Commerce de détail et oligopole

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Commerce de détail et oligopole
XVIII
Atelier de la Concurrence
Document de base
Commerce de détail et oligopol:
Achats en Suisse: le consommateur a-t-il vraiment le choix?
Contenu
Pouvoir de marché dans le commerce de détail
Production et distribution en Suisse
Largeur de l‘assortiment – Liberté limitée de choix des consommateurs
Auteures
Joëlle Breitenstein, Janine Voigt, Nicole Schneider
Commerce de détail et oligopol:
Achats en Suisse: le consommateur a-t-il vraiment le choix?
Durant les 10 dernières années, le commerce suisse de détail a connu un processus de
concentration grandissant. Le pouvoir de marché des deux plus gros commerçants de détail – Migros et Coop – a augmenté. Durant ce temps, l’entrée sur marché discount d’Aldi et
Lidl a fait les gros titres. Les consommateurs ont-ils pu bénéficier des gains en efficacité de
cette „fusionnite“? Comment réagissent les fournisseurs et les fabricants à la concentration
du marché du commerce de détail? Quelles obligations de diligence ont les deux grandes
chaînes de commerce de détail envers la Suisse?
1
Situation de départ
ait en moyenne 48% au-dessus des niveaux
des pays voisins. Le panier du consommateur moyen qui coûtait en 2010 CHF 100
valait en 2011 CHF 99 et en 2012 encore
CHF 98.70.4 Cette diminution de prix reflète
la concurrence en provenance de l’étranger.
En 2013, l’on a pu constater une stagnation
de la baisse des prix. La différence de prix
est notamment imputable aux produits agricoles.5
Le marché suisse du commerce de détail se distingue par les caractéristiques suivantes:
• Les acteurs principaux sur le marché suisse du commerce de détail sont les fabricants,
les importateurs (importateurs généraux, parallèles et directs), les détaillants et les utilisateurs finaux (consommateurs).
• Les fabricants de produits de marque utilisent rarement des importateurs généraux
(„distributeurs“), mais plus souvent de propres filiales pour la production ou/et la distribution en Suisse. Celles-ci sont entre autres
compétentes pour la conclusion des contrats
de distribution avec les détaillants.
• Malgré une baisse des différences de prix
avec l’étranger, le tourisme d’achat à
l’étranger a augmenté de 7% en 2013, atteignant un volume de CHF 10 Mrd. Dans ce
volume, on estime à environ CHF 3.4 Mia la
part des produits Food-/Near-Food.6
• Les deux plus grands commerçants de
détail en terme de chiffre d’affaires dans le
domaine Food-/Near-Food sont avec une
large avance sur les autres Coop (CHF 18.5
Mia)1 et Migros (CHF 15.8 Mia)2.
2
Situation concurrentielle au niveau
„commerce de détail“
2.1
• Les discounters allemands Aldi et Lidl ont
cumulé en 2012 un chiffre d’affaires estimé
à CHF 2.3 Mia.3 En comptant sur un taux de
croissance annuel de 10%, en 2014, leurs
chiffres d’affaires cumulés devraient se monter à CHF 3 Mia.
Le „Cassis de Dijon“ et le franc fort
La situation concurrentielle dans le commerce
de détail en Suisse est notamment influencée
par les facteurs suivants:
• En 2010, le niveau de prix en Suisse se situ-
• Les structures du commerce de détail doivent s’adapter à de nouvelles technologies,
à de nouvelles formes de vente (ventes on-
1
www.coop.ch/pb/site/medien/node/78991153/Lde/index.html.
2
http://www.migros.ch/de/medien/medienmitteilungen/aktuelle-meldungen-2014/migros-detailumsatz-2013.html.
3
http://www.gfk.com/ch/Documents/presse/2013/2013%20
06%2027%20Pressemitteilung%202%20GfK-Handelstagung.pdf.
4
http://www.konsumentenschutz.ch/tag/hochpreisinsel-schweiz/ (Studie Preise und Kosten, S. 10)
5
http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/de/index/themen/05/01/
pan.html.
6
http://www.igdhs.ch/sites/default/files/uploads/140221_
igdhs_mm_gfk_auslandeinkaufe_de.pdf.
1
line) ainsi qu’aux comportements d’achat
des consommateurs en constante évolution.
réduction des obstacles étatiques vivement
discutée. La motion Lombardi aimerait lisser
les disparités cantonales et également lutter
contre les achats à l’étranger.
• De nombreux marchés sont, malgré la
libéralisation, notamment l’introduction unilatérale par la Suisse du principe du „Cassis
de Dijon“ dans la LTC7, encore isolés de la
concurrence étrangère. Ceci s’applique en
particulier à l’économie agricole.
2.2
Pouvoir de marché dans le
commerce de détail
Le marché du commerce de détail est marqué
par un niveau de concentration élevé unique en
Europe.
• Le franc fort a contraint les entreprises à adapter leur niveau de prix au niveau étranger
en un court laps de temps. Les consommateurs ont mis notablement sous pression les
producteurs/détaillants par le biais d’importations directes (tourisme d’achat).
• Dans les cas de fusion „Migros/Denner“ ainsi
que „ Coop/Carrefour „, la COMCO est partie du principe qu’une position dominante
collective des deux géants du commerce de
détail était présente.
La pression monétaire a pu être partiellement
compensée par la relative haute productivité.
Pourtant, en 2014, il subsiste de grands défis
pour les producteurs et les détaillants:
• Ces fusions ont été autorisées sur la base
d’un „test de dominance de marché“, cependant, elles ont été grevées par des charges
de large portée. Ces dernières ont favorisé
les entrées sur le marché suisse des discounters Aldi et Lidl. Depuis, la concurrence
sur les prix de quelques 300-800 articles introduite par Aldi et Lidl est devenue visible
et a été intégrée par la Migros (M-Budget) et
par la Coop (Prix Garantie).
• Les coûts de production élevés (notamment
les salaires) conduisent à des prix de vente
plus élevés.
• La petite taille du marché suisse ainsi que
son plurilinguisme conduisent également à
des prix élevés. L’Allemagne avec ses 80
millions d’habitants bénéficie d’économies
d’échelle et d’envergure (Economy of Scale/
Scope) considérablement plus importantes
que la Suisse avec ses 8 millions d’habitants.
Plusieurs éléments sont nécessaires afin que la
concurrence dans les différents canaux de distribution (commerçants de détail) puisse fonctionner:
• Les régulations étatiques et les défis en découlant pour le commerce augmentent le
prix pour le consommateur. Ceci débute par
l’étiquetage qui doit être réalisé en plusieurs
langues, se poursuit avec les obstacles en
termes d’aménagement du territoire, pour
terminer avec les mesures purement protectionnistes, notamment présentes dans l’industrie de la viande.8
• La COMCO se doit de veiller à ce que les fabricants aient le choix entre les différents canaux de distribution. Or, comme l’a constaté
la COMCO, il n’y a guère de concurrence en
Suisse en raison du pouvoir collectif de marché de Migros et Coop. Pour les fabricants
d’articles de de marque, le choix d’un canal
de distribution rayonnant sur tout le territoire
se limite à la Coop, car Migros privilégie en
première ligne ses propres marques.
• La question de la prolongation des heures
d’ouverture des commerces constitue une
• Ainsi, la COMCO doit assurer que les deux
grands commerçants de détail utilisent leur
7
Bundesgesetz über die technischen Handelshemmnisse vom
6. Oktober 1995, SR 946.51.
8
www.stopp-handelshemmnisse.ch
2
pouvoir de marché afin de réaliser des gains
d’efficacité et non seulement afin de maximiser leur profit. Dans cette dernière catégorie, on trouverait le contrôle des conditions
générales contractuelles, la pénalisation des
articles de marque au profit des marques
propres ainsi que l’établissement et l’imposition de taxes de listing exagérées.
3.2
Dans la pratique, le circuit de distribution le plus
répandu consiste dans l’établissement par le
producteur d’une société-fille en Suisse chargée
aussi de l’approvisionnement des détaillants:
• La société-fille se charge de toutes les formalités, notamment la mise en conformité
aux spécifications suisses pour l’étiquetage,
les prescriptions de déclaration et le dédouanement ; elle est également responsable du
financement des actions publicitaires. Elle
organise également le rappel des marchandises, si celui-ci s’avère nécessaire.
3
La situation concurrentielle au niveau „fournisseurs“
Les fournisseurs (fabricants) sont, le plus souvent, implantés en Suisse sous la forme de sociétés-fille, rarement sous la forme d’un importateur général (distributeur) ou par le biais d’un
système d’importation directe. La plupart d’entre eux sont actifs en tant que producteur local.
3.1
Production et distribution en
Suisse
• Les fabricants sont: (i) en concurrence inter-marques avec leurs concurrents (les autres fabricants d’articles de marque et les
marques propres, avant tout de la Migros)
ainsi (ii) qu’en concurrence intra-marques
avec les importateurs parallèles.
Importation directe
Lors d’une importation directe ou importation
parallèle, il n’y a pas de fournisseur suisse (société-fille ou distributeur) impliqué.
Il sied de signaler que des PME suisses ainsi
que d’autres entreprises de marques connues
produisent sur place pour le marché suisse.
• Ce circuit de distribution n’est en pratique
pas souvent utilisé. (i) Les coûts de distribution sont en général trop élevés pour qu’un tel
canal de distribution puisse valoir la peine.
(ii) Les barrières existantes à un libre échange commercial augmentent artificiellement
les obstacles aux importations parallèles.
(iii) Par contre, les restrictions privées à la
• Dans un pays où les salaires sont élevés,
la situation concurrentielle est pour les producteurs locaux un défi permanent: (i) Les
alternatives possibles, c’est-à-dire une
délocalisation de la production à l’étranger,
existent mais entraîneront une perte de places de travail et nécessiteront la mise en place d’une nouvelle structure de distribution en
Suisse. (ii) Les coûts élevés de production
en Suisse seront compensés uniquement si,
par exemple, le produit le justifie sur le plan
qualitatif ou si l’on se situe sur des marchés
technologiques de niche.
concurrence (comme dans le cas „Nikon“)
se rencontrent en 2014 extrêmement rarement en pratique.
• Afin que l’on puisse parler d’une pression
concurrentielle à travers des importations
parallèles en Suisse, il suffit en règle générale que leur part se monte à 5%. L’expérience montre que l’opportunité (respectivement
la menace) de réaliser une importation parallèle suffit déjà à avoir un effet disciplinant
sur la concurrence et sur les prix.
• Le plus grand défi pour les producteurs
locaux est le nombre limité de canaux de
distribution. Les deux grandes chaînes de
commerce de détail sont d’une importance
existentielle pour les PME. Les producteurs
3
ture sont encore (plus) importants.
locaux ne peuvent pas se tourner vers d’autres canaux de distribution en cas de diktat
des conditions et des prix en provenance
des „big two“.
En comparaison avec l’étranger, l’éventail de
l’assortiment en Suisse est plutôt limité.
• Une première raison réside dans les taxes
de listing élevées exigées aux détaillants par
les propriétaires de marques.
4
Situation concurrentielle au niveau „consommateurs“
4.1
• Bien que beaucoup de fabricants comptent
sur plusieurs années pour réussir à introduire une marque, les gros distributeurs ne leur
accordent que 6 à 12 mois. Si le produit ne
parvient pas à faire sa place dans ce laps de
temps, il craint alors d’être biffé de l’assortiment.
Le franc fort et le tourisme d‘achat
Lors de la quasi-parité du CHF avec l’EURO en
2011 et 2012, le tourisme d’achat était dans toutes les bouches.
• En raison du franc suisse fort et de la mobilité grandissante de la population, les avantages soudains de la force de la monnaie
en présence de salaires identiques, furent
• L’introduction d’un nouveau produit entraîne
des coûts élevés pour les fabricants, ceux-
utilisés pour aller faire des achats dans les
pays limitrophes.
ci sont deux fois plus élevés en Suisse par
rapport à l’étranger.
• Le franc fort et le tourisme d’achat ont une influence forte sur les fabricants (fournisseurs)
et les commerçants de détail. Il n’est pas
étonnant que les pertes de chiffres d’affaires engendrées ne puissent pas entièrement
être compensées par des gains internes en
efficacité et doivent également coûter en termes de places de travail et de formation.
Finalement, la politique commerciale des grossistes est décisive pour expliquer la relative étroitesse de l’assortiment:
• Exemple 1. Denner distribue 1900 articles.
Pour chaque nouvel article, un autre article
doit être supprimé de l’assortiment en contrepartie.
• Exemple 2. Coop dispose d’un catalogue de
critères avec lequel elle juge si un nouveau
produit doit faire partie de l’assortiment ou
non. En raison de la grande part des marques dans l’assortiment de Coop, ce grand
distributeur est incontournable: Si l’on n’obtient pas une place dans le rayon, il sera très
difficile d’introduire le nouveau produit sur le
marché.
4.2
Largeur de l‘assortiment – Liberté
limitée de choix des consommateurs
A côté et parfois à la place des commerçants
spécialisés (boulangers, bouchers, etc.), les
supermarchés poussent comme des champignons.
• La discussion autour d’un possible nouveau
droit des cartels a rendu clair que le prix est
manifestement devenu le principal critère
d‘achat dans le discours politique.
5Conclusions
Le processus de concentration au niveau du
commerce détail s’est arrêté avec la création du
duopole „Migros„ et „Coop„.
• Du point de vue du consommateur, d’autres paramètres concurrentiels comme la
proximité du point de vente, la qualité et la
fraîcheur des produits, les horaires d’ouver-
• Beaucoup d’anciennes chaînes indépendantes de commerce de détail comme Car4
possible que la Suisse ne devienne pas ou
ne reste pas un îlot de cherté, notamment
par le biais d’interdictions d’importations parallèles ou de contrats cloisonnant le marché
suisse. Cette ouverture est à promouvoir,
bien qu’elle risque de mettre sous pression
les structures de distribution: Est-ce que cela
vaut encore la peine de produire et de mettre
en place des activités de commercialisation
en Suisse lorsque la pression concurrentielle
des pays de l’UE à salaires bas rend impossible la couverture par le prix de vente au vu
des coûts salariaux engendrés en Suisse?
refour, Globus, Waro et Denner ont été englouties par les grands de la branche Migros
et Coop. Les petits commerçants de détail
restant doivent encore plus vivement lutter
contre la position forte sur le marché des
deux „ géants „.
• Les nouvelles chaînes étrangères telles
qu’Aldi et Lidl sont rentrées sur le marché
suisse, mais uniquement dans le domaine
discount.
• Les shops de station essence et les shops
de type „convenience“ ont connu un fort essor; entre temps, ce domaine a partiellement
aussi été mis sous contrôle de „Migros“ ou
Du côté des consommateurs, les incitations sont
grandes à maximiser le nouveau pouvoir d’achat
(par rapport aux pays de l’EURO) en pratiquant
du tourisme d’achat dans les pays voisins:
de „Coop“.
Du côté des fabricants, en particulier du point de
vue des PME et des producteurs locaux, la concentration des débouchés ainsi que l’augmentation de l’intégration de l’économie suisse dans
le marché européen constituent un grand défi.
• Les consommateurs mettent ainsi sous
pression toute la chaîne de création de valeur, c’est-à-dire de la fabrication jusqu’au
commerce de détail. Cette chaîne doit devenir constamment plus efficace et doit trouver
des synergies. C’est l’essence même de la
concurrence.
• Le petit nombre de canaux de distribution
conduit à deux phénomènes: (i) Il crée un
déséquilibre de pouvoir de négociation entre
les fabricants et les distributeurs en faveur du
duopole de distributeurs. Il s’agit pour les autorités de la concurrence de contrôler, voire
de limiter ce pouvoir de marché. (ii) Le pou-
• Néanmoins, il est important de veiller à ce
que la concurrence sauvage sur les prix
avec un seul objectif „prix en Suisse = prix
en Union Européenne“ ne se transforme pas
en une concurrence sur les salaires. Un niveau de salaire comparable à la Roumanie
voir de marché des détaillants conduit au fait
que les producteurs doivent développer un
produit en accord avec leur commerçant de
détail. Ceci peut avoir des effets pro-compétitifs, mais augmente la dépendance des fabricants à „ leur „ détaillant et permet parfois
à celui-ci d’attirer la fabrication sous son toit
(intégration verticale) lorsque le produit a
déjà fait sa place sur le marché. La question
de savoir si le remplacement d’un article de
marque par un produit de marque propre est
justifiable du point de vue du droit de la concurrence est sujette à caution.
ou à la Bulgarie ne peut être un objectif de la
politique de concurrence suisse.
Sources
• Bosshart David/ Staib Daniel GDI_Studie Nr.
23, Detailhandel Schweiz 2015 von.
• Detailhandel im Wandel: bessere Bedingungen nötig, Nummer 14, economiesuisse, 2.
Juli 2012.
• Elias Jiri/ Balastèr Peter, Gewandelte
Wettbewerbsverhältnisse im Schweizer
• L’ouverture des frontières devrait rendre
5
Detailhandel in: Die Vorlkswirtschaft: Das
Magazin für Wirtschaftspolitik, 6-2006.
• Retail Outlook 2013, Fakten und Trends,
Credit Suisse.
• Stäuble Luca, Kartellgesetzrevision / Freier
Einkauf im Ausland in: recht 2013, S. 242 ff.
• http://www.igdhs.ch/de/themen/kartellrecht
(Stand: 20. April 2014, 18.30h).
• http://www.igdhs.ch/de/medien/massvoll-erweiterte-ladenoeffnungszeiten-helfen-auslandeinkaeufen-entgegenzuwirken (Stand:
20. April 2014, 18.30h)
• http://www.presseportal.ch/de/
pm/100016253/100701020/umfrage-zeigt-detailhaendler-lassen-innovationen-zu-wenig-zeit.
• http://www.igdhs.ch/sites/default/files/
uploads/140221_igdhs_mm_gfk_auslandeinkaufe_de.pdf.
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