Discours sur le style [Excerpts]

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Discours sur le style [Excerpts]
BUFFON [1707-1788]
Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, was a Burgundian country gentleman with a
passion for science. Appointed Director of the Jardin du Roi, now the Jardin des Plantes in
Paris, he planned a gigantic synthesis of scientific knowledge. He had time to publish thirty-six
volumes on geology, cosmology, mineralogy, and zoology. This was the first presentation of a
precise, scientific view of the history of the physical world and its inhabitants.
The value of his scientific work is still disputed. He avoided conflict with the official
cosmology of the Church; his prudence hampered his freedom of speculation. Nevertheless he
established the theory of geological epochs; he recognized the development, mutability, and
degeneration of species he studied man in the scale of animal life. His recognition of
modifications in organisms forecasts the work of his disciple Lamarck, who in turn influenced
Darwin.
His chief service was as a popularizer and generalizer of ideas. His fame was worldwide.
He gave natural history to literature; he fathered the great line of interpreters of nature that
includes Thoreau, J. H. Fabre, and Rachel Carson.
His Discours sur le style was his formal speech at his reception by the Académie
française in 1753. It is a defense of the academic expository style, which is still that of most of
our formal writing. His contention is that we should try to attain in our careful words the kind of
perfection that is manifest in the works of nature. He insists on a secure plan, on exactness and
dignity of expression, on a correspondence between the theme, the choice of words, and the
rhythmical flow. All this is good advice for students and the Discours has been required reading
in French schools for two hundred years.
His most famous phrase is "le style est l'homme même": the subject matter is free to all;
the style, or ordering of his thoughts, is the author’s only contribution. Evidently he meant that
when a writer treats a subject like science he brings it to life, transmits it to the world, by the
power of his style. But the phrase is usually taken in a larger sense: style is a quality of style, not
a craft one learns. Is this true? Well, Buffon was a big, vigorous, upright man, earnest, laborious,
dignified, and dominating; and so was his style.
Discours sur le style
[Excerpts]
...I1 s'est trouvé dans tous les temps des hommes qui ont su commander aux autres par la
puissance de la parole. Ce n'est néanmoins que dans les siècles éclairés que l'on a bien écrit et
bien parlé. La véritable éloquence suppose l'exercice du génie [superior intelligence] et la culture
de l'esprit. Elle est bien différente de cette facilité naturelle de parler, qui n'est qu'un talent, une
qualité accordée à tous ceux dont les passions sont fortes, les organes souples et l'imagination
prompte. Ces hommes sentent vivement, s'affectent de même, le marquent fortement au dehors;
et par une impression purement mécanique, ils transmettent aux autres leur enthousiasme et leurs
affections. C'est le corps qui parle au corps; tous les mouvements, tous les signes concourent et
servent également. Que faut-il pour émouvoir la multitude et l'entraîner ? Que faut-il pour
ébranler la plupart même des autres hommes et les persuader ? Un ton véhément et pathétique,
des gestes expressifs et fréquents, des paroles rapides et sonnantes. Mais, pour le petit nombre de
ceux dont la tête est ferme, le goût délicat et le sens exquis, et qui comme vous, Messieurs,
comptent pour peu le ton, les gestes et le vain son des mots, il faut des choses des pensées, des
raisons; il faut savoir les présenter, les nuancer, les ordonner : il ne suffit pas de frapper l'oreille
et d'occuper les yeux; il faut agir sur l’âme et toucher le cœur en parlant à l'esprit
Le style n'est que l'ordre et le mouvement qu'on met dans ses pensées. Si on les enchaîne
étroitement, si on les serre, le style devient ferme, nerveux et concis; si on les laisse se succéder
lentement, et ne se joindre qu'à la faveur des mots, quelque élégants qu'ils soient, le style sera
diffus, lâche et traînant...
[One must first labor to make a careful plan.]
Ce plan n'est pas encore le style, mais est la base; il le soutient, il le dirige, il règle son
mouvement et le soumet à des lois : sans cela, le meilleur écrivain s'égare, sa plume marche sans
guide, et jette à l'aventure des traits irréguliers et des figures discordantes. Quelque brillantes que
soient les couleurs qu'il emploie, quelques beautés qu'il sème dans les détails, comme l'ensemble
choquera, ou ne se fera pas assez sentir, l'ouvrage ne sera point construit; et, en admirant l'esprit
de l'auteur, on pourra soupçonner qu'il manque de génie. C’est par cette raison que ceux qui
écrivent comme ils parlent, quoiqu’ils parlent très bien, écrivent mal ; que ceux qui
s’abandonnent au premier feu de leur imagination prennent un ton qu'ils ne peuvent soutenir; que
ceux qui craignent de perdre des pensées isolées, fugitives, et qui écrivent en différents temps
d'ouvrages faits de pièces de rapport [in sculpture, sections of a statue cast separately], et si peu
qui soient fondus d'un seul jet [cast in a single operation].
[Beware of losing your design in a mass of details
Take counsel from nature, which subordinates parts to the whole.]
C'est faute de plan, c'est pour n'avoir pas assez réfléchi sur son objet, qu'un homme
d'esprit se trouve embarrassé et ne sait par où commencer à écrire. Il aperçoit à la fois un grand
nombre d'idées; et, comme il ne les a ni comparées, ni subordonnées, rien ne le détermine à
préférer les unes aux autres; il demeure donc dans la perplexité. Mais lorsqu'il se sera fait un
plan, lorsqu'une fois il aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet,
il s'apercevra aisément de l'instant il doit prendre la plume, il sentira le point de maturité de la
production de l'esprit, il sera pressé de la faire éclore, il n'aura même que du plaisir à écrire : les
idées se succéderont aisément, et le style sera naturel et facile; la chaleur naîtra de ce plaisir, se
répandra partout et donnera de la vie à chaque expression; tout s'animera de plus en plus; le ton
s'élèvera, les objets prendront de la couleur; et le sentiment, se joignant à la lumière,
l'augmentera, la portera plus loin, la fera passer de ce que l'on dit à ce que l'on va dire, et le style
deviendra intéressant lumineux.
Rien ne s'oppose plus à la chaleur que le désir de mettre partout des traits saillants
[striking phrases]; rien n'est plus contraire à la lumière qui doit faire un corps et se répandre
uniformément dans un écrit, que ces étincelles qu'on ne tire que par force en choquant les mots
les uns contre les autres, et qui ne nous éblouissent pendant quelques instants, que pour nous
laisser ensuite dans les ténèbres. Ce sont des pensées qui ne brillent que par l'opposition : l'on ne
présente un qu'un côté de l'objet, on met dans l'ombre toutes les autres faces : et ordinairement ce
côté qu'on choisit est une pointe, un angle sur lequel on fait jouer l'esprit avec d'autant plus de
facilité qu'on l'éloigne davantage des grandes faces sous lesquelles le bon sens a coutume de
considérer les choses.
Rien n'est encore plus opposé à la véritable éloquence que l'emploi de ces pensées fines et
la recherche de ces idées légères, déliées [delicate, subtle], sans consistance, et qui, comme la
feuille du métal battu, ne prennent de l'éclat qu'en perdant de la solidité [probably a hit at
Marivaux]. Aussi, plus on mettra de cet esprit mince et brillant dans un écrit, moins il aura de
nerf, de lumière, de chaleur et de style; à moins que cet esprit ne soit lui-même le fond du sujet,
et que l'écrivain n'ait pas eu d'autre objet que la plaisanterie : alors l'art de dire de petites choses
devient peut-être plus difficile que l'art d'en dire de grandes.
Rien n'est plus opposé au beau naturel que la peine qu'on se donne pour exprimer des
choses ordinaires ou communes d'une manière singulière ou pompeuse ; rien ne dégrade plus
l’écrivain. Loin de l'admirer, on le plaint d'avoir passé tant de temps à faire de nouvelles
combinaisons de syllabes, pour ne dire que ce que tout le monde dit. Ce défaut est celui des
esprits cultivés, mais stériles; ils ont des mots en abondance, point d'idées; ils travaillent donc sur
les mots, et s'imaginent avoir combiné des idées parce qu'ils ont arrangé des phrases, et avoir
épuré le langage quand ils l'ont corrompu en détournant les acceptions [adopted meanings]," Ces
écrivains n'ont point de style, ou, si l'on veut, ils n'en ont que l'ombre. Le style doit graver des
pensées; ils ne savent que tracer des paroles.
Pour bien écrire, il faut donc posséder pleinement son sujet ; il faut y réfléchir assez pour
voir clairement l'ordre de ses pensées, et en former une suite, une chaine continue, dont chaque
point représente une idée; et, lorsqu'on aura pris la plume, il faudra la conduire successivement
sur ce premier trait," sans lui permettre de s'en écarter, sans l'appuyer trop inégalement, sans lui
donner d'autre mouvement que celui qui sera déterminé par l'espace qu'elle doit parcourir. C'est
en cela que consiste la sévérité du style, c'est aussi ce qui en fera l'unité et ce qui en réglera la
rapidité; et cela seul aussi suffira pour le rendre précis et simple, égal et clair, vif et suivi. A cette
première règle, dictée par le génie, si l'on joint de la délicatesse et du goût, du scrupule sur le
choix des expressions, de l'attention à ne nommer les choses que par les termes les plus
généraux, le style aura de la noblesse. Si l'on y joint encore de la défiance pour son premier
mouvement, du mépris pour tout ce qui n'est que brillant, et une répugnance constante pour
l'équivoque [double meaning] et la plaisanterie, le style aura de la gravité, il aura même de la
majesté. Enfin, si l'on écrit comme l'on pense, si l'on est convaincu de ce que l'on veut persuader,
cette bonne foi avec soi-même, qui fait la bienséance pour les autres et la vérité du style, lui fera
produire tout son effet, pourvu que cette persuasion intérieure ne se marque pas par un
enthousiasme trop fort, et qu'il y ait partout plus de candeur que de confiance, plus de raison que
de chaleur.
C'est ainsi, Messieurs, qu'il me semblait, en vous lisant, que vous me parliez, que vous
m'instruisiez. Mon âme, qui recueillait avec avidité ces oracles de la sagesse, voulait prendre
l'essor et s'élever jusqu'à vous; vains efforts ! Les règles, disiez-vous encore, ne peuvent suppléer
au génie; s'il manque, elles seront inutiles. Bien écrire, c'est tout à la fois bien penser, bien sentir
et bien rendre; c'est avoir en même temps de l'esprit, de l'âme et du goût. Le style suppose la
réunion et l'exercice de toutes les facultés intellectuelles ; les idées seules forment le fond du
style, l'harmonie des paroles n'en est que l'accessoire, et ne dépend que de la sensibilité des
organes : il suffit d'avoir un peu d'oreille pour éviter les dissonances, et de l'avoir exercée,
perfectionnée par la lecture des poètes et des orateurs, pour que mécaniquement on soit porté à
l'imitation de la cadence poétique des tours oratoires. Or jamais l'imitation n'a rien créé; aussi
cette harmonie des mots ne fait ni le fond ni le ton du style, et se trouve souvent dans des écrits
vides d’idées…
Les ouvrages bien écrits seront les seuls qui passeront à la postérité : la quantité des
connaissances, la singularité des faits, la nouveauté même des découvertes ne sont pas de sûrs
garants de l'immortalité; si les ouvrages, qui les contiennent ne roulent que sur de petits objets,
s'ils sont écrits sans goût, sans noblesse et sans génie, ils périront, parce que les connaissances,
les faits et les découvertes s'enlèvent aisément, se transportent et gagnent même à être mis en
œuvre par des mains plus habiles. Ces choses sont hors de l'homme, le style est l'homme même.
Le style ne peut donc ni s'enlever, ni se transporter, ni s'altérer : s'il est élevé, noble, sublime,
l'auteur sera également admiré dans tous les temps; car il n'y a que la vérité qui soit durable et
même éternelle. Or un beau style n'est tel en effet que par le nombre infini des vérités qu'il
présente. Toutes les beautés intellectuelles qui s'y trouvent, tous les rapports dont il est composé,
sont autant de vérités aussi utiles et peut-être plus précieuses pour l'esprit humain que celles qui
peuvent faire le fond du sujet. . .
[The tone, or suitability of the style to the subject, will be the natural product of the
superior mind at work on a worthy theme.]

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