés posent les jalons de la révolution du XXIe siècle. Abandonnant les préceptes canoniques militaristes et poussiéreux des théories révolutionnaires, ils pratiquent une insur rection spontanée, festive et chaotique, qui clame dans un flux de décibels la nécessité de refuser la soumission et de vivre intensément le temps présent. Même si Big Brother cherche à poser un regard omniscient sur nous, il ne faut pas omettre qu’il y a toujours «des trous-à-rats dans la Babylone de l’information»! > Hakim Bey, TAZ, zone autonome temporaire, Ed. L’Eclat, 1997 (http://www.tao.ca/~cas/ZAT.html) > Peter Lamborn Wilson, Utopies Pirates, Ed. Dagorno, (à paraître) > Les écrits d'Hakim Bey: http://www.hermetic.com/bey/ P LA C E BO – 0 7