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kunsthaus zürich félix vallotton idylle au bord du gouffre 5.10.07–13.01.08 Mise en scène – «grandes machines» Persée tuant le dragon, 1910, huile sur toile, 160 x 225 cm, Musée d’art et d’histoire, Genève Quatre torses, 1916, huile sur toile 92 x 72.5 cm, Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne, acquisition avec l’aide de la Fondation BCV © Copyright, Kunsthaus Zürich, 2007 L’œuvre de Vallotton comprend une trentaine de travaux qui se rapportent plus ou moins directement à la mythologie. Vallotton les nommait ses «grandes machines». Pour celles-ci, il prend des allégories connues qu’il translate. Comme, par exemple, «Persée tuant le dragon» de 1910. Le spectacle mythologique avait été déclenché par Andromède, mère de Cassiopée, qui se trouvait plus belle que toutes les Néréides réunies, ce qui a fait enrager Poséidon qui a envoyé un monstre marin affamé porté par des flots rugissants. Afin de s’en délivrer, les Ethiopiens ont souscrit à l’oracle d’Andromède qui leur commandait en sacrifice d’enchaîner la fille du roi à un rocher, d’où elle serait libérée par Persée qu’elle épouserait plus tard. Ce thème, symbole de courage et d’audace, de domination masculine et de soumission féminine en poses érotisées, revient si souvent dans les œuvres d’art de la seconde moitié du 19ème siècle qu’on pourrait presque parler d’un cliché. Ce qui n’a pas échappé à l’œil acéré de Vallotton qui a détourné les ingrédients de l’histoire. La scène se déroule sur la plage; pas signe de violente marée ni de formation rocheuse; le demi-dieu est nu, sans armure héroïque, mais bien bâti; le dragon devient un crocodile dont la queue recourbée se termine juste sous les attributs royaux, formant une grande arabesque copulative. Une Andromède bien en chair, vêtue et coiffée du dernier chic, ni enchaînée ni désespérée, est accroupie sur la plage et jette un regard plutôt distant, chargé d’une certaine colère même sur l’arrière-train divin et sur la scène qui n’est que le prélude à l’événement principal. Comme dans les autres «grandes machines», un sous-entendu y est glissé: alors que le demi-dieu fait homme devient un cliché de masculinité, la femme n’est pas «correctement» intégrée dans le schéma des rôles traditionnel. Elle s’est émancipée du stéréotype que lui assigne le monde masculin. Mais Vallotton ne serait pas lui-même s’il ne questionnait pas cette affirmation, car le regard dégoûté d’Andromède peut être interprété «selon Sigmund»: émancipation par l’envie de pénis! L’utilisation austère, retenue de la couleur est encore plus exacerbée dans «Homme et femme», 1913, qui paraphrase ce qu’une scène de violence sexuelle a de lapidaire et de monumental dans une forme ornementale concise presque emblématique. Car le motif central se voit enrichi d’accessoires, deux variétés de fougères et une primevère. Vallotton y glisse une thèse: les fougères sont sporophytes et hétéromorphes, ce qui signifie qu’elles s’autofécondent sans partenaire (contrairement de la primevère du premier plan, qui végète solitaire et stérile). Même si la société de son époque masquait l’antagonisme des sexes sous les conventions, il n’en était que plus virulent. Et d’autant plus violent son impact lorsque le peintre, pourrait-on dire, le dénude sur sa toile. Les «grandes machines» sont grandes et, au pied de la lettre, des machines qui mettent quelque chose en marche. Elles sont reliées par un élément sexuel en tant que motivation et germe du mouvement, comme dans «Quatre torses», 1916, où le mélancolique sceptique Vallotton n’est rarement allé aussi loin dans l’affadissement du physique jusqu’à le déposséder presque totalement de toute attraction sensuelle. Un tableau puissant qui fait l’effet d’être la quintessence de ses parodies distanciées des grands thèmes de la vie. Voilà pourquoi l’art de Vallotton a été, et est, si moderne.