Sans titre - Société de Musique la Chaux-de
Transcription
Sans titre - Société de Musique la Chaux-de
Culture 66 Le Matin Dimanche | 19 octobre 2014 Tharaud, le pianiste anticrise Tournée Le virtuose français publie un magnifique album Mozart. Comment fait-il pour enregistrer autant alors que le disque va si mal? Rencontre à la veille d’un double concert à La Chaux-de-Fonds. soprano américaine Joyce DiDonato, et le concerto pour piano et orchestre No 11 de Haydn, avec son final ébouriffant. Le projet a mûri pendant sept ans. On l’aurait imaginé venir plus tôt, tant la pureté de ton et la profondeur d’expression de Tharaud semblent faites pour Mozart. «C’est un compositeur qui était mon ami lorsque j’avais 11 ans. Les enfants n’ont pas peur de Mozart, ils le tutoient. Plus tard, Mozart devient une épée de Damoclès. Il déstabilise parce que, en scène, il nous met à nu. On a l’impression que la plus petite poussière est vue à la loupe.» Alexandre Tharaud enregistre beaucoup mais il aime davantage encore ce qui se joue au concert. «Les pianistes sont des médiums. Je crois que c’est lié au toucher: on a tellement travaillé dans l’infime subtilité qu’on sent des choses différemment. Lorsque je suis sur scène face à deux mille personnes, je ressens un lien souterrain sur lequel je ne peux pas mettre de mots. C’est là. A certains moments, la musique est au-dessus de nous, on se laisse faire, le pianiste et le public lâchent prise, deux mille et une personnes se tiennent la main.» Cette ultrasensibilité a mûri, au cours de ses années de galère, dans le petit appartement humide qu’il occupait alors, sa «grotte». «Je ne regrette rien. Je n’aurais pas formé mon cœur et ma tête sans cette périodelà. Je pense que les épreuves de la vie sont là parce qu’on en a besoin. Pour aller de l’avant.» Aujourd’hui, il vient de s’acheter un lumineux appartement dominant Paris, proche de la Bastille. Mais rien n’y est installé, les tableaux couchent par terre. «Je vis davantage en tournée que chez moi. Mais de posséder quelque chose, même si j’y suis peu, ça me donne une assise.» Comme il ne fait pratiquement rien comme les autres, Alexandre Tharaud n’a pas de piano chez lui. «On m’a posé mille fois la question: c’est pour entretenir le désir. Comme ça, je travaille de manière plus concentrée.» Il a son réseau de salles et d’amis qui lui prêtent des instruments. Encore une manière de cultiver la singularité à laquelle cet elfe en sneakers doit sa liberté d’artiste. Chèrement payée, mais fraternellement partagée. U Jean-Jacques Roth, Paris [email protected] E st-il plus sensible que déterminé, ou est-ce l’inverse? Comment savoir, chez quelqu’un qui affirme que la recherche de l’équilibre est sa passion? Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que l’exigence ne lâche jamais Alexandre Tharaud d’une semelle. «Je me lève chaque matin en me disant que je ne sais rien, que je vais chaque jour chercher un peu plus loin, un autre tempo, d’autres nuances, une autre architecture. Même dans une œuvre jouée deux mille fois. Même si c’est dangereux. C’est la même chose en amitié, en amour: il faut travailler la relation, la mettre en danger pour aller plus loin.» A 45 ans, le pianiste français continue de travailler de manière obsessionnelle malgré une carrière brillante. Pourtant, Alexandre Tharaud n’a pas connu le parcours classique des jeunes virtuoses révélés par des concours et aussitôt lancés dans un circuit nourri de sensations souvent éphémères. De 20 à 30 ans, il a certes joué, enregistré, mais le succès n’est apparu qu’en 2001, avec un disque de pièces de Rameau, compositeur en général réservé aux clavecinistes. Encensé par la critique, cet album révèle au grand public un toucher de nacre, une agilité digitale diabolique, une sensibilité traversée d’allégresse et d’humour. De Bénabar à Bartabas Et puis, c’est un répertoire merveilleux mais mal connu: avec ce disque, Tharaud inaugure la longue série des albums à concept consacrés à des compositeurs (Couperin, Ravel, Scarlatti), ou à un style (les concertos italiens de Bach), à une forme («Autograph», un album de «bis») ou à une époque («Le Bœuf sur le toit»). «Je cherche à faire des disques utiles», dit-il. Chaque fois, les récompenses pleuvent, et deux Victoires de la musique l’ont couronné en 2012 et 2013. Il fait aussi des pas de côté. Accompagne Bartabas dans un spectacle équestre, ses amis chanteurs, Dominique A ou Bénabar, ou joue son propre rôle dans «Amour», le film de Michael Haneke primé à Cannes. Le voici dans un programme d’un parfait classicisme: le concerto «Jeunehomme» de Mozart, chef-d’œuvre de jeunesse dont le mouvement lent ressemble à un grand air d’opéra, un magnifique rondo rarement joué, un air de concert chanté par la mezzo Publicité Contrôle qualité «Je n’ai pas de piano chez moi. Je vais chez des amis, dans des salles. Comme cela, je travaille de manière plus concentrée» Alexandre Tharaud, pianiste A écouter Alexandre Tharaud: «Les pianistes sont des médiums.» Marco Borggreve Album Mozart et Haydn (Erato). En concert à l’Heure bleue, La Chaux-de-Fonds, les 8 et 9 novembre.