Grand format - Litterature de jeunesse

Transcription

Grand format - Litterature de jeunesse
J E U N E S S E
ADO
par Maggy RAYET
Grand format
pour les romans de l’École des loisirs
Dans le paysage
éditorial de la
littérature de jeunesse,
les romans en grand
format sont de mise.
Jusqu’il y a peu, la
collection « médium »
de l’École des loisirs se
sentait à l’aise dans ses
semi-poche. Mais voici
qu’elle fait peau neuve.
L
a plupart des maisons d’édition choisissent à présent le grand format pour
lancer les premiers tirages de leurs romans. Des romans jeunesse en grand format,
on en trouve depuis toujours. Mais il s’agissait
jadis de certains titres privilégiés - souvent
présentés « Hors Collection » - pour lesquels
le succès semblait assuré. Moins chanceux,
d’autres livres devaient se contenter ad vitam
aeternam d’une version poche. Et chacun de
nous garde en tête des titres qui auraient
connu une vie meilleure s’ils avaient pu bénéficier de la visibilité et du confort de lecture
que procure un papier agréable au toucher
et une mise en pages aérées. La généralisation du grand format est devenue évidente au
tournant du millénaire. Et sans doute le phénomène Harry Potter et l’engouement pour
la Fantasy anglo-saxonne qui l’a accompagné,
n’est-il pas étranger à sa banalisation.
À l’École des loisirs, il fut un temps où la collection « médium » était déclinée en Club et
en Poche. Dans les années ’80, parurent même
d’élégantes versions cartonnées en grand format et jaquettes. Une collection « majeur »
connut une vie éphémère : destinée à accueillir les traductions des livres « jeunes adultes »
des Anglo-Saxons, elle permit de découvrir des
romans magnifiques, tels L’éclipse de Robert
Cormier. Plus tard, les romans de la maison de
la rue de Sèvres adoptèrent le format semipoche. Ce qui les rendit « plus chers que les
62
poches et plus petits que les romans habituels » souligne leur éditrice, Geneviève Brisac.
La maison a longtemps résisté à l’appel du
grand format. Elle ne s’y aventura d’abord que
pour souligner un événement, à l’occasion, par
exemple de la réédition de livres « phares ».
Comme ces deux textes de Christian
Lehmann - La nature du mal et Andréas, le
retour - rassemblés sous le titre No pasarán,
le jeu. Un troisième épisode, inédit, étant
publié dans la foulée : No Pasarán, end game.
Autre occasion : la « compilation » de livres
susceptibles de constituer une série. Ainsi
Bettina, Enid, Hortense et Geneviève, les
Quatre sœurs imaginées par Malika Ferdjoukh,
renaissant en grand format sous une couverture signée Gwen le Gac. Et aussi ces
confidences d’Aurore, l’héroïne de Marie
Desplechin : les trois tomes - Jamais contente,
Toujours fâchée et Rien ne va plus - rassemblés sous le titre Le journal d’Aurore, l’héroïne immortalisée en « grande bringue »
sur la couverture signée Soledad Bravi !
Il arrive que la réédition ajoute un inédit, rendant l’ensemble incontournable. Ainsi, aux
quatre volumes de Guus Kuyer centrés sur le
personnage de Pauline - Unis pour la vie, La vie
ça vaut le coup, Le bonheur surgit sans prévenir
et Portés par le vent - s’ajoute Je suis Pauline.
La couverture de ce grand format, signée
Adrien Albert, affiche en gros plan le visage
d’une adolescente, sensiblement plus âgée
que le texte ne le suggère. De quoi attirer un
Lectures 187, septembre-octobre 2014
J E U N E S S E
nouveau lectorat vers ce volume de plus de
600 pages.
La collection « médium » :
du semi-poche au grand format
Depuis 2013, l’École des loisirs adopte de plus
en plus souvent le grand format : « Les livres
en petit format ne sont pas sur les tables des
libraires et sont devenus presque invisibles »,
regrette Geneviève Brisac. Sont mis en valeur
de nouveaux manuscrits de l’un ou l’autre
« auteur préféré » des lecteurs : Marie-Aude
Murail et son 3 000 façons de dire je t’aime ;
Susie Morgenstern avec Comment tomber
amoureux… sans tomber; Anne Fine et Le passage du diable. Ou - plus récemment découverte et appréciée - Jenny Valentine et La
double vie de Cassiel Roadnight…
« L’essentiel reste le contenu des romans, leur
sens, leur forme exigeante le plus souvent »
rappelle Geneviève Brisac. On ne peut qu’être
d’accord : l’essentiel ne réside pas dans le format. Il n’empêche que ces quelques dizaines
Lectures 187, septembre-octobre 2014
de cm2 supplémentaires, rapprochant les
romans jeunesse de la littérature générale,
semblent insuffler une énergie nouvelle. Tout
se passe comme si ces médiums nouveaux lorgnaient vers de nouveaux territoires littéraires,
de nouvelles expériences, de nouveaux risques.
Songeons par exemple à Mes débuts dans l’art,
ce pamphlet hilarant où Chris Donner fustige
les milieux artistiques branchés. Ou, à La bobine
d’Alfred, délicieux texte de Malika Ferdjoukh,
hommage à Alfred Hitchcock et au cinéma en
général. Et aussi au texte éblouissant qu’est
Une saison avec Jane-Esther, de Shaïne Cassim,
cet écrivain « sans éditeur fixe » dont chaque
apparition illumine un catalogue. Avouons
aussi qu’il aurait été dommage de réduire à un
format semi-poche les illustrations de Chris
Van Allsburgh, point de départ des Chroniques
de Harris Burdick. Quant à Adam et Thomas, ce
récit de guerre à hauteur d’enfant, où l’autobiographie rejoint le conte et où les aquarelles
de Philippe Dumas dialoguent avec les mots
de Aharon Appelfeld, aurait-il fait naître la
même émotion si le confort de lecture n’avait
pas été au rendez-vous ?
63
J E U N E S S E
L’avenir des médiums à l’École des loisirs ?
« Pour nous, répond Genevève Brisac, ce
sont ces romans grand format qui passeront
ensuite dans une collection de poche, à un
prix nettement plus bas que les actuels « médiums », pour pouvoir être achetés par les collectivités et retenus à l’école ». Dans le catalogue « médium » du printemps 2014, sur les
quatorze titres annoncés, huit sont des grands
formats. La couverture blanche, assez austère,
si longtemps caractéristique des romans de la
maison, semble abandonnée : couleurs et graphisme captent le regard.
Retenir un trio de titres pour dire quelques
mots de « l’essentiel » ne fut pas un choix
facile.
En Inde, le travail des enfants
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marion
Danton, voici d’abord Garçons sans nom de
Kashmira Sheth. De cette auteure qui est
née et a passé son enfance dans l’ouest de
l’Inde, avant d’émigrer aux États-Unis, l’École
des loisirs avait déjà publié Un sari couleur
de boue. Ici, l’histoire se structure autour de
Gopal, un narrateur de 11 ans. Ses parents,
des paysans pauvres qui cultivaient céréales et
oignons, ont été forcés de vendre leur ferme.
Fuyant les créanciers, la famille a fini par
quitter clandestinement le village tentant de
rejoindre un cousin à Mumbay, « la cité des
illusions » ! C’est en cherchant du travail que
Gopal se fait embarquer par les recruteurs
d’un « patron ». Et qu’il se retrouve dans un
atelier sans air et sans lumière, en compagnie d’une demi-douzaine d’autres gamins,
à coller des perles sur des cadres. Un lieu
où, petit à petit, ces enfants exténués, privés de liberté et dépouillés de leur identité,
perdent peu à peu l’espoir et l’envie de vivre.
L’auteure a grandi dans un milieu privilégié.
Et sans doute lorsque son agent lui a suggéré
d’écrire un livre sur le travail des enfants - ils
sont six millions en Inde - a-t-elle dû se documenter solidement. Mais Kashmira Sheth avait
conservé le souvenir des histoires qu’on lui
racontait petite : « in my family, stories were
told and retold » explique-t-elle. Dans son
roman, dont la fin est ouverte et semble appe-
64
ler une suite, le pouvoir des histoires est central. Que les circonstances soient tragiques ou
heureuses, Gopal raconte des histoires : tantôt
imaginaires, tantôt tirées de la réalité, elles
aident à communiquer, à résister et à garder
espoir.
Grand-père et petit-fils en Corée du Sud
Avez-vous lu Si j’étais Fifi Brindacier, un roman
paru chez Picquier jeunesse ? On y découvrait
une petite fille coréenne à qui sa maman avait
souvent parlé de l’héroïne suédoise et qui rêvait d’être cette petite fille du nord aux tresses
rousses, capable de soulever un cheval d’une
seule main. L’auteur de ce roman s’appelle
Yoo Eunsil. Et il paraît que cette jeune femme
coréenne qui se destinait à devenir nutritionniste, a changé de cap après avoir lu un roman
d’Astrid Lindgren. L’histoire est trop belle pour
ne pas être vraie…
Si vous voulez pénétrer dans la culture coréenne par un biais inhabituel, lisez, traduit
par Catherine Baudry et Sohee Kim, Le dernier
événement, de cette même Yoo Eunsil. On y
fait la connaissance d’un grand-père qui, à plusieurs reprises, avait annoncé sa fin prochaine.
Comme, à chaque fois, il reprenait vigueur, la
famille avait cessé de s’en inquiéter. Mais cette
fois, il meurt pour de bon. Ce n’était pas un
personnage commode, ce grand-père, que sa
femme avait quitté, qui avait fait faillite plusieurs fois, qui s’était fait escroquer par sa petite amie ! Au club des seniors, il était apprécié
car il n’avait pas son pareil pour configurer les
téléphones portables. Mais si l’on écoute ses
enfants, il n’avait pas été un père très chaleureux. Aussi peu chaleureux que ne l’est à présent son fils avec le jeune Yonghouk. Sa plus
jeune fille le traite même de dictateur et de
fauteur de trouble. Seul Yonghouk - le narrateur, sensible et réfléchi - adorait son papi. Et
comme il partageait sa chambre avec le vieil
homme, il avait vécu avec lui ses dernières
heures. Il en sait un peu plus que le reste de la
famille sur ce « dernier événement » évoqué
dans le titre, que son papi avait longuement
préparé : se faisant tirer le portrait - retouché
grâce à Photoshop - et préparant une boîte à
secret à n’ouvrir qu’après sa mort. Le contenu
de cette boîte, vous vous en doutez, va bouLectures 187, septembre-octobre 2014
J E U N E S S E
leverser le digne déroulement des funérailles !
Tout sonne « nouveau » dans ce roman, aussi
bien le ton de la narration, que l’évocation
de la vieillesse et des rapports familiaux … et
que la manière d’aborder la problématique du
genre, tant discutée pour l’instant.
Un roman argentin attentif au passé
Voici Pierre contre ciseaux, un roman d’Inés
Garland, traduit par Sophie Hofnung. C’est
la première fois que cette auteure argentine
est traduite en français ! Le décor ? Une île
du delta du Rio Paraná, non loin de Buenos
Aires. Les « insulaires » y vivent dans des
conditions souvent précaires. Mais des citadins aisés - comme les parents de Alma, la
narratrice - y possèdent des maisons de weekend. Il suffit à Alma de traverser le bras de la
rivière sur un pont suspendu pour rejoindre
Carmen et Marito, les petits-enfants de doña
Ángela. La première partie du roman est
toute entière centrée sur le lien très fort qui
unit ces trois adolescents et sur l’amour qui
Lectures 187, septembre-octobre 2014
naît entre Alma et Marito. Une période idyllique où les barrières sociales ne semblent
pas exister. « On aurait dit que l’on pouvait
résoudre tous nos différents, tous nos malentendus en jouant à pierre, feuille, ciseaux, nos
mains cachées un instant derrière notre dos
nous libérant de n’importe quelle dispute. »
Dans une seconde partie, qu’une année sépare
de la première, l’âge d’or est révolu, l’état de
grâce est balayé. Une dictature militaire règne
sur le pays. Les rapports de classe qui n’étaient
jusqu’à présent que discrètement suggérés,
apparaissent au grand jour et prennent le pas
sur la bienveillance entre voisins. « Marito et
toi, vous êtes très différents », décrète le père
d’Alma devant l’attirance qu’il devine entre
les deux adolescents. Et, plein de méfiance
devant une remarque de sa fille, il interroge
« Depuis quand penses-tu que le monde est
plein d’injustices ? » Le coup d’état du 24 mars
1976 est passé par là. La dictature militaire ne
sera balayée qu’en 1983. Mais grâce au court
épilogue qui entraîne le lecteur une vingtaine
d’années plus tard, le roman ne s’achève pas
dans la tragédie.
•
65